Hauts-de-Seine (92)

Clinique juridique de la faculté de droit de Malakoff : « Une clinique juridique, c’est intense, mais ça en vaut la peine » !

Publié le 25/04/2023
Droit, juge
Marta Sher/AdobeStock

Depuis 2015, la faculté de droit de Malakoff compte une clinique juridique. Pour les étudiants, c’est une véritable plongée dans des cas concrets, une application pratique de leurs connaissances théoriques et l’apprentissage d’un certain savoir-être. À l’issue de l’expérience, ils sont ravis des compétences acquises et les justiciables reçus y voient plus clair sur les solutions qui s’offrent à eux. Un combo gagnant/gagnant !

« En stage, nous avons toujours quelqu’un derrière nous et peu d’autonomie. Avec la clinique juridique, on peut enfin mettre en pratique tout ce que l’on a appris pendant l’année. On réalise alors tout l’enjeu de nos études de droit, cela nous fait faire un pas dans le métier. C’est intense, demande un investissement personnel, mais ça en vaut la peine ». Rachel Maffon, en M1 Justice Procès et Procédures est une passionnée de droit qui ambitionne de devenir avocate. Lauréate du concours d’éloquence, Lysias, elle a découvert la clinique juridique de Malakoff en L3. Éléonore Carrel-Billiard, diplômée du même master et qui vient d’obtenir l’examen du barreau, a elle aussi tellement aimé son expérience à la clinique qu’elle lâche, à moitié en riant, que « cela devrait être obligatoire » pour tous les étudiants en droit. Côté étudiant, l’enthousiasme est donc unanimement partagé, malgré une rigueur et une charge de travail que ne dément pas Clothilde Grare-Didier, la directrice de cette clinique juridique, enseignement facultatif et sélectif.

Laisser sa chance aux plus motivés

« Les étudiants y participent à la place d’une autre matière qu’ils ne suivent pas. Intégrée à leur cursus, cette clinique est une façon de leur montrer que ce qu’on leur enseigne ne sert pas à rien, qu’il n’existe pas de fossé entre la théorie et la pratique. Cela permet de mettre les mains dans le cambouis, sous l’égide de professionnels, des avocats comme de notaires, avec qui on les met en contact le plus tôt possible », explique cette professeure des Universités, agrégée de droit privé et de sciences criminelles. 50 dossiers sont traités par an. « Vu la nature du dispositif, nous sommes obligés de faire une sélection, sinon la demande serait illimitée. Le but est de rendre service aux gens et de rendre un service public, faire plus ce serait faire moins bien », estime-t-elle.

Pour l’intégrer, les candidats envoient un CV, leurs résultats académiques et une lettre de motivation. « On accorde moins d’importance aux résultats académiques qu’à la lettre de motivation », reconnaît Clothilde Grare-Didier, qui n’hésite pas à admettre une « énorme dimension subjective », motivée par la « volonté de ne pas toujours donner aux meilleurs étudiants toutes les opportunités. Cette clinique peut aussi être un déclic pour les étudiants moins bons ».

« Ce sont 15 jours très intenses »

La participation à la clinique juridique dure 15 jours et prend la forme de deux rendez-vous. Lors du premier, les étudiants reçoivent le justiciable venu exposer son problème. Lors du second, deux semaines après, ils restituent à l’oral leurs découvertes, options, solutions au même justiciable. Entre-temps, les étudiants travaillent intensément sur le dossier.

Afin de les rendre plus efficaces, la clinique inclut en amont une période de formation pour sensibiliser les étudiants aux différents publics avec des ateliers de simulation aux entretiens et à la recherche juridique. « Le numérique donne accès à tout et ils ne font pas bien le tri », précise la directrice, qui espère ainsi améliorer la méthodologie des étudiants.

Quentin Berthe, doctorant en droit privé et chargé d’enseignement à l’université, a participé plusieurs années consécutives à la clinique juridique. Il se rappelle que « ce sont 15 jours très intenses ». Devenu doctorant il continue ainsi d’avoir un pied dans le dispositif. « Les doctorants apportent un soutien méthodologique, afin de passer de l’information juridique brute à une analyse plus fine : quelles questions on se pose, dans quel ordre ? Que dit-on aux justiciables ? Quelles questions les étudiants doivent-ils prioriser, au risque d’aller droit dans le mur ? Je suis là pour aider à faire le tri entre les informations pertinentes. Les étudiants restent, eux, les spécialistes du fond », assure-t-il. Pour Clothilde Grare-Didier : « les étudiants demandent à travailler plus vite, mais à être mis en sécurité. Au final, ils veulent être en »conduite accompagnée »».

