Assassinat de Samuel Paty : Abdelhakim Sefrioui se déclare en dehors de la « chaine causale »
Mardi 3 décembre, la cour d’assises a entendu Abdelhakim Sefrioui. Il encourt 30 ans de prison pour association de malfaiteur terroriste. Alléguant du fait que le terroriste n’a pas vu sa vidéo, il nie toute responsabilité dans l’assassinat de Samuel Paty.
Cheveux blancs, courte barbe, chemise bleu ciel, Abdelhakim Sefrioui s’apprête à s’expliquer sur les accusations retenues contre lui, ce mardi 3 décembre devant la cour d’assises. « Bien sûr, je refuse l’accusation d’association de malfaiteurs, pour avoir fait une vidéo. Je confirme tout ce que j’ai fait moi-même et je m’expliquerai sur l’intention et les moyens de chaque acte » déclare-t-il à titre liminaire. Peu avant le début du procès, ses avocats avaient organisé une conférence de presse pour expliquer qu’il n’avait rien à voir avec cette affaire. Le temps est venu pour lui de déployer sa défense.
La réputation de cet homme de 65 ans, couramment présenté comme un militant islamiste, ne plaide pas en sa faveur dans ce dossier. La cour commence par l’entendre sur sa personnalité et ses activités, ce qui est l’occasion d’aborder plusieurs sujets épineux pour l’accusé. Sa fille a refusé de venir témoigner, invoquant un état de santé dégradé à cause de son père ; le récit de ses déclarations, lu vendredi à l’audience, est glaçant. À onze ans, apprenant qu’elle a ses règles, il l’oblige à porter de voile si elle veut avoir le droit de sortir. Elle évoque surtout par la suite des insultes, il la traite de « maudite », de « juive », ainsi que des violences physiques. Elle raconte ainsi qu’il l’attache sur son lit et la frappe dans le cadre de séances d’exorcisme. Avec calme, Abdelhakim Sefrioui balaie ces accusations. Sa fille a des problèmes psychologiques, comme elle l’avoue elle-même, sans doute dus à la séparation de ses parents. Il prie pour elle.
« Le rôle du croyant consiste à réduire la part du mal et augmenter la part du bien »
Est-il radicalisé ce père qui aurait voilé sa fille tout juste pubère ? Il s’en défend absolument. « Je suis croyant pratiquant. Ma pratique est basée sur le savoir, les lectures. Il en ressort l’essentiel de l’islam. Le rôle du croyant dans la société consiste à augmenter la part du bien et réduire la part du mal ». En pratique, cela se traduit par la dénonciation des injustices, l’aide des pauvres et aux personnes en difficultés. Islamiste, lui ? Il nie, assurant approuver la laïcité en France « qui permet à toutes les religions de s’exprimer » et va même jusqu’à saisir l’occasion pour dénoncer les injustices commises au nom de l’Islam en Afghanistan.
On dit aussi que cet ancien éditeur d’ouvrages musulmans et libraire, qui milite depuis plus de 30 ans, serait proche des Frères Musulmans. En tout cas ce sont les informations de la sous-direction anti-terroriste. Il dément encore, ces policiers sont aussi mal informés que leurs sources, assène-t-il, sûr de lui. Puis il explique doctement : « en France, c’est l’ UOIF (Union des organisations islamiques de France) qui représente les Frères musulmans, si vous saviez ce que je pense d’eux et eux de moi, c’est de la science-fiction. Ils sont hégémonistes et je crois au pluralisme ». Impossible en revanche de nier qu’il a créé en mars 2004 le collectif Cheikh-Yassine du nom du fondateur du Hamas, le jour même de l’assassinat de celui-ci. « C’est un mouvement terroriste », lui rappelle le président. « Mon choix s’explique par le symbole que représente l’assassinat d’un tétraplégique sur un fauteuil roulant. On ne peut pas trouver plus lâche que ça. Ce n’est pas au colonisateur sioniste de déterminer qui est résistant ou pas » explique-t-il. Plus tard, il le comparera à Jean Moulin, « résistant côté français, terroriste pour les Allemands ». À quel titre, intervenez-vous ? l’interroge le président, à propos de ses activités associatives dont on comprend qu’elles consistent souvent à intervenir en soutien de parents face à l’administration scolaire. Réponse : « je représente les sans-voix. J’interviens au nom du droit ».
