Olivia Symniacos : « Avec la protection animale, on endigue la violence à sa base » !

Publié le 15/03/2024

Elle ne pensait pas que ce serait possible, et pourtant… En 2019, l’avocate Olivia Symniacos crée un cabinet 100 % dédié au droit des animaux : Animalex. Animaux d’élevage, domestiques ou sauvages, elle a fait de sa passion pour les bêtes et son envie de les protéger à tout prix un engagement professionnel porteur. Dans « Au nom de tous les animaux » (éd. Les Arènes), qu’elle a coécrit avec la journaliste, Valérie Péronnet, elle livre un témoignage poignant des combats menés au quotidien, parle empathie, évolutions législatives et liens entre violences contre les animaux et tournées contre les humains. Des sujets sérieux, mais toujours le sourire dans la voix, caractéristique de cette avocate déterminée et optimiste. Entretien.

Olivia Symniacos : « Avec la protection animale, on endigue la violence à sa base » !

Les Arènes

Actu-Juridique : Vous n’avez jamais eu très envie de devenir avocate… Dans quelles conditions l’êtes-vous devenue néanmoins après avoir été juriste pendant 13 ans ?

Olivia Symniacos : En effet, je voulais être juriste, surtout pas avocate ! Je ne voulais pas d’une profession libérale. Au moment où tout a basculé (elle rit), j’étais juriste en droit des sociétés dans un cabinet d’avocat. Au départ, quand j’ai prêté serment, le droit animalier était donc bien loin. Mais cela m’a rattrapée.

La première étape sur le chemin de la création d’Animalex s’est produite quand il m’a été proposé de m’associer dans mon ancien cabinet. Pour ce faire, il fallait que je devienne avocate ! J’ai serré les dents, pris la passerelle, travaillé la déontologie, passé l’examen. J’ai réussi. J’étais convaincue que ça n’allait rien changer. Et pendant quelque temps, rien n’a changé en effet : je restais dans mon bureau, sans plaider, sans mettre la robe, bien rangée dans un coin.

La deuxième étape est liée à mon profond attachement à mon chat de l’époque, Monsieur Toune. Il m’avait accompagnée lorsque je préparais la passerelle. En réalité, on a passé l’examen ensemble, car, à force de lui rabâcher mes cours de déontologie, il en savait autant que moi ! Petite anecdote, d’ailleurs : quand j’ai commandé ma robe, j’ai fait inscrire mon nom… et un numéro : le numéro de tatouage de M. Toune, déjà malade à l’époque. Quand il est parti, cela a été très dur. Sa perte m’a arraché le cœur. Je me suis dit : plus jamais je ne veux un animal, je n’arrive pas à gérer, mais j’ai aussi ressenti le besoin de renforcer mon engagement auprès des animaux, qui se traduisait déjà par du bénévolat au sein d’associations. Le destin a voulu que je tombe sur l’existence du premier DU de droit animalier à Brive. Je me sentais coincée dans ce métier que je n’avais pas choisi et d’un coup la solution apparaissait.

AJ : Aujourd’hui, vous êtes en alignement total avec vos convictions, mais cela n’a pas toujours été le cas…

Olivia Symniacos : À l’époque je n’étais pas épanouie. Mais quand on est dans un confort relatif, il n’est pas évident de faire la démarche de changer. Cependant, j’ai suivi le DU et je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. J’ai continué de me former, tout en continuant le droit des sociétés sans porter la robe.

Comme j’avais un réseau dans le milieu de la protection animale, cela a commencé par des conseils, un premier dossier, puis un second… J’ai discrètement créé un département droit animalier au milieu des autres départements droits des affaires du cabinet, et je voyais que cela interpellait les clients. Dans la salle d’attente, à côté du Point, j’ai progressivement glissé des 30 millions d’amis, Le monde des animaux… (rires)

