Nuit du droit dans les Yvelines : « La démocratie est-elle encore un rempart contre l’autoritarisme ? »

Publié le 24/10/2024

La Nuit du droit du 3 octobre 2024, organisée à l’initiative du Conseil constitutionnel, a eu comme chaque année sa déclinaison dans les Yvelines. Au sein de la faculté de droit et de sciences politiques de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines le programme était dédié aux questions de droit et de démocratie. Pour la seconde table ronde, le panel s’interrogeait sur : « La démocratie est-elle encore un rempart contre l’autoritarisme ? ».

Hélène Molinari

Devant l’assemblée, quatre personnes ont accepté de tenter de répondre à la question : « La démocratie est-elle encore un rempart contre l’autoritarisme ? ». Aux côtés du modérateur, Franck Etienvre, président à la 4e chambre à la cour administrative d’appel de Versailles, nous retrouvions Émilien Houard-Vial, enseignant et doctorant en sciences politiques, qui réalise sa thèse sur la production et la diffusion de l’idéologie au sein de la droite française, la magistrate du parquet auprès de la cour d’appel de Versailles, Corinne Moreau, et Maître Pierre Bourdessoule de Bellefeuille, avocat au barreau de Versailles, spécialiste du contentieux des personnes hospitalisées sous contrainte.

« Toute une série d’événements continue de fragiliser nos régimes démocratiques et notre pays n’y échappe pas », commence Franck Etienvre. Il pense ici à « la crise climatique, la crise migratoire, aux remises en cause régulières aux principes de laïcité ou encore aux menaces terroristes et à la pandémie de Covid 19 ». Ces événements ont eu comme conséquences des restrictions de nos libertés individuelles. Mais, dit-il, « il ne faut pas oublier que la France n’est pas un pays où les libertés individuelles sont totales, elles ont des limites » : des hospitalisations d’office, des interdictions de déplacement pour des supporters de foot, des assignations à résidence pour des étrangers, des personnes en détention. La frontière entre régime démocratique et régime autoritaire ne serait alors « pas si franche ».

Une montée des attaques contre la démocratie

Émilien Houard-Vial est le premier à prendre la parole. « La démocratie se départit mal de son côté libéral », explique-t-il, la plénitude du vote étant garantie par nos libertés individuelles. Après un préambule pour définir les termes, le chercheur est revenu sur les attaques contre la démocratie : les critiques d’ordre constitutionnel ou hiérarchie des normes, vis-à-vis notamment de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’Homme ; la critique nationale, vis-à-vis d’élites institutionnelles et judiciaires ou dans la fonction publique ; et la critique de la liberté d’expression, avec à la fois pas assez et trop de répression.

« Quelles sont les raisons à ces récriminations qui peuvent être portées jusqu’au sommet de l’État ? Évidemment, une concurrence de l’extrême droite qui est accrue. L’extrême droite c’est tout de même, tout compris, 34 % des dernières élections législatives (…). C’est aussi un poids intellectuel et médiatique qui est désormais très important ». De ce constat, le chercheur dit que « pour réussir à répondre à ce déclin électoral » et ce « manque de confiance », il fallait « voir ce qu’il y avait en matière de compréhension de l’institution qui pourrait permettre de lever des blocages. Finalement, cette idée de maîtrise du destin politique qui serait empêché par les institutions, serait aussi une réponse de partis de gouvernement qui se pensent malgré tout en responsabilité, compétents, raisonnables, réalistes, pragmatiques, aux défis supposément posés par l’extrême droite qui serait le reflet d’une profonde volonté citoyenne ».

« Rester vigilants »

À la suite de cette approche des sciences politiques, la juge Corinne Moreau a proposé son interprétation du sujet « sous l’angle du droit et de la justice ». « L’État de droit comme socle de la démocratie, mais encore ? », s’interroge-t-elle. L’État de droit « ne peut s’imposer que dans un pays dont les habitants se sentent collectivement responsables de faire en sorte qu’il le soit, et intègrent leur propre responsabilité dans leur propre culture juridique, politique et sociale ». Elle poursuit en qualifiant l’État de droit comme « une valeur fondatrice commune » et « un modèle d’organisation pour encadrer l’exercice de la puisse publique », qui repose sur un « droit sûr et prévisible, dans lequel toute personne a droit à être traitée par les décideurs de manière digne, égale et rationnelle » et « de disposer de droits de recours pour contester ces décisions », devant des juridictions « indépendantes et impartiales », selon une procédure équitable.

Corinne Moreau pose de nombreuses questions pouvant nous aider à identifier le respect ou non de l’État de droit, et l’état de nos démocraties. Parmi celles-ci, pêle-mêle : « Une autonomie suffisante est-elle reconnue au ministère public ? L’indépendance et l’impartialité du barreau sont-elles garanties ? Le droit de la défense est-il garanti ? ». Elle appelle les étudiants à se les poser, tous les jours, car « elles irriguent notre pratique du droit » et « s’y heurtent parfois ». « Alors que la justice de notre pays est critiquée, certes, mais que le socle de nos lois assure aujourd’hui, le rempart évoqué dans notre sujet, je souhaite vous emmener aux portes de l’Europe où l’herbe est bien moins verte, où la justice telle qu’elle est envisagée dans un État de droit est menacée pour de vrai ». Elle donne l’exemple de la Pologne, où l’indépendance des juges a été remise en cause ces dernières années, de la Hongrie ou de la Turquie où les présidents ont été élus « par la voie des urnes ». « La démocratie est-elle encore un rempart à l’autoritarisme ? Sans doute pas partout, et ce constat nous invite à rester vigilants ».

Une démocratie perfectible

Maître Bourdessoule de Bellefeuille annonce pour sa part un « spoiler » : « Je pense que, oui, on peut avec la démocratie aboutir à une lutte contre les extrémismes ». Il se base sur l’histoire de la démocratie où « il y a eu un petit rajout », « une petite addition », qui permet d’avoir aujourd’hui « une vision plus globale ». Il remonte à la Grèce antique, en passant par le Moyen-Âge pour arriver à nos jours. « Je crois que si on garde en mémoire chacune de ces additions, on arrivera à un produit perfectible ; avec des gens qui sont responsables, avec des juges, des avocats, des citoyens ». Ces citoyens qui participent en votant. « Et peut-être qu’on peut continuer cet engagement démocrate, à votre porte. En adhérant à un syndicat, en donnant son sang, en étant un délégué de classe, … ». Terminant son propos sur une note d’humour, il a souhaité « bon courage » pour la suite.

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