Fédérations sportives : quels statuts pour quelle gouvernance ?

La France accueillera prochainement deux évènements sportifs majeurs : la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques.
Dans le même temps, on n’a jamais autant évoqué les fédérations sportives à la rubrique judiciaire des médias. Cela a conduit les auteurs à s’interroger sur les cadres juridiques de ces fédérations et leur adéquation à leurs enjeux sportifs, financiers et sociétaux.
Ce sujet sera le thème d’une soirée d’étude de l’association Droit et commerce le 16 octobre prochain.
Deux des principales fédérations sportives françaises (FFF – football – et FFR – rugby) viennent de défrayer la chronique à la rubrique peu valorisante des affaires judiciaires. Leurs présidents ont été obligés de démissionner, l’un pour soupçon de harcèlement sexuel, l’autre après avoir été condamné, par une décision de première instance faisant l’objet d’un appel en cours, pour corruption, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, abus de biens sociaux… D’autres fédérations, handball notamment, sont aussi concernées par des « affaires ».
Si la FFF a, quoique tardivement, vu son comité exécutif prendre en partie ses responsabilités pour éloigner son président et le pousser à la démission, il n’en a pas été de même du comité directeur de la FFR qui, après avoir soutenu inconditionnellement son président contraint finalement à la démission, a tenté d’imposer un nouveau président choisi par le démissionnaire qui, bien qu’ayant été désavoué par un vote de la majorité de ses clubs, est resté en fonction.
Certes, les situations en cause ne sont pas exactement semblables, mais on ne peut qu’être frappé par certaines similitudes : la toute-puissance des présidents, l’insuffisance des garde-fous et de l’organisation des contre-pouvoirs.
La toute-puissance des présidents semble se nourrir du système électoral par liste, les élus s’estimant sans doute redevables de leurs postes. L’opposition est ainsi marginalisée, et l’exemple de la FFR permet de constater qu’elle a été totalement vouée à l’impuissance. Le rôle de garde-fou du comité directeur, investi par les statuts de pouvoirs de régulation et de contrôle, n’a pas fonctionné. Au contraire, pendant les cinq années qu’ont duré les inspections (Inspection générale de la jeunesse et des sports, parquet national financier), sa passivité a placé la majorité de ce comité, de fait, dans un rôle de complicité objective – à défaut d’être juridique – des malversations sanctionnées par le tribunal judiciaire de Paris et, au-delà, de fautes éthiques tout aussi graves, bien que ne relevant pas d’une qualification pénale.
La position de la FFF n’a pas, non plus, été à la hauteur des enjeux sportifs et moraux nés de cette situation alarmante puisqu’il a fallu une intervention de la ministre des Sports et l’établissement d’un rapport pour que le président « accepte » de se retirer.
C’est une litote de dire que l’architecture des modèles juridiques retenus par les associations délégataires de service public a ainsi démontré de graves insuffisances dans leurs organisations internes. La prise en compte des impératifs de gestion d’une délégation de service public apparaît, dans les deux situations, largement ignorée, tant dans leurs dimensions juridiques qu’éthiques.
L’un des garde-fous possibles est, si la fédération en est dotée, le « comité d’éthique ». Mises en valeur par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 et dans les nouveaux contrats de délégation de service public signés en application de ce texte, les règles éthiques devraient trouver leur prolongement dans le rôle de ces comités prévu par l’article L. 131-15-1 du Code du sport. Mais on peut s’interroger sur l’exacte étendue des prérogatives juridiques et des moyens donnés à de tels comités « indépendants » dès lors qu’ils semblent avoir été, dans les faits, assez impuissants à remplir leur mission, comme en témoignent les deux cas symptomatiques en question. D’où une possible réflexion à mener pour densifier leur pouvoir d’investigation, voire de contrainte.
Dans la FFF existe une Haute autorité du football qui dispose d’un pouvoir de contrôle et d’interpellation ainsi que de proposition de révocation. Là encore, ses moyens d’action méritent examen. Si son indépendance semble théoriquement assurée par la diversité de sa composition, le système reste sans doute perfectible.
Plus fondamentalement, l’incapacité juridique des pouvoirs publics à intervenir dans un contexte de crises à répétition a frappé les esprits. Le volontarisme affiché par la ministre de tutelle s’est heurté à une force d’inertie appuyée sur le statut de chaque fédération et sur le fait que la seule arme véritablement dissuasive entre les mains du ministère est le retrait d’agrément, pour le moins difficile à manier à l’égard d’importantes fédérations.
L’environnement politique a encouragé depuis de nombreuses années la création d’un corpus de règles vertueuses s’imposant aux sociétés commerciales (RSE) et la création des sociétés à mission. Malgré les contraintes économiques et concurrentielles, les entreprises sont ainsi appelées à produire un impact positif sur la société tout en étant économiquement viables.
N’est-il pas paradoxal que des entités délégataires de service public échappent autant à ces évolutions ?
