Matthieu Quinquis : « À chaque fois que l’on construit des prisons, la population carcérale augmente »

Publié le 31/03/2023

À l’issue des États généraux pour la justice initiés en 2021, le garde des Sceaux présentait en janvier dernier un plan d’action pour la justice. Mais alors que la France bat son record historique de personnes détenues, ce plan n’annonce rien de nouveau pour lutter contre la surpopulation carcérale déplore Matthieu Quinquis, président de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP). Il alerte : la surpopulation carcérale devrait encore s’aggraver dans les années à venir.

Prison
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Actu-Juridique : Qu’attendiez-vous de ce plan d’action pour la justice ?

Matthieu Quinquis : Ce plan d’action devait répondre aux pistes dégagées par les États généraux de la justice. Or le rapport de ces derniers confirmait que la politique pénale mise en place jusqu’à présent ne produisait pas les effets escomptés en matière de population carcérale. Ce plan d’action a été annoncé alors que différentes organisations alertent sur la situation des prisons française.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté alerte depuis de nombreuses années. Il y a, en outre, des appels réguliers au niveau européen. Le 30 janvier 2020, avec un arrêt J.M.B et autres contre France, la Cour européenne des droits de l’Homme pointait du doigt la problématique structurelle de la surpopulation carcérale en France. Le 8 décembre dernier, l’exécution de cet arrêt a fait l’objet d’un contrôle par le comité des ministres du conseil de l’Europe. Ce comité des ministres, estimant que la politique pénale de la France ne respecte pas les droits fondamentaux des détenus en prison et est mauvaise du point de vue des perspectives sociales, demandait noir sur blanc à la France d’arrêter de construire de nouvelles places de prisons. On aurait pu attendre du gouvernement qu’il prenne acte de cet avis émanant des représentants de 47 gouvernements du conseil de l’Europe… Mais la France s’isole en le balayant d’un revers de main. Rien ne l’empêchait pourtant de mettre un coup d’arrêt aux programmes de construction, au moins à ceux qui ne sont qu’à l’état de projet.

AJ : Que font nos voisins européens concernant la population carcérale ?

Matthieu Quinquis : Les chiffres communiqués par le conseil de l’Europe montrent que la France se situe à l’inverse du reste du continent. On constate sur l’ensemble des pays membres une baisse de 20 points du taux d’incarcération ces dix dernières années. La France fait partie de la petite poignée de pays qui continuent d’incarcérer toujours plus, à l’inverse de l’Allemagne (- 12,9 %), de l’Italie (- 12,4 %) ou encore de l’Espagne (- 24 %).

AJ : Qu’annonce le gouvernement pour les prisons ?

Matthieu Quinquis : Rien de nouveau ! Éric Dupond-Moretti valide la politique menée depuis cinq ans par le gouvernement, elle-même dans la droite ligne de celle menée par les gouvernements précédents.

La même politique est en effet conduite depuis 30 ou 40 ans par les gouvernements successifs. Même le passage de Christiane Taubira au ministère a entraîné un certain nombre de mesures qui, sur le long terme, ont augmenté les incarcérations. On construit des places de prison comme solution à un sentiment d’insécurité et à la surpopulation carcérale. Aujourd’hui, le gouvernement se réfugie derrière la construction annoncée de 15 000 nouvelles places à l’horizon 2027. Pourtant, ce choix est coûteux et sera sans impact sur la surpopulation. Il existe à ce jour 60 000 places de prison, on en construit 15 000 nettes pour arriver à une capacité de 75 000 places. Ce sera de toute façon insuffisant, puisque l’administration pénitentiaire estime qu’il y aura 80 000 personnes détenues en 2027. Par ailleurs, on sait depuis les grands plans de construction de prisons lancés en 1986 par l’ancien garde des Sceaux Albin Chalandon que plus on construit de prisons, plus on incarcère. Les courbes sont strictement parallèles : à chaque fois que l’on construit des prisons, la population carcérale augmente ! On a construit 24 000 nouvelles places de prison depuis les années 1980, et il y a aujourd’hui 25 000 personnes de plus en détention qu’il y a trente ans. À aucun moment les constructions de places de prison n’ont permis de résorber la surpopulation.

