À l’heure du Brexit
M. Dougan (ed.), The UK after Brexit, Intersentia, 2017, 324 p. ; Ch. Bahurel, E. Bernard, M. Ho-Dac (dir.), Le Brexit – Enjeux régionaux, nationaux et internationaux, Bruylant 2017, 384 p.
Le 23 juin 2016, les Britanniques votaient par référendum la sortie de leur pays de l’Union européenne. Un an et demi après, alors que les négociations difficiles de ce qu’il est convenu d’appeler le « Brexit » sont toujours en cours, nos bibliothèques juridiques s’enrichissent de deux nouveaux ouvrages collectifs sur le sujet. Ces deux éclairages, le premier dirigé par Michael Dougan (université de Liverpool), exclusivement en anglais et le second, dirigé par Charles Bahurel (université du Littoral), E. Bernard (université de Lille 2), Marion Ho-Dac (université de Valenciennes), essentiellement en français, sont parfaitement complémentaires.
Le premier ouvrage offre une vision essentiellement « britannique » du Brexit. Les points de vue développés émanent, pour la très grande majorité des contributions en effet, de différents universitaires d’outre-Manche. Ils sont regroupés autour de trois grandes thématiques. La première est d’ordre constitutionnel : le Brexit et l’équilibre interne des pouvoirs exécutifs et législatifs, le risque de désagrégation (« devolution » en anglais) du Royaume, le cas singulier de la frontière nord-irlandaise, la transformation du travail des juges nationaux dans leurs rapports au droit européen. La deuxième thématique porte sur des questions de droit matériel : droit social, droit de l’environnement, régulation financière, propriété intellectuelle, statut des citoyens européens au Royaume-Uni et coopération judiciaire en matière pénale. La troisième thématique intéresse les relations externes vues, rappelons-le, essentiellement du point de vue britannique : nouveaux rapports à définir avec l’Organisation mondiale du commerce, pour les accords de libre-échange en général, pour le droit des investissements étrangers en particulier, en matière de politique internationale de paix et de sécurité et, bien entendu, pour les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et ses États restant membres.
Le second ouvrage est le résultat d’un colloque international organisé par trois universités françaises. Les contributions sont signées par des universitaires ou des praticiens qui évoluent très majoritairement (25 sur 27) dans un contexte continental (français, belge, luxembourgeois et scandinave) même si, bien souvent, les contributions sont empreintes d’une dimension britannique comparée. Trois parties composent également l’ouvrage. La première porte sur les enjeux politiques et institutionnels, la deuxième sur les enjeux citoyens et économiques et la troisième sur les enjeux pénaux et migratoires. Un nombre assez considérable de sujets, tous plus intéressants les uns que les autres, sont ainsi abordés. On signalera les grands thèmes suivants : une réflexion sur le visage de l’Union européenne post-Brexit, le jeu des grands acteurs publics (Union européenne, États ou entités infra-étatiques) et privés (citoyens, entreprises, avocats), leurs relations multiples (avec ou sans le Royaume-Uni), l’espace judiciaire européen (en matière civile), le marché intérieur, la coopération transmanche post-Brexit en matière migratoire et pénale.
La lecture des multiples analyses proposées dans les deux ouvrages donne une représentation qui nous semble tout à fait réaliste de l’ampleur du processus de déconstruction-reconstruction européenne qui est actuellement à l’œuvre. Que l’on soit favorable ou défavorable à l’aventure européenne, un point devrait pouvoir recueillir l’assentiment de tous. Les différentes « Europe » juridiques auxquelles l’Union européenne, les États membres, les citoyens européens ont donné naissance en plus de soixante ans ont acquis une dimension qui est devenue proprement indépassable dans le paysage interne et externe européen. Qu’il s’agisse de continuer à en être ou d’en sortir, de faire évoluer le droit européen dans un sens, plutôt qu’un autre, la question conserve, et pour longtemps, une dimension profondément européenne, quels que soient le sujet abordé et le point de vue développé de ce côté-ci de la Manche ou de l’autre. En un mot, le Brexit ne sonne pas le glas de l’aventure juridique européenne. Il devrait achever de convaincre les plus récalcitrants de l’impossibilité de continuer à nier l’existence d’un système juridique européen et, au-delà, d’une culture juridique européenne et de la nécessité de se donner les moyens de les comprendre, fût-ce au besoin, pour les critiquer.