Assassinat de Samuel Paty : la collégienne décrit l’engrenage tragique du mensonge

Publié le 27/11/2024

La cour d’assises a entendu mardi 26 novembre Zohra*, l’élève qui a menti à propos de Samuel Paty.  Son père encourt trente ans de réclusion criminelle.

Assassinat de Samuel Paty : la collégienne décrit l’engrenage tragique du mensonge
La salle d’audience des grands procès où siège la cour d’assises spécialement composée (Photo : ©P. Cabaret)

Elle n’avait que treize ans et demi lorsque, en octobre 2020, elle a lancé de fausses accusations contre Samuel Paty.  Jugée et condamnée à dix-huit mois avec sursis par le tribunal des enfants en 2023, aux côtés de cinq de ses camarades poursuivis pour avoir désigné leur professeur au terroriste, la voici qui entre ce mardi matin dans la salle d’audience. Le public et la presse sont venus en masse découvrir celle par qui tout le malheur est arrivé.

Une lycéenne sage

Au procès des majeurs, elle n’est plus accusée, mais témoin.  De la porte située sur le flanc gauche de la salle surgit une jolie métisse de 17 ans, longiligne, vêtue d’une mini-jupe plissée anthracite, et d’un haut blanc et gris. Ses cheveux longs sont sagement attachés. On la dirait tout droit sortie d’un collège britannique. Elle remonte la travée centrale avec une rare assurance, aux côtés de son avocate, dont la présence a été autorisée à titre exceptionnel, s’agissant d’un témoin, sans doute en raison de sa minorité. Le président l’informe qu’elle est entendue à titre de simple renseignement et ne lui fait pas prêter serment.

Zorha croise les mains sur le pupitre. La voici exposée au regard du public, des cinq magistrats composant la cour, des deux parquetiers et des dizaines d’avocats. Sans doute ne voit-elle qu’une seule personne dans ce prétoire, son père, assis dans le box vitré, qui l’observe en silence. Ils ne se sont pas vus depuis des mois. Pour avoir cru en ses mensonges, les avoir relayés sur le web, dénoncé le professeur et livré les informations susceptibles de le localiser, avec la fin tragique que l’on connait, Brahim Chnina, 52 ans, encourt 30 ans de réclusion criminelle. Zorha, qui a été jugée avant lui, alors qu’il était en détention provisoire, sait tout cela et songe sans doute qu’elle tient en partie son avenir dans ses mains. Alors elle va tout faire lors de cette audience pour attirer sur elle l’attention de la justice et tenter de sauver celui qu’elle a encore l’âge d’appeler « papa ». D’où un témoignage où s’entremêlent l’aveu sans réserve de ses mensonges et la défense acharnée de son père.

« J’étais une fille qui se permettait beaucoup de choses »

On s’attendrait à un mot pour les victimes, il viendra, mais plus tard. Pour l’heure, elle attaque directement le récit des faits.  « Le lundi (5 octobre), j’étais en cours avec Monsieur Paty et il a annoncé qu’il allait montrer le lendemain des caricatures qui pouvaient choquer, les musulmans pourraient lever la main et sortir.  Je posais beaucoup de questions sans lever la main pour dire qu’il devait faire cours à tout le monde et je perturbais la classe, il m’a exclue » se souvient-elle. Le lendemain, des douleurs de ventre la retiennent à la maison, elle n’assistera donc pas à cette présentation des caricatures de Charlie. Qu’importe, deux filles de sa classe lui racontent mercredi 7 octobre que les dessins les ont choquées, que le professeur  avait demandé aux musulmans de lever la main et de sortir. « À ce moment-là, j’étais une fille qui se permettait beaucoup de choses » reconnait-elle. La collégienne se plaint à la CPE d’avoir été victime d’une discrimination. « Elle m’a répondu qu’elle était au courant, mais qu’il ne fallait le dire à personne ».  Dans le bus, sa mère l’appelle, furieuse, d’avoir appris que sa fille allait être exclue du collège pour ses problèmes de comportement. « Sous le coup de la panique, j’ai expliqué que je n’étais pas d’accord et qu’on avait vu des caricatures » confie Zohra. C’est le premier mensonge qui lui est venu à l’esprit pour tenter de détourner la colère parentale. Le soir même, son père exprime son indignation sur Facebook en donnant les éléments d’identification du professeur. La machine infernale est amorcée.

