Assassinat de Samuel Paty : Portrait des deux amis du terroriste accusés de complicité

Publié le 08/11/2024

Les premiers jours du procès ont été consacrés aux interrogatoires de personnalité des huit accusés. Deux d’entre eux encourent la perpétuité pour complicité. Ils ont aidé le terroriste à trouver une arme et à se rendre sur le lieu de l’attaque (1/3).

Assassinat de Samuel Paty : Portrait des deux amis du terroriste accusés de complicité
Entrée de la salle des grands procès, palais de justice de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Comme un réalisateur qui zoomerait sur les personnages de son film après un premier plan d’ensemble, la justice a commencé mardi 6 novembre à se rapprocher des accusés en se penchant sur leur personnalité. La procédure se déroule en deux temps. D’abord un enquêteur rend compte de ses – modestes – investigations : un entretien en prison, quelques rencontres ou conversations téléphoniques avec les proches, des recherches sur le parcours scolaire et professionnel.  Puis, l’accusé est interrogé sur les éléments qui ont été exposés. On n’aborde, à ce moment-là du procès, ni le fond du dossier, ni les éléments clés, comme la religion. La justice veut juste savoir qui elle juge. La cour d’assises a choisi de commencer par les deux accusés qui risquent le plus, à savoir les proches d’Anzorov.  Le terroriste qui a assassiné Samuel Paty était originaire d’Évreux. Là-bas, des amis l’ont aidé à trouver une arme et à se rendre sur le lieu de l’attentat.  Ils sont accusés de complicité et risquent la peine capitale.

 Le premier à se retrouver au centre de l’attention est Azim Epsirkhanov, 23 ans. Cheveux noirs, visage fin, triangulaire, barbe de quelques jours. Il porte un pull beige à fermeture Éclair fermé jusqu’en haut par-dessus une chemise blanche entièrement boutonnée. Son grand-père était policier, son père a été militaire, lui voulait intégrer l’armée française et ça se voit. Debout droit dans le box, les mains croisées devant lui, sa tenue est si impeccable qu’elle ressemble à un uniforme ; et c’est avec une rigueur toute militaire qu’il se prête à l’exercice judiciaire. La justice lui reproche d’avoir « aidé et accompagné activement » Anzorov dans la recherche et l’achat d’armes.

« Des hommes cagoulés, du sang, un coup de crosse »

Azim Epsirkhanov est né en Tchétchénie en 2001 de parents âgés de 17 ans. La famille vit chez le grand-père paternel. Enfant choyé, excellent élève à l’école, la violence de son pays fait brusquement irruption dans sa vie à l’âge de neuf ans, lorsque son père est enlevé en pleine nuit à son domicile. Il se souvient du fracas, des hommes cagoulés de vert, du sang, et d’un coup de crosse qu’on lui assène sur la tête. Pendant une semaine, la famille pense que le père est mort. Puis il rentre, sans doute grâce aux relations du grand-père, ancien policier. Il ne dira jamais ce qui lui est arrivé, le sujet est tabou dans la famille, mais tout le monde voit les traces de torture sur son corps. La famille décide de se réfugier en France qu’elle rejoint en train, puis en taxi depuis la Pologne. Azim Epsirkhanov y  arrive à l’âge de 10 ans. La sécurité a un prix. Pendant neuf ans, la famille erre d’hôtels Formule 1 en foyers et ne survit que grâce aux allocations, aux associations et aux restos du cœur. Sa scolarité s’en ressent. Il change souvent d’établissement, mais parvient cependant à apprendre le français et à décrocher son Bac pro, option commerce. Si tout le monde croit en lui, il déçoit souvent. Ses enseignants regrettent qu’il ne travaille pas davantage, il a de grandes capacités.

Quand il est arrêté il y a quatre ans, il venait de s’installer avec sa compagne, convertie à l’Islam quelques années auparavant – il précise que sa religion n’était pas un sujet pour lui-, à Rouen et cherchait un stage en alternance dans le cadre de son BTS. On le décrit comme serviable, empathique, avec une grande soif de reconnaissance et une forte identité tchétchène.

« À l’école, on est là pour apprendre, mais j’avais besoin de m’amuser »