Et de fait, à la lecture des statuts de ces deux fédérations, le juriste observe aisément les faiblesses d’ores et déjà dénoncées par ailleurs d’un point de vue plus général. Par exemple, les imprécisions dans la définition des fonctions des principaux organes créent un flou dérangeant (que nous avons déjà souligné). Alors que les statuts de la FFF (art. 22) donnent au président une simple attribution de représentation et d’animation, ceci ne correspond – semble-t-il – pas à la pratique et à l’omnipotence constatée. Au demeurant, c’est au comité exécutif que l’article 18 des statuts attribue les pouvoirs d’administration, de direction et de gestion. Néanmoins, ce comité étant présidé par le président de la fédération, on comprend aisément – parce qu’en réalité il en dirige les travaux – comment se réalise une concentration des pouvoirs entre ses mains.
Un constat voisin peut être effectué en ce qui concerne la FFR. Selon les statuts, son président se voit attribuer comme seul pouvoir propre (art. 19) l’ordonnancement des dépenses et la gestion du personnel (!). Pour le reste, il a seulement un pouvoir de représentation. Les prérogatives d’administration et de gestion appartiennent au comité directeur (art. 13), auquel le règlement général confère également une mission de contrôle. Mais c’est bien le président de la FFR qui le préside et anime ses travaux. Il n’est donc pas étonnant que les travaux de ce comité, pendant les cinq années qu’a duré « l’affaire » de la FFR, ne fassent rien paraître à ce sujet… Le conflit d’intérêts est patent.
Ce même règlement définit les missions du bureau fédéral de façon peu précise (art. 14) en lui assignant un rôle hiérarchiquement inférieur à celui du comité directeur.
Le constat est que, dans les deux cas, le manque de précision dans les missions respectives des organes dirigeants ouvre la voie à une captation de l’ensemble des prérogatives par l’un d’entre eux.
En réalité, l’attribution des pouvoirs de gestion et d’administration à un organe délibérant (comité exécutif, comité directeur) repose sur un postulat jamais vérifié, selon lequel un tel organe, composé de nombreuses personnes, aurait la capacité de prendre des décisions en continu alors que les statuts ne prévoient que des réunions à faible périodicité.
En pratique, cela fonctionne par une délégation massive des prérogatives de l’organe délibérant au bureau et à son président, le plus souvent hors de toute règle structurante intégrant des principes fiables de limitation de pouvoirs et de contrôle.
La construction juridique actuelle ne correspond pas aux besoins d’importantes fédérations qui sont des entreprises complexes, tenues par de lourds besoins d’efficacité. Au rebours des objectifs de collégialité affichés, cela revient, en pratique, à lâcher la bride au président et à son entourage.
Par comparaison, le fonctionnement des sociétés commerciales est certes également personnalisé, tant dans les systèmes de type européen (y compris dans les organes collectifs tels que les directoires) qu’anglo-saxon. Mais la contrepartie se trouve dans la facilité de révocation et dans la mise en place d’un système de responsabilité individuelle ; en relevant que cette responsabilité s’applique à tous les membres des organes dotés d’un pouvoir de gestion.
Les pistes à explorer pour rééquilibrer le système peuvent reposer sur quelques mesures fondées sur des règles relativement faciles à concevoir et à mettre en œuvre, sans toucher au régime de liberté d’association, et en s’appuyant aussi sur les principes de délégation de service public.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons d’approfondir certains domaines.
Ainsi en est-il de celui de la responsabilité des dirigeants, avec pour corollaire des règles de révocation et de suspension, ce qui suppose une modification fondamentale des principes d’attribution des pouvoirs des différents organes, puisque l’on ne peut sanctionner que sur des bases précises.
L’organisation de systèmes de contrôle fiables et indépendants est aussi un axe de réflexion, à compléter par des dispositions conférant un véritable rôle aux minoritaires pour respecter un équilibre des forces.
Enfin, il est apparu dans les affaires évoquées le nécessaire renforcement de l’indépendance des commissions dites régaliennes et la promotion du rôle des commissions d’éthiques. À leur propos, il serait judicieux de leur conférer de véritables pouvoirs juridiques qui dépasseraient la possibilité d’émettre des recommandations. Dans la même veine, la mise en place d’un contrôle plus strict des conflits d’intérêts où elles seraient susceptibles de jouer un rôle majeur mériterait l’attention du législateur.
Afin de laisser aux fédérations une autonomie réelle, ces travaux devraient retenir la volonté d’intégrer un certain nombre de ces règles dans un corpus de soft law. Cette méthode s’est déjà, dans d’autres domaines, révélée utile pour dégager les consensus nécessaires aux évolutions.
D’autres aspects peuvent être abordés, ces exemples n’ayant pour objet que d’éclairer les voies du rétablissement de l’indispensable image de la propreté du sport. C’est par une démarche volontariste et exigeante que l’on évitera à ses acteurs les tentations que les enjeux économiques, de plus en plus importants, sont susceptibles de générer.
Référence : AJU009z4