« Pour que la plainte aille plus vite, il faut mettre pornographie »

Le lendemain 8 octobre, son père est à la sortie du collège « avec un monsieur qui s’est présenté comme journaliste et m’a demandé si Je pouvais lui raconter ». Il s’agit d’Abdelhakim Sefrioui. Elle n’est pas d’accord, sans doute songe-t-elle que l’excuse inventée pour dissimuler ses frasques prend une tournure qui lui échappe, mais elle accepte, à condition qu’il ne filme pas son visage. Et Zorha réitère son mensonge sur cette vidéo. Elle se sent de plus en plus mal. Il y a eu les messages Facebook postés par son père et puis les nombreux appels de soutien au cours desquels elle l’a entendu répéter son mensonge. Et voici maintenant qu’un  « journaliste » la filme.  Voyant son état son père lui propose d’aller porter plainte. La croit-il traumatisée par Samuel Paty ? Pense-t-il qu’une sanction contre son professeur pourrait la réconforter ? Nul ne le sait.  Elle pourrait tout arrêter. Mais elle ne sait déjà plus, explique-t-elle, comment sortir de son mensonge. Alors elle va le réitérer, devant la police cette fois. « La policière m’a reçue toute seule, elle m’a demandée de raconter la discrimination, puis elle a reçu mon père et lui a expliqué : pour que la plainte aille plus vite, il faut mettre image pornographique.  Mon père a dit non, discrimination ». Finalement, c’est bien pour pornographie que la plainte est rédigée. Est-ce vraiment la policière qui a inspiré ce motif ? Le doute persiste. Zorha assure à la barre que son père n’y est pour rien, qu’il n’a jamais prononcé le mot « pornographie ». On la croit bien volontiers, en revanche, dans ses messages du 7 octobre, il s’indigne autant de la prétendue discrimination que de l’image de « notre cher prophète nu ». Or, on sait aussi que la défense a intérêt à éloigner le motif des caricatures, trop caractéristique du terrorisme,  pour se situer sur le terrain de la simple lutte politique contre l’islamophobie.

« Je pensais que quelqu’un allait m’arrêter dans mon mensonge »

Le lundi 12 octobre, la collégienne est convoquée par la principale. La vidéo de son père a tourné tout le week-end sur les réseaux sociaux. « J’ai redis que j’étais dans ce cours, que j’avais vécu une discrimination. Je pensais que quelqu’un allait m’arrêter dans mon mensonge en disant « tu n’étais pas à ce cours, arrête ça » ». Mais cela ne s’est pas produit. Ses parents, la police, puis maintenant son collège, personne ne parvient à stopper la course folle d’un mensonge d’adolescente dissipée. À croire que, dans cette affaire, tous les adultes ont été tétanisés. Le plus terrible réside sans doute dans ses réponses aux questions sur l’origine du mensonge. A-t-elle était victime de racisme de la part de ce professeur ? Non. De discrimination ? Non. Lui en voulait-elle de quoi que ce soit ? Pas davantage. Espérait-elle une sanction contre lui ? Absolument pas. Elle ne pensait qu’à « couvrir ses exclusions » et l’accusation de discrimination à l’égard des musulmans est la première idée qui lui est venue à l’esprit. « Tous les jours je me disais que ça allait trop loin,  mais je n’arrivais pas à stopper ».

« J’ai profité de sa naïveté et de sa gentillesse »

Zohra se sent de plus en plus mal, au point que le jeudi, son père, l’emmène chez un psy. Elle pourrait tout avouer à la thérapeute, lui demander comment s’en sortir.  Elle se tait. « Le vendredi 16 octobre, je me suis réveillée, on est allé manger à la boulangerie, après, on a amené un dessert à maman à son travail, je me suis dit :  c’est le moment de dire à mon père que je mens, que j’ai profité de sa naïveté et de sa gentillesse. C’est à ce moment-là que j’aurais dû dire que c’était faux ». Elle ne dit rien. Vers 15 ou 16 heures, un camarade de classe, Mohamed A. l’appelle pour lui demander de confirmer son récit. Il affirme lui avoir précisé qu’un homme à ses côtés voulait filmer Samuel Paty en train de s’excuser. Elle nie farouchement. Toujours est-il qu’elle ment, une fois encore. Cette fois, indirectement, à l’homme qui vérifie, juste avant de tuer, que les faits sont exacts.