La formule fonctionne. Rachel Maffon a ainsi le sentiment de bénéficier d’une oreille attentive, de ne pas avancer à l’aveugle. Bénédicte Guénégo, la coordinatrice de la clinique juridique, aime ce côté expérimental. « Cela place tous les acteurs de la clinique dans une position différente de ce qui se passe plus classiquement dans une salle de classe. D’habitude, les étudiants écoutent. Là ils ont l’initiative, ils mènent la danse ». Et cela correspond aussi aux attentes d’une génération. « Les étudiants actuels sont plus en quête de sens et souhaitent mettre en application ce qu’ils ont appris lors des cours magistraux. Certes, nous sommes encadrés, supervisés par un avocat, relus par la coordinatrice du projet, Bénédicte Guénégo. Mais avec les consultations, nous sommes dans le vrai », estime Rachel Maffon. Exercice concret, la clinique est aussi « une aventure humaine lors de laquelle les personnalités se révèlent. Certains, qui sont bons en cours, ont plus de difficultés à l’oral. Le fait de travailler en équipe met dans le bain des conditions réelles de travail », raconte-t-elle encore. Ce travail d’équipe séduit aussi Chirine Belhanafi, étudiante en L3 : « Au cours de ma participation à la clinique, mes collègues et moi avons chacun répondu à une question lors de la consultation. Les personnalités plus ou moins stressées contrebalancent les autres. Nous aimons cette stimulation intellectuelle, qui nous permet de repousser nos limites. Même quand c’est difficile, à la fin on est fier de nous » !

Des justiciables aux profils et dossiers variés

Côtés justiciables, il n’existe pas de profil type. « On a des CSP ++, des jeunes, des vieux », résume Bénédicte Guénégo, qui sélectionne les cas leur parvenant grâce à des partenariats avec la Maison du droit et de la justice du XVe et du XIVe arrondissement, le Barreau des Hauts-de-Seine (92), la mairie de Malakoff, etc. « Les cas les plus complexes, les affaires les plus violentes ne sont pas choisies, elles sont réorientées. On ne traite pas d’affaires pénales mais pour autant, il peut s’agir de dossiers civils assez lourds ». Bénédicte Guénégo se rappelle ainsi d’un jeune homme dont la maman gardienne d’immeuble avait eu un AVC et qui « voulait savoir ce qui allait advenir de son contrat de travail ». Ou encore, tout récemment, un « homme de 92 ans qui n’a plus de revenus et qui se demandait que faire pour que ses enfants lui versent de quoi survivre ». Point commun : ils viennent tous avec un problème qui leur pèse.

Le service proposé ne fait pas concurrence aux avocats. C’est bien de l’information juridique qui est délivrée, dont le but est de faire « le ménage dans la tête du justiciable, de l’aiguillage. On dresse un panorama juridique. On les aide à prendre une décision et s’adresser au bon professionnel si nécessaire, rappelle Bénédicte Guénégo. Au-delà du pur juridique, cela leur fait du bien d’être écoutés, d’être pris au sérieux ». Éléonore Carrel-Billard confirme un accueil globalement très favorable. « Certains justiciables sont super reconnaissants, précise-t-elle. Rares sont ceux qui ne prennent même pas de notes ou restent hermétiques ».

De multiples bienfaits pour les étudiants

Le passage par la clinique apporte beaucoup aux étudiants. Bien sûr, sur la méthodologie. À ce titre, Clothilde Grare-Didier rappelle que « le droit, c’est une grammaire et une géographie de l’information, il faut savoir où chercher ». Mais aussi une ouverture sur des matières nouvelles, comme s’en souvient Chirine Belhanafi. « À l’occasion d’un dossier sur le droit de la construction, mon équipe est allée droit dans le mur. Nous n’avions pas vu les choses dans leur globalité. On a tout repris, c’était assez éprouvant. Finalement, la clé, c’était le droit des contrats ». Mais derrière ces découvertes théoriques, c’est aussi un savoir-être ou un savoir-vivre, notamment vis-à-vis des justiciables, qui se développe. « Je suis impressionnée par la très grande humanité des étudiants, leur grand savoir-vivre. Ils accueillent les justiciables avec beaucoup de délicatesse, quitte à perdre leur neutralité juridique », glisse Bénédicte Guénégo. Pour Rachel Maffon, il est clair que « la vraie skill [compétence,], c’est de mener l’entretien. Les justiciables nous posent leurs questions, nous exposent leur problème. Ils ont souvent des idées et nous devons garder une certaine rationalité. Nous avons une responsabilité car nous donnons une réponse qui va peut-être régler le problème de quelqu’un ». Parfois, cet entretien ne se fait pas si simplement. Éléonore Carrel-Billiard se souvient d’un cas en particulier, « un licenciement abusif, dans lequel il y avait finalement des éléments à charge du côté du justiciable ». Dans ce cas compliqué, l’avocate avait recadré les choses. « L’avocat c’est la voiture-balai ! », s’amuse Bénédicte Guénégo. Car le droit ne donne pas toujours raison aux justiciables… D’où « la nécessité de transformer un sentiment d’injustice en une analyse juridique de la situation ».

Face à de tels enjeux, la participation à la clinique juridique permet de valider des acquis, mais aussi de « travailler sur des matières qu’on ne connaît pas, de mieux gérer son stress, et les responsabilités. Les étudiants comprennent qu’ils sont capables et cela leur donne confiance en eux », synthétise Bénédicte Guénégo.

De là à dire que cette expérience valorise le CV, il n’y a qu’un pas. Quentin Berthe l’avance : « avoir suivi la clinique juridique suscite la curiosité en entretien. Les interlocuteurs veulent savoir en quoi cela consiste. Ça plaît, ça intéresse, ça change des stages réalisés en L2-L3 où l’on fait les cafés, les photocopies et copie les conclusions. Je pense qu’avec cette expérience, les avocats sont plus enclins à donner un dossier à un stagiaire ».

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