Essonne (91)

« One Health-Une seule santé », la clinique juridique de l’université d’Évry Paris-Saclay

Publié le 20/02/2023
« One Health-Une seule santé », la clinique juridique de l’université d’Évry Paris-Saclay
La promotion 2022-2023 accompagnée de Cédric Villani, ancien député et parrain de la Clinique juridique, Aloïse Quesne, directrice de la Clinique juridique, Maître Bernard, avocate au barreau de l’Essonne, Maître Juglar, avocat au barreau de Paris, et son chien-guide, Rider.

Au sein de l’université d’Évry Paris-Saclay, une nouvelle clinique juridique a été créée en 2020. Contrairement à d’autres cliniques en France, elle est dédiée à des domaines d’intervention très spécifiques : le droit de la santé, le droit des biotechnologies et le droit du vivant. Baptisée « One health » ou « Une seule santé », son objectif est de « renouveler notre vision de la santé, en commençant par la reconnaissance de l’interdépendance du vivant ».

Parrainée par le député, Cédric Villani, et la députée, Laëtitia Romeiro Dias, la clinique « One health-Une seule santé » a entamé sa troisième année d’existence. Aloïse Quesne, maître de conférences en droit privé, en est la directrice depuis sa création. Recrutée en octobre 2019, elle a donné l’impulsion pour ce nouveau module de formation. « J’ai souhaité donner une nouvelle dynamique, explique-t-elle. Par ailleurs, j’ai eu l’opportunité de créer dans le même temps un cours de Droit du vivant animal et végétal. J’ai importé cette matière à l’Université d’Évry étant donné que j’enseignais depuis 2012 un cours de Droit de l’expérimentation animale à l’Université de Caen-Normandie, ce qui m’a d’ailleurs valu d’être la première Lauréate du Prix de Droit de la Fondation Droit animal, éthique & Sciences en 2014. J’ai donc proposé une nouvelle maquette avec une clinique juridique au sein du Master 2 Droit de la santé et des biotechnologies ».

Le concept « One Health »

Initié au début des années 2000, ce concept « One Health » s’inscrit dans un contexte à la fois de recrudescence mais aussi d’émergence de maladies infectieuses dans un monde globalisé. D’après l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), il « repose sur un principe simple, selon lequel la protection de la santé de l’homme passe par celle de l’animal et de leurs interactions avec l’environnement. La santé animale, végétale, la santé de l’environnement et celle des humains sont donc intimement liées ». L’exemple couramment donné est celui des animaux d’élevage soignés avec des antibiotiques, ce qui entraîne des résistances transmissibles aux bactéries présentes dans notre microbiote, celui des animaux ou dans l’environnement.

Le concept entend donc décloisonner les disciplines et les enseignements et propose une approche collaborative, multisectorielle et transdisciplinaire. « Nous avons l’impression que c’est un concept nouveau mais c’est finalement un concept ancien, poursuit Aloïse Quesne, c’est la définition de la santé même. Nous sommes en interdépendance, on appartient à l’environnement. Ce sont ces interactions qui nous intéressent ici, pour l’ensemble du vivant ». Mais alors quel lien avec le droit ? « Le droit est partout, répond la praticienne. Dès que cela touche la responsabilité médicale, les patients, l’élevage intensif… Il y a des normes juridiques qui s’infiltrent ou des vides qu’il convient de combler. La question est de savoir comment améliorer ces normes existantes et leur application. Le but de ce concept est d’avoir toujours à l’esprit que lorsqu’on traite une problématique humaine, celle-ci peut avoir des conséquences sur le reste du vivant. Lorsque les étudiants arrivent au sein de la clinique, ils n’ont souvent aucune idée de toutes ces interactions. Ils sont surpris que l’on parle d’animal ou d’environnement dans le droit de la santé ».

Un axe pratique et un axe recherche

La Clinique juridique « One health- Une seule santé » propose aux étudiants et étudiantes un « axe pratique » et un « axe recherche ». Comme indiqué sur le site de la clinique, l’axe pratique « se traduit par la mise en place de séminaires praticiens et d’ateliers cliniques, afin de se former à des exercices concrets (formation à la recherche documentaire, par exemple), de mettre leurs connaissances théoriques en pratique (rédaction de conclusions, plaidoiries…) et de créer des liens entre les étudiants cliniciens et des professionnels, tels que des avocats ou des associations ».

La clinique compte ainsi plusieurs partenaires comme le Genopole, situé à Évry-Courcouronnes, dont le département « entreprise » est le partenaire initial de la Clinique juridique. Le département « recherche » les a rejoints dans le cadre de la création d’un Institut de génomique numérique courant 2022. « Cet institut a pour objectif de « recycler », d’échanger et de valoriser les données numériques scientifiques, dans la discipline d’origine mais aussi dans d’autres disciplines, car il s’agit de données de santé et de données environnementales, permettant une approche holistique de la santé ».

L’on peut également citer l’Institut de recherche pour le développement (IRD), L’Espace éthique Île-de-France, EUGLOH (European University Alliance for Global Health), le programme de l’Université Paris-Saclay, L’initiative « 1S-Une seule santé  » ou encore Le Village de la Justice. Les associations e-Enfance et Droit comme un H ! viennent de rejoindre la Clinique juridique.

Pour le second axe, une activité de recherche appliquée est mise en œuvre lorsqu’un des partenaires institutionnels saisit la Clinique pour des avis juridiques concernant une problématique donnée. « Ces projets tutorés ont pour ambition de faire travailler les étudiants cliniciens dans le cadre d’une structure de recherche collective, à la manière d’un laboratoire de recherche, permettant d’aboutir à la rédaction d’articles scientifiques destinés à être publiés dans des revues juridiques, ainsi qu’à l’organisation d’événements tels que des colloques, conférences, etc. La veille juridique effectuée par les étudiants cliniciens peut également donner lieu à la publication de brèves et de synthèses, ayant pour objectif d’analyser des notions étudiées ou d’expliquer des évolutions législatives et jurisprudentielles ».