« J’ai appelé mon père, sa voix était tremblante »

Quelques heures plus tard, c’est devant BFM qu’elle apprend la mort de son professeur. Zohra se jette dans les bras de sa sœur, puis de sa mère. « Ensuite, j’ai appelé mon père, sa voix était tremblante, il m’a dit qu’il allait chercher ma sœur à son entrainement et qu’il arrivait » se souvient-elle. Sa belle-sœur propose de l’emmener chez elle.  « Pendant le trajet, on m’a envoyé la photo de Samuel Paty décapité, j’ai pris mon téléphone et je l’ai jeté dans la voiture ». Même là, elle continue de se taire, obstinément. Il faudra trente heures de garde à vue pour qu’enfin elle avoue avoir menti.

Zorha a achevé son récit. Le président lui demande si elle a encore quelque chose à dire. « Je sais que mes excuses sont dures à entendre, mais je tenais à m’excuser sincèrement, et je suis désolée d’avoir détruit votre vie » explique-t-elle aux parties civiles.  Puis elle s’adresse aux siens et se met à pleurer.  « Je tiens à m’excuser auprès de ma famille et de mes parents parce qu’on se retrouve tous ici à cause de mon mensonge.  Et envers mon père ».

« Aujourd’hui, si quelqu’un doit être condamné, c’est moi »

Lorsque vient le temps des questions des parties civiles, la situation se tend. Car si la salle ne la connait pas, les avocats des victimes, eux, ont déjà vécu son procès. Et pointent ses incohérences. La fragile lycéenne se change alors en guerrière. « Vous ne vous étiez pas excusée à votre procès, qu’est ce qui a changé ? l’interroge Me Virginie  Le Roy, avocate d’une partie de la famille Paty. « Il y a un an je ne m’étais jamais retrouvée devant un tribunal, j’ai tenté de le faire, mais je n’ai pas réussi et aujourd’hui c’est la dernière fois qu’on va prendre la parole, et je tenais à le faire ». On apprend qu’elle avait plaidé la relaxe au motif que Samuel Paty avait bien montré les images et qu’il était donc coupable, de sorte que la dénonciation calomnieuse n’était pas constituée selon eux. « La famille Paty avait quitté la salle » rappelle l’avocate qui voudrait qu’elle précise son positionnement. « Ce n’est pas moi qui aie plaidé, ce sont mes avocats. Aujourd’hui, si quelqu’un doit être condamné, ce ne sont pas les personnes dans le box, mais moi » assène-t-elle à la barre.

S’agissant du rapport à la religion de son père, Me Le Roy évoque un PV relatant la sonorisation de sa cellule. Il en ressort que lors du ramadan, il appelle ses filles à 4 heures tous les matins pour leur rappeler de faire la prière et de lire le Coran. « C’est faux » répond-elle. Interrogée par plusieurs avocats à ce sujet, elle n’en démordra pas : son père pratique normalement sa religion et n’impose rien à sa famille. Même le redoutable Francis Szpiner, avocat du fils de Samuel Paty, s’y casse les dents. Alors qu’il l’interrompt, elle lui lance, péremptoire « laissez-moi finir » avant d’envoyer paître un autre avocat des parties civiles d’un « vous n’avez pas à m’interroger sur les dires de mes avocats ». Cela va jusqu’au déni face à l’évidence. Par exemple lorsque Me Vincent Brengarth, l’un des avocats d’Abdelhakim Sefrioui, l’interroge sur la vive réaction de son père quand il apprend ce qui n’est encore qu’un petit incident au collège.

« —Votre père est en colère…

—Non.

—Il dit : « c’est une honte, il faut virer ce malade » et vous estimez qu’il n’est pas en colère ?

—Non, en aucun cas dans sa vidéo, il ne présente une attitude colérique ».

C’est finalement Me Frank Berton, l’un des avocats de son père, qui parvient à fendre l’armure, lorsqu’il lui demande, après des heures d’audition, si elle pense que son papa a changé depuis le temps qu’elle ne l’a pas vu. Alors, la guerrière redevient une petite fille écrasée par le fardeau de sa faute, terrifiée à l’idée que son père finisse ses jours en prison, et s’effondre en larmes à la barre.

 

*Le prénom a été changé.

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