Droit et risque n° 13

Publié le 06/04/2022
Un point d'interrogation jaune au milieu de point d'interrogations gris
Vlad Chorniy / AdobeStock

La chronique Droit et risque n° 13, réalisée par le Centre de recherche sur les relations entre les risques et le droit (C3RD) de la faculté de droit de l’université catholique de Lille, sous la direction de Delphine Pollet-Panoussis, porte sur la période de septembre 2020 à septembre 2021. Elle vise à mettre en relief les risques qui peuvent être générés par le droit et la façon dont le droit peut être un moyen d’anticiper des risques ou de réparer ceux qui se sont réalisés.

Avant-propos

Depuis maintenant 13 ans, les chercheurs du C3RD (centre de recherche sur les relations entre les risques et le droit) de la faculté de droit de l’institut catholique de Lille contribuent à la rédaction de la chronique « Droit et risque » adossée au projet scientifique de leur centre : l’étude des interactions entre les risques et le droit. Ainsi, ils partagent avec les lecteurs d’Actu-juridique leurs réflexions sur la question du risque généré par les règles juridiques, leur absence ou leur mise en œuvre, et ils livrent leur appréciation des procédés et méthodes de gestion des risques par le droit, que cela soit pour les prévenir ou pour réparer leurs conséquences en cas de réalisation.

Dans cette nouvelle édition, les auteurs ont particulièrement travaillé sur la façon dont le droit positif pouvait apporter des réponses à des risques identifiés ou réalisés. Comme l’année dernière, la gestion des risques générés par la crise sanitaire induite par la pandémie de Covid-19 est au cœur de plusieurs contributions. Anne-Claire Grandjean s’est ainsi penchée sur la réponse inadaptée apportée par le droit (en l’espèce une instruction du Premier ministre du 29 décembre 2020 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire refusant l’entrée, sauf exception, aux membres de familles bénéficiant d’un visa au titre de la réunion familiale ou du regroupement familial) à l’anticipation du risque sanitaire (la propagation de l’épidémie sur le territoire français) au regard du droit pour les étrangers de mener une vie familiale normale. Amélie Niemiec a, quant à elle, jugé que la réponse apportée par le droit d’exception (mesures d’aide exceptionnelle, mesures de prolongation des prestations…) au risque de fracture sociale engendré par la pandémie de Covid-19 n’était que partiellement satisfaisante. Enfin, Virginie Le Blan-Delannoy a analysé la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, qui revalorise et met à jour le document unique des entreprises (outil d’évaluation des risques) au prisme de la crise sanitaire, notamment du risque de contamination par la Covid-19.

Dépassant le contexte pandémique mais toujours dans le secteur sanitaire, Marie Scrève-Herman a consacré son analyse à la suspension de peine pour raison médicale et a démontré la nécessité pour le juge de l’application des peines (JAP) de statuer en cherchant à prévenir les risques liés à la dangerosité criminologique du condamné et ceux d’atteinte à ses droits fondamentaux (notamment l’exposition à un traitement inhumain et dégradant). La décision de ce dernier est donc le résultat d’une mise en balance de l’appréciation de ces risques contradictoires.

Au-delà de l’anticipation des risques par le droit, deux autres chercheurs ont exploré la réponse apportée par le droit en cas de réalisation des risques, à travers la mise en œuvre de mécanismes de responsabilité civile. Ils relèvent tous deux que le droit (à travers les positions de la Cour de cassation) apporte une réponse favorable aux victimes en cherchant à garantir leur indemnisation. Ainsi Alexandre Dumery explique que la juridiction civile suprême a affirmé l’impossible transfert de la garde de la chose (un pistolet) du propriétaire à la victime (un enfant de 12 ans) afin de ne pas le priver d’indemnisation. Alicia Mazouz revient, quant-à-elle, sur l’application du dispositif issu de la loi Badinter de 1985 visant à indemniser les victimes d’accidents de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur (VTAM) et relève que la Cour de cassation a exclu les fauteuils roulants de la liste desdits VTAM, permettant aux personnes en situation de handicap d’être considérées comme des piétons et de ne pas se voir opposer leur propre faute pour réduire ou exclure la réparation de leur préjudice. Cette exclusion conduit toutefois à s’interroger sur la pertinence de la classification des usagers proposée par la loi Badinter.

Cette année encore, on le voit, l’actualité juridique met en relief les interactions, croisées et réciproques, entre les risques et le droit, ce qui souligne une nouvelle fois la pertinence du projet scientifique du C3RD et l’importance de la pérennité de notre chronique.

D. POLLET-PANOUSSIS

I – Les risques du droit

A – L’insécurité juridique

(…)

B – Les autres risques du droit

(…)

II – La gestion du risque par le droit

A – Anticipation du risque

Anticipation du risque sanitaire et atteinte au droit au respect d’une vie privée et familiale en droit des étrangers

CE, ord., 21 janv. 2021, nos 447878 et 447893, Assoc. Cimade et a.

La lutte sanitaire contre le coronavirus et la prévention du risque d’une large propagation de ce dernier a nécessité la mise en place d’un arsenal de règles juridiques contraignantes1 restreignant les libertés individuelles. Le confinement s’est couplé d’une fermeture partielle des frontières, ayant donné lieu à l’édiction de multiples instructions du Premier ministre. Parmi ces dernières, trois sont d’importance pour l’affaire. C’est d’abord par instruction du 18 mars 20202 que le Premier ministre a limité la circulation sur le territoire national français des personnes voulant y entrer depuis l’étranger en demandant aux autorités compétentes d’opposer des refus d’entrée à toute personne étrangère ne disposant pas d’un motif impérieux de se rendre en France, sauf aux ressortissants de l’Union européenne, de l’espace Schengen ou du Royaume-Uni. Après l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre a élargi, en juillet et août 2020, la liste des personnes étrangères bénéficiant d’une possibilité d’entrée aux cas notamment des étudiants et des bénéficiaires du visa du passeport talent. Cette souplesse a enfin bénéficié, à partir de l’instruction du 29 décembre 20203, notamment aux mineurs scolarisés ainsi qu’aux ressortissants membres de certains États tiers4. Parallèlement, le ministre de l’Intérieur a demandé à ne pas enregistrer ni instruire les demandes de visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale et de regroupement familial. Ce faisant, les membres de familles entrant dans le cadre de ces deux procédures se trouvaient dans l’impossibilité de se voir délivrer un visa d’entrée sur le territoire français, sauf à entrer dans le champ d’une des rares exceptions susmentionnées, notamment en apportant la preuve d’un motif impérieux.

Plusieurs associations et quatre réfugiés ont formé un référé-suspension devant le Conseil d’État afin d’obtenir la suspension de l’instruction du 29 décembre 2020 en tant qu’elle refuse l’entrée, sauf exception, aux membres de familles bénéficiant d’une réunion familiale ou d’un regroupement familial, et la suspension de la décision du ministre de l’Intérieur de ne pas enregistrer et instruire les demandes de visas des membres de familles d’étrangers résidant en France.

Par ordonnance rendue le 21 janvier 2021, le Conseil d’État, après avoir relevé l’urgence à statuer, conclut à un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées au regard de l’atteinte au droit au respect d’une vie privée et familiale et de l’atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce faisant, le Conseil d’État suspend l’instruction demandant d’opposer un refus d’entrée aux personnes et enjoint le Premier ministre à prendre des mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires. Le juge répond ainsi à la question de savoir si le Premier ministre pouvait légalement prévenir le risque sanitaire de propagation du coronavirus en édictant un refus quasi automatique d’entrée des étrangers bénéficiant d’une réunification familiale ou du regroupement familial. Plus largement, c’est la question de la conciliation entre les pouvoirs de police administrative utilisés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et le droit au respect d’une vie privée des étrangers qui était ainsi posée au juge administratif.

Garant des libertés individuelles et conciliateur entre ces dernières et l’ordre public, le juge rend l’une des rares décisions marquant l’absence de proportionnalité d’une mesure de police prise dans le cadre de la lutte contre le risque sanitaire de propagation du coronavirus. Une telle décision est justifiée au regard de l’absence de preuve du caractère adapté de la mesure (I) ainsi que de l’absence de nécessité tout autant que par la disproportionnalité des décisions de police litigieuses au regard des droits fondamentaux en cause (II).

I. Le contrôle rigoureux du caractère adapté de l’anticipation du risque sanitaire via le refus d’entrée sur le territoire et le refus d’instruction d’une demande de visa

Le contrôle de la mesure de police litigieuse conduit le juge à étudier minutieusement le nombre de personnes visées par la restriction (A) avant de conclure à l’absence de preuve par l’Administration du caractère adapté de la mesure (B).

A. Vérification du caractère adapté de la mesure de police : une décision fondée sur l’étude mathématique des personnes visées

Classiquement, et ce depuis la clarification des critères de contrôle via le triple test de proportionnalité5, le juge recherche d’abord le caractère adapté de la mesure, c’est-à-dire qu’il vérifie que la restriction est « à même de permettre la réalisation d’un but d’intérêt général, dont l’existence est appréciée de façon concrète »6, « apte à contribuer à la réalisation de l’objectif poursuivi »7.

L’Administration soulevait que le refus d’entrée et le refus d’instruction des demandes de visa pouvaient être interprétés comme adaptés au motif d’intérêt général de lutte contre la propagation de l’épidémie de coronavirus dès lors qu’il existe une corrélation directe entre un refus d’entrée et la lutte contre l’épidémie puisqu’il s’agit d’éviter une augmentation de la population et ce faisant un brassage de cette dernière.

C’est donc logiquement en se fondant sur l’étude in concreto du nombre de personnes entrant en France au titre du regroupement familial et de la réunification familiale que le juge raisonne. L’appréciation in concreto et l’approche comparative du juge administratif l’amènent d’abord à analyser le nombre de personnes bénéficiant du regroupement familial et de la réunification familiale en temps normal. Or, en 2019, ce sont en moyenne moins de 400 personnes par semaine qui étaient visées par une telle procédure. La comparaison de ce nombre avec celui des personnes exclues des possibilités d’entrée sur le territoire montre une grande différence, au regard notamment des millions de touristes empêchés. Une telle comparaison n’était toutefois pas suffisante pour démontrer le caractère non adapté de la mesure dès lors que la faiblesse du nombre doit être couplée à l’étude corrélative de la faiblesse de l’influence de ce dernier sur la réalisation de l’objectif d’intérêt général que l’administration cherchait à protéger.

B. Absence de preuve d’une influence du flux sur l’objectif d’ordre public poursuivi

Dans la deuxième partie de son raisonnement, le juge relève qu’en l’espèce, l’Administration n’apporte aucun élément de nature à démontrer que cette faiblesse du nombre de personnes ne pouvant entrer au titre de la procédure de regroupement familial et de réunification familiale pourrait significativement contribuer au risque d’une importante augmentation des cas de coronavirus. De ce fait, le juge étudie l’influence du flux sur la propagation de l’épidémie comme il le fait désormais classiquement dans les jurisprudences rendues en matière de contrôle des mesures de police prises dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire. C’est en effet ce motif qui justifie souvent que l’Administration ait obtenu gain de cause dans l’établissement de mesures pourtant attentatoires aux libertés : qu’il s’agisse par exemple de la fermeture des discothèques8 ou des salles de sport9.

Un tel raisonnement est louable en ce qu’il met en exergue une jurisprudence soucieuse de ne valider que les mesures de restriction des libertés lorsque ces dernières sont fondées sur l’existence d’un risque avéré d’augmentation des contaminations analysée à l’aune des critères du nombre de personnes, de l’espace concerné10 et du brassage11. L’analyse mérite également d’être saluée en ce qu’elle affirme que la preuve du caractère adapté de la mesure est à la charge du titulaire du pouvoir de police administrative ayant édicté l’acte litigieux.

La vérification du caractère adapté de la mesure de police administrative reste centrale pour le juge administratif même en période d’état d’urgence sanitaire et ce d’autant plus lorsque, au-delà d’une interdiction quasi absolue d’entrée, l’Administration disposait d’une solution alternative moins liberticide.

II. Le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de l’anticipation du risque sanitaire via le refus d’entrée sur le territoire et le refus d’instruction des demandes de visas

La non-nécessité de la mesure de police est mise en exergue au regard de l’existence d’alternatives moins coercitives et qui pourraient atteindre le même but (A) tandis que la disproportion naît d’une durée excessive de séparation des membres de familles entrant dans le cadre de ces deux procédures (B).

A. De l’existence d’alternatives possibles à l’interdiction quasi générale et absolue d’entrée sur le territoire des personnes entrant dans le cadre du regroupement familial ou de la réunification familiale

Le contrôle de la mesure de police administrative est effectué classiquement par le juge administratif, en prenant en considération les autres réponses possibles tendant à prévenir et lutter contre le trouble à l’ordre public12. Sur le fondement des critères temporels et organiques, le juge relève en l’espèce qu’il serait préférable de procéder à l’étalement chronologique de la délivrance des visas tout autant que d’exiger la production de tests PCR ou de mise en quarantaine pour les personnes bénéficiaires du regroupement familial ou de la réunification familiale souhaitant entrer sur le territoire français. Or le recours à de telles solutions était effectivement initialement refusé à ces personnes, lesquelles étaient confrontées, sauf motif impérieux, à un refus quasi général et absolu. Le juge relève ainsi, au regard de la situation, une inadéquation entre la fin et les moyens, lesquels sont considérés comme trop attentatoires aux droits fondamentaux, c’est-à-dire qu’ils constituent une charge excessive pour les personnes visées.

L’excessivité subie par les bénéficiaires du regroupement familial et de la réunification familiale peut, en outre, questionner quant à la légalité de la différence de traitement entre personnes étrangères. Le moyen tiré de la violation du principe d’égalité était d’ailleurs soulevé par les requérants et analysé dans les observations présentées par le Défenseur des droits13 qui relèvent une absence de justification de la différence de traitement du fait de l’inexistence de critère objectif. Si le Conseil d’État ne mentionne pas explicitement la violation du principe d’égalité, il relève que nulle raison pertinente ne justifie que le protocole sanitaire applicable aux étrangers autorisés à rentrer sur le territoire ne puisse être applicable aux étrangers entrant par les procédures de rapprochement familial. Une telle affirmation permet de considérer implicitement la non-justification de la différence de traitement.

B. La prise en compte cohérente du critère de la durée excessive de l’anticipation du risque sanitaire

Au-delà de la nécessité de la mesure de police, le juge couple son contrôle par celui de la proportionnalité de cette dernière. Or il relève que l’interdiction édictée à l’égard des membres de familles entrant dans le cadre d’une procédure de réunification ou de regroupement familial perdure de manière continue depuis plus de 10 mois à la date à laquelle le juge statue, sans perspective à court ou moyen terme de voir la situation s’améliorer puisqu’aucune limite de temps n’était par ailleurs prévue par l’Administration14. Ce motif de la durée était contesté par l’Administration qui invoquait l’existence de cas dérogatoires dont les personnes visées pouvaient, comme tout étranger tiers, bénéficier. Il s’agissait notamment du cas des motifs impérieux. En d’autres termes, l’Administration considérait que l’existence de situations très exceptionnelles permettant l’entrée sur le territoire, même aux personnes susmentionnées, permettait d’équilibrer l’interdiction quasi absolue d’entrée qui leur était faite.

Toutefois, ce n’est pas tant l’existence de la possibilité dérogatoire d’entrée sur le fondement d’un motif impérieux que l’effectivité de cette dernière qui est ici mentionnée comme source de disproportion. En pratique, en effet, les demandes des personnes étrangères tendant à entrer sur le territoire pour des motifs impérieux étaient souvent laissées sans réponse jusqu’à ce que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes soit saisi. Or les contentieux n’ont pas manqué en la matière puisque plus d’une centaine de référés ont été déposés devant ladite juridiction créant alors un effet immédiat avant même toute injonction du juge, le ministère de l’Intérieur demandant systématiquement aux autorités consulaires la délivrance du visa long séjour15. Faute de mieux, les familles étaient résignées à ce pis-aller contentieux et le juge des référés était tenu au non-lieu. C’est donc, de façon pragmatique, pour éviter un dépôt frénétique des requêtes individuelles et partant, un encombrement inutile de cette juridiction que le Conseil d’État suspend la mesure en cause. Une telle décision doit donc également être saluée au regard de l’objectif de bonne administration de la justice.

Le contrôle de la « balance des intérêts »16 permet de conclure à une atteinte aux droits fondamentaux que sont le droit des réfugiés à la réunification familiale17, l’intérêt supérieur de l’enfant18 et le droit au respect d’une vie privée et familiale normale19.

A.-C. GRANDJEAN

L’impact de la crise sanitaire sur l’accès aux prestations sociales. Mesures exceptionnelles (1), nouvelles conditions d’accès (2) et mesures de prolongation des prestations (3)

(1) D. n° 2020-519, 5 mai 2020, portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire aux ménages les plus précaires : JO, 6 mai 2020 – D. n° 2020-769, 24 juin 2020, portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire aux jeunes de moins de 25 ans les plus précaires : JO, 25 juin 2020 – D. n° 2020-985, 5 août 2020, relatif à la majoration exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire en 2020 : JO, 6 août 2020.

(2) D. n° 2021-664, 26 mai 2021, relatif à la garantie jeunes : JO, 28 mai 2021.

(3) Ord. n° 2020-312, 25 mars 2020, relative à la prolongation de droits sociaux : JO, 26 mars 2020 – Ord. n° 2020-1553, 9 déc. 2020, prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : JO, 10 déc. 2020.

La crise sanitaire, proclamée en France en mars 202020, et dans laquelle nous nous trouvons encore, a mis en difficulté bon nombre de bénéficiaires de prestations sociales, que ces prestations soient versées en espèces ou qu’elles soient exécutées en nature. En effet, comment assurer la continuité de la prestation dans un contexte où les professionnels des différents organismes se trouvaient eux-mêmes confinés ou, au moins au début de la pandémie, dans des conditions de télétravail souvent dégradées (impossibilité d’avoir accès aux logiciels métier, aux dossiers papier…) ? À titre d’exemple, l’accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active a dû être suspendu dans un premier temps. Il en est de même pour l’accompagnement réalisé par les missions locales en faveur de la jeunesse. Dans ces situations, même si le droit de l’usager était ouvert, il n’y avait pas toujours d’effectivité de l’accès à son droit. De même, les nouveaux demandeurs aux prestations sociales se retrouvaient confrontés à d’autres problématiques : comment ouvrir des droits si aucun professionnel ne peut traiter le dossier ? En fonction de la prestation dont il est question, les difficultés pouvaient être multiples : pour certaines allocations (prestation de compensation de handicap, allocation personnalisée d’autonomie), l’évaluation physique de la personne conditionnant l’ouverture de la prestation ne pouvait avoir lieu, alors que pour d’autres, c’est l’accès même aux dossiers de demande de la prestation qui était indisponible (tous les dossiers ne sont pas dématérialisés). Face à des publics pouvant souffrir de problématiques multiples (précarité financière, illectronisme), la Covid-19 n’a fait qu’accentuer leur isolement. À travers cette étude, il est intéressant de faire le constat de ces difficultés mais également de voir comment certaines ont tenté d’être résolues par le législateur, s’adaptant ainsi au contexte : instauration d’un renouvellement automatique des droits ou création de prestations exceptionnelles destinées à compenser les difficultés financières subies. L’ingéniosité des acteurs de l’action sociale, se débrouillant avec les outils qu’ils avaient sous la main, est également à saluer. Cette crise interroge aussi sur les efforts restant à fournir pour ne pas laisser des individus déjà en difficulté s’enfoncer encore un peu plus dans la pauvreté et l’isolement ; le rapport annuel d’activité 2020 du Défenseur des droits, rendu en mars 2021, a d’ailleurs mis l’accent sur l’impact de la crise sanitaire en matière d’accès aux droits21. Il semble donc intéressant de se pencher sur le risque de l’absence du bénéfice des prestations sociales qu’a généré la pandémie (I) puis sur le risque d’augmentation des inégalités entre les individus (II) en évoquant dans le même temps, les réponses apportées par le législateur et par les acteurs de terrain.

