Attentat contre Charlie : « Il doit donner des réponses ! » lance la mère de Peter Cherif
Mercredi matin, la cour d’assises a entendu la mère de Peter Cherif, contrainte par la justice de venir témoigner malgré le handicap qui complique ses déplacements.

La mécanique du fauteuil roulant, poussé par un pompier du palais de justice, grince légèrement dans la salle parfaitement silencieuse. M. Cherif, la mère de l’accusé, ne voulait pas venir témoigner en raison du handicap qui limite ses déplacements. Mais la cour d’assises a haussé le ton, et la voici qui s’avance à la barre, à l’ouverture de l’audience, mercredi 25 septembre.
Une femme énergique et très en colère
C’est une petite femme brune entièrement vêtue de noir, les cheveux libres retenus par un large bandeau qui dégage son front. Regard puissant, traits volontaires, la sexagénaire raconte l’enfance sans histoire d’un enfant « calme, respectueux, intelligent » jusqu’à la mort de son père, lorsqu’il a 14 ans. Il bascule dans la délinquance, est incarcéré une première fois, puis une deuxième et finit par quitter le lycée en première, à l’âge de 19 ans. C’est le début de la dégringolade. Elle est terrible cette mère. L’enquêtrice de personnalité au deuxième jour du procès avait décrit une femme marquée tant par la souffrance liée à ses lourds problèmes de santé, que par la violence ayant émaillé son parcours personnel, on découvre à la barre une femme énergique, combattive, et très en colère. Atteinte de la poliomyélite durant son enfance en Tunisie, elle est laissée sur place par ses parents qui gagnent la France et ne les rejoint que des années plus tard. Son premier enfant, le frère ainé, est le produit d’un « lourd secret de famille » avait-elle confié à l’enquêtrice ; sans en dire davantage. Il est placé à la DASS, à l’époque elle vit seule de petits boulots, habite à l’hôtel. Du père de Peter Cherif, elle dit que c’était un drogué, un alcoolique, qui lui prenait son argent pour acheter sa drogue et surtout qui l’a frappée durant toute sa grossesse, jusqu’à venir l’agresser à l’hôpital juste après son accouchement. Il a tapé aussi son fils, qui n’avait que deux mois. « Il va me tuer le petit », songe-t-elle ; c’est à ce moment qu’elle décide de le quitter.
« C’est le moment de cracher tout ce qu’il a à dire »
Ce père si important pour lui, Peter Cherif ne le connaîtra qu’à travers les barreaux de la prison où il séjourne pour braquage. Elle a récupéré son aîné, les deux enfants s’entendent bien. Et puis Marcel C. arrive dans leur vie. C’est le début d’« une vie plus sereine, plus équilibrée, il est très serviable, toujours disponible » raconte-t-elle. Lors du premier départ de son fils pour le djihad, il lui dit qu’il va apprendre l’arabe et la religion en Syrie ; une fois sur place il lui raconte au téléphone la beauté du pays, puis soudain disparait. Elle le cherche partout, enquête, panique. Il est en réalité emprisonné en Irak. Quand il réapparait, elle crie au miracle. « Moi je pense qu’il a été fortement manipulé » confie-t-elle à la barre, ne dissimulant pas sa colère contre Farid Benyettou, le prédicateur repenti de la filière des Buttes Chaumont. Puis elle lance d’une voix forte « Je voudrais lui demander qu’il sorte de son silence parce que c’est le moment de cracher tout ce qu’il a à dire, s’il a eu une participation, si infime soit-elle, qu’il le dise ! Les gens attendent de connaître la vérité, on n’a pas le droit d’être silencieux devant votre cour. Le mutisme dans lequel il s’enferme le condamne (…), il doit donner des réponses ». Dans son box, sanglé dans un costume gris impeccable, chemise blanche, cravate bleu ciel, lunettes d’intellectuel, Peter Cherif se tait. Depuis le début du procès, son élégance surprend. Elle est inhabituelle dans ces circonstances. Cet homme qui maitrise aussi impeccablement ses prises de parole que sa tenue vestimentaire doit songer qu’on ne le piègera pas avec les cris d’amour d’une mère. En réalité, la cour d’assises ne tend aucun piège et tente seulement de comprendre qui elle juge.
« Tu m’as détruite, Peter, je ne te pardonne pas »
Habituellement, l’entourage des djihadistes assure toujours à la barre que non, ils n’ont rien vu, qu’ils n’étaient au courant de rien. Que la radicalisation leur a échappée, que le passage à l’acte les a totalement surpris. La m ère de Peter Cherif ne déroge pas à cette règle. Bien que son fils ait été arrêté en décembre 2018 et que son rôle au sein d’AQPA ait fait la une des médias, celle qui lui a envoyé 300 euros tous les mois, puisées dans ses allocations, durant les sept années qu’il a passées au Yémen, feint à la barre de découvrir la réalité et s’emporte. « Comment il a pu faire partie d’Al Qaida, c’est des gens que je déteste, comment j’ai pu engendrer ça moi-même ? Tu m’as détruite Peter, je ne pensais pas que tu allais faire ça, je t’ai fait confiance, j’ai été aveuglée par l’amour que j’avais pour toi, je ne te pardonne pas » cingle cette mère en colère. Ils ne se sont pas vus depuis six ans tous les deux. À cause de ses problèmes de santé à elle. Depuis trois mois, apprend-on au fil de ces déclarations qui se changent souvent en diatribes, il lui a dit qu’il ne l’appellerait plus « maman » mais par son prénom. Elle ignore pourquoi, indique que la mort récente de son fils aîné l’a changé. Toujours est-il que mère et fils prennent soin de s’éviter du regard.