« Construire une place de prison coûte 250 000 euros et ses frais de fonctionnements sont ensuite de 105 euros par jour »

C’est en plus un choix très coûteux. Selon les chiffres communiqués par Laurent Ridel, directeur des services pénitentiaires au colloque du CNB en décembre 2022, construire une place de prison coûte 250 000 euros et ses frais de fonctionnements sont ensuite de 105 euros par jour. Pour la seule année 2023, 681 millions d’euros sont prévus pour la construction de prisons, soit plus de cinq fois le budget consacré à la réinsertion et à la prévention de la récidive. Si on utilisait cet argent pour payer des travailleurs sociaux, des éducateurs, on pourrait développer beaucoup d’activités en milieu libre, sans créer cette situation intenable sur le plan financier et humain.

AJ : La réforme de 2019 n’a-t-elle pas permis de diminuer le recours à l’incarcération ?

Matthieu Quinquis : Tous les observateurs du monde pénal et carcéral constatent que les mesures qui ont été adoptées n’ont eu strictement aucun effet sur le recours à l’incarcération, et donc sur la surpopulation. On constate depuis 2020 que la réforme a même été contreproductive. Le rapport des États généraux de la justice conclut que la réforme a eu pour effet d’augmenter le quantum moyen des peines prononcées de 11 % depuis 2019. Le garde des sceaux met en avant les effets à venir de la loi de programmation pour la justice. Éric Dupond-Moretti argue que la libération sous contrainte de plein droit, qui peut intervenir lorsqu’il reste au condamné exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d’une durée totale inférieure ou égale à deux ans, un reliquat de peine à exécuter inférieur ou égal à trois mois est étendu depuis le 1er janvier dernier. C’est vrai, mais cela ne suffit pas. D’autant plus que dans le même temps, le parlement a fusionné les crédits de réduction de peine, qui va avoir pour effet de rallonger la durée des peines. Les études d’impact sont très pessimistes : elles montrent que si on conserve le taux d’octroi actuel des réductions supplémentaires de peine, il y aura rapidement plus de 10 000 personnes détenues en plus.

AJ : Pourquoi la réforme des peines est-elle contreproductive ?

Matthieu Quinquis : Les magistrats essaient d’éviter les dispositifs qui s’imposent à eux, tels que les aménagements de peine « ab initio » en-dessous de 6 mois et en-dessous d’un an. Des pratiques juridictionnelles se mettent en place pour les contourner. Pour éviter d’avoir à aménager ab initio, certains magistrats vont surélever le niveau de répression. Si entre 1 et 6 mois d’emprisonnement, ils doivent aménager la peine, ils vont en prononcer 7. Au stade du prononcé, ces dispositifs ont donc pour conséquence de rallonger les peines. On a ensuite créé des dispositifs qui limitent les aménagements de peine et rallongent la durée effective de la peine. Pour une série d’infractions, des conditions plus strictes s’imposent à l’aménagement de peine. Et un certain nombre de personnes ne peuvent bénéficier de toutes les réductions de peine : les personnes qui ont commis des infractions contre les forces de l’ordre ou contre les personnels pénitentiaires, par exemple. Les procédures d’aménagement de peine sont aussi rendues plus complexes dans leur mise en œuvre avec un niveau d’exigence de garantie qui est élevé : les détenus qui les demandent doivent subir des expertises, passer devant le centre national d’évaluations, apporter des garanties solides sur la situation à la sortie. Cela explique qu’on constate depuis des années non pas une augmentation exponentielle des entrées en prison, mais un rallongement continuel des périodes de détention. On est incarcéré pour des peines plus longues et on reste détenu plus longtemps qu’il y a 15 ans.

AJ : Connaît-on par ailleurs l’impact sur la surpopulation carcérale de la procédure de comparution immédiate ?

Matthieu Quinquis : La comparution immédiate est pourvoyeuse de détention, il faut le souligner. Les prévenus ont 8 fois plus de chances d’aller en prison à la sortie d’une audience de comparution immédiate que d’une autre audience correctionnelle. En comparution immédiate, l’incarcération est prononcée dans 70 % des cas. C’est énorme. Plus des deux tiers des personnes ont un mandat de dépôt. C’est une masse très importante qui en plus est alimentée quotidiennement.