Mais lancer un cabinet 100 % droit des animaux, c’est un projet qui se prépare, ne serait-ce que financièrement. Il n’est pas simple de passer du droit des affaires au droit animalier. J’avais commencé à y penser en 2018, et début 2019, j’ai créé le cabinet. J’avais le logo en tête (une balance de la justice avec un cochon et un chien, NDLR) pour signifier que le droit est au service des animaux, quels qu’ils soient. C’est même marqué sur mon papier à lettre. Un cochon a la même valeur qu’un chien ou qu’un loup. Je ne me suis pas mis la pression, j’ai tenté. Je me suis dit que si ça marchait, ça serait génial, mais dans le cas contraire, j’aurais quitté la profession pour essayer de concrétiser mon plan B, travailler dans un service vétérinaire d’une direction départementale de la protection des populations (DDPP). Mes revenus ont été divisés par trois, mais je m’en fiche ! L’essentiel est ailleurs. Ce que je veux, c’est être utile. Ce n’est pas toujours facile, mais le matin je me lève et j’apprends tant de choses, j’apprends de nouvelles races de chiens, de vaches. C’est très riche. J’ai trouvé ma place.

AJ : Vous parlez d’une vache rencontrée dans une stabulation dans un état famélique – et qui n’a pas survécu – comme d’un « être intense et bouleversant ». À votre avis, le droit prend-il de mieux en mieux en compte les animaux comme des êtres sensibles, comme avant d’autres sujets sociétaux, la place des femmes, les questions d’égalité de genre ou les discriminations envers les minorités sexuelles ?

Olivia Symniacos : La protection des animaux par le droit évolue. Si on regarde, il y a encore 10-15 ans, quasiment aucun dossier n’arrivait à la barre d’un tribunal. Depuis 1976, les animaux sont considérés comme des êtres sensibles dans le Code rural. On a redécouvert avec l’article 515-14 du Code pénal que les animaux sont sensibles, mais cela n’a rien de nouveau.

Les consciences évoluent car la science évolue. Notre conception des animaux n’est plus du tout celle de Descartes. Les animaux sont nombreux, ils partagent nos vies. Et c’est comme pour les bébés, que l’on a longtemps considérés à tort comme insensibles à la douleur. Les animaux sont bien des êtres sociaux, sensibles et conscients. Plus on les connaît, plus nos devoirs supplémentaires à leur égard semblent évidents.

Mais il existe des limites car un certain nombre d’activités légales consistent à exploiter des animaux. On ne peut pas les arrêter du jour au lendemain, il faut que ce soit évolutif. Dans un premier temps, il faut améliorer les conditions de détention et d’exploitation des animaux, que ce soit pour la recherche, l’élevage, les conditions d’abattage, etc. Les animaux ne sont plus des outils de production, ce ne sont plus des produits, ce sont des êtres vivants doués de sensibilité. À partir de là, on adapte les pratiques. Il existe des freins : sur les activités légales, ce frein, c’est l’argent, les emplois, la puissance politique d’un secteur économique. Concernant les « loisirs », il existe également des lobbies puissants, comme ceux de la chasse ou de la corrida. Mais la corrida, qu’est-ce qui la justifie ? La tradition ? On doit passer à autre chose et évoluer, comme toute civilisation digne de ce nom ! Je parle là de la torture d’un animal avec mise à mort, pas des autres activités taurines. Ce n’est pas la même chose de courir après un taureau dans les rues pour récupérer une cocarde accrochée à l’une de ses cornes. Peut-être que cela va ennuyer le taureau en question, mais il ne va pas être massacré. Je ne suis pas nécessairement pour l’abolition de toutes les pratiques taurines ; je pense que certaines pourraient être maintenues, du moment qu’elles s’exercent dans le respect de ce qu’est un être sensible…

AJ : Vous parlez de la nécessité de créer une spécialisation et un fichier national d’interdiction de détention des animaux. Est-ce simple ?