I. Le risque d’absence du bénéfice des prestations sociales pendant la crise sanitaire

La pandémie a généré des risques pesant sur les demandeurs ou les bénéficiaires des prestations sociales. Le premier d’entre eux est d’empêcher un individu d’accéder à la demande de prestations sociales. En effet, selon la prestation demandée, le chemin d’accès sera différent. Ainsi, s’il s’agit d’une demande d’aide sociale en faveur d’une personne âgée par exemple, celle-ci doit être déposée au centre communal d’action sociale ou au centre intercommunal d’action sociale (CCAS ou CIAS)22. En ce qui concerne les prestations familiales, l’interlocuteur de référence s’avère être la caisse d’allocations familiales23 alors que, s’il s’agit d’une prestation en faveur d’une personne en situation de handicap, la porte d’entrée sera la maison départementale des personnes handicapées24. Aussi chaque demande de prestation sociale doit être adressée à une entité particulière, qui n’est pas toujours d’ailleurs l’organisme payeur. Or, au moins au début de la pandémie de Covid-19, certains organismes recevant le dépôt des demandes ont fermé leurs portes au public. Il est vrai qu’il restait possible d’adresser sa demande sous format papier par courrier, voire en ligne. Cependant, selon la configuration du territoire, cette possibilité était plus ou moins évidente. Concernant les demandes d’aide sociale en faveur des personnes âgées, il faut savoir que si c’est le CCAS ou le CIAS qui les reçoit, elles sont ensuite instruites par les services départementaux. Or tous les départements n’ont pas mis en place la dématérialisation des dossiers de demande. Habituellement, l’usager qui souhaite accéder à cette prestation peut retrouver un exemplaire au sein du CCAS ou du CIAS, du centre local d’information et de coordination gérontologique25 ou encore auprès d’un service territorialisé du département. Mais comment faire pour retirer un dossier quand ces organismes ne recevaient pas de public au moins dans un premier temps ? Le principe de continuité du service public, principe à valeur constitutionnelle26, ne signifie pas une obligation de recevoir du public. Il paraît évident que certains individus, pourtant éligibles à une prestation, ont dû patienter pour effectuer leur demande. Cette discordance s’est également ressentie pour les prestations sociales soumises à une évaluation physique de l’intéressé ou à la réunion d’une instance décisionnaire. Ainsi, pour prétendre à l’allocation personnalisée d’autonomie, prestation à destination des personnes âgées en situation de dépendance, une évaluation par une équipe médico-sociale doit être réalisée27. Malheureusement, le public âgé a été un des premiers touchés par la Covid-19 : la méconnaissance de ce virus appelait à ne pas prendre le risque de contaminer les personnes chargées de l’évaluation lorsque le demandeur semblait présenter des signes d’infection. De même, pour se voir accorder la prestation de compensation du handicap28, la commission des droits pour l’autonomie des personnes handicapées, composée de plus d’une vingtaine de personnes, notamment de représentants du département ou de l’agence régionale de santé29, doit se réunir et statuer sur les demandes30. Là encore, la prudence imposait l’absence de réunions physiques. En pratique, les services ont donc dû s’organiser autrement : les évaluations ont ainsi parfois été réalisées par téléphone tandis que les réunions des instances décisionnaires se tenaient par visioconférence31.

Un second risque induit par la pandémie pesait sur la personne déjà bénéficiaire d’une prestation sociale : il s’agit de l’absence de renouvellement des droits ouverts. En effet, bon nombre de prestations sociales sont accordées pour un temps déterminé. À défaut d’effectuer une demande de renouvellement dans le délai imparti, l’usager risque une rupture de droits. Ainsi, le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés, minimum social, est accordé pour une durée pouvant varier entre 1 an et 10 ans (il est possible qu’elle le soit sans limitation de durée lorsque le titulaire de la prestation présente un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 % et que les limitations de son activité ne sont pas susceptibles d’évolution favorable, compte tenu des données de la science)32. Généralement, au vu du délai d’instruction des demandes, il est conseillé d’effectuer sa demande de renouvellement six mois avant la fin de l’échéance. De la même façon pour le titulaire de l’aide médicale d’État33, il s’agit d’une prestation consistant à une prise en charge financière d’une partie des soins de santé qui n’est octroyée que pour un an à compter du dépôt de la demande ; une nouvelle demande devant être effectuée deux mois avant l’expiration de la date anniversaire. Les usagers se retrouvaient alors confrontés aux mêmes difficultés que lors d’une primo-demande. Pour maintenir une continuité des droits de l’usager, le législateur est intervenu assez rapidement. C’est ainsi que, par le biais de plusieurs ordonnances, il a été prévu soit une prolongation de la durée de vie de la prestation pendant un certain temps lorsque la demande n’a pas pu être renouvelée à l’échéance, soit une prolongation de la durée de vie de la prestation jusqu’à l’intervention de l’instance décisionnaire pour les personnes ayant introduit une demande de renouvellement avant la date d’expiration de leurs droits dans la limite d’une certaine durée34. Ces mesures de faveur ont bénéficié principalement aux titulaires de prestations en lien avec le handicap (prestation de compensation du handicap, allocation aux adultes handicapés, allocation d’éducation de l’enfant handicapé35 ou carte mobilité inclusion36), ou la santé (aide médicale d’État, complémentaire santé solidaire37) ou encore aux titulaires du revenu de solidarité active38, soit le public considéré comme le plus en difficulté. Toutefois, attention avec ce type de mesures qui a priori semblent favorables à l’usager. En effet, lorsqu’il s’avère que l’étude du dossier a posteriori aboutit au fait que ce dernier n’avait plus de droits à la prestation, un indu sera généré. Il sera alors d’une part difficilement compréhensible pour le bénéficiaire de la prestation de recevoir une demande de remboursement et d’autre part souvent compliqué pour un public restant précaire de s’acquitter de sa dette envers l’organisme payeur.

II. Le risque de creuser les inégalités sociales causé par la crise sanitaire

Si l’on se fie au rapport sur la pauvreté en France 2020-202139, sans nier l’augmentation du nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (augmentation de 8,5 % entre octobre 2019 et octobre 202040) et du nombre de chômeurs, il semblerait que la crise sanitaire ait surtout servi de coup de projecteur sur des publics souffrant déjà de précarité mais n’aurait pas entraîné une flambée de la paupérisation de la population. Pourtant, cette première lecture ne paraît pas complètement satisfaisante. Le rapport souligne d’ailleurs le fait que les jeunes auraient été particulièrement touchés par la crise sanitaire. À ce sujet, la dernière édition du baromètre de l’Union nationale des missions locales (juillet 2021) relève que 42 % des jeunes suivis par une mission locale éprouvent des inquiétudes quant à leur avenir, soit près de 10 points de plus qu’en 202041. Afin d’éviter de laisser les jeunes s’enfoncer dans des difficultés financières, le gouvernement de Jean Castex avait très vite réagi. Ainsi, les étudiants et les jeunes en situation de précarité (jeunes de moins de 25 ans non étudiants bénéficiaires d’une aide au logement) avaient pu recevoir une aide exceptionnelle d’un montant de 200 € en juin 202042. De plus, le plan de relance économique France relance se compose d’un volet destiné à la jeunesse « 1 jeune, 1 solution », pour un montant de 9 Md€, décliné autour de trois axes : faciliter l’entrée dans la vie professionnelle, orienter et former les jeunes vers les secteurs et métiers d’avenir, accompagner plus particulièrement les jeunes éloignés de l’emploi en proposant des parcours d’insertion sur mesure43. En matière de prestations sociales, ces engagements se sont traduits par un élargissement des critères d’accès à la garantie jeunes, prestation financière ouverte aux jeunes de 16 à 25 ans ne disposant pas de ressources ou ayant des ressources faibles et engagés dans un projet, via un contrat, avec la mission locale44. Grâce au décret du 26 mai 202145, il est désormais possible de reconnaître à titre exceptionnel un jeune comme détaché du foyer fiscal de ses parents et de prendre en compte l’évaluation la plus favorable concernant les ressources du jeune (soit sur six mois, soit sur trois mois). Mais qu’en est-il des autres publics ? Il est vrai qu’au plus fort de la crise sanitaire, le législateur a multiplié les aides ponctuelles d’urgence. Ont ainsi fleuri les aides exceptionnelles de solidarité destinées aux ménages précaires : 150 € pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active, du revenu de solidarité, de l’allocation de solidarité spécifique46, ou de l’allocation équivalent retraite47 en mai 202048, auxquels se sont ajoutés 100 € par enfant à charge, et également 100 € par enfant à charge pour les bénéficiaires des allocations logement49. Cette aide aurait bénéficié à plus de 4 M de foyers50. En outre, le montant de l’allocation de rentrée scolaire a été fortement revalorisé pour la rentrée 202051. Les collectivités territoriales ont également joué un rôle prépondérant, débloquant des secours d’urgence pour répondre aux besoins de la population. Cependant, là encore, point de conclusion hâtive. En effet, si les usagers ont pu accéder, avec éventuellement un peu de retard, à la prestation sociale sollicitée, voire à une aide exceptionnelle, il n’est pas certain que l’ensemble du dispositif entourant l’aide financière elle-même ait pu être déployé. Ainsi, concernant le revenu de solidarité active par exemple, le minimum social s’accompagne d’une aide à l’insertion sociale ou à l’emploi en fonction des capacités et des besoins de l’usager52. Or, comment rendre effectif cet accompagnement en plein confinement ? Une enquête réalisée par la fondation Abbé Pierre en avril 2021 auprès d’associations témoigne également de l’effet du confinement et des nouvelles modalités de fonctionnement du travail social sur les bénéficiaires des prestations sociales53. C’est ainsi que l’obtention d’un premier rendez-vous avec un travailleur social semble souvent compliquée ou que le manque d’informations est décrié. Pour un tiers des répondants, certaines prestations sociales se sont avérées également plus difficiles à mobiliser telles que le fonds de solidarité logement, prestation financière visant à combler les impayés de loyers ou d’énergie54. Les associations ont ressenti un renforcement de la précarité, de l’isolement et de la souffrance d’une grande partie de la population déjà en difficulté. De la même façon, le rapport du Défenseur des droits de 202055 a pointé les difficultés entraînées par la pandémie sur les usagers. Ainsi, il est fait état de la « déshumanisation du service public » en raison de la dématérialisation des démarches administratives ; de la fracture numérique qui a été accélérée par la crise sanitaire. Afin de remédier à ces difficultés, certains dispositifs sont peu à peu mis en œuvre. À titre d’exemple, pour rapprocher les services publics de la population, des bus France Services sillonnent désormais les communes rurales, plus isolées, afin de proposer un accompagnement des usagers dans leurs démarches administratives56. Malheureusement, au vu du faible nombre de véhicules œuvrant à cette proximité, nombre d’individus risquent d’attendre encore longtemps sur le bord de la route.

A. NIEMIEC

DUERP : les enseignements de la pandémie

Premier regard sur la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

En juillet 2019, les discussions paritaires au sein du conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) dans la perspective d’une réforme de la santé au travail se soldaient par un retentissant échec. Deux ans plus tard quasiment jour pour jour, est adoptée la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail57. Dans ce laps de temps, une conjonction de facteurs aura permis et certainement influé sur la réforme opérée. Les partenaires sociaux, malgré leurs divergences, se sont en effet accordés en février 2020 sur le lancement d’une négociation interprofessionnelle sur la santé au travail, probablement dans la crainte d’une initiative gouvernementale dont ils ne maîtriseraient pas les orientations. Le succès a, cette fois, été au rendez-vous avec la conclusion de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 202058. Par ailleurs, la députée Charlotte Parmentier-Lecocq, co-auteure du rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée »59 rendu en 2018 et dont les recommandations avaient suscité de nombreuses réactions, s’est particulièrement investie afin que soit déclenché le processus législatif60. Ses efforts n’auront pas été vains, la loi s’avérant en définitive d’origine parlementaire et non pas gouvernementale. Enfin, est-il besoin de le rappeler, la Covid-19 s’est invitée dans notre quotidien. La crise sanitaire a sans doute favorisé le rapprochement des partenaires sociaux61. Elle aura surtout permis une prise de conscience généralisée des enjeux de la prévention. Ce contexte sanitaire difficile a plus particulièrement mis en exergue le caractère fondamental de l’évaluation des risques, premier pilier de la prévention. Le ministère du Travail n’a ainsi eu de cesse de rappeler sa nécessité. L’ensemble des entreprises a été confronté à la mise en œuvre concrète d’une démarche d’évaluation et de prévention pour la gestion non seulement du risque de contamination par la Covid-19, mais également des risques générés par les changements organisationnels en résultant. Non sans quelques péripéties judiciaires : la démarche d’évaluation des risques a aussi été au cœur d’actions en référé dont l’affaire Amazon est la plus emblématique62. L’obligation d’évaluer les risques, et avec elle le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), ont ainsi été mis à l’épreuve de la pandémie.

Il n’y a pas réellement de doute sur le fait que la crise sanitaire ait influé sur les choix définitifs opérés concernant le DUERP. Toutefois, le texte soumis au Parlement répondait à l’objectif affiché de son auteure (et inédit pour une proposition de loi) de transposer l’ANI du 9 décembre 2020. Encore que les parlementaires n’aient pas hésité à parfois s’en affranchir, les discussions se sont donc opérées dans un « cadre contraint »63, ce qui n’a pas manqué d’être souligné à plusieurs reprises lors des débats. De surcroît, l’ANI du 9 décembre 2020 se « veut d’ensemble, et donc, de compromis sur la thématique, en appréhendant des sujets divers, sans être complètement prescriptif et normatif ou toujours précis »64. Enfin, la proposition de loi adoptée résulte du texte élaboré en commission mixte paritaire65. De compromis (entre les partenaires sociaux) en compromis (entre les deux assemblées), les enseignements de la pandémie ont-ils réellement été tirés ?

Il va sans dire que les quelques interrogations qui seront ici soulevées pourraient trouver certains éclaircissements dans les dispositions réglementaires appelées à intervenir. Mais à la seule lecture de la loi, il apparaît d’ores et déjà que le DUERP fait en substance l’objet d’un renouveau législatif (I). Le législateur en précise de plus les conditions d’élaboration dans l’objectif de remédier aux lacunes de la réglementation actuelle (II).

I. Le renouveau législatif du DUERP

Le premier constat est évident : alors que le DUERP est aujourd’hui régi par des dispositions réglementaires, il bénéficiera à compter du 31 mars 2022, date d’entrée en vigueur de la loi66, d’une base législative. La centralité du DUERP dans la démarche de prévention est ainsi affirmée (A). À la faveur de la loi, le DUERP s’inscrit par ailleurs davantage dans une démarche prospective (B).

A. La centralité du DUERP dans la démarche de prévention

La loi introduit, à la suite de l’article L. 4121-3 du Code du travail qui précise l’obligation pour l’employeur de procéder à l’évaluation des risques67, un nouvel article L. 4121-3-1 selon lequel le DUERP « répertorie l’ensemble des risques auxquels sont exposés les travailleurs ». Cette même disposition impose à l’employeur d’y retranscrire et de mettre à jour les résultats de l’évaluation. Le principe d’un regroupement sur un support unique des données issues de l’analyse des risques professionnels est donc préservé et sera désormais garanti par la loi.

Si l’on peut s’en réjouir, cette consécration législative du document unique est plus surprenante qu’il n’y paraît. Il y a encore peu de temps, le DUERP, en tant que support de retranscription de l’évaluation des risques, semblait menacé de disparition. Il lui était reproché notamment d’être trop formaliste, essentiellement vécu comme une contrainte administrative par les entreprises, particulièrement dans les TPE/PME pour lesquelles le taux d’élaboration du document unique reste relativement faible, au point qu’était mise en doute sa capacité à effectivement contribuer à la prévention, à tout le moins dans les nombreuses petites entreprises que compte notre pays. Le rapport Lecocq préconisait ainsi sa suppression, dans un souci de « simplification », au profit d’un plan de prévention des risques intégrant les éléments d’évaluation avec une limitation de l’obligation d’évaluation des plus petites entreprises aux seuls risques majeurs. Ce scénario semblait même avoir la faveur du gouvernement68. La loi nouvelle écarte donc définitivement la perspective d’une suppression formelle du DUERP. Ne plus imposer un document unique n’aurait de toute façon pas dispensé les employeurs de l’obligation d’analyser l’ensemble des risques au sein de l’entreprise et de documenter les résultats de l’évaluation s’agissant d’une exigence du droit communautaire69. Mais cette consécration législative témoigne également de ce que l’« on assiste à un changement de regard sur le document unique »70. L’ANI qui, rappelons-le, a également été signé par les organisations patronales représentant les TPE/PME, présente ainsi le DUERP comme « l’outil essentiel » et « indispensable » de l’évaluation des risques, participant « de l’acculturation de tous les acteurs de l’entreprise » et favorisant « leur engagement dans la prévention quelle que soit la taille de l’entreprise »71. Un constat identique résulte des débats parlementaires. Le DUERP y est décrit comme « une pièce maîtresse de la prévention des risques professionnels »72, « l’outil central de l’approche préventive, (…) un outil très puissant »73. Durant les discussions, le maintien de l’obligation pour les plus petites entreprises de retranscrire les résultats de l’évaluation des risques dans le document unique n’a suscité aucune réserve. Un tel consensus n’était guère concevable il y a encore quelques mois. Même si ce n’est sans doute pas le seul facteur74, la place qu’a occupée le document unique dans la gestion des risques durant la crise sanitaire n’est certainement pas étrangère à une telle évolution.

Bien que la centralité du document unique soit ainsi reconnue, la loi ne va pourtant pas jusqu’à supprimer la possibilité ouverte à l’article L. 4121-3 du Code du travail de prévoir par décret une fréquence moindre de mises à jour du document unique75 dans les entreprises de moins de 11 salariés. Rappelons que cette faculté, introduite par le législateur en 2012, sous réserve toutefois que soit « garanti un niveau équivalent de protection »76, n’a jamais pu être mise en œuvre, faute de décret d’application. En son temps, elle avait pu faire l’objet de sérieuses réserves. Il n’existe en effet pas de lien entre l’effectif de l’entreprise et le niveau d’exposition des salariés à des risques77. Comme il a été souligné, « c’est la modification des facteurs de risques ou de l’activité, et non l’évolution des effectifs, qui commande la fréquence avec laquelle l’employeur doit évaluer les situations de travail »78. Il est également permis de s’interroger sur les conditions dans lesquelles pourrait être garanti aux travailleurs un niveau de protection équivalent79. L’adoption de la loi nouvelle serait-elle toutefois susceptible de réveiller l’intérêt du gouvernement pour un aménagement par voie réglementaire de la fréquence de la mise à jour du DUERP dans les TPE ? Il y aurait alors sans doute matière à nuancer la place centrale accordée au document unique. Une telle éventualité ne peut être totalement exclue. Certes l’obligation, y compris pour les TPE, de retranscrire et mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques dans le document unique n’a suscité aucune objection. Toutefois, la commission des affaires sociales du Sénat, particulièrement soucieuse de l’ampleur des contraintes pesant sur les TPE/PME, n’a pas manqué de relever que la proposition de loi laissait subsister la possibilité d’adapter la fréquence des mises à jour aux entreprises de moins de 11 salariés80. Cette crainte d’exigences trop lourdes à supporter pour les plus petites entreprises, partagée par le gouvernement, a plus nettement ressurgi lorsqu’a été discutée une nouvelle disposition de la proposition de loi tendant à intégrer dans le document unique un programme annuel de prévention. L’intention de l’auteure de la proposition de loi était en effet d’inscrire véritablement le document unique dans une démarche prospective.