« L’état est impuissant contre mon machiavélisme »
Confronté aux nombreux témoins, par exemple le président du Secours islamique de France, qui le décrivent comme un homme dans le conflit permanent, violent, dangereux et radicalisé, il explique sans se démonter un instant que ses détracteurs lui en veulent d’avoir dénoncé des malversations : « Quand il s’agit de justice, je ne connais plus ni père ni mère. Je demande des explications et quand les gens sont outrés et refusent, je deviens le monstre qu’ils décrivent ».
« —Quand vous évoquez la « vermine sioniste » et que vous dites « nous demandons de détruire les sionistes », il y a une dimension un peu belliqueuse ? interroge le président.
— C’est une prière pour lever l’injustice. En 2017, je suis passé devant le tribunal pour ça, j’ai été relaxé, rétorque l’accusé qui précise : c’est normal, dans une prière, d’appeler la justice divine sur ses ennemis, toutes les religions le font ».
— Est-ce que ça vous arrive d’être insultant ? poursuit le magistrat qui cite l’audition de l’imam Chalgoumi. « Ma vie est finie depuis que Sefrioui est entré dans ma vie. Je suis le seul imam au monde qui prêche avec un gilet pare-balles » a-t-il notamment déclaré lors de son audition le 27 novembre.
— Devant toute la violence qu’il a décrite, il n’y a jamais eu de plainte, et pourtant les policiers qui sont avec lui pourraient témoigner.
— Le préfet Christian Lambert dit que votre collectif est derrière chaque conflit, insiste le magistrat…
— Si j’étais coupable de violences, pourquoi je n’ai jamais été inquiété ? Est-ce que l’état est défaillant à ce point ?
—Le préfet dit : il encourage les gens à passer à l’acte, contribue à créer les conditions du passage à l’acte…
—Et combien de passages à l’acte aurais-je inspirés ? L’état est impuissant contre mon machiavélisme » ironise l’accusé.
Abdelhakim Sefrioui a réponse à tout, maniant avec une habileté remarquable toutes les techniques rhétoriques. On devine également chez lui une grande maitrise des limites à ne pas franchir pour mener son action politique sans encourir les foudres de la loi.
« Je n’étais pas son conseiller »
Le président en arrive aux faits qui lui sont reprochés. Lors de son audition lundi (notre compte-rendu ici), Brahim Chnani a expliqué à la barre que tout aurait sans doute été différent si A. Sefrioui n’avait pas été à ses côtés. Il dit qu’il lui reconnaissait une certaine autorité en raison de son âge, de sa fonction au sein du bureau du Conseil des imams de France* et de son expérience de ce type de problème. D’ailleurs, il le vouvoie, tandis qu’ Abdehakim Sefrioui lui dit « tu ». Si les deux hommes aujourd’hui se ménagent, donnant l’image à l’audience de se respecter, sur le terrain de la défense, c’est visiblement chacun pour soi. « Je n’étais pas son conseiller, je suis venu assister avec lui à la rencontre avec la principale » corrige l’accusé dont le discours, tiré au cordeau, s’attache autant à la précision du vocabulaire qu’au déroulé méthodique des raisonnements. L’accusé précise : « Non, je ne l’ai pas encouragé, je ne lui ai pas demandé de porter plainte ». Sa stratégie de défense consiste à ne reconnaître que l’incontestable, à savoir la vidéo qu’il a tournée au collège et mise en ligne le 11 octobre. Ainsi répète-t-il tout au long de la journée comme un mantra que le terroriste n’a pas vu sa vidéo – rien n’indique le contraire en effet -, qu’il n’y cite pas le nom de Samuel Paty et qu’elle a été mise en ligne en fin de soirée le 11 octobre (l’affaire a éclaté le 7), soit quatre jours après que le terroriste a « ficelé son projet macabre ». Elle totalisera 30 000 vues et aucun commentaire, ceux-ci étant fermés.