Vous reconnaissez la complicité ? l’interroge le président à l’issue du rapport de l’enquêtrice de personnalité. « Je conteste les faits » répond-il. Puis, il réagit à ce que la salle vient d’entendre. « Mes enseignants m’ont toujours soutenu, je comprends que j’ai pu décevoir par mon manque de travail, mais quand je rentrais chez moi, je devais garder mes deux petites sœurs et mes deux petits frères. L’école était mon échappatoire,  on est là pour apprendre, mais j’avais besoin de m’amuser ». L’autre déception qui entache son image dans le récit de l’enquêtrice, ce sont ces engagements manqués en tant qu’arbitre de football. Il s’explique : « c’était payé 80 euros par match, il y en avait quatre par mois, cela me permettait d’aider mes parents. Mais je devais rejoindre les stades par mes propres moyens, je prenais des bus, je marchais des kilomètres, tous n’étaient pas en centre-ville ». Son casier comporte quelques mentions, des peccadilles. Et une ombre aussi. Lors d’une rixe, il prétend avoir voulu séparer les protagonistes au moment où l’un de ses amis chute dans un escalier. Toutefois, un témoin affirme qu’il a donné gratuitement un violent coup de pied à l’agresseur. Parole contre parole. Interrogé sur les réseaux sociaux qui ont joué un rôle central dans cette affaire, il répond « « J’y étais énormément, je cherchais à avoir beaucoup d’abonnés. J’avais un Instagram, un Snapchat, un twitter et un Facebook ».

« J’étais énormément sur les réseaux sociaux »

C’est au collège qu’il a rencontré Anzorov. À l’époque, il est surpris par la pratique religieuse intense chez son ami. « Sa famille n’écoutait pas de musique, sa mère refusait l’accolade. Son père était très porté sur la religion, il refusait que sa femme sorte seule » précise-t-il. Les deux amis se perdent de vue lors d’un déménagement. Quand ils se retrouvent, « Anzorov est sur Facebook, où il a pas mal d’amis. Il se prend pour un influenceur » se souvient l’accusé. La relation se distend à mesure qu’Anzorov se radicalise. Azim Espsirkhanov assure aimer la France qui l’a accueilli, nourri, logé et qu’il qualifie de « pays-mère ». Son avocate précise que l’armée était prête à le prendre et suivait avec attention son dossier administratif, car il ne possédait pas de titre de séjour. Suite à l’attentat, un arrêté du 6 novembre 2020 lui a retiré sa carte de séjour temporaire. « Au mépris de la présomption d’innocence » précise son conseil.

 Fils de fonctionnaires

Le parcours de Nabil Boudaoud est beaucoup moins romanesque. Sa mère est algérienne, son père, moitié algérien, moitié français. Ils ont construit leur foyer dans l’Eure. Avant sa naissance, sa mère a perdu un enfant à sept mois de grossesse. Elle a aussi accouché de lui à sept mois, mais il a survécu. Est-ce pour cela qu’il est collé à sa mère pendant son enfance ? Toujours est-il que c’est un enfant si introverti que l’on craint un moment qu’il ne soit autiste.  Un frère naît trois ans après. Sa famille est musulmane, mais il n’a reçu qu’une éducation religieuse limitée et ne parle pas arabe. Ses parents sont tous les deux fonctionnaires en mairie, ce qui assure à la famille un certain confort matériel. La vie est douce, jusqu’au départ de la mère en 2012. Naïm lui en veut et reste avec son père. Après quelques mois, une garde alternée est mise en place, puis il finit par s’installer chez sa mère.  Lors de la séparation de ses parents, il est en 6e. C’est alors que commencent les problèmes de concentration, de bavardage. Il avoue qu’il « fout le bazar ».  Son niveau scolaire s’en ressent, mais il valide quand même le CFG à l’issue de la 3e. En terminale, il se ressaisit, et obtient en juin 2020 un Bac pro. Il projette de s’inscrire dans un BTS en bâtiment, mais ne trouve pas de stage. Le voici donc oisif à la rentrée 2020 et fraîchement doté d’un permis de conduire et d’une voiture. C’est l’ivresse de la liberté. Côté caractère, tout le monde s’accorde sur son côté généreux et serviable. Il a l’habitude d’acheter à ses amis ce qu’ils ne peuvent pas s’offrir parce qu’il est conscient d’être privilégié. Son père le décrit comme naïf. Sa mère explique qu’il manque de confiance en lui, en raison de sa maigreur

Anzorov, « mon pote de la salle »

Ce manque de confiance le pousse à solliciter l’aide d’Azim Epsirkhanov quand il se sent menacé. Ils se connaissent via les réseaux sociaux, qu’il fréquente lui aussi assidûment. Pas pour faire le coup de poing, mais juste pour impressionner son adversaire. Le Tchétchène devient une sorte de grand-frère ; il le prend sous son aile et l’emmène à la salle de musculation. C’est là que Nabil Boudaoud fait la rencontre d’Anzorov en 2019 ; il le surnomme « mon pote de la salle ».  Un enquêteur de la SDAT (sous-direction antiterroriste) nuancera un peu plus tard cette présentation de leur relation en expliquant qu’il est arrivé aux deux hommes de prier ensemble.  C’est lui qui a transporté le terroriste sur les lieux de l’attentat. A-t-il simplement aidé un ami comme il l’avait fait avec d’autres sans comprendre à quoi il participait ?  Nabil Boudaoud conteste les faits qui lui sont reprochés. La justice s’est donnée un mois et demi pour statuer.

 

À suivre : le groupe de la djihadosphère (2) et les auteurs des vidéos (3)

 

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