« En comparution immédiate, l’incarcération est prononcée dans 70 % des cas »

Dans les années 1980, les peines d’emprisonnement prononcées étaient en moyenne de 5 à 6 mois de détention. En 2023, elles sont passées à 10,7 mois. La durée moyenne de détention a quasiment été multipliée par deux en 20 ans. La part de I’incarcération dans les jugements pénaux est passé de 13 % en 2012 à 18 % aujourd’hui.

AJ : Pourtant, le nombre de personnes suivies en milieu ouvert augmente aussi…

Matthieu Quinquis : En effet. L’extension de la prise en charge en milieu libre s’est faite sur des personnes qui étaient complètement libres et auraient été, par exemple, condamnées à certaines formes de sursis. Pour résumer, les prévenus qui étaient exposés à la détention sont condamnés à des peines plus lourdes. Et les mesures en milieu libre s’étendent vis-à-vis de gens qui, de toute façon, ne seraient pas allés en détention. La population pénale augmente et les peines alternatives explosent : c’est bien que ces dernières visent les mauvaises personnes et qu’il y a un détournement de l’esprit de la loi. Il faut changer de culture et peut-être interdire que ces peines puissent être prononcées pour une série de faits.

AJ : Comment expliquez-vous cette répression accrue ?

Matthieu Quinquis : Chaque réforme pénale vient élever le niveau de répression. En cinq ans, selon une enquête du Monde, on a dénombré la création de 120 nouvelles infractions. En réalité, cela ne change pas grand-chose car 90 % des condamnations sont prononcées sur la base d’une centaine d’infractions. Mais ces créations influencent la manière dont on voit la justice pénale. Un discours répressif vient alimenter la perception de la justice et infuse, qu’on le veuille ou non, dans la société dont font partie les magistrats. Ces derniers vont préférer le bracelet électronique à l’incertitude de la liberté. Cela rend les pratiques judiciaires beaucoup plus répressives qu’il y a quelques années.

AJ : Que préconisez-vous pour faire baisser la population carcérale ?

Matthieu Quinquis : Il faut prendre acte de l’usage immodéré de la détention provisoire : 30 % des personnes détenues en France sont placées en détention provisoire. Pour faire baisser le nombre de personnes incarcérées, il faut également envisager une révision des critères de la procédure de comparution immédiate.

« La prison est au cœur de la réponse pénale »

D’autre part, il faudrait réfléchir à la dépénalisation de comportements qui engorgent la justice et les prisons. En ce qui concerne les infractions sur les stupéfiants, par exemple. La consommation de stupéfiants est un enjeu de santé publique avant d’être un sujet de politique pénale, et on refuse d’envisager d’autres manières d’y répondre que la répression. On peut aujourd’hui envoyer en prison des personnes pour usage et détention de stupéfiants : la loi prévoit la possibilité de condamner pour ce motif à un an de prison ferme et jusqu’à deux ans en récidive. En ce qui concerne les infractions routières, on a par exemple correctionnalisé le défaut d’assurance. Cette infraction est rarement sanctionnée seule mais vient favoriser le prononcé de peines d’emprisonnement ferme. La prison est au cœur de la réponse pénale. Même les peines proposées en milieu ouvert vont approcher la question de la prison, notamment en cas de non-respect du cadre. C’est finalement la seule réponse envisagée.

AJ : En plus de la prison, vous appelez à repenser les condamnations en milieu ouvert…

Matthieu Quinquis : Il faudrait déjà revenir à l’esprit de la loi et prononcer des peines vraiment alternatives, c’est-à-dire qui se substituent réellement à la détention au lieu de venir la compléter. Il faudrait aussi donner un véritable sens à ces condamnations en milieu libre. Une bonne partie des infractions commises sont un moyen de subsistance, certes illégal. Il compte aussi d’interroger qui on incarcère et pour quoi. Il faut que les personnes condamnées en milieu ouvert soient accompagnées et aient l’opportunité de se projeter vers autre chose qui les a conduites au tribunal. Si le port du bracelet est pensé simplement comme une incarcération à domicile, c’est une coquille vide.

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