« —Vous estimez que vous n’avez aucune responsabilité dans la chaine causale ? l’interroge la cour.
—Non. Je suis à côté de cette chaine ».
Le problème, c’est que la justice lui reproche plus que la video : toutes les actions qu’il a menées contre Samuel Paty aux côtés de Brahim Chnina.
Un couscous d’amitié
Au cœur du dossier se trouvent les caricatures du prophète publiées par Charlie. C’est parce qu’il voulait venger le prophète, qu’Anzorov a assassiné Samuel Paty. Mais c’est pour lutter contre la discrimination des musulmans que Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui assurent avoir agi. Il n’y aurait donc aucun lien entre leur action politique légitime contre l’islamophobie et l’attaque terroriste. Sans surprise donc, l’accusé assure à plusieurs reprises qu’il n’a aucun problème avec les caricatures. Bien sûr elles le blessent, mais il comprend parfaitement que cette liberté en France est absolue et il l’accepte. Le problème, pointent tant le parquet que les parties civiles, c’est que sa vidéo évoque surtout le prophète. À commencer par son titre : « L’islam et le prophète insultés dans un collège public : le vrai séparatisme ». S’il évoque le séparatisme, c’est qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer le 2 octobre précédent, dans un discours aux Mureaux, les grandes lignes de sa politique contre le séparatisme islamiste qui donnera lieu à la loi du 24 août 2021.
Dans sa vidéo, A. Sefrioui dénonce ce qu’il analyse comme un appel du président de la République à haïr les musulmans. Pour lui, le cours « abject » de Samuel Paty est la réponse d’un « voyou » à cet appel à la haine. On y voit ensuite la fille de Brahim Chnina livrer son témoignage. Et l’auteur de la vidéo de conclure « si on accepte ça, demain on arrivera peut-être à ce qu’il s’est passé à Srebrenica ». C’est une référence au massacre de 8000 bosniaques musulmans en juillet 1995. La vidéo est postée le dimanche 11 octobre à 23h52 sur un nouveau compte, le lendemain matin, il envoie le lien à ses contacts. La prochaine action devait être une manifestation devant le collège, un « couscous d’amitié » selon ses termes. Un exemple parmi d’autres de l’oscillation permanente entre la violence de ses discours et l’affirmation qu’il est un homme de paix. Il s’en explique en avançant que les discours politiques sont par nature outranciers.
« Il aurait suffi qu’elle dise à la réunion que M. Paty s’excusait »
À la question, maintes fois répétée de savoir s’il était conscient du risque qu’il faisait courir à Samuel Paty, Abdelhakim Sefrioui affirme « non, absolument pas », rappelant au passage que sa vidéo « n’était pas judiciarisable ». Sans doute faut-il comprendre que sans l’attentat, elle n’aurait pu être poursuivie en justice. Puis il n’hésite pas à mettre en cause les forces de l’ordre. Comment aurait-il eu conscience du risque, alors que c’est le collège qui recevait les menaces et que la police, mieux informée que lui, n’a pas jugé bon d’assurer la protection de Samuel Paty ? Comme Brahim Chnina, il estime aujourd’hui que la principale aurait pu sauver la situation, mais pas pour les mêmes raisons. Le père regrette qu’elle ne lui ai pas dit que sa fille était absente au cours. A. Sefrioui quant à lui déclare : « Il aurait suffi qu’elle dise à la réunion que M. Paty s’excusait, retirait la caricature la plus litigieuse, pour que tout s’arrête ». Puis il assure, comme l’avait fait Brahim Chnina la veille, qu’il aurait « aimé être ce soir-là à Conflans pour empêcher ce crime ». C’est peu de dire que les parties civiles peinent à le croire…
*Conseil des imams de France : selon la presse, c’est une association créée en 1992 regroupant une demi-douzaine de représentants de mosquées d’Ile-de-France et du Nord.
Référence : AJU487064