Essonne (91)

David Elghozi : « Mon plus grand choc, ce ne sont pas les détenus, mais le système carcéral » !

Publié le 13/04/2023

En début d’année 2023, le théâtre de l’Agora d’Évry-Courcouronnes (91) organisait l’exposition « L’art du fanzine », contenant les œuvres de 17 détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne. Ce projet a pu voir le jour en partenariat avec le pôle culture du Service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Essonne et la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Toutes les productions ont été réalisées durant un atelier qui s’est déroulé sur plusieurs semaines, animé par David Elghozi, architecte de formation et enseignant en bande dessinée et arts graphiques. N’ayant jamais mis un pied en prison, cette expérience fut l’occasion de confronter son imaginaire à la réalité. Entretien.

Scène nationale de l’Essonne

Actu-Juridique : Comment avez-vous eu l’opportunité de donner un atelier au sein de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis ?

David Elghozi : En 2015, j’ai arrêté l’architecture pour fonder Les Ateliers du mot et du trait par lesquels je donne des ateliers en bibliothèques, en écoles primaires et en cours du soir pour adultes et enfants. Depuis 2017, je travaille également pour l’Académie de bande dessinée Delcourt, créée par les éditions Delcourt. C’est une de mes anciennes étudiantes, Camille Favaro, dont je suis le travail et avec qui j’ai gardé contact, qui m’a mis en lien avec le théâtre de l’Agora. Elle s’était engagée mais pour des raisons personnelles elle a dû annuler. Je trouvais l’opportunité très intéressante et je l’ai remplacé. Le projet était porté par le théâtre de l’Agora d’Évry-Courcouronnes et le SPIP, avec qui j’interagissais.

AJ : Aviez-vous déjà eu un contact avec le monde carcéral auparavant ?

David Elghozi : Non, c’était mon premier contact. Je me suis beaucoup renseigné avant le début de l’atelier, qui a eu lieu à l’automne 2022. Une collègue autrice de BD, Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, milite beaucoup contre le carcéral et la peine de mort et a écrit de nombreux albums sur le sujet. Je l’ai appelée. J’ai aussi regardé des documentaires sur Arte sur Fleury-Mérogis. Un chiffre m’a marqué : 2 800 places pour 3 800 détenus, pour des cellules de 6 m2. Je pense que ma plus grande révélation, mon plus grand choc, ce ne sont pas les détenus, mais le système carcéral !

AJ: Comment étaient organisés les ateliers ?

David Elghozi : Le projet était d’organiser huit ateliers pour deux groupes. Chaque atelier durait environ deux heures. Donc j’allais à la maison d’arrêt une fois par semaine pour donner deux ateliers, un le matin, un l’après-midi, sur huit semaines. C’était certes prenant si on tient compte des temps de trajets, mais ce qui était le plus chronophage, c’était le système. Pour arriver à ma salle d’atelier, il y avait dix portes que je ne pouvais pas franchir seul. À chaque fois, une personne devait l’ouvrir pour moi. C’était titanesque. Ça m’est arrivé de voir l’espace où j’allais à travers quatre ou cinq grilles dans le même champ visuel. Sachant que Fleury-Mérogis, ce sont cinq barres de quatre étages d’immeubles organisées autour d’un pôle central panoptique, avec un minimum de gens pour surveiller un maximum de couloirs. Cela fait environ 200 personnes par étage et trois personnes pour les surveiller. On est dans une « usine à gens », d’une certaine manière…

AJ: Combien de détenus ont participé à vos ateliers ?

David Elghozi : Il y avait dix places disponibles par atelier. J’avais huit à neuf inscrits, et entre huit et deux personnes présentes selon les semaines.

AJ : Quelles étaient les conditions à l’intérieur de la maison d’arrêt ?

David Elghozi : Contrairement aux ateliers que je donne dans des écoles ou des médiathèques, où je peux avoir la main sur la gestion du temps, du matériel et du lieu, là je n’avais de prise sur rien. Il n’y avait régulièrement pas assez de tables ou de chaises pour tout le monde. Je devais faire une liste précise du matériel à faire entrer dans la maison d’arrêt, mais je n’ai jamais eu de contrôle sur ce qui sortait… Je pouvais leur prêter certains matériels pour qu’ils continuent de dessiner en cellule, mais pas d’autres, comme le taille-crayon, qu’ils pouvaient acheter au sein même de la prison mais que je ne pouvais pas prêter. Pour les participants, je ne savais jamais qui allait venir, que ce soit parce qu’il y avait un parloir, une interdiction de sortie, une maladie, ou simplement un oubli parce que le gardien n’est pas venu le chercher, pour des raisons d’emploi du temps ou de bonne volonté… Je ne pouvais pas compter sur un groupe fixe, ni sur la régularité des horaires. Un problème éclate et c’est tout un étage qui peut être bloqué. Un autre exemple : au début, je suis arrivé avec de la peinture, mais il n’y avait pas d’accès à l’eau dans le bâtiment où je me trouvais, parce que l’eau est uniquement dans les toilettes des cellules. Donc j’ai dû aller dans autre bâtiment chercher des bouteilles remplies d’eau.

AJ : Comment était l’ambiance durant les différentes sessions ?