Olivia Symniacos : Si un fichier des interdits d’animaux voyait le jour, il faudrait se demander : serait-il accessible au commun des mortels ou comme le casier judiciaire, un volet seulement serait accessible ? Quelles informations y seraient délivrées ? Faudrait-il expliquer en détail le pourquoi du comment de l’interdiction ? C’est très compliqué en matière de protection de la vie privée. Il faudra trouver une solution pour que cette peine complémentaire d’interdiction puisse être contrôlée, au-delà de ce que font déjà les associations locales. Il y a une amélioration à apporter, mais il ne faut pas oublier quand quelqu’un est interdit d’avoir un animal et qu’il est découvert, c’est un délit et il finit devant le tribunal correctionnel pour une violation d’une règle pénale.

Créer une spécialisation s’avère nécessaire car le droit animalier est une vraie matière, assez technique. J’écris tous les ans au Conseil national des barreaux (CNB) pour leur demander de créer une spécialité. En substance, on me répond que ce n’est pas encore une matière qui est considérée à part entière. Mais ce n’est pas une sous-matière, un hobby que l’on pratique pro bono quand on a du temps. Je suis une professionnelle du droit, j’ai les mêmes obligations que les autres avocats, de formation, de charges à payer. Quand on cherche la compétence, ce n’est pas gratuit, car travailler gratuitement, c’est dévaloriser la matière. Un avocat en droit immobilier ne le fait pas gratuitement, un avocat qui défend les femmes ou les enfants victimes de violences, non plus. Donc pourquoi nous, qui défendons les associations de défense des animaux, travaillerions gratuitement ?

AJ : Il y a un travail de pédagogie à faire ?

Olivia Symniacos : Quand on se retrouve en face d’un magistrat à devoir plaider sur des cochons victimes de mauvais traitements, car il n’existe pas de douchette dans leur case, on pourrait être tenté de dire « quand même, ce n’est pas une thalasso ! ». En effet, si on ne sait pas que le cochon ne sait pas transpirer et réguler sa chaleur, et qu’il a besoin de cet arrosage pour réguler sa température corporelle et évoluer dans de bonnes conditions physiologiques, on ne comprend pas l’importance de l’absence de douchette. Et le magistrat n’est pas forcément passionné par les suidés ; il faut donc l’aider un peu ! De même, savoir que tel chien est plus susceptible de développer telle maladie n’est pas évident. Droit pénal, droit civil, droit de la responsabilité (comme avec les chiens mordeurs), droit de la propriété, droit de voisinage, cette matière est très enrichissante, intellectuellement comme humainement.

AJ : Quid de l’empathie ?

Olivia Symniacos : Mon empathie – la faculté de me mettre à la place de l’autre– ne se limite pas aux animaux. L’empathie, on l’a ou on ne l’a pas. Je ne suis pas hostile à l’être humain, j’essaie de comprendre le pourquoi du comment. Je peux être assez modérée sur certains dossiers et ne faire preuve d’aucune indulgence sur d’autres où je n’ai pas perçu cette touche d’humanité. C’est important d’être juste en tant qu’avocat. Je travaille avec mes biais et mes valeurs, mais je n’ai jamais de regret sur ce que je fais.

Certains dossiers m’ont bouleversée, comme celui de ce jeune homme qui avait égorgé son chien. Je me suis retrouvée à plaider du côté des associations de défense des animaux et en même temps d’une certaine manière, à plaider pour le jeune homme en expliquant qu’il était venu volontairement chercher une peine (devant l’horreur de son acte, il s’était dénoncé, NDLR). C’était la première fois que j’avais envie de serrer un prévenu dans mes bras. C’était troublant. Une chose est sûre, quand j’ai vu le jeune homme en train de lire l’étude sur le lien entre les maltraitances animales et domestiques que le lui avais remise, j’ai eu envie de pleurer.

AJ : Justement, que peut-on dire de ce lien ?