B. L’inscription du document unique dans une démarche prospective

Grâce à la réalisation de l’analyse des risques, peuvent être déterminées les actions de prévention pertinentes à mener81. L’évaluation des risques n’est donc qu’une étape préalable et indispensable à la mise en place des mesures de prévention nécessaires. Ces dernières, conformément à l’article L. 4121-2 du Code du travail, doivent être planifiées82. L’évaluation des risques doit donc trouver son prolongement dans la définition d’un plan d’action, porteur des choix opérés et de l’organisation de leur mise en œuvre. Une bonne construction du plan d’action constitue ainsi un gage de pertinence de la démarche de prévention.

L’ANI rappelle le lien nécessaire entre la retranscription de l’évaluation des risques dans le document unique et le plan d’action qui doit en découler dans un intitulé explicite « B) le DUERP : base d’un plan d’action ». Ce rappel n’est pas inutile dans la mesure où ce lien n’est pas toujours clairement perçu par les entreprises au détriment de la prévention83. Les partenaires sociaux prennent ensuite le soin d’expliquer la démarche à mener. Ils rappellent enfin la nécessité d’inscrire le plan d’action dans la durée et dans une optique de démarche de progrès continu, soulignant ainsi la dynamique qui doit présider à une bonne prévention des risques, tout en laissant l’employeur libre d’en déterminer les modalités. Ils ne procèdent à aucune distinction selon la taille de l’entreprise, à juste titre, les petites comme les plus grandes étant soumises à l’obligation de planification. L’ANI ne dit cependant mot d’une intégration du plan d’action dans le document unique. Les partenaires sociaux ne l’ont visiblement pas envisagée84. L’initiative en revient à l’auteure de la proposition de loi.

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait au premier alinéa du nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail que le document unique comprenait « les actions de prévention qui en découlent regroupées dans un programme annuel de prévention ». Il s’agissait donc, d’une part, de contraindre les entreprises, quelle que soit leur taille, à formaliser leur plan d’action de manière suffisamment précise85 dans un programme annuel de prévention et d’amélioration des conditions de travail, obligation à laquelle sont déjà soumises les entreprises d’au moins 50 salariés86 et qui aurait donc été étendue aux plus petites, et d’autre part, d’imposer à l’ensemble des entreprises une nouvelle obligation résidant dans l’intégration de ce programme annuel dans le document unique.

Cette perspective a cette fois suscité de franches réticences au nom des difficultés que cela engendrerait pour les petites entreprises, et a généré une divergence de position entre les deux chambres. L’Assemblée nationale s’est ainsi refusée à dispenser les entreprises de moins de 50 salariés de l’obligation de compléter le document unique d’un programme annuel de prévention en considérant qu’il y en allait de la prévention dans les TPE/PME87, après avoir rappelé la faculté pour le gouvernement, s’il souhaitait œuvrer en faveur d’une simplification au profit des TPE, de prendre le décret nécessaire à un aménagement des modalités de mises jour du document unique88. À l’inverse, le gouvernement s’est prononcé en faveur d’une limitation des exigences à l’égard des petites entreprises en estimant qu’il fallait éviter de leur rajouter des contraintes supplémentaires et tout « formalisme » excessif89. Il a été rejoint sur ce point par le Sénat. Celui-ci entendait certes maintenir le lien indispensable entre les résultats de l’évaluation et la définition des mesures de prévention qui doivent en découler, mais est revenu sur le principe même de l’intégration d’un programme annuel dans le document unique. Il a par ailleurs opéré une distinction selon la taille de l’entreprise. Pour les entreprises d’au moins 50 salariés, les résultats de l’évaluation devaient bien déboucher sur un programme annuel de prévention. En revanche, en dessous de 50 salariés, il ne devait en résulter que la définition d’actions de prévention et de protection (et non pas un programme annuel de prévention) que les entreprises restaient libres de consigner ou non dans le document unique.

L’approche défendue par le Sénat, et dont la rédaction définitive de l’article L. 4121-3-1 du Code du travail garde des traces, suscite deux remarques : d’une part, affirmer que l’évaluation des risques par les TPE/PME doit déboucher sur la définition d’actions de prévention est potentiellement source de confusion. Ces entreprises pourraient en effet penser avoir répondu à l’ensemble de leurs obligations par la seule identification de mesures de prévention alors que l’obligation de planifier de manière cohérente toutes les mesures de prévention nécessaires s’impose à l’ensemble des entreprises, quel que soit leur effectif90. Les promoteurs d’un allégement des contraintes à l’égard des TPE/PME ne l’ignoraient pas, et ont même rappelé que la planification constituait une exigence tant du droit national que du droit communautaire91. Ce qui appelle la seconde remarque : la nécessité pour les TPE/PME d’élaborer un plan d’action n’étant pas discutée ni discutable, l’objet du désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale résidait en réalité dans la formalisation (et ensuite son intégration dans le document unique) d’un plan d’action suffisamment détaillé dans son contenu et précisé dans sa durée comme doit l’être le programme annuel de prévention. Cette opération serait en effet, selon ses détracteurs, trop complexe à mener pour les petites entreprises faute de ressources internes suffisantes92. Le débat sur l’étendue de ce qui peut être exigé des TPE/PME au titre de l’obligation de prévention n’a donc nullement disparu. Il s’est simplement déplacé de la formalisation de l’évaluation des risques dans le document unique à la formalisation du plan d’action, avec les mêmes arguments à l’appui.

Le compromis finalement trouvé en commission mixte paritaire tranche la question. Le nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail prévoit dorénavant que les résultats de l’évaluation déboucheront, pour les entreprises d’au moins 50 salariés, sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, et, pour les entreprises de moins de 50 salariés, sur la seule définition d’actions de prévention des risques et de protection des salariés (et non un programme détaillé), la liste de ces actions devant (et non plus pouvant) être consignée dans le document unique et ses mises à jour. Les entreprises de moins de 50 salariés ne seront donc soumises qu’à un « formalisme allégé »93. La rédaction définitive de l’article conserve toutefois les séquelles des divergences qui ont présidé à son adoption : à en suivre la lettre, aucune obligation d’intégrer le programme annuel de prévention dans le document unique n’y est posée. Est uniquement précisé que les petites entreprises doivent y consigner les actions de prévention qu’elles auront définies94. Il faut déduire cette obligation de la rédaction d’ensemble du nouvel article L. 4121-3-1 et se reporter aux travaux parlementaires qui, eux, ne laissent planer aucun doute sur la volonté du législateur d’intégrer le programme annuel de prévention dans le document unique95. Il est évidemment problématique que cette nouvelle obligation ne soit pas expressément énoncée. Il faut espérer que les dispositions réglementaires lèveront toute ambiguïté sur l’interprétation de la loi.

Malgré les réserves précédemment émises, ces nouvelles dispositions restent de nature à améliorer la prévention. Elles tendent en effet à renforcer la réalité, la pertinence et la bonne mise en œuvre et le suivi du plan d’action dans les entreprises d’au moins 50 salariés. De plus, elles apportent davantage de transparence quant aux mesures adoptées par l’employeur à la suite de l’évaluation des risques. Elles ne sont pas par ailleurs dépourvues de vertus pédagogiques en assurant le lien entre la phase d’évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention. Il restera toutefois à vérifier, en particulier dans les plus petites entreprises, qu’en pratique les étapes de la démarche sont chronologiquement respectées et que l’élaboration du document unique ne débouche pas uniquement sur quelques mesures de prévention superficielles ou insuffisantes.

Support de retranscription des risques dans l’entreprise et des actions qui doivent être menées à court ou moyen terme, le document unique est désormais à même de constituer un outil opérationnel de repérage dans le temps des risques, des travailleurs qui y sont exposés et des actions menées au sein de l’entreprise, propre à favoriser la prévention. Toutefois, aucune disposition n’impose à ce jour de conserver (intactes) les versions successives du document unique. Cette difficulté a d’ailleurs été signalée lorsqu’il s’agit de reconstituer les risques auxquels un salarié a pu être exposé au cours de sa carrière96. L’ANI se positionne sur le sujet en affichant l’objectif d’assigner au DUERP une fonction de traçabilité collective « par la conservation des versions successives du document unique »97. Sur le principe, cette nouvelle fonction a d’emblée été reprise dans la proposition de loi et approuvée par les parlementaires. Elle est intégrée au nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail98, qui en organise les modalités. La responsabilité de la conservation des versions successives du document unique incombera à l’employeur. Si, dans le souci d’améliorer la prévention, les services de santé au travail se verront systématiquement adresser les mises à jour du document unique99, a été rejetée l’idée qu’ils en assurent l’archivage et l’accès. La responsabilité du document unique incombant aux employeurs, il a en effet été considéré qu’il leur revenait d’assurer cette mission. Cela passera par le dépôt dématérialisé du document unique et de ses mises à jour sur un portail numérique déployé et administré par un organisme géré par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel dans le respect d’un cahier des charges ayant reçu l’aval de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et agréé par le ministre du Travail. Les versions successives seront tenues à la disposition des travailleurs, des anciens travailleurs ainsi que de toute personne ou instance pouvant justifier d’un intérêt à y avoir accès dont la liste sera fixée par décret en Conseil d’État. Celui-ci devra également préciser les modalités de mise à disposition du document unique et sa durée de conservation qui ne pourra être inférieure à 40 ans. L’application de l’obligation de dépôt sera échelonnée dans le temps en fonction de la taille de l’entreprise100.

En définitive, si le législateur n’a, à aucun moment, hésité à renforcer les obligations des entreprises d’au moins 50 salariés afin de tendre vers un document unique complet et précis, il n’a pas osé franchir le pas pour les petites entreprises. Il reste partagé entre nécessités de la prévention et poids de l’investissement que celles-ci imposent aux plus petites structures. Néanmoins, les évolutions auxquelles procède la loi tendent bien à davantage ancrer le document unique dans la démarche de prévention. Il aurait été d’ailleurs pour le moins paradoxal qu’au regard de l’appui qu’il fournit à la prévention des risques résultant de la circulation de la Covid-19, il soit remis en cause. Mais la crise sanitaire a aussi accentué le besoin de clarification de la place que doivent avoir les différents acteurs de l’entreprise dans la phase d’évaluation des risques, tout comme le besoin de soutien des entreprises pour le respect de leur obligation. La loi nouvelle tente d’y répondre en précisant les conditions d’élaboration du DUERP.

II. Les conditions d’élaboration du DUERP

La réglementation actuelle assoit la responsabilité de l’employeur dans l’évaluation des risques et l’élaboration du document unique mais ne donne que peu d’indications sur la manière dont il convient de procéder. La crise sanitaire a montré qu’il s’agissait là d’une lacune que tend à combler la loi nouvelle. Dans la lignée de l’ANI, elle entend ainsi œuvrer en faveur d’un renforcement du dialogue social (A) et d’un meilleur accompagnement de l’employeur dans la mise en œuvre de la démarche (B).

A. Le renforcement du dialogue social

C’est peu dire que la crise sanitaire aura mis en évidence le besoin et les atouts d’un dialogue social de qualité pour prévenir les risques au plus près des situations de travail réelles et permettre les aménagements nécessaires à une poursuite ou reprise de l’activité. Il n’est donc pas si surprenant que l’ANI encourage les entreprises de moins de 300 salariés à la création d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) au sein du comité social et économique (CSE)101 et invite les entreprises multisites à la mise en place de représentants de proximité102. L’auteure de la proposition de loi n’aura toutefois pas entendu s’écarter des prévisions des partenaires sociaux ni contredire les ordonnances du 22 septembre 2017 en remettant en cause leur caractère facultatif. Aux entreprises qui s’étaient privées de ces relais opérationnels de tirer elles-mêmes les leçons de la crise ; le législateur ne les y contraindra pas. En revanche, s’agissant de l’implication du CSE dans l’évaluation des risques, les parlementaires n’ont pas hésité à aller au-delà des strictes préconisations des partenaires sociaux. Dans sa version initiale, la proposition de loi n’opérait que l’exacte transposition de l’ANI en prévoyant, dans un nouvel alinéa de l’article L. 4121-3 du Code du travail, que le CSE contribue à l’analyse des risques dans l’entreprise103. Mais l’Assemblée nationale a ensuite enrichi cet alinéa d’une obligation de consultation du CSE sur le document unique et ses mises à jour104, ce que n’envisageait pas l’ANI105. Cet effort pour préciser le rôle des représentants du personnel dans l’évaluation des risques est appréciable. Il était même devenu indispensable. Le contentieux surgi pendant la crise sanitaire quant à l’étendue des prérogatives des représentants du personnel en matière d’évaluation des risques a en effet été révélateur de la nécessité de les y associer étroitement pour une analyse des risques de qualité. La Cour de cassation n’a cependant pu que dénier toute obligation légale ou réglementaire de consulter le CSE106. La loi nouvelle tend donc à définir la place que doit occuper le CSE et procède ainsi à des évolutions dont il importe de mesurer la portée.

La formule initiale figurant dans la proposition de loi et directement inspirée de l’ANI107 selon laquelle le CSE, et le cas échéant la CSSCT, contribuent à l’analyse des risques dans l’entreprise souffrait d’une ambiguïté que le Conseil d’État n’a pas manqué de relever dans son avis du 4 février 2021. Il y soulignait le besoin de clarifier l’articulation de cette contribution avec la prérogative que détient déjà le CSE aux termes de l’article L. 2312-9 du Code du travail de procéder, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, à l’analyse des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs. À cette fin, le Sénat a complété le texte pour préciser que le CSE apporte sa contribution « en application du 1° de l’article L. 2312-9 » du Code du travail. Ce rajout éclaire effectivement la disposition : la participation du CSE réside dans l’apport de sa propre connaissance et analyse des risques à l’employeur. Mais il vient parallèlement la restreindre aux seuls CSE des entreprises d’au moins 50 salariés108. L’intention originelle était pourtant d’améliorer l’implication du CSE dans l’élaboration du document unique « y compris dans les entreprises de moins de 50 salariés »109 conformément au vœu des partenaires sociaux110. Il est également acquis que l’Assemblée nationale entendait consacrer une obligation de consultation au profit de l’ensemble des CSE sans distinction selon la taille de l’entreprise111. Or il n’est pas du tout certain qu’une telle interprétation puisse subsister à la suite de l’intervention du Sénat, la consultation du CSE étant envisagée dans le même alinéa que sa contribution à l’analyse des risques désormais réservée aux CSE des entreprises d’au moins 50 salariés112. S’il y avait lieu d’appréhender cet alinéa dans son ensemble, les CSE des entreprises de 11 à 49 salariés seraient exclus de cette consultation.

La précision apportée par le Sénat modifie par ailleurs la place qu’occupe l’analyse des risques opérée par les représentants du personnel au titre de l’article L. 2312-9 du Code du travail. À ce jour, cette analyse réalisée en propre par le CSE est destinée à alimenter les discussions sur le programme annuel de prévention des risques113, en complément de l’évaluation des risques faite par l’employeur et retranscrite dans le document unique114 dont elle se distingue par conséquent. Demain, elle sera appelée à intervenir en amont afin d’éclairer l’employeur dans son travail d’analyse des risques de l’entreprise. Il s’agit donc ici de mettre le « savoir »115 des représentants du personnel, notamment acquis au plus proche du terrain, au service d’une bonne évaluation des risques par l’employeur. Cette mobilisation du CSE fait ainsi directement écho à l’obligation pour l’employeur d’associer le CSE à l’évaluation des risques, dégagée par le juge des référés durant la crise116.

L’introduction d’une consultation du CSE sur le document unique et ses mises à jour prolonge l’action des représentants du personnel. En toute logique, cette consultation doit s’opérer sur l’analyse des risques telle que l’employeur envisage de l’arrêter, avant retranscription dans le document unique, à la suite des éclairages qui lui auront été apportés par les différents acteurs et a minima par ceux qu’il doit solliciter117, à savoir le CSE bien sûr mais aussi le service de prévention et de santé au travail et le cas échéant le ou les salariés compétents qui auraient été désignés118. Des réserves quant à l’opportunité d’une consultation du CSE sur le document unique ont toutefois été émises. Il a d’abord été objecté que l’évaluation des risques « ne constitue pas une décision ou une action positive de l’employeur, mais un constat permanent et objectif d’une situation »119. Il est vrai que le document unique réside dans un « état des lieux » pour reprendre la formulation des partenaires sociaux120. Néanmoins, l’analyse de la situation peut faire l’objet de perceptions distinctes. Il suffit de songer à une divergence d’appréciation quant à l’existence même d’un risque et à la nécessité de l’intégrer dans le document unique. L’échange s’avère alors indispensable pour tenter de réduire ces écarts. Un auteur s’est également interrogé sur le réel intérêt que pourrait présenter cette consultation, hormis dans les entreprises de moins de 50 salariés, du fait de sa « cohabitation (…) avec la consultation récurrente sur les actions de prévention en matière de santé et de sécurité intégrée à la consultation sur la politique sociale et les conditions de travail »121. La remarque semble juste tant l’évaluation des risques alimente le contenu du programme annuel de prévention et du rapport annuel et nourrit les discussions sur les actions de prévention menées et à mener. Cela peut effectivement laisser penser que le document unique occupe d’ores et déjà « une place de choix dans un processus consultatif se voulant global et finalisé plutôt que séquencé »122 sans qu’il soit utile d’en faire un objet de consultation à part entière. Une autre approche peut néanmoins être défendue si l’on veut bien pleinement prendre en considération le rôle déterminant que joue l’évaluation des risques pour la mise en œuvre des étapes ultérieures de la démarche de prévention ainsi que sa capacité à placer le travail réel au cœur de l’analyse123. Faire de l’évaluation des risques dans l’entreprise un objet impératif de consultation prend alors sens, dans la perspective d’un diagnostic au plus proche de la réalité du travail sur lequel pourraient ensuite solidement s’asseoir la conception ou l’ajustement des actions de prévention. Serait ainsi ouverte la voie à un cercle continu et vertueux de prévention au sein duquel le CSE pourrait espérer devenir un « lieu privilégié où se construit un dialogue réel, à partir du travail réel et sur le travail réel »124. La réalisation de cet objectif suppose toutefois une volonté partagée de travailler conjointement à une bonne évaluation des risques125. Rendre obligatoire la consultation suffira-t-il à vaincre le sentiment qui prédomine parfois selon lequel le document unique reste avant tout l’affaire de l’employeur puisqu’il revient à lui seul d’en assumer les conséquences ? En tout état de cause, le CSE ne pourra s’emparer de ce rôle que s’il dispose des moyens nécessaires. La loi y contribue pour une part en améliorant la formation en matière de santé et de sécurité de la délégation du personnel126. Faire de l’analyse des risques un objet de consultation se justifie donc au regard de l’objectif de prévention. On comprendrait alors d’autant moins que les CSE des entreprises de 11 à 49 salariés ne soient pas consultés à supposer, bien évidemment, que cette interprétation du 1° de l’article L. 4121-3 doive l’emporter. Certes, tout échange sur l’analyse des risques opérée n’en serait pas pour autant exclu. La loi nouvelle prévoit en effet que l’employeur devra présenter au CSE la liste des actions qui auront été définies à la suite de l’évaluation127. Toutefois, cette nouvelle obligation s’inscrit dans un cadre peu contraignant et son objet est restreint à la présentation de la liste des actions que l’employeur entend mettre en œuvre. Les discussions qui pourront indirectement s’engager sur l’évaluation réalisée par l’employeur risquent dès lors en pratique d’être limitées. Ce premier pas en faveur d’une plus grande implication du CSE dans les entreprises de moins de 50 salariés reste timide. Il serait bien sûr tentant de justifier une absence d’obligation de consultation du CSE par le souci de ne pas accroître outre mesure les contraintes pesant sur les petites entreprises dans un processus d’évaluation qui leur apparaît déjà fort lourd et complexe128. Procéder à l’analyse des risques n’est effectivement pas chose aisée et implique un engagement conséquent de l’employeur. Mais, au contraire, laisser à l’employeur la liberté de se priver de l’apport du CSE n’en devrait que davantage surprendre. Ne serait-il pas paradoxal de faire prévaloir la dimension contraignante pour les employeurs d’une obligation de consultation du CSE sur l’utilité pour la prévention de son objet alors que, précisément, les entreprises de moins de 50 salariés font partie de celles qui peinent le plus à mener à bien leur démarche d’évaluation et à développer une culture de la prévention ? Il est vrai que le législateur ne mise pas uniquement sur le seul dialogue social pour favoriser l’effectivité et la qualité de l’évaluation des risques. En complément, la loi du 2 août 2021 actionne un autre levier, en se plaçant sous l’angle a priori plus consensuel d’un meilleur accompagnement des entreprises dans la réalisation de leur démarche.