Les thématiques abordées sont transversales avec des enjeux juridiques et éthiques importants : zoonoses, agriculture cellulaire, intelligence artificielle, transhumanisme, maladies liées à la pollution environnementale, protection de la biodiversité…

« Les étudiants et étudiantes collaborent avec des praticiens, comme des avocats mais aussi des membres d’associations. Pour le côté pratique, ils vont eux-mêmes s’atteler à la tâche en rédigeant par exemple des articles scientifiques. Avec certains intervenants, ils peuvent aussi rédiger des plaidoiries ou participer à des procès fictifs. Tout cela peut les préparer au CRFPA. Pour le côté laboratoire, comme c’est une petite promotion (12 étudiants cette année), l’idée est de réaliser un travail collectif de réflexion. Ce fut le cas l’an dernier sur la thématique de l’agriculture cellulaire ».

Livre blanc : « Agriculture cellulaire : les enjeux juridiques et éthiques de l’alimentation de demain »

Le 15 novembre 2022, la clinique juridique « One health- Une seule santé » organisait le lancement du premier Livre blanc français sur l’agriculture cellulaire intitulé : « Agriculture cellulaire : les enjeux juridiques et éthiques de l’alimentation de demain », rédigé par la promotion 2021-2022. La marraine de la clinique, Laëtitia Romeiro Dias, députée sous la XVe législature, ancienne membre du groupe d’études « Condition animale » au sein de l’Assemblée nationale, rapporteure de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale était entre autres présente.

« Nous n’avons aucune recherche publique sur la question qui est complètement verrouillée en droit français, alors que c’est plus ouvert en Europe et dans le reste du monde », explique Aloïse Quesne. L’objectif du Livre blanc était donc d’expliquer cette nouvelle biotechnologie et les possibles avantages pour la « santé globale ». « C’est une avancée considérable pour le bien-être des animaux parce qu’il n’y aurait notamment plus besoin de les élever et de les abattre pour produire de la viande, mais seulement de faire un prélèvement de quelques cellules. Pour la santé humaine et environnementale, nous expliquons qu’il existe des études favorables qui démontrent qu’il n’y aurait plus besoin d’administrer des antibiotiques aux animaux. L’agriculture cellulaire entraîne également beaucoup moins d’émissions de gaz à effets de serre. Tout est lié ! Laëtitia Romeiro Dias a pu remettre le Livre blanc au ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. La France est encore réticente sur le sujet, mais grâce à notre Livre blanc, nous espérons que ces avancées pourront trouver un écho dans les mois et années à venir afin de favoriser la recherche dans ce domaine ».

Ce Livre blanc est donc le premier en France à être consacré aux enjeux juridiques et éthiques de l’agriculture cellulaire. Un document qui a été réalisé en partenariat avec l’association Agriculture Cellulaire France et le Genopole. « Cette première édition du Livre Blanc a vocation à apporter des éclairages significatifs sur cette biotechnologie actuellement méconnue. Il s’agit d’une aide à la compréhension et à la décision, une base de travail pour interroger notre manière de consommer et faire évoluer le droit en la matière », détaille Aloïse Quesne.

Pour cette nouvelle promotion, les membres de la clinique vont pouvoir participer à un concours de plaidoirie, suggéré par Cédric Villani. Ce concours est organisé par le campus animaliste, l’association de jeunesse du Parti animaliste. « Les étudiants peuvent choisir les thématiques qu’ils vont défendre, détaille la directrice de la clinique. C’est un exercice qui peut être bénéfique pour chacun et chacune. Il y a les orateurs, bien sûr, mais l’équipe aide à la recherche sur les sujets et à l’entraînement à l’oral ». Pour le moment en phase de présélection, la promotion espère arriver en finale.

En parallèle, les douze étudiants auront l’occasion de rédiger un article collectif sur le droit et le handicap avec Me Matthieu Juglar, avocat au barreau de Paris et président de l’association Droit comme un H !, partenaire de la clinique. « Nous leur avons laissé libre cours pour trouver leur angle d’attaque. L’idée est de le publier dans une revue à comité de lecture d’ici la fin de l’année. J’aimerais qu’ils puissent intégrer le lien homme/animal avec les chiens guides et les chiens d’assistance ». Contrairement à d’autres cliniques juridiques, celle d’Évry n’a donc pas de volet direct avec le justiciable, mais chercher à « contribuer à la société avec de la vulgarisation et des publications ». Pour les étudiants et étudiantes, ce module les sensibilise à des matières peu connues. Afin de créer du lien entre chaque promotion, Aloïse Quesne a souhaité créer un « réseau d’ambassadeurs One Health avec les anciens cliniciens. On voit cette volonté de poursuivre, organiser des colloques et des conférences ».

Grâce à la thématique « One Health » initiée au sein de la clinique juridique qu’elle a fondée, Aloïse Quesne a proposé à Coline Moinard, étudiante de la promotion 2019-2020 du Master 2 Droit de la santé et des biotechnologies, d’étudier cette thématique dans le cadre d’un travail doctoral. Elle réalise maintenant une thèse sous la direction d’Aloïse Quesne et la codirection de Olivia Bui-Xuan. « Elle est en contrat doctoral sur trois ans, se félicite Aloïse Quesne. C’est tellement important de saisir ce concept d’un point de vue juridique ».

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