Paris (75)

L’École de droit de la Sorbonne face à la crise sanitaire

Publié le 25/02/2021

Avec plus de 16 500 étudiants, l’École de droit de la Sorbonne doit aujourd’hui composer avec la réalité de la crise sanitaire, économique et sociale. La direction, les enseignants et les étudiants racontent comment ils tentent de faire face.

Le mot d’ordre a été le même pour toutes les universités de France : continuité pédagogique et administrative. Des règles sanitaires ont été mises en place avec du gel hydroalcoolique et des masques obligatoires. Mais pour l’École de droit de la Sorbonne (EDS), la situation a été un peu plus particulière du fait du changement de direction en novembre dernier. Agnès Roblot-Troizier a pris la présidence à la suite de François-Guy Trébulle. « Il n’y a pas eu de moment de latence à la direction », assure la nouvelle directrice. « J’ai été élue par le conseil de l’EDS mais à ce moment-là je n’avais pas complètement terminé mes fonctions à l’Assemblée nationale (déontologue de 2017 à 2020). J’ai eu deux mois difficiles et lourds professionnellement, avec des questions importantes et sensibles à traiter dans un contexte sanitaire qui évolue en permanence ».

Agnès Roblot-Troizier a hérité d’un retard organisationnel quant à la session de rattrapage qui n’a eu lieu qu’au mois de septembre au lieu du mois de juillet habituellement. « Nous n’étions pas en mesure de maintenir les examens de janvier dernier en présentiel dans des conditions satisfaisantes, avec un nombre insuffisant de salles et de surveillants. Nous avons préféré, compte tenu des inquiétudes des étudiants et du personnel, faire nos examens à distance ».

C’est ce premier sujet que la professeure agrégée de droit public a eu à affronter en tout début de mandat. Des décisions qui ont été prises en concertation avec son adjoint et les directeurs de départements, refusant « un exercice de pouvoir solitaire ».

Aux maux du personnel habituels, se sont ajoutés des arrêts de travail dûs au Covid-19, créant un rythme à flux tendu. « Il y a eu cinq enseignants et trois personnels administratifs touchés par le Covid depuis la rentrée de septembre dernier [chiffres de fin décembre 2020, ndlr]. Je n’ai pas les chiffres des étudiants. Les cas contact sont relativement fréquents », complète la directrice.

École de droit de la Sorbonne
DR

Des étudiants en souffrance

Adam Malek est élève avocat spécialisé dans l’arbitrage et le contentieux commercial international et chargé d’enseignement au second semestre de l’année 2020-2021. « Les personnes précaires ont été les personnes les plus facilement et les plus durement impactées par la crise. Des étudiants, qui vivent seuls en appartement CROUS ont pu bénéficier d’une aide à l’achat d’ordinateur mais cela n’a pas été institutionnalisé. Les universités ont fait en fonction de leur budget, à la hauteur de ce qu’elles pouvaient, mais ce n’était pas suffisant ».

Enfermé dans sa chambre pour la préparation de son CRFPA – rien d’étonnant jusque-là –, Adam Malek et ses camarades ont vu leur sérénité impactée par les conditions particulières. « Nous étions dans des hangars à côté du château de Vincennes. Environ 2 000 personnes espacées d’un mètre avec des gestes barrières et du gel à l’entrée. Le stress monte rapidement. Il faisait assez chaud. Le masque, obligatoire pour l’entièreté de l’examen, n’aide pas vraiment à respirer. Moi qui porte des lunettes, ce n’était pas évident avec la buée ».

Face à l’isolement, la perte de revenus et de vie sociale, l’envie se fait de plus en plus pressante de retourner à l’université, « de se ruer en amphi ». « D’autant que tout le monde n’a pas une bonne connexion internet », rappelle Adam Malek. « Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir suivre les cours dans un endroit calme. Certains vivent à plusieurs dans une maison, parfois avec des enfants. J’ai des camarades qui ont eu des difficultés à ce niveau-là ».

Depuis début janvier, des étudiants considérés comme « fragiles » peuvent suivre des enseignements par groupe de 10. Mais le ministère ne précise pas qui est « fragile », donnant simplement l’exemple des étudiants de Licence 1. « Mais tout le monde est en souffrance », insiste Agnès Roblot-Troizier. « Il nous a semblé difficile d’identifier de manière abstraite des étudiants qu’on qualifierait de “fragile” avec tout ce que cela a de stigmatisant. C’est assez subjectif. On a tous considéré que c’était un terrain glissant ».