David Elghozi : Comme dans n’importe quel atelier de dessin, quand on dessine, on papote et on papote de la vie. Donc de la prison, et d’autre chose. Petit à petit, j’ai été inclus dans les conversations. Ils ont commencé à se détendre à partir du cinquième atelier, et moi aussi. Dès l’instant où il y a plus de discussions, on s’attache. J’ai eu une table ronde d’une heure sur le trafic de cocaïne. C’étaient des gens avec des super compétences, qui seraient hyper valorisées dans un CV, si ça ne parlait pas de trafic illégal… Ils avaient des débats éthiques poussés. On a discuté de ce que c’est qu’une bonne prison. Une personne a dit que c’était une prison en campagne, avec une centaine de détenus, une vingtaine de matons, où tout le monde se connaît. Un autre racontait que là où il était avant, il avait les clés de sa cellule. Tout le contraire de Fleury-Mérogis. Lors d’un atelier d’écriture, j’ai demandé aux participants d’écrire sur un lieu. L’un d’eux a choisi de parler de la Guadeloupe en listant les bons points et les mauvais points. Il liste : la plage, les barbecues, les piscines et les villas de luxe, les meufs à poil. Et puis les mauvais points : le chômage, le trafic de cocaïne, et les gens qu’on connaît qui meurent toutes les semaines. Tu reçois ces textes et tu donnes la parole au suivant… Pour l’ambiance, comme dans tout environnement, il y a des personnes avec qui ça passe moins bien, d’autres qu’on aimerait revoir, certains qu’on découvre petit à petit. Il y a toujours une ambivalence parce que ce sont des humains et que l’on peut se retrouver avec une tempête d’affect. En discutant avec des médecins sur le temps de midi, j’ai compris que la gestion de la santé mentale en prison était faite à partir de bouts de ficelle et qu’elle était insuffisante.

AJ : Pourquoi avoir choisi le fanzine comme médium pour cet atelier ?

David Elghozi : C’est Camille, qui devait faire l’atelier, qui avait monté le projet. L’idée du fanzine est qu’il n’y a pas de hiérarchie, pas de moyens et pas de compétence. Le documentaire Fanzinat (2022) raconte très bien l’histoire du fanzine. On peut parler de ce qu’on veut, sans unité de forme ni unité de fond. L’un a parlé de son équipe de basket favorite, un autre a réalisé une illustration de Don Quichotte, un autre encore a dessiné les objets de sa cellule. Ils avaient à disposition ce que je leur avais apporté : différentes techniques de BD, différents outils et matériaux. Certains faisaient des livrets, d’autres des pages. C’était finalement de l’art graphique, sous plein de formes différentes et sujets différents. Le lien commun n’était pas tant l’intitulé : « fanzine » que le fait que c’était un atelier d’artistes amateurs qui se trouvaient être la population de Fleury-Mérogis.

Scène nationale de l’Essonne

AJ : Les œuvres ont été exposées au théâtre de l’Agora, mais pas seulement ?

David Elghozi : La quarantaine d’œuvres a été exposée en trois temps : d’abord, à l’intérieur de la prison, dans le couloir qui mène à la bibliothèque ; ensuite, dans le sas du pôle d’accueil des familles et enfin, dans le théâtre de l’Agora. La scénographie était à chaque fois très bien faite, avec les livrets accrochés à des ficelles, pour que les gens puissent les ouvrir et les fermer. C’était une scénographie ludique qui appelait le mouvement à l’intérieur de l’espace.

AJ : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

David Elghozi : On imagine la prison comme un endroit métronomique, mais ce n’est pas du tout le cas. Tout est flou. Il y a une déstructuration du cadre psychique dans un cadre censé être rigide mais qui est constamment déstructuré. Il y a une dépossession du temps en prison.

AJ : Malgré tout, pensez-vous qu’il faille organiser plus d’ateliers artistiques dans les maisons d’arrêt ?

David Elghozi : Je réponds par les mots qui ne sont pas les miens : Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, qui est profondément anticarcérale, dit qu’il serait bien qu’on trouve autre chose que les prisons, mais si elles existent, autant qu’il y ait des ateliers. Mais même s’il y a plusieurs ateliers par semaine dans les maisons d’arrêt, beaucoup de détenus ne savent pas qu’ils existent… Je suis partant pour réitérer l’expérience. Durant les huit semaines où je me rendais à Fleury-Mérogis, j’ai voulu en savoir plus sur les motivations de celles et ceux qui travaillent dans la maison d’arrêt. Les midis, je me suis toujours arrangé pour manger avec des personnes, pour échanger. Je leur demandais pourquoi elles restaient, et jusqu’à quand. J’ai eu des réponses surprenantes. Des gens m’ont dit que c’était à 10 minutes de chez eux et que c’était pratique au niveau des horaires. D’autres qui ont été agressés, qui ont ramassé des gens morts en cellule, disent continuer tant qu’ils ne craignent pas pour leur vie ou que la paye ne diminue pas trop. Dans le corps médical, une phrase a été dite et répétée : « J’arrêterai quand j’aurai l’impression d’être la Croix-Rouge à Auschwitz » ! C’est très violent mais ça reflète l’idée de faire du soin dans un lieu imaginé en dépit du bon sens. C’est un remède sucré contre une infection : pendant une ou deux minutes, c’est plus doux… Les ateliers, c’est fondamental que ça existe et que ça continue.

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