B. L’accompagnement de l’employeur dans sa démarche d’évaluation des risques

Le législateur a choisi ses mots. L’emploi des termes « aide », « contribution », « accompagnement », ou encore « concours » susceptibles d’être apportés à l’employeur, tend à apaiser les craintes d’une diminution de sa responsabilité. Il rassure sur l’objectif poursuivi. Dans la capacité des acteurs à l’atteindre, se trouvent sans doute la clé de la réussite ou les raisons de l’échec de la loi. Des dispositifs d’accompagnement des employeurs existent en effet déjà sans qu’ils ne soient parvenus à produire tous les résultats escomptés. Les dispositions actuelles permettent ainsi à l’employeur de recourir à l’aide du salarié compétent éventuellement désigné129 et envisagent le rôle de conseil du médecin du travail130. Une aide méthodologique et concrète a également été déployée auprès des entreprises depuis plusieurs années. Dès l’introduction du document unique dans la réglementation, l’administration du travail131, les organismes de prévention institutionnels132 ainsi que les organisations professionnelles133 se sont ainsi mobilisés. Depuis lors, n’ont cessé de se développer l’offre de services et les outils disponibles, qu’il s’agisse de publications, de guides, de référentiels ou encore de logiciels d’aide à l’évaluation des risques à l’initiative tant des branches que des organismes et conseils en prévention. Certains d’entre eux ciblent même plus volontiers les plus petites entreprises134. Ces derniers mois, dans l’urgence liée à la crise sanitaire, c’est le gouvernement lui-même qui est intervenu dans le but d’aider les entreprises à prévenir les risques liés à la Covid-19 avec la publication de fiches métiers et recommandations et la diffusion sur son site des guides pratiques élaborés par les branches. Mais malgré les nombreux dispositifs d’accompagnement disponibles, le taux de réalisation et de mise à jour du document unique reste insatisfaisant dans les TPE/PME135, et rien ne garantit que lorsqu’il est élaboré il soit de qualité. Le manque d’intérêt ou de volonté de certaines entreprises n’est pas seul en cause. Il faut aussi savoir questionner la pertinence de l’offre : distinguer les prestations sérieuses des fantaisistes, s’interroger sur leur bonne adaptation, leur complémentarité et leur accessibilité aux entreprises. À ce titre, l’effort de rationalisation et de clarification opéré par la loi nouvelle est tout à fait appréciable. Sur le fond, la problématique première à laquelle devait répondre le législateur était ainsi d’amener les entreprises qui restent encore trop éloignées de la prévention à la bonne réalisation du document unique (et d’un plan d’action).

Il y a encore quelques mois, il pouvait être craint que le législateur ne s’oriente vers une prépondérance des référentiels de branche ou des plans d’action élaborés au regard des risques d’un secteur d’activité. Le rapport Lecocq, puis le gouvernement, dans le document d’orientation transmis aux partenaires sociaux, souhaitaient manifestement privilégier un tel accompagnement des entreprises par les branches professionnelles. L’enthousiasme de la ministre du Travail de l’époque pour les référentiels de branche avait même été tel qu’elle avait sollicité les partenaires sociaux sur les moyens de les généraliser afin de couvrir l’ensemble des secteurs professionnels dans un délai de trois ans. Elle les présentait en effet comme un outil assurant une évaluation complète et précise, facilement transposable dans toutes les entreprises. Cette vision est en réalité erronée. Par hypothèse limitée aux risques du secteur d’activité ou du métier, sans prise en considération des risques propres à l’entreprise, l’évaluation par application d’un référentiel de branche ne peut être que partielle. Son utilisation par l’employeur ne saurait épuiser son obligation d’évaluation. Sans doute s’agit-il d’un outil d’aide à l’évaluation utile grâce à l’analyse des risques du secteur d’activité auquel appartient l’entreprise qu’il fournit. Mais il ne peut suffire en soi. Au cours des débats parlementaires, la proposition d’asseoir la prévention sur un déploiement massif de référentiels et de plans d’action de branche élaborés dans chaque secteur d’activité n’a pas manqué de ressurgir. Elle a été écartée, non seulement parce que cela ne serait pas « la bonne méthode »136 mais aussi parce que, précisément, se posait le « problème de leur adaptation dans chaque entreprise »137. La place dédiée aux branches est ainsi précisée au nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail. Celui-ci prévoit que « les organismes et instances mis en place par la branche peuvent accompagner les entreprises dans l’élaboration et la mise à jour du document unique ». Il en résulte que la participation des branches restera facultative. Il ne sera pas imposé à chaque branche, comme cela a pu être envisagé, de proposer un accompagnement aux entreprises. Tout comme aujourd’hui, l’employeur pourra recourir au référentiel éventuellement élaboré par la branche à laquelle il appartient. Mais il lui faudra alors avoir bien conscience que cela ne suffit pas au respect de son obligation d’évaluation.

Concernant d’autres acteurs, la loi se montre beaucoup plus directive. L’article L. 4121-3 du Code du travail modifié, dans le prolongement des dispositions actuelles, met au premier plan à la fois le service de prévention et de santé au travail et le ou les salariés compétents qui auraient été désignés. En prévoyant qu’ils apportent leur contribution à l’évaluation des risques dans l’entreprise, le législateur impose leur participation, y compris à l’employeur. Celui-ci aura donc l’obligation de les solliciter138. Le soutien à l’employeur constituera par ailleurs une mission impérative tant du salarié compétent désigné que des services de prévention et de santé au travail. S’agissant de ces derniers, apporter leur aide de manière pluridisciplinaire fera même demain expressément partie de leur mission légale139 et devrait en tant que telle être inscrit dans l’offre socle de services140. Il ne sera donc pas exclu qu’en cas de défaillance, la responsabilité du service soit engagée. Cela soulève bien évidemment la question de la capacité des services à assurer pleinement cette mission sur l’ensemble du territoire. La crise sanitaire a encore montré les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer à répondre à l’ensemble des demandes des entreprises. Les inquiétudes quant aux moyens dont ils disposent pour faire face aux attentes ont d’ailleurs irrigué les débats parlementaires relatifs à l’étendue des missions légales qu’il convenait de leur confier. Il faut donc espérer que les mesures prises par la loi afin d’améliorer le fonctionnement des services ne tarderont pas trop à produire les effets attendus. Les demandes d’entreprises soucieuses de se prémunir du risque juridique lié à leur défaut de consultation pourraient vite se révéler conséquentes. Reste qu’il est indéniable qu’ils constituent en tant qu’acteurs de proximité les interlocuteurs à privilégier, particulièrement en ce qu’ils sont le mieux à même d’atteindre directement les plus petites entreprises. On comprend également le souci du législateur d’imposer l’association du salarié compétent qui aurait été désigné. Il participe d’une volonté d’internalisation de la prévention favorable au développement d’une culture de la prévention et permet une meilleure prise en compte du travail réel dans l’évaluation. Pour l’exercice de ses missions, la personne compétente bénéficiera nécessairement d’une formation et non plus seulement à sa demande141. Bien que sa désignation soit obligatoire dès lors que les compétences sont disponibles, on sait que les entreprises y font encore peu appel, au profit du recours à un organisme extérieur142. On peut toutefois penser que si l’intervention des services de prévention et de santé au travail parvenait réellement à être systématique, l’intérêt des entreprises pour la désignation d’une personne compétente devrait davantage s’éveiller143. Les partenaires sociaux incitent de leur côté l’ensemble des entreprises à y recourir144. De manière fort logique, l’article L. 4121-3 modifié complète enfin la cartographie des acteurs, par les personnes ou organismes extérieurs que les entreprises peuvent solliciter à défaut de désignation d’une personne compétente145. Il apparaît ainsi en définitive que la loi rend obligatoire la participation à l’évaluation des risques dans l’entreprise des acteurs externes (services de prévention et de santé au travail) et internes (personne compétente éventuellement désignée et CSE) qu’il était jusqu’à présent recommandé de consulter pour une analyse des risques de qualité. Le législateur semble toutefois être resté à mi-chemin concernant l’implication des CSE des entreprises de moins de 50 salariés, preuve supplémentaire s’il en fallait qu’il peine, concernant les petites structures, à sortir du dilemme entre l’effectivité de la prévention et le poids des exigences qui en résultent pour ces entreprises.

V. LE BLAN-DELANNOY

La suspension de peine pour raison médicale, une réponse aux risques liés à l’incompatibilité de l’état de santé du détenu avec l’incarcération

Cass. crim., 3 mars 2021, n° 20-81692 ; Cass. crim., 14 avr. 2021, n° 20-81177 ; CGLPL, recommandations en urgence, 16 avr. 2021, relatives au centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime) : JO, 18 mai 2021 – Cass. crim., 23 juin 2021, n° 21-81881 ; Cass. crim., 23 mars 2021, n° 20-87271.

En France, la prise en charge médicale du détenu est une préoccupation récurrente qui se pose sous différentes modalités tout au long de l’exécution de la peine. Ainsi, de multiples structures se sont développées pour améliorer l’effectivité et le suivi des soins somatiques et psychiques des personnes subissant une peine privative de liberté. En ce sens, un décret de 1986146 instaure les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), auxquels viennent s’ajouter en 1994 les unités de consultation et de soins ambulatoires147 (UCSA) désormais appelées unités sanitaires en milieu pénitentiaire148 (USMP) depuis 2012. Lorsqu’une hospitalisation est nécessaire, que ce soit en hôpital de jour ou à temps complet, les détenus sont orientés vers l’établissement de santé adapté à leur situation, c’est-à-dire, en chambres sécurisées pour les hospitalisations urgentes ou de courte durée ; en unités hospitalières sécurisées interrégionales149 (UHSI) ou vers l’établissement public de santé national de Fresnes150 (EPSNF) pour les soins somatiques, tandis que les soins psychiatriques avec ou sans consentement sont assurés par les unités hospitalières spécialement aménagées151 (UHSA) et les unités pour malades difficiles152 (UMD).

Cependant, la médecine pénitentiaire atteint ses limites lorsque la personne souffre d’une pathologie durablement incompatible avec l’incarcération ou engageant le pronostic vital, ce qui conduit alors les juridictions de l’application des peines à envisager la suspension de peine pour raison médicale. La jurisprudence récente de la Cour de cassation témoigne du caractère délicat de ce type de décision, tant au regard des risques liés à la dangerosité criminologique du condamné (I) qu’aux possibles violations des droits fondamentaux (II).

I. La suspension de peine pour raison médicale et la question de la persistance d’un risque lié à la dangerosité criminologique du condamné

L’interrogation sous-jacente lors de la suspension de peine pour raison médicale peut légitiment porter sur la dangerosité du condamné ainsi libéré, notamment si l’infraction est de nature criminelle.

En la matière, un arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 mars 2021 (Cass. crim., 3 mars 2021, n° 20-81692) est particulièrement éclairant quant à l’articulation entre la suspension de peine pour raison médicale et la libération conditionnelle. En l’espèce, un individu fait l’objet de deux condamnations, d’une part à une peine de 18 ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté de 9 ans pour des faits de participation à une entente en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes et de violences ayant entraîné la mort et d’autre part, à une peine de 13 ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté de 6 ans et demi, des chefs d’association de malfaiteurs terroriste, d’infractions à la législation sur les armes et de dégradations volontaires. Par décision du 30 janvier 2014, la chambre de l’application des peines de Paris lui accorde une suspension de peine pour raison médicale. Par la suite, le condamné formule une demande de libération conditionnelle qui lui est accordée le 28 novembre 2019 par jugement du tribunal de l’application des peines de Paris spécialement compétent en matière de terrorisme à compter du 9 décembre 2019. Cette décision, frappée d’un appel, est confirmée par la chambre de l’application des peines de Paris par un arrêt du 27 février 2020, ce qui conduit le parquet général à former un pourvoi en cassation visant à contester l’octroi de la libération conditionnelle. À l’appui de sa demande, le parquet général admet que la suspension de peine pour raison médicale permet l’octroi d’un aménagement de peine sous forme de libération conditionnelle sans condition tenant à la durée de la peine exécutée, mais soutient en revanche que les articles 729, 720-1-1 et 720-2 et 730-2-1 du Code de procédure pénale ne permettent pas de déduire qu’une mesure d’aménagement de la peine puisse être prononcée en cas de période de sûreté, a fortiori en cas d’infraction à caractère terroriste. Néanmoins, la Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond en rappelant que les personnes privées de liberté atteintes d’une pathologie engageant leur pronostic vital ou dont l’état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention « peuvent bénéficier d’une suspension de la peine, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir » et en soulignant également que « la libération conditionnelle prévue par le dernier alinéa de l’article 729 du Code de procédure pénale constitue une exception aux principes généraux posés par l’article 720-2 et qu’elle a manifestement été créée pour être le prolongement nécessaire des dispositions du dernier alinéa de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale qui constitue lui-même une dérogation aux règles générales édictées par l’article 720-2 » du même code. Par conséquent, le condamné peut « bénéficier d’une libération conditionnelle lorsque l’exécution de sa peine est suspendue pour raison médicale grave (…) même au cours de la période de sûreté » et ce, sans procéder à une évaluation de la dangerosité. En outre, la haute juridiction fait à juste titre remarquer combien il serait « peu cohérent de venir opposer une période de sûreté à un condamné libre depuis plus d’un an et dont il est établi qu’il est atteint d’une pathologie engageant son pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention ».

Pour autant, contrairement à ce que pourrait suggérer l’arrêt de mars 2021, la question de la dangerosité criminologique153 est loin d’être totalement absente du débat sur la libération d’un condamné, même âgé. Ainsi, un arrêt du 14 avril 2021 (Cass. crim., 14 avr. 2021, n° 20-81177) évoque cette problématique. En l’occurrence, un individu âgé de 71 ans exécute une peine de 15 ans de réclusion criminelle prononcée par la cour d’assises de la Gironde le 18 octobre 2012 pour des faits de viols et agressions sexuelles aggravés et sollicite une libération conditionnelle en mars 2018. Cette requête est rejetée par un jugement du tribunal de l’application des peines le 27 juin 2019. Le condamné interjette appel de cette décision et par un arrêt du 14 janvier 2020, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Poitiers accorde l’aménagement de peine, suscitant un pourvoi en cassation de la part du parquet général qui critique l’octroi d’une libération conditionnelle sans y adjoindre une mesure de sûreté. Appelée à se prononcer, la Cour de cassation mentionne que « sous réserve des dispositions particulières à la suspension de peine pour raison médicale, la libération conditionnelle des condamnés âgés de plus de 70 ans peut être accordée quelle que soit la durée de la peine accomplie, si l’insertion ou la réinsertion du condamné est assurée (…) sauf en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction ou si sa libération conditionnelle est susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public ». Néanmoins, la Cour rappelle également que la personne condamnée à une peine égale ou supérieure à 15 ans de réclusion criminelle pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ne peut obtenir le bénéfice d’une libération conditionnelle, si elle n’est pas assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile, qu’après l’exécution d’une mesure probatoire154. En conséquence, la Cour casse la décision rendue par la juridiction poitevine et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux. En effet, la Cour précise la combinaison entre les articles 729 et 730-2 du Code de procédure pénale en affirmant que ces dispositions s’appliquent de manière cumulative au détenu, d’autant que ce dernier, bien qu’âgé, n’a pas fait valoir de raison médicale susceptible d’entraîner une suspension de sa peine. De la sorte, la Cour conforte une jurisprudence constante selon laquelle l’âge du détenu n’est pas un critère suffisant, ni pour envisager une suspension de peine, ni pour écarter une potentielle dangerosité155.

Par ailleurs, la thématique de la suspension de peine pour raison médicale est étroitement liée à une réflexion plus globale portant sur le risque d’atteinte aux libertés et droits fondamentaux.

II. L’accès aux soins en détention, la suspension de peine pour raison médicale et le risque d’atteinte aux droits fondamentaux

L’aspect sanitaire de la détention constitue une part importante de la notion de dignité et cette dernière est mise en exergue tant par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité du 16 avril 2021156 que par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021157 qui insère un article 803-8 du Code de procédure pénale énonçant en substance que tout détenu considérant ses conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge judiciaire afin d’y mettre fin. Cette loi fait notamment suite à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et à l’arrêt J. M. B. contre France158 rendu le 30 janvier 2020 à l’occasion duquel les requérants dénoncent les délais déraisonnables pour accéder aux soins médicaux mais aussi la difficulté pour obtenir les médicaments nécessaires159.

L’accès aux soins en milieu pénitentiaire est également au cœur des préoccupations du contrôleur général des lieux de privation de liberté, comme en témoignent ses recommandations en urgence publiées en mai 2021 concernant le centre de détention de Bédenac160 visant à dénoncer une violation grave des droits fondamentaux résultant des conditions dans lesquelles sont maintenus des détenus vieillissants et handicapés, dont l’état de santé est incompatible avec l’incarcération. Dans ce texte, le contrôleur dresse un constat absolument effarant sur l’« unité de soutien et d’autonomie », qui regroupe dans des conditions édifiantes des personnes souffrant d’obésité morbide, d’impotence, d’incontinence, de séquelles d’accidents vasculaires cérébraux ou encore de démence avec parfois une désorientation temporo-spatiale totale. Au regard de ces constats, le contrôleur assène fermement que « l’administration pénitentiaire doit garantir la sécurité des personnes détenues qui lui sont confiées, quels que soient leurs besoins particuliers ou leur état de santé » et qu’il est impératif de mettre un terme « sans délai aux conditions indignes de détention des personnes souffrant de pathologies et handicaps incompatibles avec les prises en charge proposées ; leur droit d’accès aux soins doit être respecté et l’assistance personnelle qu’elles nécessitent doit être immédiatement mise en place ». De plus, le contrôleur note qu’en juin 2020, le médecin de l’unité sanitaire a établi huit certificats médicaux préconisant une suspension de peine mais que, sur les huit personnes concernées, une seule a bénéficié d’une suspension de peine en mars 2021 et une autre est sortie en libération conditionnelle médicale. En revanche, une troisième personne a vu sa demande de libération conditionnelle et suspension médicale rejetée par le tribunal d’application des peines alors qu’une place en EHPAD avait été trouvée. Quant aux cinq autres demandes elles sont encore en cours d’examen. Le contrôleur appelle donc à une réflexion sur la politique pénale afin de préserver l’intégrité physique des personnes détenues ainsi que leur accès aux soins et à l’hygiène la plus élémentaire, dans un contexte où le vieillissement de la population carcérale est un phénomène destiné à s’accroître corollairement à l’allongement des délais de prescription.

