Dans l’académie de Créteil, Wall-E fait la révolution
Comme toutes les académies, Créteil a saisi à bras-le-corps la technologie pour sortir les enfants et adolescents atteints de pathologies invalidantes de la solitude de l’éducation au domicile ou à l’hôpital. Ces petits robots permettent de la petite section au BTS de garder le contact avec la classe… et de se sentir plus fort.
Christelle Haberer vit à Solers, en Seine-et-Marne. Elle est maman de deux grands ados et de Sacha, 10 ans, qui est scolarisé en CE2. Un retard qui s’explique par le fait que l’enfant est atteint de plusieurs malformations qui rendent ses journées particulièrement éreintantes. Il y a deux ans, la maman a fait une demande d’APADHE (accompagnement pédagogique à domicile à l’hôpital ou à l’école) pour qu’à défaut d’aller à l’école, l’école vienne à son fils. « Les personnes qui géraient le service m’ont vite rappelé : en raison d’un manque de personnel enseignant criant dans les établissements scolaires de l’académie, il était impossible de trouver des gens pour se rendre aux domiciles des personnes malades. C’est là qu’ils m’ont parlé du robot ».
Le « robot », c’est le programme national TED-i (« Travailler ensemble à distance et en interaction »), un dispositif innovant de télé-éducation inclusive et solidaire, grâce à des systèmes robotisés de téléprésence destinés à améliorer l’accompagnement pédagogique et la socialisation des jeunes élèves ou étudiants (jusqu’au BTS) atteints de maladies graves et de longue durée et hospitalisés dans un établissement de soins ou à domicile. Il existe deux types de robots correspondants aux âges des élèves : le Buddy (56 cm2 au garrot et une petite tête de Wall-E) et BEAM (qui ressemble plus à un iPad monté sur un Segway de 1,35m de haut). L’élève concerné peut piloter depuis une tablette son robot en classe, il peut interagir avec ses camarades et même lever la main.
Malgré sa déception, Christelle ne se laisse pas abattre par cette carte sortie « comme par magie » du chapeau. « J’ai tout de suite trouvé cela intéressant. En attendant d’avoir une personne de l’APADHE, c’est une alternative chouette. Sacha est un enfant qui passe beaucoup de temps sur les écrans, il savait déjà utiliser les tablettes alors il n’a pas eu de difficultés à s’approprier l’outil. Il a passé toute sa maternelle à l’hôpital et les solutions sont très limitées pour passer le temps allongé sur un lit. Il est passé à côté de tout l’apprentissage de la sociabilité. Désormais, il a un groupe classe, une maîtresse qui le connaît. Les enfants le reconnaissent, il est vraiment avec eux. Le robot rattrape un peu tout cela et je trouve ça chouette pour tous ces enfants, qui peuvent s’amuser avec le robot, savoir que tous les enfants ne sont pas en bonne santé ». Mais le robot aide également Christelle, qui a cessé toute activité professionnelle pour s’occuper de son fils : « à la maison, le temps n’existait pas, avec deux ados et Sacha, les rendez-vous, les soins, je souffrais de troubles de l’attention. Le robot, la connexion avec l’école, ça m’a obligée à nous mettre au rythme de l’école, qui ne passe plus en second plan ». Christelle et Sacha auraient peut-être un petit bémol : « ce serait fun d’avoir un petit wall E à la maison au lieu d’une tablette ».
L’académie de Créteil, en pointe sur le programme TED-i
Le 3 décembre 2021, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, s’était rendu à l’école Jules-Ferry d’Ormesson-sur-Marne (94), en présence de Brigitte Macron, pour annoncer le déploiement du programme TED-i en France. Plus d’un an après, le 9 mars 2023, c’est Daniel Auverlot, recteur de l’académie de Créteil, qui s’est rendu au collège Jean-Jaurès à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pour remettre le 150e TED-i à un élève de cinquième, empêché de suivre les cours du fait d’une maladie grave.
Il a fait la rencontre de Nafissatou, élève de cinquième hospitalisée à domicile, qui participait avec ses camarades à un atelier d’arts plastiques particulièrement ambitieux. Les élèves présents dans la classe (un groupe de 5e SEGPA et un groupe latiniste de 5e), étaient réunis autour d’un projet sur Auguste Rodin focalisé sur l’ouverture culturelle, la confiance en soi, le rapport à l’écrit et l’acceptation des différences. Ce projet permet de travailler l’inclusion par une initiation au grec, commune à des élèves de SEGPA et des élèves latinistes tout en développant des compétences en arts plastiques grâce à une initiation à la photographie entre autres. Le clou du spectacle : une visite au musée Rodin à laquelle Nafissatou pourra participer, par l’intermédiaire du petit robot.