Alors l’EDS a choisi de mettre des moyens supplémentaires, accordés par le ministère, dans le tutorat. Des étudiants de niveaux supérieurs sont rémunérés pour aider les étudiants de première année, voire de deuxième année. L’idée est de pouvoir compenser la perte d’emploi de certains étudiants et de créer du lien entre les promotions. « Nous avions également mis en place un mentorat en 2019-2020 », précise Ruth Sefton-Green, maîtresse de conférences en droit privé à l’EDS. « Depuis le confinement de mars dernier, nous l’avons intensifié parce qu’on sait que les étudiants sont en grande difficulté. Ce mentorat est offert aux étudiants pour leur permettre de bénéficier d’une écoute et de les aider sur des questions d’orientation ».

Du côté des enseignants, « pour la grande majorité l’adaptation a été parfois meilleure que pour les étudiants », a pu constater Adam Malek.

Un enseignement en mutation

L’année universitaire 2020-2021 ne sera définitivement pas une année comme les autres. « On reste sur notre faim », confie Adam Malek. « Pour mon diplôme universitaire (DU), nos cours devaient avoir lieu dans un cabinet parisien. Le protocole a fait qu’on n’avait pas cours sur place alors que c’était l’intérêt de ce DU. On a tout fait à distance. Il manque quelque chose. Ce n’est pas pareil d’être dans sa chambre en jogging que dans des cabinets en costume ».

L’adaptation a dû se faire rapidement autant pour les étudiants que pour le corps enseignant. À l’université Panthéon-Sorbonne, deux logiciels étaient disponibles : BigBlueButton et Zoom.

Pour Ruth Sefton-Green, qui a dirigé un ouvrage et qui anime des ateliers sur l’enseignement du droit, son expérience et sa boîte à outils déjà constituée a été d’une grande aide : « Depuis longtemps et bien avant le Covid, j’enregistrais mes cours et je diffusais les podcasts en ligne. J’ai pu réutiliser ce stock. J’ai renversé le mode d’apprentissage : d’abord on m’écoute, puis on approfondit. Les étudiants ont beaucoup apprécié ces podcasts. En revanche, j’ai eu des effectifs diminués ». Face à des cours en visioconférence sur Zoom, difficile de toujours motiver les troupes. « Les étudiants étant saturés, ils favorisent les matières fondamentales ».

Pour rendre les interactions plus vivantes, chaque enseignant a tenté de nouvelles pratiques, comme le fait de créer des salles virtuelles de groupes de travail. Mais une formule n’a pas convaincu Ruth Sefton-Green : « J’ai trouvé l’hybride (une partie d’étudiants présents dans l’amphi pendant qu’une autre est en ligne) catastrophique. Je l’ai pratiqué en cours magistral, où j’utilisais un vidéoprojecteur comme j’ai l’habitude de le faire. J’étais captée en vidéo en même temps. Mais ce n’était pas une réussite parce que je n’avais pas de moyens techniques pour être connectée aux personnes à distance. Je ne pouvais pas communiquer avec elles. Très vite, le public en présence a diminué. Et comme je n’avais pas les autres, j’avais un public fantôme ».

Au sein de l’EDS, les efforts déployés pour assurer les cours, que ce soit ceux des professeurs, des maîtres de conférence et des chargés d’enseignement, sont reconnus par la direction. « Cela demande énormément de travail de faire des cours à distance », confirme Agnès Roblot-Troizier. « Une collègue me disait que pour son cours de L1, elle faisait plusieurs vidéos thématiques de 20-30 minutes en plus des cours écrits, pour que chaque étudiant puisse choisir le format qui lui convient le mieux ».

« Ces mutations au niveau technique n’influent aucunement sur la qualité des enseignements », assure la directrice. « Oui, on adapte nos examens, il y a des attentes qui sont différentes, mais cela ne remet pas en cause la valeur des diplômes ».