Que ce soit durant la détention provisoire en vue de solliciter une remise en liberté ou après une condamnation définitive afin d’obtenir une suspension médicale de la peine, l’incompatibilité de l’état de santé avec les conditions de détention est fréquemment invoquée par les personnes sous main de justice et se retrouve alors au centre de débats et d’expertises médicales. C’est par exemple le cas dans un arrêt rendu en juin 2021 (Cass. crim., 23 juin 2021, n° 21-81881), où la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la situation d’un individu amputé d’un membre inférieur et poursuivi pour infractions à la législation sur les stupéfiants et sur les armes en récidive, après son arrestation par les garde-côtes au large de la Martinique en possession de 751 kg de cocaïne et placé en détention provisoire à Fort-de-France, en dépit de son handicap ayant justifié, lors de procédures antérieures, des décisions de suspension de peine et de libération conditionnelle. La haute juridiction confirme la position des juges du fond en relevant que l’expertise médicale conclut à la compatibilité de l’état de santé du mis en cause avec la détention et en mentionnant qu’il a accès au traitement médical dont il a besoin ; que son pronostic vital n’est pas engagé et que ses conditions de détention ne sont pas contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif aux traitements inhumains ou dégradants.

Il en est de même dans un arrêt de mars 2021 (Cass. crim., 23 mars 2021, n° 20-87271) dans lequel la Cour rejette le pourvoi formé par une détenue, atteinte d’un cancer et enceinte, poursuivie pour des faits de torture ou acte de barbarie et omission de porter secours aggravés. En effet, les juges retiennent, en se référant à l’expertise médicale, qu’elle reçoit tous les soins adaptés à son état de santé et qu’elle bénéficie d’un suivi régulier permettant son maintien en détention.

La suspension de peine pour raison médicale est à la croisée de plusieurs risques non négligeables et toujours davantage questionnée, ainsi que l’attestent les jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’Homme161, et est aussi liée à la question du droit du détenu à mourir libre162.

Plus largement, la médecine pénitentiaire constitue un pan essentiel de la privation de liberté, mis en lumière notamment par des professionnels comme Véronique Vasseur163, médecin à la prison de la Santé ou encore Anne Dulioust164, médecin à l’EPSNF. En effet, il existe de nombreuses situations où la frontière entre la compatibilité et l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention semble ténue voire floue, particulièrement au regard de la notion de dignité et des pathologies évoquées, tant somatiques que psychiques165.

M. SCREVE-HERMAN

B – Réparation des risques réalisés

L’enfant, le pistolet et la garde de la chose

Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-19676, F-PBI.

1. L’établissement de la responsabilité du fait des choses fondée sur l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil implique invariablement la démonstration de trois conditions : une chose, le fait de la chose et enfin la garde de la chose. C’est en effet le gardien de la chose qui est responsable de l’action des choses qu’il a précisément sous sa garde. Classiquement, cette condition donne lieu à des difficultés de détermination, entre vicissitudes liées à la réalisation matérielle du dommage et conséquences juridiques de l’attribution de la qualité de gardien, puisque, par exemple, la victime considérée dans le même temps comme gardienne d’une chose ne peut recevoir aucune indemnisation166. C’est aux confins de ces obstacles que la Cour de cassation a rendu une intéressante décision le 26 novembre 2020, promise à une importante diffusion.

2. En l’espèce, un enfant de 11 ans, accompagné de sa mère, rendait visite à des tiers à leur domicile. À cette occasion, il a pénétré sans l’autorisation des propriétaires au sous-sol de leur domicile, y a trouvé un pistolet gomme-cogne et, en l’utilisant, s’est grièvement blessé à l’œil. Une demande en réparation de ce préjudice, sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil, a été formulée à l’encontre des propriétaires du pistolet. La cour d’appel les a condamnés à indemniser la victime, en considérant qu’ils étaient gardiens de la chose ayant permis la réalisation du dommage. C’est cette qualification de gardien qui était remise en cause au sein du pourvoi en cassation entrepris par les propriétaires : ils estimaient en effet que l’enfant, ayant manipulé seul l’arme, devait être considéré comme gardien de cette chose, ayant acquis par le jeu classique du transfert de garde, du fait de cette utilisation, l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Ce pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, qui considère que les conditions matérielles dans lesquelles l’arme était entreposée ont permis son appréhension par l’enfant, et qu’il n’était par ailleurs pas soutenu qu’il lui avait été intimé l’interdiction de se rendre au sous-sol. Au prix d’une analyse factuelle riche, la Cour de cassation conclut alors que la cour d’appel « a pu déduire que la preuve du transfert de garde invoqué par M. et Mme U. n’était pas rapportée ».

3. Au sein d’une problématique somme toute classique relative à la détermination du gardien de la chose, la Cour de cassation affirme l’absence de transfert de garde de la chose du propriétaire à la victime – en l’espèce, l’enfant – (I), tout en demeurant étonnamment silencieuse sur le terrain de l’exonération (II).

I. L’absence de transfert de garde du propriétaire de la chose à la victime

4. Si, historiquement, la responsabilité du fait des choses a rencontré bien des tempêtes avant de se stabiliser en jurisprudence167, l’un des écueils les plus complexes à résoudre en son sein est la détermination du gardien de la chose. Il a en effet fallu attendre 1941 et le célèbre arrêt Franck des chambres réunies de la Cour de cassation168 pour que la Cour définisse la garde de la chose comme composée des trois pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose. L’arrêt Franck a mis fin à une discussion doctrinale passionnée, certains auteurs défendant une garde entendue juridiquement, qui pèserait systématiquement sur la tête du propriétaire de la chose, tandis que d’autres étaient en faveur d’une appréhension matérielle de la garde, qui suppose alors la détermination du gardien au regard des pouvoirs des uns et des autres lors du dommage169. C’est alors que l’arrêt Franck a permis de trancher cette difficulté en faveur de la garde matérielle : le voleur d’un véhicule, au volant de celui-ci, est le gardien de cette chose, au détriment du propriétaire dépossédé.

5. Si la garde doit dès lors être entendue matériellement, sans référence à la propriété mais uniquement au regard des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, il n’en demeure pas moins que, bien souvent, c’est le propriétaire d’une chose qui l’utilise. Compte tenu de cet état de fait, la jurisprudence a fait preuve de pragmatisme et a érigé une présomption de garde qui pèse sur le propriétaire de la chose170. Cela signifie qu’en cas de doute sur la personne devant recevoir la qualité de gardien lors de la réalisation du dommage, il est présumé que celui-ci soit le propriétaire de la chose. Libre alors à lui, s’agissant d’une présomption simple, de démontrer qu’il n’avait pas, au moment du dommage, l’usage, la direction et le contrôle de la chose afin de se dégager de toute responsabilité.

6. Si la Cour de cassation n’impose pas, lorsque le propriétaire de la chose tente de renverser la présomption de garde qui pèse sur lui, de désigner le véritable gardien de la chose171, c’est bien souvent ce qu’il se passe au contentieux. On parle alors de transfert de garde : la garde, initialement positionnée sur la tête du propriétaire de la chose par le truchement de la présomption de garde, est affectée, compte tenu du renversement de la présomption, au simple utilisateur de la chose. La Cour de cassation fait preuve en la matière d’un certain pragmatisme. En effet, il est bien évident que si la victime d’un dommage causé par une chose est par ailleurs considérée comme gardienne de la chose, les portes de la responsabilité du fait des choses vont se refermer devant elle172 : on ne peut être dans le même temps victime et responsable, la responsabilité envers soi-même étant un faux concept173. Il est, dans ces conditions, compréhensible que la Cour de cassation éprouve une certaine gêne à considérer la victime d’une chose comme gardienne de celle-ci, afin de ne pas la priver d’indemnisation.

7. Cette explication éclaire alors l’arrêt commenté : la Cour de cassation ne nie pas le fait que le comportement de l’enfant a eu une influence sur ses blessures mais, si elle lui avait attribué les trois pouvoirs sur la chose, celui-ci aurait été le gardien de la chose et n’aurait donc pas pu être indemnisé sur le terrain de la responsabilité du fait des choses. Cela aurait été relativement gênant : il aurait dû se tourner vers la responsabilité pour faute prouvée de l’article 1240 du Code civil, en tentant d’établir qu’entreposer une arme au sous-sol de son domicile est fautif. Si cette preuve n’était pas impossible à rapporter, l’on comprend cependant bien que la voie de la responsabilité du fait des choses était bien plus aisée à emprunter, compte tenu, classiquement, de la non-exigence de la démonstration d’une faute au sein de ce régime.

8. Cette mansuétude envers la victime ne transpire pas qu’en matière de transfert de garde. Dans une hypothèse proche, celle de la garde en commun, la philosophie de la Cour de cassation est identique. Ainsi, lorsque plusieurs personnes peuvent être considérées comme ayant, au moment du dommage, la garde de la chose174, la Cour de cassation prend soin, dans ses décisions contemporaines, d’affirmer la présence de co-gardiens uniquement dans l’hypothèse où la victime elle-même ne se retrouve pas parmi ces co-gardiens. La volonté indemnitaire est alors évidente, et l’on rencontre des situations semblables à notre espèce, dans lesquelles, factuellement, la victime aurait pu sans difficulté être qualifiée de gardienne de la chose, cette qualification étant toutefois niée à des fins purement indemnitaires175.

9. Dans ces conditions, il est délicat d’analyser cette décision du 26 novembre 2020 en lui donnant une portée démesurée qui consisterait à croire que la Cour de cassation a été sensible à la logique de la garde juridique de la chose, délaissant la garde matérielle qu’elle utilise depuis l’arrêt Franck. Certes, au bout du compte, c’est le propriétaire de la chose qui va, en l’espèce, assumer les conséquences de la réalisation du dommage et non l’enfant, simple utilisateur de la chose. Mais considérer que cette décision est un retour, voire un appel au retour à une conception juridique de la garde, serait occulter l’enjeu de la détermination de la garde, surtout lorsque la victime risque d’être considérée comme gardienne. Loin de souhaiter chambouler les grands piliers de l’appréciation de la garde de la chose en l’espèce, la Cour de cassation a simplement interprété cette notion dans l’intérêt de la victime, grâce à la plasticité offerte par la notion de garde de la chose.

10. En outre, faire de cette décision un signe d’une mise en avant par la Cour de cassation de la conception juridique de la garde procède, selon nous, d’une confusion. En effet, le principe de la détermination de la garde de la chose invite à une analyse matérielle, en recherchant l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Ce n’est que dans un second temps que cet établissement se double d’une présomption pesant sur le propriétaire. L’analyse matérielle demeure prédominante, et n’est pas remise en cause par la présomption de garde, qui ne doit pas être surinterprétée. Il s’agit simplement d’un outil présent en la matière afin de favoriser la tâche de la victime, posé sur cette évidence que celui qui se sert d’une chose en est bien souvent son propriétaire. C’est d’ailleurs cette même évidence qui justifie pour une grande part l’interprétation de la condition relative au fait de la chose, qui, lorsqu’elle est en mouvement, est présumée avoir causé le dommage si elle a heurté la victime176, au contraire notamment de la chose inerte177.

11. Au bout du compte, il convient de ne pas donner à cette décision une portée exagérée : cet arrêt a uniquement interprété les conditions de fond d’un régime de manière à faciliter l’indemnisation d’une victime, révélant un raisonnement somme toute classique en responsabilité civile. Toutefois, on peut se demander si cette volonté indemnitaire n’a pas été à l’origine d’un oubli de la part de la Cour de cassation, puisqu’en dépit du comportement de l’enfant, aucun débat relatif à l’exonération du gardien de la chose n’a eu lieu, alors que la tournure des faits le permettait aisément.

II. L’absence de mise en œuvre de l’exonération pour faute de la victime

12. Si, du point de vue de l’établissement des conditions de la responsabilité, la décision commentée n’est pas critiquable, puisque l’on a bien voulu accepter au préalable tout le pragmatisme de la Cour de cassation, en revanche, l’absence de débat relatif à l’exonération pour faute de la victime est bien plus surprenante178. Sans doute les propriétaires auteurs du pourvoi ont omis d’y faire référence, emportés par leur seule réflexion relative à la garde de la chose. Mais déterminer le gardien d’une chose revient à établir une condition du fait générateur de responsabilité qu’est la responsabilité du fait des choses. Cela ne signifie pas, d’un point de vue causal, que ce gardien a été seul à l’origine du dommage subi par la victime. Si le fait générateur de responsabilité ne permettait pas aux propriétaires de la chose de se dégager, en l’espèce, de leur responsabilité, le lien de causalité, autre condition classique de la responsabilité civile, semblait proposer une telle échappatoire, manqué par les auteurs du pourvoi. Or, par le biais d’une confusion entre le fait générateur et le lien de causalité ou d’un oubli, ils n’ont pas considéré comme pertinent d’évoquer ce dernier.

13. Pourtant, le lien de causalité est classiquement présenté comme la condition de la responsabilité civile à laquelle les défendeurs peuvent avoir recours s’ils souhaitent s’exonérer. Schématiquement, ils vont tenter d’établir que le dommage subi par la victime n’a pas été causé par le fait générateur de responsabilité qui leur est opposé. L’une des causes d’exonération est la faute de la victime : le défendeur doit prouver que le dommage subi par la victime l’a été à cause de son comportement. S’il parvient à démontrer que le comportement de la victime a présenté les caractères de la force majeure, son exonération est totale. En revanche, s’il ne prouve que la commission par la victime d’une faute lors du dommage, faute qui a eu une influence causale sur le préjudice qu’elle subit mais qui ne présente pas les caractères de la force majeure, l’exonération qui lui est octroyée est simplement partielle : il n’indemnisera qu’une partie du préjudice subi, dans une proportion fixée souverainement par les juges du fond179.

14. Si l’exonération totale semblait hors de portée pour les propriétaires en l’espèce, tant il ne semble pas qu’il soit imprévisible et irrésistible pour un enfant de 11 ans d’atteindre un sous-sol qui semblait par ailleurs accessible, sans fermeture, le débat aurait pu avoir lieu sur une exonération partielle, impliquant pour rappel la démonstration d’une faute causale commise par la victime. En effet, il est relativement évident qu’il est fautif de s’approcher et de manipuler une arme, a fortiori pour la première fois. La faute de l’enfant était ainsi simple à établir en l’espèce, tout comme son caractère causal : si l’enfant n’avait pas pris l’arme pour la manipuler, il n’aurait pas subi ses différentes blessures.

15. Une exonération partielle pour faute de la victime semblait à portée de main pour les défendeurs. Ce d’autant plus qu’il serait erroné de penser que l’âge de l’enfant aurait pu enrayer cette logique, puisque l’exonération partielle pour faute de la victime peut affecter toute victime, quel que soit son âge, depuis que la capacité de discernement n’est plus une condition de la présence d’une faute civile180. Si, pris dans une logique indemnitaire bien compréhensible, certains auteurs appellent à une remise en cause de ce postulat181, il semble qu’il soit des plus justifiés au regard du fait que la faute civile s’apprécie de façon générale en droit français, qu’elle affecte le défendeur assigné sur le fondement de l’article 1240 du Code civil ou encore la victime, quel que soit alors le fait générateur de responsabilité. De plus, l’appréciation in abstracto de cette faute donne au juge une certaine latitude dans son établissement pour éviter qu’elle ne soit prise en compte de façon trop systématique, notamment lorsqu’elle est utilisée au titre de l’exonération et non dans l’établissement de la responsabilité civile182.

16. Cette possible exonération partielle en l’espèce démontre toute la cohérence du système de responsabilité du fait des choses et, plus largement, de responsabilité civile que nous connaissons. Si le comportement de la victime doit avoir un effet sur son indemnisation, c’est au stade exonératoire que cela doit se décider et non artificiellement, lors de l’établissement des conditions de la responsabilité, ce que les auteurs du pourvoi tentaient toutefois de faire par le biais de leur position concernant le gardien de la chose. À noter, pour finir, que la possible exonération partielle du gardien de la chose en l’espèce sera de manière générale plus difficile à envisager si le projet de loi de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 entre en vigueur, l’exonération partielle pour faute de la victime étant alors subordonnée à la démonstration d’une faute lourde en cas de dommage corporel183, signe d’une nouvelle conquête de la logique indemnitaire au sein de la réparation du préjudice corporel.

A. DUMERY

Des pas perdus aux roues à risques

À propos de Cass. 2e civ., 6 mai 2021, n° 20-14551 : le fauteuil roulant électrique d’une personne handicapée n’est pas un véhicule terrestre à moteur.

Le 11 février 2015, le sort cruel s’acharne sur une personne infirme moteur cérébral et souffrant d’une hémiplégie droite. Alors qu’elle circulait en fauteuil roulant motorisé, cette personne se retrouve impliquée dans un accident de la circulation.

L’assureur du conducteur à l’origine des blessures de la victime refuse de réparer l’intégralité de ses préjudices arguant de la commission d’une faute. La victime assigne alors l’assureur afin d’obtenir la réparation de l’intégralité de ses préjudices.

Se livrant à une interprétation extensive mais classique de la loi Badinter, les juges du fond ont considéré que le fauteuil électrique était un véhicule terrestre à moteur (VTAM) dès lors qu’il avait, au sens de l’article L. 211-1 du Code des assurances, « vocation à circuler de manière autonome ». La cour d’appel d’Aix-en-Provence s’inscrivait ainsi dans la droite ligne d’une interprétation extensive de la haute juridiction, qui à mesure de ses décisions tend à dresser un véritable inventaire à la Prévert des véhicules susceptibles d’être qualifiés de VTAM à l’instar des tondeuses autoportées, des voiturettes pour enfants, des engins de chantier… Mais dans cette affaire, la Cour de cassation semble opérer une rupture : « un fauteuil roulant électrique, dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985 ». Le message est clair.

On ne peut ignorer l’importance d’un tel choix : la qualification de VTAM, au-delà de l’application même du régime spécial prévu pour les accidents de la circulation, conduit inévitablement à mobiliser la distinction entre les victimes conductrices et non conductrices. Cette distinction critiquée, fruit du compromis de 1985, continue aujourd’hui encore de produire toute sa sévérité à l’égard de certaines victimes d’accident de la circulation qui, parce qu’elles sont considérées comme conductrices d’un VTAM, peuvent n’être que partiellement indemnisées en raison de leur faute simple alors qu’il faut établir une faute inexcusable pour les victimes non conductrices.