Olivia Symniacos : Aux États-Unis, cela fait bien longtemps qu’on en tient compte dans la loi. Ils savent très bien que beaucoup de tueurs en série se sont entraînés sur des animaux. Cela ne veut pas dire que parce qu’on fait du mal à un animal on finit tueur en série. Mais certaines affaires vont dans ce sens : il y a quelques mois, j’ai plaidé dans un dossier de zoophilie mais aussi de viol avec actes de barbarie. Évidemment qu’il y a un lien. Lamartine a écrit : « On n’a pas un cœur pour les êtres humains et un pour les animaux. On a un cœur ou on n’en a pas » ! De même, on n’a pas deux violences. Quand un individu est violent, intolérant à la frustration, et qu’il n’a pas été foutu d’aller s’inscrire au club de boxe pour se défouler, la première personne qui va se présenter –souvent pas une armoire à glace – va ramasser. Dans la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, il y a une grosse prise en compte de ce lien : désormais quand un signalement d’acte de cruauté sur animaux est fait dans un foyer, il y a un contrôle sur les conditions de vie des mineurs du foyer. Nous, défenseurs des animaux, nous sommes focalisés sur l’augmentation des peines, mais nous sommes aussi heureux de la meilleure prise en compte de ce lien, susceptible d’impliquer que des mineurs soient eux aussi victimes de mauvais traitements ou qu’ils risquent de reproduire ces violences contre les animaux, qu’ils auront banalisées. Certains détracteurs disent : « Il n’y a pas autre chose à faire que protéger les animaux quand des enfants souffrent ? ». Je leur réponds : « Quelque part, on le fait ».

Dans la société, on parle de plus en plus de « one health », une approche holistique de la santé. On commence à faire la même chose avec la violence. On forme un tout avec les animaux, nos destins sont liés. L’enjeu de la lutte contre les atteintes aux animaux dépasse la protection animale. L’idée est d’endiguer la violence à la base. Imaginez quelqu’un qui, pour des actes de cruauté sur un animal, se prend une peine ridicule mais avec une confiscation de son animal et l’interdiction d’en avoir d’autres. S’il n’a pas compris le message judiciaire et n’a pas été soigné, s’il est frustré et qu’il n’a plus d’animal, qui va-t-il tabasser ? Son gamin ou Madame ! Sûrement pas un copain boxeur… Alors le sursis, ce n’est pas si mal finalement : si l’individu commet une infraction supplémentaire, les deux peines vont être exécutables, donc la personne se tiendra à carreau plus longtemps, et envers tout le monde. À mon sens, la justice ne néglige pas la question de la protection des animaux. Ce ne sont pas des dossiers qu’on expédie plus que les autres.

AJ : Vous êtes avocate mais une part de vous est militante de la cause animale. Vous vous sentez un peu seule parfois ?

Olivia Symniacos : En salle d’audience, je ne lève pas le poing, mais ailleurs, oui ! Parfois ça se ressent un peu. Mais en même temps, c’est mon cœur qui parle. Je suis un être humain dans une robe. Quand je plaide, je ne suis pas dans le pathos, je suis optimisme. Mais j’ai pu me sentir seule : ce n’est plus le cas depuis que je travaille avec Céline Peccavy (barreau de Versailles) qui fait, elle aussi, uniquement du droit animalier mais depuis plus de vingt ans. Notre partenariat est complémentaire : elle travaille plutôt sur le volet civil, quand je suis davantage sur le volet pénal.

AJ : Dernière anecdote : Votre livre Au nom de tous les animaux est né sous la bonne étoile des chats… Dites nous-en plus !

Olivia Symniacos : C’est grâce à des chats errants que le livre a vu le jour. Marie-Pierre Bécas-Garro, agente littéraire, est bénévole et nourrit des chats. C’est une autre bénévole qui lui a fait découvrir la page du cabinet. Elle a trouvé ça vraiment intéressant, nouveau. Cela lui a donné l’idée de me contacter. J’ai saisi cette opportunité – une première pour moi – pour parler de droit animalier. Nous avons eu la chance que les éditions Les Arènes misent sur ce projet. Et concernant le chat noir en couverture, c’est un clin d’œil. Ce sont toujours les chats qui partent en dernier dans les refuges, car ils sont supposés porter la poisse. En le mettant en couverture (avec une robe d’avocat, NDLR), l’idée est de casser cette croyance : un livre avec un chat noir en couverture peut marcher quand on le fait avec le cœur, de la même manière qu’un cabinet dédié aux animaux n’est pas synonyme de suicide professionnel !

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