Les examens, une question de confiance

Pour la session de janvier dernier, tous les examens (sauf les M2 et AES) ont eu lieu à distance. Selon la direction de l’EDS, la difficulté était liée au nombre d’étudiants : « En temps normal, là où on devait prendre quatre grandes salles, en nécessitait 9. Cela décuplait le nombre de surveillants. Tout était plus lourd ».

S’est alors posée la question d’une possible « rupture d’égalité ». « L’avantage des examens sur place est le fait que nous n’avons peut-être pas tous révisé dans les mêmes conditions, mais au moins on peut composer de manière égale », explique Adam Malek. Puis est venue sur la table la question de la protection des données quant à l’utilisation de logiciels privés comme Zoom ou Proctorio. Quid du consentement des étudiants filmés chez eux, surveillés à distance via des caméras ou encore des logiciels ayant accès à leur bureau informatique ?

Agnès Roblot-Troizier affirme qu’au sein de l’EDS il y a un « consensus à ne pas filmer les étudiants chez eux ». Sans forcément de directives écrites, c’est cette ligne qui a été privilégiée. « Dans certains pays, il paraît incongru de faire les examens sans documents autorisés. En France, on se base sur l’apprentissage par cœur, mais on peut changer nos pratiques. Un bon juriste est un juriste qui sait chercher. Tout cela on peut le développer à distance », ajoute la directrice.

Comme beaucoup de ses collègues, Ruth Sefton-Green a choisi de faire confiance à ses étudiants. « Je les prépare à l’examen et je leur donne les thèmes qui vont tomber. De toute façon les réponses toutes faites ne sont pas possibles. Les étudiants ont le droit d’amener leurs notes en examen. Cela ne change rien. Ce qui m’intéresse est de savoir comment ils utilisent leur sens critique. La confiance induit un bon comportement ».

Des relations qui s’intensifient

La crise sanitaire a également apporté des changements dans les relations eu sein de l’EDS. Ruth Sefton-Green admet qu’elle n’a jamais autant parlé à ses collègues que depuis le confinement : « On a tous besoin de parler. Avec le mentorat, on reçoit les étudiants pour les aider, il y a beaucoup de détresse ».

Adam Malek, de son côté, commence ce second semestre en tant que chargé d’enseignement avec de nouvelles interrogations en tête : « Comment traiter le cas d’un étudiant qui aurait dans son entourage quelqu’un atteint du Covid-19 ou perdu quelqu’un à cause du virus ? Comment concilier cette nécessité de donner une formation qui ait la même valeur qu’avant la pandémie tout en prenant en compte tous les obstacles de cette pandémie ? Comment former de manière tout aussi efficace tout en s’assurant de l’absence de décrochage et prendre en compte les situations globales et situations individuelles ? Le premier confinement a été mal vécu, mais il y avait moins d’attentes parce que c’était un coup d’essai. On avait la sensation que cela allait être temporaire. Finalement ce n’est pas tant un travail de suivi qu’un travail pédagogique, humain, psychologique, de dialogue social qui pourrait être amélioré au sein de l’université Paris 1. Mais comment le faire quand on est confiné pendant deux mois avec des conseils d’administration sur Zoom ? ».

À la tête de l’EDS, Agnès Roblot-Troizier a compris l’importance de maintenir une relation avec ses étudiants : « J’ai reçu un message signé de délégués de promotion et d’associations étudiantes faisant état d’un malaise. C’était un message assez poignant. Les étudiants faisaient part de leurs difficultés. J’ai pris le temps de répondre. Je dois préserver la liberté pédagogique des enseignants, en revanche, je peux rappeler que les horaires des cours y compris à distance doivent être respectés et que les étudiants ont droit à faire des pauses même si on est en visioconférence ».

Face à un manque de moyens généralisé dans les universités, mais également à certaines « lourdeurs administratives », la directrice se félicite d’avoir un « personnel administratif extraordinaire, dévoué, avec des rémunérations peu élevées ». Alors qu’Agnès Roblot-Troizier n’a pas connu un seul jour sans travailler depuis septembre dernier, le reste de l’année continue d’être imprévisible : « C’est très intense et je l’ai choisi. On aurait aimé plus d’annonces favorables à l’ouverture des universités de la part du ministère, parce qu’on sent que c’est nécessaire pour les étudiants comme pour les enseignants. Mais il faut se rendre à l’évidence, la situation sanitaire ne permet pas d’avoir mieux ».