Cette décision doit être saluée, en ce qu’elle vise à ne pas faire peser de la sévérité sur les épaules d’une victime déjà touchée par le sort. Refuser de qualifier le fauteuil roulant de VTAM c’est finalement s’émanciper d’un critère jusqu’alors essentiel qu’est le moteur pour s’intéresser davantage à la personne, à son corps, et finalement au lien ténu qu’elle entretient avec cet engin qui lui permet de remplacer les pas qu’elle ne peut plus faire. La notion d’universalité de fait corporel pourrait ainsi offrir un autre regard sur la présente décision (I). Mais, dès lors, ces nouveaux horizons qui s’offrent à la qualification de VTAM invitent à réexaminer les catégories telles que pensées en 1985 et qui aujourd’hui semblent ne plus toujours être pertinentes pour accueillir avec équité la diversité des engins de déplacement. Ainsi, il faudrait souhaiter que cette décision invite le législateur à sa table de travail (II).

I. La défense louable d’un autre horizon pour l’interprétation : le fauteuil roulant, un élément de l’universalité de fait corporel et non un véhicule terrestre à moteur

A. Rééquilibrer par le droit les déséquilibres créés par la vie

Assurément, l’objectif poursuivi par la Cour de cassation est celui de la réparation du préjudice causé à une personne déjà en situation de handicap. Le ton est clairement donné dès le visa de la décision. En interprétant les dispositions de la loi de 1985 à la lumière des articles 1, 3 et 4 de la convention internationale des droits des personnes handicapées du 30 mars 2007, la Cour de cassation affirme une volonté de consacrer une interprétation spécifique de ces textes dans la perspective d’un soutien à la personne en situation de handicap184. Elle rappelle également, sentencieusement, que la loi de 1985 a « entendu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route, à savoir les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées, et celles en situation de handicap ». Si cela se manifeste par une situation particulièrement privilégiée conférée par la loi Badinter pour ces victimes non conductrices, la décision commentée opère un pas de plus en faveur de la protection des personnes handicapées puisqu’elle refuse de qualifier l’engin qui les déplace de VTAM.

L’objectif est louable. Afin de contribuer à rééquilibrer une injustice du sort, le droit mobilise ici le pouvoir de la fiction pour considérer qu’à défaut d’une liberté des foulées, les personnes handicapées doivent pouvoir circuler dans un fauteuil roulant y compris électrique sans changer de catégorie de victimes en cas d’accident : elles demeurent des victimes piétons. L’engin médical n’est alors que le prolongement de ce pas perdu et non pas un outil de confort susceptible de générer un risque supplémentaire pour l’ensemble des usagers comme pourrait l’être un cyclomoteur ou un véhicule automobile. Sortir le fauteuil roulant, y compris lorsqu’il est électrique de la catégorie des VTAM revient bien à considérer l’instrument médical comme un complément de la personne entravée par sa déficience physique. À cette analyse, on pourrait être tentés d’objecter que la vitesse du pas n’est pas toujours celle d’un fauteuil roulant électrique, qui peut être plus rapide. Si cette distinction est opérée par le Code de la route185, qui autorise la circulation sur les trottoirs – espace réservé aux piétons – aux fauteuils circulant à l’allure du pas186, la Cour de cassation ne retient pas la question de l’allure comme critère déterminant dans sa décision. Elle semble ainsi exclure la qualification de VTAM, peu important la vitesse de circulation du fauteuil roulant électrique. Après tout, la marche peut devenir course. Il n’est ainsi pas interdit au piéton de courir et de tenter de battre le record du monde d’Usain Bolt établi en 2009 à environ 43 km/h. L’allure du fauteuil électrique peut paraître bien limitée en comparaison d’un tel sportif lancé à vive allure sur l’asphalte.

B. Le fauteuil roulant, un élément de l’universalité de fait corporel

Pour expliquer et justifier cette décision, qu’il nous soit permis de mobiliser d’autres mécanismes juridiques que la Cour de cassation n’invoque pas expressément mais qui pourraient présenter un potentiel explicatif intéressant ici mais également pour d’autres situations. Il y a quelques années, la doctrine avait pu mobiliser une définition intéressante des prolongements médicaux de l’humain atteint dans ses facultés physiques. Ainsi la qualification de « personne par destination » fut proposée concernant des prothèses dentaires et ce, afin de justifier l’absence d’exercice d’un droit de rétention187. Aujourd’hui, l’article L. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution confère un caractère insaisissable aux « objets indispensables aux personnes handicapées », signe de leur indéniable particularité dans le monde des biens.

Plus proche de notre affaire et des problématiques relatives à la responsabilité civile, c’est à propos d’un chien d’aveugle que cette même qualification avait pu être mobilisée188. La réparation des préjudices devait alors obéir aux règles de la réparation des préjudices corporels, le chien étant finalement le prolongement de la personne humaine, une véritable « prothèse vivante » selon la qualification des juges lillois189.

Dans notre travail de doctorat, nous avions pu mobiliser un autre outil juridique afin de rattacher ces éléments au corps lui-même : l’universalité de fait190. Envisagée comme un tout, un contenant réunissant des choses hétérogènes, l’université de fait corporel peut ainsi accueillir des choses biologiques mais également des biens qui, se rattachant au corps, obéissent alors à son régime et pourraient faire l’objet d’une réparation au titre des règles applicables au préjudice corporel.

S’agissant de l’application de la loi Badinter, cela conduit à plusieurs remarques. La loi de 1985 retient une distinction importante entre la réparation des préjudices matériels et corporels, ces derniers bénéficiant d’une protection renforcée. Dès lors, une atteinte au fauteuil roulant, s’il est rattaché à l’universalité de fait corporel, conduirait à l’application d’un régime plus favorable pour la victime : au regard de la loi actuelle, cette atteinte serait indemnisée au titre des atteintes à la personne, le régime étant plus favorable que celui concernant les biens, et la faute de la victime ne pourrait que marginalement lui être opposée. Sur le premier point, rappelons que l’article 5 de la loi de 1985 soumet les dommages causés aux fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale aux règles applicables aux atteintes aux personnes. Le droit positif reconnaît donc déjà, sur ce point, la particularité de l’universalité de fait corporel.

Concernant la décision commentée il est permis de s’interroger : est-ce le dépassement du moteur comme élément essentiel de qualification qui doit être retenu ou finalement est-ce la particularité de ce véhicule rattaché à une personne en situation de handicap soit à l’universalité de fait qu’est son corps qui doit être prise en compte ?

Si l’on considère que l’engin intègre l’universalité de fait corporel et qu’il s’inscrit dans son périmètre, dès lors il n’est plus possible de le détacher de la personne. Il fait corps avec elle, opère par l’effet de la subrogation propre à l’universalité de fait un remplacement de l’usage des jambes191. Le critère permettant de qualifier un engin de VTAM ne serait donc plus uniquement le moteur mais la qualité du passager pourrait jouer un rôle important dans cette qualification. Pour la personne handicapée, grâce à l’universalité de fait, cette particularité pourrait pleinement se justifier. Le fauteuil n’est pas un VTAM puisqu’il est rattaché, par l’effet du droit, au corps lui-même.

La présente décision contribue à faire un pas de côté puisqu’elle s’émancipe de la présence du moteur pour rejeter la qualification de VTAM en présence d’un engin médical. Le premier pas ne nous dit rien pourtant du dernier ? Ne faut-il pas s’arrêter à cette seule catégorie d’usager au risque de multiplier les catégories et les inégalités ? Quoi qu’il en soit, cette décision invite à assouplir l’importance du critère de moteur voire à l’abandonner afin de repenser les catégories actuelles d’usagers, plus diverses et complexes sans doute qu’en 1985.

Car au-delà de cette décision, on a eu l’occasion de démontrer que le critère du moteur dans la qualification de VTAM n’est pas toujours pertinent192. Elle conduit aujourd’hui à opérer une distinction notamment entre les engins de déplacement personnel selon qu’ils circulent ou non grâce à l’aide d’un moteur, y compris peu puissant, alors même que leurs conditions de circulation sont identiques au regard du Code de la route. Le critère de qualification de VTAM, reposant sur l’existence d’un moteur propulsant de manière autonome la personne, conduit à opérer une distinction entre une trottinette par exemple, qui serait qualifiée de VTAM parce qu’elle a un moteur permettant un déplacement sans intervention de l’humain et un vélo électrique qui lui ne serait pas qualifié comme tel en l’absence d’une autonomie et d’une nécessaire action humaine. Pourtant, ces engins ne présentent-ils pas une dangerosité d’un niveau similaire ou approchant ? De même une distinction s’opère entre une trottinette électrique d’un côté et un cycle ou une trottinette sans moteur de l’autre. Le fauteuil électrique pour sa part, lorsqu’il circule à plus de 6 km/h ne peut pas circuler sur le trottoir mais dans ce cas, s’il est accueilli dans les voies cyclables, pourquoi ne pas lui appliquer le même régime que les trottinettes ?

Une réflexion d’ensemble s’impose. Il nous paraît dangereux de construire des catégories nouvelles, pierre après pierre, par le biais de la jurisprudence, à mesure que des intérêts catégoriels se présentent. Bien entendu, la protection de la personne en situation de handicap est plus que souhaitable. À l’heure où les prescriptions de la loi concernant l’accessibilité sont encore trop peu respectées, y compris dans des espaces publics où les installations rendent difficiles ou impossibles l’accès des personnes à mobilité réduite, leur offrir un égard particulier dans le cadre de la réparation des accidents de la circulation routière ne peut qu’être salué. Pour autant, cette protection et cette reconnaissance indirecte d’une universalité de fait corporel nécessitent comme d’autres points relatifs à la qualification et l’application de la loi Badinter une clarification de la part du législateur.

II. La réflexion nécessaire vers un autre horizon pour la réparation : l’attente d’une intervention du législateur pour clarifier les catégories actuelles de la loi de 1985

La technique d’interprétation aboutissant finalement à considérer le critère du moteur comme possible mais résiduel face à la situation de handicap nécessite une clarification législative. D’autres avant nous, commentant cette décision, ont pu regretter que la réforme de la responsabilité civile telle qu’envisagée actuellement ne laisse pas de place à l’étude de la loi de 1985193.

Si la question pouvait toutefois être intégrée dans l’agenda parlementaire, plusieurs options pourraient être envisagées. Deux pistes seront ici suggérées.

A. L’abandon de la distinction entre les victimes conductrices et les victimes non conductrices

Dans l’hypothèse d’une réforme, une première option radicale, s’appliquant à l’ensemble des usagers, consisterait à supprimer la distinction entre les victimes conductrices et non conductrices. La qualification de VTAM n’aurait alors plus de conséquence sur la prise en considération de la faute de la victime, ce qui, comme en témoigne la présente décision, pèse incontestablement dans la balance des juges. Cette qualification conserverait toutefois son importance pour déterminer le droit applicable à savoir le droit spécifique des accidents de la circulation ou le droit commun.

B. La consécration d’un statut particulier pour la personne en situation de handicap

Une autre voie de réflexion consisterait à s’intéresser à la place particulière que le droit souhaite réserver aux personnes en situation de handicap. En effet, la présente solution semble accueillie favorablement par la doctrine, car il était en l’espèce question de limiter la réparation d’une victime handicapée, ce qui peut paraître particulièrement choquant. Mais inversons un instant la situation : si la personne circulant en fauteuil roulant est responsable d’un accident de la circulation, le refus de qualification de VTAM conduit alors à priver sa ou ses victimes piétonnes de la mise en œuvre de la loi Badinter. Doit-on dès lors envisager une qualification à géométrie variable selon que la personne handicapée est responsable ou victime de l’accident194 ? Une telle conception, à notre sens, conduirait à rendre peu lisibles les obligations des uns et des autres. Mais il faut par ailleurs avoir à l’esprit que le refus de qualification de VTAM pour le fauteuil roulant, sous couvert d’une protection des personnes en situation de handicap, pourrait priver d’autres personnes, peut-être également vulnérables, de par leur âge ou leur handicap, de l’application du régime favorable prévu par la loi de 1985.

En outre, si le fauteuil roulant n’est pas un VTAM, si la personne circulant grâce à son mouvement est un piéton, cette dernière n’est pas soumise à une obligation d’assurance. Sur ce point, dans une réponse parlementaire, la délégation à la sécurité et à la circulation routière du ministère de l’Intérieur avait souligné la particularité des fauteuils roulants électriques et considéré que l’obligation d’assurance de ces engins pouvait être remplie par la souscription d’une assurance multirisques habitation ou toute assurance de responsabilité civile qui couvrirait les personnes ayant la garde du véhicule195. Mais cette réponse s’inscrivait dans le postulat que le fauteuil roulant était un VTAM et donc soumis à une assurance obligatoire. Quid de la pertinence de cette réponse à la lumière de cette nouvelle jurisprudence ? En l’absence d’assurance obligatoire, il faudrait donc veiller à la solvabilité des responsables en cas d’accident entre des personnes non conductrices.

Toutes ces interrogations et ces remarques témoignent du poids de cette décision sur l’ensemble du régime de la réparation des accidents de la circulation. Et une telle évolution doit être inscrite dans le marbre de la loi. On pourrait alors envisager de consacrer un statut particulier pour la personne en situation de handicap dans le cadre de la loi Badinter et refuser de qualifier de VTAM les engins qui constituent un prolongement de la marche rendue impossible. Restera, comme toujours, à apprécier les frontières ténues entre ce qui relève du remplacement du pas perdu et ce qui relève de l’utilisation d’un véhicule classiquement affecté à la catégorie des VTAM. Ainsi une personne dont la mobilité est réduite et qui emprunte un véhicule automobile adapté ou encore insère son fauteuil roulant dans un engin assimilable à un cyclomoteur sera considérée comme une conductrice de VTAM en cas d’accident196. Mais dans quelle catégorie classer certains usages tels que celui proposé par la start-up OMNI qui offre aux personnes circulant en fauteuil roulant non électrique la possibilité de l’adapter sur une trottinette électrique197 ? S’agit-il d’un VTAM car intégré à un engin qualifié pour les personnes valides de VTAM198 ou faut-il refuser cette qualification en considérant que la trottinette remplace le pas et qu’elle est un élément de l’universalité de fait corporel ? La fondatrice de OMNI explique qu’il s’agit pour elle de l’aboutissement d’un rêve d’enfant permettant aux personnes handicapées de circuler en trottinette électrique comme les personnes valides. Pour autant, serait-il justifié d’opérer une distinction entre les personnes ayant les moyens et/ou le handicap permettant d’acheter et d’utiliser un fauteuil électrique et celles qui se cantonnent à adapter un fauteuil sur une trottinette ? Une fois encore la différence de traitement est douteuse dès lors que les conditions de circulation sont analogues et la dangerosité approchante.

La réflexion pourrait sans doute s’articuler autour d’un critère clairement visé par la Cour de cassation dans cette décision : c’est parce qu’il est « un dispositif médical » que la deuxième chambre exclut le fauteuil électrique de la catégorie des VTAM. Il convient alors pour déterminer ce caractère médical de se référer à la liste des dispositifs médicaux reconnus par la sécurité sociale dans la liste des produits et des prestations susceptibles d’une prise en charge. Dans le titre 4 de cette liste, la partie dédiée aux fauteuils roulants comporte l’inventaire des différents véhicules pris en charge pour les personnes qui bénéficient d’une ordonnance à ce titre. À la lecture de la décision de la haute juridiction, il apparaît clairement qu’il n’est pas question de sortir du champ de la qualification de VTAM un engin qui serait utilisé pour des convenances personnelles non médicales ou pour l’amusement. La question qui se pose est finalement de savoir si, dans l’hypothèse d’une déficience reconnue et d’un besoin médical, tous les engins utilisés par des personnes en situation de handicap pourraient être exclus de la catégorie des VTAM ou s’il faut se limiter à la liste des engins reconnus par la sécurité sociale dans le cadre de sa prise en charge.

Le fauteuil remplace le pas dont est privée la personne handicapée mais l’imagination est sans limites. Quel engin pourrait-on envisager demain pour un usage similaire ? L’abondance des questions surgissant dans ces dernières lignes nous permet donc de conclure sur une certitude : une réflexion sur la qualification de VTAM et plus généralement sur les catégories de victimes au sein de la loi Badinter doit être rapidement engagée par le pouvoir législatif. Finalement, si le critère du moteur était pertinent en 1985 pour opérer une distinction entre les usagers plus vulnérables et moins vulnérables, il ne semble plus que ce critère soit toujours efficient et équitable. Engager la discussion s’impose même si, on le consent, le choix de nouveaux critères ne sera pas chose aisée.

