Lectures d'ici et d'ailleurs

Le pluralisme juridique dans un environnement global et européen

Publié le 30/07/2018

S. Lester, B. Mercurio, A. Davies, World Trade Law – Text, Materials and Commentary, Bloomsbury, 2018, 992 p. ; R. P. Merges, S. Haiyan Song, Transnational Intellectual Property Law – Text and Cases, Edward Elgar, 2018, 822 p. ; G. Davies, M. Avbelj (eds), Legal Pluralism and EU Law, Edward Elgar, 2018, 426 p.

Depuis près de vingt ans, la doctrine travaille sur les contours d’un pluralisme juridique induit par les phénomènes de globalisation et de régionalisation. La multiplication des sites (ONU, OMC, OMPI, CPI, CIRDI, CCI, UE, COE, etc.) au sein desquels le droit peut être discuté produit une forme particulière de pluralisme juridique. La France connaît bien ce phénomène. De plus en plus nombreuses sont les situations où le juriste national doit composer avec des règles de sources internationales et régionales, y compris pour des cas purement internes localisés sur le seul sol national.

Les trois lectures ici suggérées nous invitent à porter notre regard sur la manière dont la doctrine étrangère rend compte du phénomène à propos de trois grandes matières juridiques.

La première porte sur le droit du libre-échange (ouvrage : World Trade Law). Conçu comme une somme à destination des étudiants et praticiens avec de nombreux extraits de textes et de jurisprudence, ce travail contient des présentations fouillées, systématiques et didactiques sur ce que nous appellerions en France le « Droit international économique », avec pour principal focus le droit de l’OMC. Ce dernier est présenté comme un objet dont la dimension globale est acquise aux auteurs (l’un des auteurs revendique une participation active au Cato Institute, sorte de think thank libertarien) et qui est susceptible d’être lu par des juristes d’horizons très divers, les trois auteurs exerçant leurs activités en des points variés du Globe : respectivement États-Unis, Chine (Hong-Kong) et Royaume-Uni.

La deuxième matière porte sur le droit de la propriété intellectuelle (ouvrage : Transnational Intellectual Property Law qui est également accessible à prix réduit en format électronique). Du même acabit que le précédent (text – case book), il s’en distingue cependant par la perspective comparée qui est la sienne. Construit autour d’un plan classique et analytique (introduction puis analyse successive des principaux droits de propriété intellectuelle : brevets, droits d’auteur et droits voisins, marques, secret des affaires (parasitisme et concurrence déloyale), dessins et modèles), il alterne de manière très régulière les analyses de droit international, européen, américain et chinois autour des différentes sous-entrées qui composent chacune des parties. Cette démarche de comparaison « multiniveau » (ici international, régional et national) est devenue le standard des analyses de droit global. Mais il faut se souvenir qu’elle est assez récente. Ces deux derniers siècles, le droit comparé n’a consisté pour l’essentiel qu’en la mise en perspective des ressemblances et différences de droits placés à un seul et même niveau : national. Aujourd’hui, le schéma est clairement différent. Sans remettre en cause bien sûr l’intérêt que représente l’étude comparée de droits nationaux étrangers, il intègre les droits de dimension régionale (ici UE) et international (ici OMPI).

La troisième et dernière matière porte sur le droit de l’UE (ouvrage : Legal Pluralism and EU Law). C’est un livre de dimension fortement théorique qui rassemble, sous la forme d’une d’anthologie, des publications originales ou des chapitres ou articles déjà parus dans différents ouvrages ou revues. L’objectif de ce format (research handbook) qui est peu pratiqué en France, est de rendre visible une thématique en essayant de rassembler largement les contributions qui s’y rapportent sur une période de temps plus ou moins définie. L’entrée du pluralisme juridique est ici comprise dans un sens générique, c’est-à-dire non spécifique au pluralisme juridique global qui caractérise les deux autres ouvrages. Elle vise, en effet, des normativités qui ne répondent pas au modèle d’un droit d’origine strictement étatique. La question posée est celle de savoir dans quelle mesure l’UE alimente le phénomène. Les contributions rassemblées portent principalement sur des questionnements de droit constitutionnel. Ainsi, l’essentiel de la réflexion a trait à l’émergence de nouveaux modèles constitutionnels sous l’influence du développement du droit de l’UE. L’analyse se veut parfois critique et cela ne surprendra guère. L’entre-deux qu’est l’Europe juridique prête nécessairement le flan à la critique des théories constitutionnelles dominantes qui, sous l’influence de la pensée omniprésente de Kelsen, construisent leurs modèles par abstraction, c’est-à-dire par élimination. Mais elle n’en demeure pas moins très riche. Même sur cette approche assez resserrée du pluralisme juridique, on observe à la lecture de l’ouvrage qu’une multitude d’entrées est envisageable. On y verra volontiers une forme de pluralisme parmi d’autres !

LPA 30 Juil. 2018, n° 138e9, p.21

Référence : LPA 30 Juil. 2018, n° 138e9, p.21

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