Sa mère nie que Peter Cherif l’ait contrainte à porter le voile
Qu’importe, cette femme passionnée reste une mère. Dès que ceux qui l’interrogent abordent les sujets sensibles, elle sent le danger et s’arrange pour éluder. Sur le rapport à la religion de son fils, elle conteste les éléments du dossier, non, ce n’est pas lui qui l’a poussée à se convertir et à porter le voile. Elle est certes née musulmane, mais elle a ensuite rejoint le catholicisme, s’est intéressée au bouddhisme, avant de revenir à l’Islam. C’est sa recherche de Dieu explique-t-elle, son Dieu d’amour à elle, présent dans toutes les religions sous des formes différents. S’est-elle convertie à cause de lui ? Non, assure-t-elle, même si le dossier dit l’inverse. L’a-t-elle élevé dans une quête spirituelle qui pourrait expliquer son parcours ? Elle s’emporte et fustige ceux qu’elle accuse de vouloir l’entraîner elle ne sait pas où. Tout ce qu’elle consent à dire, c’est qu’elle a eu des « discussions » avec son fils sur le voile – qu’elle a porté -, qu’il ne lui a rien imposé, et qu’aujourd’hui elle ne le porte plus, se maquille et « fume la cigarette ».
« Elle était comme un petit oiseau, elle était bien nourrie »
De même, elle conteste absolument les accusations de violences, viol et séquestration portées à la barre par la première épouse religieuse de son fils (notre article ici). « Quand il a décidé de se marier avec cette petite, il nous l’a imposée » explique-t-elle. Sa mère la trouve trop jeune, sans savoir qu’elle est mineure, et leur relation trop fraiche. Mais elle n’ose le contrer. Son beau-père expliquera plus tard dans la journée que Peter Cherif s’énerve facilement et qu’il vaut mieux ne pas le contrarier, sinon il interrompt la discussion. Oui, Fatma a séjourné chez elle, une semaine seulement, et dans de bonnes conditions, sans violence. « Fatma a menti, je ne sais pas dans quel but. Moi je vais vous dire la vérité, je n’ai jamais enfermé, maltraité, séquestré quelqu’un chez moi, elle était comme un petit oiseau, elle était bien nourrie. C’est Peter qui allait chercher la nourriture dans la cuisine, la seule chose qu’il nous a imposée, c’est qu’il ne fallait pas qu’elle croise son beau-père dans le couloir. Ils prenaient le repas dans leur chambre ». S’aperçoit-elle qu’elle confirme à la fois la radicalité religieuse de son fils et le fait qu’il a bien gardé Fatma cloitrée dans sa chambre ?
« Tu as affaire à des gens qui se servent de toi pour mettre le monde à feu et à sang »
À mesure que cette femme se replonge dans son passé, la colère monte. Tout le monde en prend pour son matricule. À commencer par les islamistes. « Ces espèces de personnages qui se disent croyants en Dieu, qui se prennent pour des prophètes, ce sont des êtres diaboliques (…). Là tu t’es mis en faute avec Dieu, Peter. Comment tu as pu entrer en relation avec des gens monstrueux qui tuent, qui brulent, qui saccagent ? Comment tu peux dire que c’est l’amour de Dieu ? Comment as-tu pu m’entrainer là-dedans ? (…) Tu as affaire à des gens qui se servent de toi pour mettre le monde à feu et à sang, Dieu il est amour, paix, il n’est pas ça. Vide ton sac, vide le bien, je veux que tu nommes ceux qui t’ont influencé et ceux qui te menacent. Nomme tous ceux qui ont participé, sois brave ! ».
Le djihadiste et La petite maison dans la prairie
L’avocat de son fils aussi en prend pour son matricule. Elle l’accuse de ne jamais lui répondre au téléphone. « Je vous pose des questions simples, est-ce que mon fils est en bonne santé, vous êtes incapable de répondre ! » Il passe outre et l’interroge, essayant de tirer de cette mère à vif quelque chose qui puisse aider son client. Elle évoque le fait qu’il est un très bon père, qu’il a appris le français à ses enfants. Quelqu’un la questionne sur le fait que son fils admire le personnage de Charles Ingalls dans la série américaine La Petite maison dans la prairie. Elle rit sous l’effet de la surprise, soulagée de se retrouver enfin sur un terrain non-miné, « ça veut tout dire, c’est bien ! », commente-t-elle. L’audition est terminée. La présidente se tourne vers l’accusé :
« — Avez-vous quelque chose à dire à votre mère ?
— Oui, mais pas ici ».
Sa mère s’en retourne, sur son fauteuil roulant qui grince légèrement. Dehors l’attend le scooter qui la ramènera chez elle. Celui qu’elle a menacé son fils à la barre de jeter contre un camion le jour où elle n’en pourrait plus de souffrir.
Référence : AJU470001