A. MÂZOUZ

Notes de bas de pages

  • 1.
    La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 et la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 ont été modifiées par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, publiée au JO n° 0072.
  • 2.
    Premier ministre, instr. n° 6149/SG, 18 mars 2020, portant décisions prises pour lutter contre la diffusion du Covid-19 en matière de contrôle aux frontières.
  • 3.
    Premier ministre, instr. n° 6239/SG, 29 déc. 2020, portant mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
  • 4.
    Sept pays étaient alors visés exhaustivement.
  • 5.
    V. not. CE, ass., 21 déc. 2012, n° 353856, Groupe Canal Plus, Vivendi Universal : Lebon, p. 446.
  • 6.
    S. Roussel, « Le contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence administrative », AJDA 2021, p. 780.
  • 7.
    C. Roulhac, « La mutation du contrôle des mesures de police administrative », RFDA 2018, p. 343.
  • 8.
    CE, ord., 13 juill. 2020, nos 441449, 441552 et 441771, Sté Plaza MAD et a.
  • 9.
    CE, ord., 16 oct. 2020, nos 445102, 445186, 445224 et 445225, Sté LC Sport et a. : « Les salles de sport sont, à la lumière des avis précités et au regard des connaissances scientifiques actuelles, des lieux de propagation active du virus SARS-CoV-2, y compris pour les activités individuelles et sans contact, compte tenu de leur caractère clos, de la dispense de port du masque lors de la pratique sportive, du risque accentué d’aérosolisation lié à l’effort physique et, enfin, d’une fréquentation dominée par des jeunes adultes chez lesquels le taux d’incidence est plus élevé alors que l’absence fréquente de symptômes, notamment juste après la contamination, c’est-à-dire, lorsque l’identification des cas contacts serait la plus pertinente, rend difficile l’identification, dans ces salles, de “clusters” ».
  • 10.
    Ce critère a souvent justifié les mesures de police fermant ou restreignant l’ouverture des espaces clos.
  • 11.
    En l’espèce, ce risque était faible puisque les personnes demandant un visa dans le cadre de la procédure de regroupement familial ou de réunification familiale n’ont pas vocation à effectuer des allers-retours mais bien à s’installer sur le territoire français.
  • 12.
    CE, 19 mai 1933, nos 17413 et 17520, Sieur Benjamin et Syndicat d’initiative de Nevers : Lebon, p. 541.
  • 13.
    Déf. droits, déc. n° 2020-193, 17 déc. 2020, Observations devant le juge des référés du Conseil d’État en application de l’article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au défenseur des droits, p. 8 : « Au vu de l’importance des droits en cause, (…), aucun critère objectif ne permet en effet de considérer que le rapprochement familial serait un déplacement moins “essentiel” que le déplacement pour études et stages ou encore pour motif professionnel. »
  • 14.
    Une telle situation posait d’ailleurs une particulière difficulté au regard de l’impératif de célérité prévue à l’ancien article L. 752-1 du CESEDA en ce qui concerne la famille de réfugiés (CESEDA, art. L. 561-5 nouv.).
  • 15.
    Déf. droits, déc. n° 2020-193, 17 déc. 2020, p. 9 : « Le défenseur des droits a ainsi pu prendre connaissance d’une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes saisi de la situation d’une famille bénéficiaire de la procédure de regroupement familial qui n’arrivait pas à obtenir de visa compte tenu des restrictions d’entrées actuellement mises en place par le gouvernement français (ordonnance du 16 novembre 2020, TA de Nantes, n° 2010882). Il en ressort que, quelques jours avant la date d’audience, le ministre de l’Intérieur a donné pour instruction aux autorités consulaires françaises à Alger de procéder à la délivrance des visas de long séjour sollicités, ce qui a conduit le juge des référés à ordonner un non-lieu à statuer et une condamnation de l’État à verser la somme de 500 € à cette famille. La saisine du juge des référés a donc permis la réunion de cette famille algérienne sur le territoire français. Depuis cette saisine du juge des référés, plus d’une centaine de référés ont été déposés par des familles bénéficiaires de procédures de rapprochement familial (réunification et regroupement familial), ce qui a pour effet d’engorger fortement la juridiction nantaise. D’après les informations recueillies par les services du défenseur des droits, toutes ces requêtes se seraient jusqu’à présent soldées par des non-lieux, le ministère de l’Intérieur ayant systématiquement donné instruction aux autorités consulaires de délivrer les visas sollicités avant les dates d’audience programmées devant le juge ».
  • 16.
    J.-M. Pontier, « La balance des intérêts », AJDA 2021, p. 1309.
  • 17.
    CEDH, 10 juill. 2014, n° 52701/09, Mugenzi c/ France, § 54 : « La Cour rappelle que l’unité de la famille est un droit essentiel du réfugié et que le regroupement familial est un élément fondamental pour permettre à des personnes qui ont fui des persécutions de reprendre une vie normale ».
  • 18.
    Conv. int. des droits de l’enfant, art. 3.
  • 19.
    D’abord principe général du droit (CE, 8 déc. 1978, nos 10097, 10677 et 10679, GISTI et a. : Lebon, p. 493), le principe a valeur constitutionnelle depuis la décision n° 93-325 DC, loi relative à la maitrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France : Lebon, p. 224.
  • 20.
    L. n° 2020-290, 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : JO, 24 mars 2020.
  • 21.
    Déf. droits, Rapport annuel d’activité 2020, mars 2021.
  • 22.
    CASF, art. L. 131-1.
  • 23.
    CSS, art. R. 514-1.
  • 24.
    CASF, art. L. 146-3.
  • 25.
    CASF, art. L. 312-1, 11°.
  • 26.
    Cons. const., 25 juill. 1979, n° 79-105.
  • 27.
    CASF, art. L. 232-6 et s.
  • 28.
    CASF, art. L. 245-1 et s.
  • 29.
    Pour la composition exacte, v. CASF, art. R. 241-24.
  • 30.
    CASF, art. L. 241-6.
  • 31.
    Cette pratique a été légalisée par l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-1553 du 9 décembre 2020 prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : JO, 10 déc. 2020.
  • 32.
    CSS, art. R. 821-5.
  • 33.
    CASF, art. L. 251-1.
  • 34.
    Ord. n° 2020-312, 25 mars 2020, relative à la prolongation de droits sociaux : JO, 26 mars 2020 – et ord. n° 2020-1553, 9 déc. 2020, prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : JO, 10 déc. 2020.
  • 35.
    CSS, art. L. 541-1 et s.
  • 36.
    CASF, art. L. 241-3 et s.
  • 37.
    CSS, art. L. 861-1 et s.
  • 38.
    CASF, art. L. 262-2 et s.
  • 39.
    A. Brunner et L. Maurin, Rapport sur la pauvreté en France 2020-2021, Observatoire des inégalités, nov. 2020.
  • 40.
    DREES, Plus de deux millions d’allocataires du RSA fin octobre 2020, Études et Résultats, déc. 2020.
  • 41.
    https://lext.so/FpBXUE.
  • 42.
    D. n° 2020-769, 24 juin 2020, portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire aux jeunes de moins de 25 ans les plus précaires : JO, 25 juin 2020.
  • 43.
    https://lext.so/nAqSWr.
  • 44.
    C. trav., art. L. 5131-1 et s.
  • 45.
    D. n° 2021-664, 26 mai 2021, relatif à la garantie jeunes : JO, 28 mai 2021.
  • 46.
    C. trav., art. L. 5423-1 et s.
  • 47.
    D. n° 2010-458, 6 mai 2010, instituant à titre exceptionnel une allocation équivalent retraite pour certains demandeurs d’emploi : JO, 7 mai 2010.
  • 48.
    D. n° 2020-519, 5 mai 2020, portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire aux ménages les plus précaires : JO, 6 mai 2020.
  • 49.
    CSS, art. L. 542-1 et s.
  • 50.
    DREES, Minima sociaux et prestations sociales, Ménages aux revenus modestes et redistribution, 2020, p. 300.
  • 51.
    D. n° 2020-985, 5 août 2020, relatif à la majoration exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire en 2020 : JO, 6 août 2020.
  • 52.
    CASF, art. L. 262-27.
  • 53.
    Fondation Abbé Pierre, Les difficultés rencontrées par les ménages pour l’accès à un travailleur social et un accompagnement social en période de crise, v. https://lext.so/1uE9sd.
  • 54.
    D. n° 2005-212, 2 mars 2005, relatif aux fonds de solidarité pour le logement : JO, 4 mars 2015.
  • 55.
    Déf. droits, Rapport annuel d’activité 2020, mars 2021.
  • 56.
    I. Jariaille, « France Services prend le bus et gagne en proximité », Gazette des communes 6 mai 2021, p.48.
  • 57.
    La proposition de loi a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2021.
  • 58.
    Accord national professionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail, 9 déc. 2020. Cet ANI a été signé par l’ensemble des organisations patronales et syndicales à l’exception de la CGT.
  • 59.
    C. Lecocq, B. Dupuis et H. Forest, rapp., Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée, fait à la demande du Premier ministre, août 2018.
  • 60.
    Mme Parmentier-Lecocq a notamment porté une proposition de résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 22 juin 2020 par laquelle les députés de la majorité s’étaient engagés à légiférer avant la fin de la législature sur la réorganisation de la gouvernance et du fonctionnement des institutions en charge de la santé au travail. Elle travaillait à cette fin à la rédaction d’une proposition de loi, qu’elle a néanmoins suspendue dans l’attente des résultats de la négociation interprofessionnelle, puis a déposé la présente proposition de loi.
  • 61.
    « L’ANI a bénéficié de circonstances malheureusement favorables avec la crise pandémique. Il a aussi bénéficié de l’accord rencontré par les partenaires sociaux sur le télétravail. Les obstacles qui existaient en juillet 2019 ont ainsi disparu et ont permis un accord dont tout le monde se félicite. » : P. Garabiol, secrétaire général du conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), rapp. Sénat n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/cT12U7.
  • 62.
    TJ Nanterre, ord., 14 avr. 2020, n° 20/00503 ; CA Versailles, 24 avr. 2020, n° 20/01993.
  • 63.
    S. Artano, rapporteur à la commission des affaires sociales du Sénat, rapp. Sénat, n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/cT12U7.
  • 64.
    F. Héas, « Un ANI sur la santé au travail, pour quoi faire ? », Dr. soc. 2021, p. 253.
  • 65.
    Après engagement de la procédure accélérée par le gouvernement.
  • 66.
    Article 29 de la loi. Cette date d’entrée en vigueur s’impose en principe, sauf disposition contraire dans la loi.
  • 67.
    Soulignons à ce titre que les parlementaires ont souhaité compléter l’article L. 4121-3 du Code du travail afin que soit expressément rappelée l’obligation de l’employeur d’évaluer les risques pour la santé résultant de l’organisation du travail. En revanche, a été écartée, à juste titre, la tentation d’introduire une liste des risques professionnels, dans la lignée de l’ANI (v. § 1.2.1.1), dans la crainte d’une interprétation limitative.
  • 68.
    Document d’orientation, Négociation sur l’amélioration de la santé au travail, juin 2020.
  • 69.
    V. Le Blan-Delannoy, « Prévention des risques professionnels : de quelques enjeux d’une réforme de la santé au travail », in chronique « Droit et risque n° 12 (3e partie) », LPA 21 avr. 2021, n° 160j8, p. 13.
  • 70.
    C. Fabre, DP AN, 15 févr. 2021, https://lext.so/rKafS2.
  • 71.
    ANI, § 1.2.1.2.
  • 72.
    L. Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail, DP Sénat, 5 juill. 2021, https://lext.so/UdO5pS.
  • 73.
    C. Fabre, DP AN, 15 févr. 2021, https://lext.so/rKafS2.
  • 74.
    La perspective d’un accompagnement des entreprises dans leur démarche d’évaluation des risques, auquel tendent tant l’ANI que la loi, aura probablement rassuré (v. supra).
  • 75.
    Une mise à jour du document unique doit être réalisée au moins chaque année, lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l’article L. 4612-8 du Code du travail, et lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie : C. trav., art. R. 4121-2.
  • 76.
    C. trav., art. L. 4121-3, al. 3.
  • 77.
    « Une comparaison entre les petites et les grandes entreprises secteur par secteur indique que leurs niveaux de risques sont semblables. Ces risques dépendent davantage du type d’activités que de la taille des entreprises. Autrement dit, leur niveau de risque n’a rien à voir avec leur taille » : Comm. UE, communication au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, relative à la mise en œuvre des dispositions des directives sur la santé et la sécurité au travail, 5 févr. 2004, p. 26.
  • 78.
    V. Caron, X. Delassault et A.-L. Dodet, « Les autres dispositions de la loi Warsmann », SSL, n° 1535, p. 2.
  • 79.
    V. Caron, X. Delassault et A.-L. Dodet, « Les autres dispositions de la loi Warsmann », SSL, n° 1535, p. 2.
  • 80.
    S. Artano et P. Gruny, rapporteurs, rapp. Sénat, n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/vlGc7D. V. également CE, avis, 4 févr. 2021, n° 401.872, pt 20.
  • 81.
    Leur choix s’opère dans le respect des principes généraux de prévention énoncés à l’article L. 4121-2 du Code du travail.
  • 82.
    La planification « consiste à intégrer “dans un ensemble cohérent” des éléments d’ordre technique, organisationnel et humain ; il s’agira de tenir compte de l’interaction de ces éléments, au regard des situations de travail » : DRT, circ. n° 6, 18 avr. 2002, prise pour l’application du décret n° 2001-1016 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, p. 15.
  • 83.
    Sans nier qu’en pratique, on rencontre aussi des documents uniques dans lesquels le plan d’action est intégré bien que la législation actuelle ne l’impose pas.
  • 84.
    « S’agissant du caractère universel du programme annuel de prévention (…), il n’y a ni accord ni désaccord des partenaires sociaux, puisqu’ils n’en ont pas débattu. » : P. Garabiol, secrétaire général du conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), rapp. Sénat n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/cT12U7.
  • 85.
    La loi renforce les exigences tenant au programme. Le nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail précise que le programme annuel doit fixer la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir avec, pour chaque mesure, ses conditions d’exécution et l’estimation de son coût (reprenant en cela l’actuel article L. 2312-27 du Code du travail) ainsi que des indicateurs de résultat (exigence introduite à l’initiative du Sénat afin de renforcer la dimension stratégique et opérationnelle du programme), identifier les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées, et comprendre un calendrier de mise en œuvre (en s’inspirant ici de l’ANI).
  • 86.
    C. trav., art. L. 2312-27.
  • 87.
    « (…) Il est important que les 80 % des salariés qui travaillent dans des petites et moyennes entreprises (PME) de moins de 50 salariés bénéficient du programme de prévention de l’entreprise. Nous avons bien conscience des difficultés que cela peut entraîner pour les plus petites entreprises, mais c’est tout le sens de ce texte (…) Nous préférons donc que les entreprises soient accompagnées plutôt que réduire les actions de prévention pour les salariés concernés. » : C. Parmentier-Lecocq, rapporteure, rapp. AN n° 3881, 11 févr. 2021, https://lext.so/vyL7wM. Cette position a été réitérée avec fermeté lors des débats devant l’Assemblée nationale.
  • 88.
    « Enfin, le Code du travail permet déjà au gouvernement de simplifier par décret les mesures de mise à jour du document unique pour les TPE. Par conséquent, je vous invite à rejeter ces amendements et à inviter le gouvernement à faire paraître ce décret dans les délais les plus brefs pour simplifier la vie des TPE et PME sans renoncer à l’objectif de prévention. » : C. Parmentier-Lecocq, rapporteure, DP AN, 15 févr. 2021, https://lext.so/rKafS2.
  • 89.
    « Je me dois toutefois de souligner les interrogations soulevées par certaines dispositions (…). Je pense notamment à la prise en compte des particularités des TPE-PME concernant le programme de prévention. L’enjeu pour celles-ci, c’est la réalisation et le suivi du document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter de nouvelles contraintes. » : L. Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail, DP AN, 15 févr. 2021, https://lext.so/rKafS2.
  • 90.
    C. trav., art. L. 4121-2.
  • 91.
    S. Artano et P. Gruny, rapporteurs, rapp. Sénat n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/vlGc7D.
  • 92.
    « Toutefois, il convient de tenir compte du fait que les entreprises de moins de 50 salariés, tout particulièrement les TPE, ne disposent pas des ressources internes leur permettant d’établir un programme d’une telle complexité : leur imposer cet exercice ne fera que renforcer la perception d’une évaluation des risques professionnels vue comme une contrainte administrative plutôt que comme une incitation à l’action. » : S. Artano et P. Gruny, rapporteurs, rapp. Sénat n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/vlGc7D ; « La question est celle du formalisme : ni le boulanger d’Armentières ni ceux des territoires que vous représentez ne disposent (…) d’un staff chargé des ressources humaines qui pourra élaborer un programme de prévention des risques professionnels. Font-ils de la prévention opérationnelle avec leurs collaborateurs ? La réponse est oui : ils en font tous les jours. Doivent-ils progresser dans la rédaction du document unique ? La réponse reste positive car on voit bien qu’une TPE sur deux n’en dispose pas. (…) Notre objectif est cependant de ne pas ajouter, pour ces entreprises, une couche supplémentaire de formalisme administratif, mais de protéger de manière opérationnelle la santé des travailleurs qu’elles emploient » : L. Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail, DP AN, 15 févr. 2021, https://lext.so/rKafS2.
  • 93.
    Ne serait-ce que le temps de l’appropriation de la démarche par les TPE/PME et de l’acquisition d’une culture de la prévention, avant de franchir l’étape supplémentaire d’une inscription d’un plan d’action suffisamment précis dans le DUERP ? On pourrait alors comprendre cette politique des « petits pas ». Mais l’expérience en matière d’évaluation des risques témoigne aussi du risque que les entreprises s’en tiennent au minimum exigé dans le DUERP sans réelle prise de conscience de leur obligation et de la nécessité de construire un véritable plan d’action.
  • 94.
    La mention qui figurait initialement au premier alinéa de l’article L. 4121-3-1 selon laquelle « le document unique d’évaluation des risques professionnels (…) comprend les actions de prévention et de protection qui en découlent, regroupées dans un programme annuel de prévention » ayant été supprimée par le Sénat, il ne subsiste aucune référence expresse à l’intégration du programme annuel dans le DUERP.
  • 95.
    Durant les débats, le principe même de l’intégration du programme dans le DUERP n’a jamais été contesté. Les discussions n’ont porté que sur l’étendue des obligations susceptibles d’être mises à la charge des entreprises de moins de 50 salariés. Le rapport de la commission mixte paritaire témoigne de ce que le principe en était acquis : « Nous avons longuement discuté des modalités d’intégration, à l’article 2, du programme annuel de prévention dans le document unique d’évaluation des risques professionnels. Le Sénat a introduit une souplesse pour les entreprises de moins de 50 salariés afin d’éviter un formalisme trop grand qui aurait nui à l’effectivité de la mesure. Nous avons abouti à une solution commune satisfaisante, prévoyant l’intégration de la liste d’actions de prévention des risques et de protection des salariés que devra dans tous les cas dresser l’employeur dans une TPE-PME dans le document unique, sans que celui-ci soit pour autant contraint aux mêmes obligations formelles que les entreprises de plus de 50 salariés. » (C. Parmentier-Lecocq, rapporteure pour l’Assemblée nationale). De même lors de l’adoption définitive du texte, a-t-il été rappelé que le DUERP « devra comprendre un programme d’action prospective en matière de santé et de sécurité au travail – allégé pour les entreprises de moins de 50 salariés –, ce qui permettra d’ancrer l’action de toutes les entreprises dans une culture de l’évaluation des risques et de l’anticipation » (C. Parmentier-Lecocq, rapporteure pour l’Assemblée nationale, DP AN, 23 juill. 2021, https://lext.so/Z7LgmM) et que « le document unique d’évaluation des risques professionnels deviendra bientôt la pierre angulaire de cette prévention, la référence stratégique permettant de recenser les risques internes à l’entreprise et les actions que celle-ci doit mettre en œuvre pour les pallier » (M.-P. Richer, DP Sénat, 20 juill. 2021, https://lext.so/ef2-QP).
