Une saison roumaine
Centre Pompidou
Dans le cadre de la « Saison roumaine », une petite salle du Musée national d’art moderne est consacrée au poète Ghérasim Luca, qui naquit en 1913, dans un milieu de petits entrepreneurs juifs de Bucarest.
Dès les années 1930, il participa à la dynamique très éclectique de la deuxième vague d’avant-garde roumaine. Puis il se rendit à Paris, où, en compagnie de Victor Brauner, Jacques Hérold et Gellu Naum, il s’exerça au rituel des cadavres exquis et à l’écriture automatique. Il rentra à Bucarest en 1940, et il y forma un groupe surréaliste avec Gellu Naum, Paul Paun, Dolfi Trost et Virgil Teodorescu.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, sa pensée poétique se définit selon une conception « non œdipienne » de la vie. Et c’est dans un réel – profondément plus vaste et en mouvement perpétuel – que sa motivation s’exacerba et se dissémina. Il décida alors d’écrire en français, inventant un « corps-langage » très particulier, saisi dans une incessante « morphologie de la métamorphose ».
Il revint à Paris en 1952 ; dès lors, il sera une figure culte, discrète et magnétique, du milieu artistique français. Ghérasim Luca collabora avec de nombreux peintres et réalisa des livres-objets avec la complicité de Victor Brauner et Jacques Hérold, ainsi qu’avec Max Ernst, Wifredo Lam, Micheline Catti, Pol Bury et Piortr Kowalski. Bien que Ghérasim Luca ait côtoyé certains surréalistes français, il n’appartint jamais au groupe.
Ghérasim Luca fut le poète d’une voix qui « s’onde » et d’une langue qui « s’oralise ». Il participa à de nombreux récitals et festivals de poésie-action. Il disait volontiers : « Je parcours aujourd’hui une étendue où le vacarme et le silence s’entrechoquent – centre choc –, où le poème prend la forme de l’onde qui l’a mis en marche ». Le poète fait totalement corps avec le langage, l’exalte avec une sonorité et des répétitions, des bégaiements, des glissements, des « mutations sonores », des mots-valises…
Gilles Deleuze considérait Ghérasim Luca comme un important poète de la langue française, celui qui parcourait le territoire du langage poétique en « étranjuif apocalyptiquement fort ». Il le fut jusqu’en 1994, année où il se donna la mort en se jetant dans la Seine.
Ghérasim Luca fut une personnalité singulière, un poète apatride en perpétuelle quête, un inventif et un transgressif du langage poétique. Il disséqua le langage pour mieux en multiplier les éléments, et transforma en profondeur l’écriture dans son registre des « ontophonies », des mots travaillés dans leur métamorphose incessante. Dans Je m’oralise, nous pouvons lire : « Celui qui ouvre le mot ouvre la matière et le mot n’est qu’un support matériel d’une quête qui a la transmutation du réel pour fin ».
On pourra aussi s’arrêter dans l’atelier de Constantin Brancusi (1874-1957), reconstruit à l’identique sur la place du Centre Pompidou. Il y accueille le travail de son compatriote Mihai Olos. Cet artiste a poursuivi l’héritage fondateur de Brancusi en se référant aux éléments traditionnels de sa région natale. Il a réalisé une synthèse des techniques d’assemblage ancestrales, dans les constructions modernes à travers un module géométrique qu’il a nommé le « nœud ». Cette structure, issue de l’imbrication de six éléments, est devenue le motif de ses sculptures, peintures ou performances. Elle est aussi l’élément de base de son projet pour une cité universelle : l’Olospolis.
À l’instar de Brancusi, le travail d’Olos rend compte des énergies contenues dans les formes élémentaires. Dans les années 1970, Olos avait mis en situation son « module-nœud » dans une action itinérante, et qui le confrontait à des lieux chargés d’histoire comme les Météores, l’Acropole d’Athènes ou le Vésuve.