« C’est un sujet que le recteur a très à cœur », nous confie Stéphanie Lentz, inspectrice de l’Éducation nationale et conseillère technique ASH auprès du recteur de l’académie. La fonctionnaire travaille depuis le début de l’opération dans l’identification des besoins dans le cadre de l’école inclusive. Elle travaille en étroite collaboration avec les services de l’Apad et la Direction des services départementaux de l’Éducation Nationale. « Le premier robot est arrivé en octobre 2021 à Lizy-sur-Ourcq (une commune de 3 000 habitants, au nord-est de Meaux). Le jeune Charly était en fin de CM2 quand il est tombé malade, il a été mis en place pour sa rentrée de sixième un accompagnement pédagogique à distance à l’hôpital ainsi que les visites d’un enseignant de l’APADHE. Il a eu une rentrée quasi normale, déplaçait son robot de classe en classe, interagissait avec ses camarades, participait en classe ». La fonctionnaire est encore émue de nous raconter le retour de la maman : « elle a dit que ça avait métamorphosé son enfant, parfois les cours l’épuisaient trop. Les enfants sont tellement isolés par la pathologie, avec le robot ils retrouvent un espace à eux, ils voient du monde, des copains. L’enfant a fait sa rentrée en sixième avec son robot et quand il est revenu en classe, au printemps 2022, son visage était familier de ses camarades et professeurs. Maintenant c’est le petit prince dans le collège ». Lors du déplacement du recteur, le témoignage du petit garçon et de sa maman a été diffusé : « dès qu’on allume l’ordinateur c’est magique, on voit les amis, on voit le tableau et on fait ses devoirs ! Il faut déployer le robot en masse car les enfants ont une vie sociale et ils se développent avec toutes les forces qu’il faut pour une éducation sociale et une éducation scolaire », avait expliqué la mère du petit garçon.
Une révolution scolaire et sociale
Au départ, Stéphanie Lentz et son service avaient anticipé la plus-value du dispositif dans le champ scolaire : l’accès à l’Apad étant limitée et très encadrée, le robot permettait d’augmenter sensiblement le temps scolaire des enfants bénéficiaires. « On se doutait de l’impact social aussi, mais lors du séminaire sur la formation et logistique, en juin 2022, on a reçu une claque avec le retour des parents et des enfants sur cet accompagnement. Je me souviens encore du témoignage d’une mère qui m’avait donné la chair de poule. Elle avait eu la sensation que sa fille revivait grâce au robot : l’adolescence est un moment où le contact avec les pairs est crucial. On avait aussi eu un petit élève de grande section qui avait pu faire un atelier légo avec sa classe, un collégien qui avait visité le Louvres avec sa classe. Un collégien a pu participer comme ses camarades au lancement de la semaine olympique et paralympique au Zénith de Paris, en présence du ministre, c’est un décloisonnement total ».
Pour se former à l’outil, une formation est proposée aux parents pour diriger le robot et utiliser la tablette, même si de l’avis de Christelle « les grands-parents pourraient l’utiliser tant c’est simple ». Si le 150e robot vient d’être déployé, l’académie en comptera 189 avant la fin de l’été (avec une flotte de 264 robots prêts à prendre du service en cas de nécessité). Stéphanie Lentz est heureuse de participer à ce qu’elle interprète comme une force en évolution continuelle : « on invente de nouvelles procédures sans cesse, on teste. On regarde comment les enfants utilisent les robots, aussi, à la maison ou en classe. Pour que Nafissatou parte en voyage scolaire au mois d’octobre prochain, on a déjà échangé avec la société Awabot pour promener le robot en toute sécurité, ou le rendre tous terrains. Actuellement, on cherche des terrains d’expérimentations sur les refus anxieux scolaires, dans l’idée de mettre un robot à disposition en accord des pédopsychiatres, quand l’enfant commence à remettre un pied dans les établissements scolaires », s’enthousiasme la fonctionnaire.
Le contexte de l’accompagnement des enfants malades et en situation de handicap pourrait néanmoins modérer cet enthousiasme. En septembre dernier, plus de 430 000 élèves en situation de handicap ont fait leur rentrée en France. Le nombre d’AESH recrutés par l’Éducation nationale a, quant à lui, atteint le seuil dramatique de 125 000 postes.
Face à la pénurie d’enseignants et d’assistants de la vie scolaire, la fonctionnaire tient à nous rassurer : « jamais les robots ne remplaceront les humains ». À surveiller quand même !
Référence : AJU008o3