  • 96.
    S. Fantoni-Quinton, « L’absence de traçabilité des expositions aux cancérogènes : une aubaine pour les employeurs ? », RDSS 2018, p. 605.
  • 97.
    À cette fin, l’ANI encourage les entreprises à adopter une version numérique du DUERP.
  • 98.
    « Le document unique d’évaluation des risques professionnels répertorie l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions. »
  • 99.
    C. trav., art. L. 4121-3-1 nouv., dernier alinéa.
  • 100.
    À compter du 1er juillet 2023, pour les entreprises d’au moins 150 salariés ; et en deçà, à des dates fixées par décret en fonction de l’effectif et au plus tard au 1er juillet 2024.
  • 101.
    ANI, § 1.1.5.
  • 102.
    ANI, § 1.2.4.2.
  • 103.
    ANI, § 1.2.1.2.
  • 104.
    La CFE-CGC se trouve à l’initiative de cet amendement. La reconnaissance d'une obligation de consultation des représentants du personnel faisait déjà partie des propositions du rapport Verkindt, Les CHSCT au milieu du gué, rendu en 2014, et avait été préconisée de longue date par une partie de la doctrine (V. Caron, « Quel bilan pour le document unique ? », SSL suppl., n° 1232, p. 72).
  • 105.
    L’ANI énonce de manière plus large et plus évasive que les représentants du personnel doivent participer activement à la politique de prévention des risques ou encore que la mise en place d’un « dialogue social renforcé » suppose que la prévention « puisse être abordée plus largement » au sein du CSE (§ 1.2.4.2). La consultation du CSE sur le document unique participe incontestablement de ces objectifs mais elle n’a pas été précisément souhaitée par les partenaires sociaux.
  • 106.
    Cass. soc., 12 mai 2021, n° 20-17288, FS-P : JSL, n° 522, note M. Hautefort ; BJT juill. 2021, n° 200h3, p. 30, note C. Mariano – Cass. soc., 12 mai 2021, n° 20-20971, NP. La solution, dégagée par application des dispositions relatives au CHSCT toujours applicables à l’entreprise considérée (La Poste), est transposable au CSE.
  • 107.
    Il est difficile de déterminer si les partenaires sociaux avaient à l’esprit de nouvelles modalités d’association du CSE à l’analyse des risques opérée et retranscrite par l’employeur dans le document unique, ou s’ils entendaient plus simplement évoquer la mission des représentants du personnel de procéder à l’analyse des risques auxquels peuvent être exposés les travailleurs, de longue date intégrée dans le Code du travail, et dont il est fait un rappel un peu plus loin dans l’accord (§ 1.2.4.2).
  • 108.
    L’article L. 2312-9 du Code du travail relève de la section définissant les attributions du CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
  • 109.
    Rapp. AN n° 3881, 11 févr. 2021, https://lext.so/vyL7wM.
  • 110.
    ANI, § 1.1.5.
  • 111.
    Partant de l’alinéa de l’article L. 4121-3 du Code du travail prévoyant la contribution du CSE à l’analyse des risques sans distinction selon la taille de l’entreprise, l’Assemblée nationale y a simplement rajouté cette obligation de droit à consultation.
  • 112.
    C. trav., art. L. 4121-3 mod. : « (…) Apportent leur contribution à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise : 1° Dans le cadre du dialogue social dans l’entreprise, le comité social et économique et sa commission santé, sécurité et conditions de travail, s’ils existent, en application du 1° de l’article L. 2312-9. Le comité social et économique est consulté sur le document unique d’évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour ; (…) ».
  • 113.
    C. trav., art. R. 4121-3.
  • 114.
    C. trav., art. R. 2312-8 et C. trav., art. R. 2312-9. Notons que l’article R. 2312-8 opère toujours un renvoi à l’article L. 4612-2 pourtant abrogé depuis la fusion des IRP, en lieu et place de l’article L. 2312-9 du Code du travail, tout comme l’article R. 4121-3 du Code du travail renvoie à l’ancien article L. 4612-16 (devenu C. trav., art. L. 2312-27).
  • 115.
    V. P.-Y. Verkindt, « Le rôle des instances de représentation du personnel en matière de sécurité », Dr. soc. 2007, p. 697, et rapp., Les CHSCT au milieu du gué, 33 propositions en faveur d’une instance de représentation du personnel dédiée à la protection de la santé au travail, 28 févr. 2014, p. 7.
  • 116.
    TJ Paris, ord., 9 avr. 2020, n° 20/52223 ; TJ Le Havre, ord., 7 mai 2020, n° 20/00143 ; TJ Nanterre, ord., 14 avr. 2020, n° 20/00503 ; et CA Versailles, 24 avr. 2020, n° 20/01993 ; TJ Lyon, ord., 22 juin 2020, n° 20/00701.
  • 117.
    V. supra.
  • 118.
    La présence, à la supposer effective, du médecin du travail ou sur délégation d’un membre de l’équipe pluridisciplinaire (C. trav., art. L. 2314-3) peut à ce titre se révéler fort utile. La participation à la réunion du salarié compétent désigné devrait également pouvoir être admise sur le fondement de cette même disposition.
  • 119.
    G. Bossy et A. Janin, « Covid-19 ou pas : la mise à jour du DUER ne nécessite pas la consultation du CSE », SSL, n° 1915, p. 9.
  • 120.
    ANI, § 1.2.1.2.
  • 121.
    BJT juill. 2021, n° 200h3, p. 30, note C. Mariano. La finalité première reste en effet la mise en œuvre des mesures de prévention nécessaires.
  • 122.
    BJT juill. 2021, n° 200h3, p. 30, note C. Mariano.
  • 123.
    V. not. S. Fantoni-Quinton, « Les sirènes de la simplification au détriment de la prévention ? », SSL n° 1862, p. 5.
  • 124.
    P.-Y. Verkindt, rapp., Les CHSCT au milieu du gué, 33 propositions en faveur d’une instance de représentation du personnel dédiée à la protection de la santé au travail, 28 févr. 2014, p. 7.
  • 125.
    Ce qui n’empêche en rien la critique. Mais cela suppose effectivement que les représentants du personnel sortent « du schéma classique de consultation issu du Code du travail ; c’est-à-dire, “je suis favorable” ou “je suis défavorable” et je transmets un avis à l’employeur qui in fine fera ce qu’il entend. » (H. Lanouzière, « Une montée en compétence réciproque et symétrique des partenaires sociaux », SSL, n° 1760, p. 4).
  • 126.
    C. trav., art. L. 2315-18 mod. : tout membre de la délégation du personnel bénéficiera d’une formation d’une durée minimale de cinq jours lors du premier mandat et de trois jours en cas de renouvellement du mandat quelle que soit la taille de l’entreprise. Les membres de la CSSCT des entreprises d’au moins 300 salariés disposeront toutefois en cas de renouvellement d’une nouvelle formation d’au minimum cinq jours. Rappelons que cette formation a pour objet de développer leur aptitude à déceler et à mesurer les risques professionnels et leur capacité d’analyse des conditions de travail, ainsi que de les initier aux méthodes et procédés à mettre en œuvre pour prévenir les risques professionnels et améliorer les conditions de travail (C. trav., art. R. 2315-9)
  • 127.
    C. trav., art. L. 2312-5, al. 2 mod.
  • 128.
    Dans le prolongement du refus du législateur, sous impulsion du Sénat, d’imposer aux entreprises de moins de 50 salariés l’élaboration et l’intégration dans le document unique d’un programme annuel de prévention des risques professionnels.
  • 129.
    C. trav., art. L. 4644-1. Y est prévu que le salarié compétent qui aurait été désigné s’occupe des activités de protection et de prévention des risques professionnels, formule générale et certes relativement vague empruntée au droit communautaire mais qui ouvre la voie à une aide à l’évaluation des risques.
  • 130.
    C. trav., art. R. 4623-1 et C. trav., art. R. 4624-1 : rôle de conseil du médecin du travail grâce à sa participation à l’évaluation des risques dans le cadre de l’élaboration de la fiche d’entreprise et dans le cadre de l’action sur le milieu de travail qu’il mène avec l’appui de l’équipe pluridisciplinaire, et qui comprend notamment l’identification et l’analyse des risques professionnels.
  • 131.
    DRT, circ. n° 6, 18 avr. 2002.
  • 132.
    ANACT, OPPBTP, INRS et CARSAT.
  • 133.
    V. Caron, « Quel bilan pour le document unique ? », SSL suppl., n° 1232, p. 72.
  • 134.
    À l’initiative de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, a été déployé l’outil OiRA, application sectorielle d’aide à la réalisation du document unique dans les TPE. L’OPPBTP a mis en place monDocunique Prem’s, service en ligne d’aide à la réalisation du document unique destiné plus particulièrement aux entreprises du BTP de moins de 10 salariés.
  • 135.
    V. Le Blan-Delannoy, « Prévention des risques professionnels : de quelques enjeux d’une réforme de la santé au travail », in chronique « Droit et risque n° 12 (3e partie) », LPA 21 avr. 2021, n° 160j8, p. 13.
  • 136.
    C. Parmentier-Lecocq, rapporteure, DP AN, 15 févr. 2021, https://lext.so/hsyQMT.
  • 137.
    C. Parmentier-Lecocq, rapporteure, rapp. AN n° 3881, 11 févr. 2021, https://lext.so/vyL7wM.
  • 138.
    Le Sénat a modifié la rédaction de l’article L. 4121-3 du Code du travail afin précisément « de rendre obligatoire, et non pas facultative, la consultation par l’employeur du ou des salariés référents en santé au travail pour l’évaluation des risques professionnels lorsqu’ils ont été désignés » : S. Artano et P. Gruny, rapporteurs, rapp. Sénat n° 706, 23 juin 2021, https://lext.so/Meb9rz.
  • 139.
    C. trav., art. L. 4622-2 mod.
  • 140.
    C. trav., art. L. 4622-9-1 nouv. : « Le service de prévention et de santé au travail interentreprises fournit à ses entreprises adhérentes et à leurs travailleurs un ensemble socle de services qui doit couvrir l’intégralité des missions prévues à l’article L. 4622-2 en matière de prévention des risques professionnels (…) ».
  • 141.
    C. trav., art. L. 4644-1 mod.
  • 142.
    C. trav., art. L. 4644-1, al. 3.
  • 143.
    Précisons que dans les petites entreprises, le recours à une délégation de pouvoir ne devrait pas pouvoir se justifier.
  • 144.
    ANI, § 1.2.4.1.
  • 145.
    IPRP du SSTI ou enregistrés, INRS et CARSAT, ANACT, OPPBTP.
  • 146.
    D. n° 86-602, 14 mars 1986, relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique : JO, 19 mars 1986.
  • 147.
    L. n° 94-43, 18 janv. 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale : JO, 19 janv. 1994 – D. n° 94-929, 27 oct. 1994, relatif aux soins dispensés aux détenus par les établissements de santé assurant le service public hospitalier, à la protection sociale des détenus et à la situation des personnels infirmiers des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire : JO, 28 oct. 1994.
  • 148.
    Circ. intermin. n° DGOS/DSR/DGS/DGCS/DSS/DAP/DPJJ/2012/373, 30 oct. 2012, relative à la publication du guide méthodologique sur la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice.
  • 149.
    A., 24 août 2000, relatif à la création des unités hospitalières sécurisées interrégionales destinées à l’accueil des personnes incarcérées : JO, 31 août 2000.
  • 150.
    D. n° 95-236, 2 mars 1995, relatif à l’établissement public de santé national de Fresnes spécifiquement destiné à l’accueil des détenus : JO, 4 mars 1995, abrogeant le décret n° 85-1392 du 27 décembre 1985 portant création dans la commune de Fresnes d’un établissement d’hospitalisation public spécifiquement destiné à l’accueil des personnes incarcérées : JO, 29 déc. 1985.
  • 151.
    L. n° 2002-1138, 9 sept. 2002, d’orientation et de programmation pour la justice : JO, 10 sept. 2002 ; É. Péchillon, « Le droit des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) : la création progressive de zones pénitentiaires dans les hôpitaux psychiatriques », AJ pénal 2010, p. 322 ; A. Litzler, « Soigner et surveiller en unités d’hospitalisation spécialement aménagées », Arch. pol. crim. 2013, n° 35 « Punir Dehors », p. 277.
  • 152.
    D. n° 2011-847, 18 juill. 2011, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : JO, 19 juill. 2011 – circ., 18 août 2014, de présentation des dispositions de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et du décret n° 2014-897 du 15 août 2014 modifiant la procédure judiciaire de mainlevée et de contrôle des mesures de soins psychiatriques sans consentement ; L. Velpry, « “Moderniser” l’enfermement en psychiatrie ? Le cas des unités pour malades difficiles », Sociétés contemporaines 2016/3, n° 103, p. 65.
  • 153.
    M. Scrève-Herman, « De la délicate détermination de la dangerosité criminologique à l’aune de la gestion des risques », in chronique « Droit et risque n° 10 (2e partie) », LPA 4 déc. 2018, n° 140x3, p. 13.
  • 154.
    Cette mesure probatoire prend la forme d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur ou de détention à domicile sous surveillance électronique pendant une période comprise entre un et trois ans.
  • 155.
    Dans le même sens, Cass. crim., 2 sept. 2020, n° 19-84629, s’agissant d’un détenu âgé de 81 ans ; TAP Melun, 15 sept. 2017, n° 2017/112, concernant Patrick Henry, et CEDH, 7 juin 2001, n° 64666/01, Papon c/ France.
  • 156.
    Cons. const., 16 avr. 2021, n° 2021-898 QPC : D. Goetz, « Conditions de détention indignes : une inconstitutionnalité de plus », Dalloz actualité, 28 avr. 2021.
  • 157.
    L. n° 2021-403, 8 avr. 2021, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention : JO, 9 avr. 2021.
  • 158.
    CEDH, 30 janv. 2020, nos 9671/15 et 31 a., J.M.B. et a. c/ France.
  • 159.
    Parmi les récits rapportés dans l’arrêt de la Cour européenne, il est possible de mentionner les propos de plusieurs femmes détenues : l’une « soutient s’être fracturée la main en septembre 2013 et avoir obtenu des services médicaux un examen seulement sept mois plus tard pour être opérée encore deux mois plus tard » ; une deuxième « dit être atteinte d’hyperthyroïdie et ne pas bénéficier des soins nécessaires » tandis qu’une autre expose être atteinte d’un cancer du sein et « se plaint de n’avoir pas tous les médicaments nécessaires pour traiter les effets secondaires de son traitement ».
  • 160.
    Recommandations en urgence du 16 avril 2021 du contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives au centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime) : JO, 18 mai 2021 ; D. Goetz, « Centre de détention de Bédenac : violation grave des droits fondamentaux constatée par le CGLPL », Dalloz actualité, 20 mai 2021.
  • 161.
    CEDH, 14 déc. 2004, n° 25875/03, Gelfmann c/ France ; CEDH, 19 févr. 2015 n° 10401/12, Helhal c/ France : A.-G. Robert, « Condamnation de la France pour manque de soins apportés à un détenu handicapé », Gaz. Pal. 16 avr. 2015, n° 220m5, p. 12.
  • 162.
    J.-M. Quignard, « Mourir en prison ? », VST 2014/4, n° 124, p. 50 ; F. Fourment, « Le droit du détenu à mourir libre », Gaz. Pal. 5 févr. 2019, n° 341n7, p. 80.
  • 163.
    V. Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, 2000, Le livre de poche, n° 15173.
  • 164.
    A. Dulioust, Médecin en prison, avoir la force de s’indigner !, 2014, First Document.
  • 165.
    CEDH, 6 avr. 2021, nos 46130/14 et 4 a., Venken et a. c/ Belgique : S. Lavric, « CEDH : conditions de détention en cas de troubles mentaux et recours effectif », Dalloz actualité, 15 avr. 2021.
  • 166.
    Cass. 2e civ., 25 nov. 1999, n° 97-20343.
  • 167.
    Sur cette évolution, v. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd., 2018, LexisNexis, nos 354 et s.
  • 168.
    Cass. ch. réunies, 2 déc. 1941 : Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., n° 194 ; DC 1942, p. 25, rapp. Lagarde et note G. Ripert ; S. 1941, 1, p. 217, note H. Mazeaud ; JCP G 1942, II 1766, note J. Mihura.
  • 169.
    V. H. Mazeaud, « En attendant l’arrêt des chambres réunies : garde matérielle et garde juridique », DH 1937, chron., p. 45.
  • 170.
    Cass. 2e civ., 16 mai 1984, n° 82-16872 : Bull. civ. II, n° 86 ; RTD civ. 1985, p. 585, note J. Huet.
  • 171.
    Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n° 03-11498 : Resp. civ. et assur. 2004, comm. 365, note H. Groutel.
  • 172.
    Cass. 2e civ., 25 nov. 1999, n° 97-20343.
  • 173.
    V. notre thèse, La faute de la victime en droit de la responsabilité civile, thèse, 2011, Aix-Marseille III, L’Harmattan, préf. R. Bout, nos 53 et s.
  • 174.
    Par exemple, en matière d’armes à feu, où l’ensemble des tireurs de plombs ont été considérés comme responsables sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil (art. 1384, al. 1er, à l’époque, avant l’ordonnance du 10 février 2016) des dommages causés par ces projectiles, v. Cass. 2e civ., 15 déc. 1980, n° 79-11314 : Bull. civ. II, n° 269 ; D. 1981, Jur., p. 455, note E. Poisson-Drocourt.
  • 175.
    Pour un accident de side-car, dans lequel seul le conducteur du véhicule, et non la personne assise à ses côtés, a été considéré comme gardien de la chose, alors que l’influence du copilote, dans la compétition ayant vu le dommage se réaliser, était d’un simple point de vue factuel évidente, v. Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-17732.
  • 176.
    V. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd., 2018, LexisNexis, n° 397.
  • 177.
    Concernant les choses inertes, celles-ci doivent présenter un élément d’anormalité, à démontrer par la victime, afin d’engager la responsabilité de son gardien. V. not. Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 10-27553 : JCP G 2012, 701, note A. Dumery ; Resp. civ. et assur. 2012, étude 7, note A. Vignon-Barrault.
  • 178.
    Dans le même sens, v. JCP G 2021, doctr. 448, n° 4, note C. Bloch.
  • 179.
    Cass. crim., 30 oct. 1974, n° 73-93381 : D. 1975, Jur., p. 178, note R. Savatier ; JCP G 1974, II 18038, note L. Mourgeon.
  • 180.
    Dès lors, un enfant privé de discernement peut se voir opposer sa faute, en vue d’une exonération partielle du défendeur. V. Cass. ass. plén., 9 mai 1984, nos 80-93481 et 80-93031, Lemaire et Derguini : Bull. civ. ass. plén., nos 2 et 3 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., n° 186 ; D. 1984, Jur., p. 525, concl. J. Cabannes et note F. Chabas ; JCP G 1984, II 20256, note P. Jourdain ; RTD civ. 1984, p. 508, obs. J. Huet.
  • 181.
    V. C. Lapoyade-Deschamps, « Les petits responsales », D. 1988, Chron., p. 299.
  • 182.
    Il est en effet entendu aujourd’hui que l’analyse in abstracto de la faute ne renvoie pas à un modèle totalement invariable de comparaison. Ainsi, il est aisé de remarquer en jurisprudence la prise en compte, notamment, de l’âge du sujet voire ses compétences professionnelles dans l’établissement de la faute. V. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd., 2018, LexisNexis, n° 311.
  • 183.
    Proj. L., art. 1254, al. 2 : « En cas de dommage corporel, seule une faute lourde peut entraîner l’exonération partielle ». La proposition de loi du Sénat du 29 juillet 2020 reprend dans les mêmes termes cette disposition (art. 1254, al. 2).
  • 184.
    P. Oudot, « Fauteuil roulant électrique : l’influence de la CIDPH sur l’interprétation de la loi du 5 juillet 1985 », D. 2021, p. 1413.
  • 185.
    L’article R. 412-34 du Code de la route assimile aux piétons « les infirmes qui se déplacent dans une chaise roulante mue par eux-mêmes ou circulant à l’allure du pas ».
  • 186.
    L’allure du pas est généralement fixée à 6 km/h.
  • 187.
    Cass. 1re civ., 9 oct. 1985, n° 84-10245 : Bull. civ. I, n° 251.
  • 188.
    Pour la qualification par le juge des référés lillois de « prothèse vivante » pour qualifier le chien d’aveugle, v. X. Labbée, « Le chien-prothèse », D. 1999, p. 350 ; à propos de la confirmation par le juge du fond, X. Labbée, « Le chien prothèse (suite) », D. 2000, p. 750.
  • 189.
    TGI Lille, 4e ch., 7 juin 2000.
  • 190.
    A. Mâzouz, Le prix du corps humain, 2000, L’Harmattan, Droit, société et risque.
  • 191.
    A. Mâzouz, Le prix du corps humain, 2000, L’Harmattan, Droit, société et risque nos 316 et s .
  • 192.
    A. Mâzouz, « Rénover ou préserver : la loi de 1985 confrontée à l’intégration des engins de déplacement personnel », in J. Dechepy-Tellier et J.-M. Jude (dir.), Les enjeux de la mobilité interne et internationale, 2021, Institut francophone pour la justice et la démocratie, Colloques et Essais.
  • 193.
    M. Bacache, L. Grynbaum et D. Noguéro, « Droit des assurances », D. 2021, p. 1206.
  • 194.
    M. Dupré, « Le fauteuil roulant électrique n’est pas un véhicule terrestre à moteur », La lettre juridique n° 865 20 mai 2021.
  • 195.
    Rép. min. n° 60219 : JO, 9 juin 2015, p. 4335, J.-L. Bricot.
  • 196.
    Pour une présentation d’un objet expérimental, v. « Handicap : un scooter révolutionnaire créé dans les Pyrénées-Orientales », Francebleu.fr, https://lext.so/12GON7.
  • 197.
    Pour des informations sur ce projet voir en ligne https://www.omni.community/.
  • 198.
    Sur cette qualification, une clarification par le législateur pourrait d’ailleurs être saluée.