Attentat de la basilique de Nice : « Le musulman a le droit de tuer celui qui le tue »
Au deuxième jour du procès, l’accusé semble avoir retrouvé une partie de la mémoire et accepte de livrer des informations sur sa vie en Tunisie avant son départ pour l’Europe. Certaines de ses déclarations confirment le profil inquiétant peint par les experts.

Est-ce parce qu’il a entendu les experts au matin du deuxième jour de son procès déclarer que, très probablement, il simulait l’amnésie que Brahim Aouissaoui a soudain retrouvé la mémoire lors de l’interrogatoire de personnalité en fin de journée ?
Une amnésie « factice »
Toujours est-il que le célèbre psychiatre Daniel Zagury et le neurologue Bernard Gueguen ont laissé peu de place au doute, mardi, quant à la réalité des troubles de la mémoire invoqués par l’accusé tout au long de l’instruction pour justifier son absence de réponse aux questions de la justice, tant sur les faits que sur son parcours de vie. La veille, l’expert médical avait déjà sérieusement remis en cause la possibilité que le GHB retrouvé dans ses cheveux, mais pas dans son sang, et les produits anesthésiques utilisés pour le soigner aient pu entraîner une amnésie, et encore moins de cette ampleur. Une analyse confirmée par ses collègues qui ont écarté toute cause organique ou psychiatrique. De même, s’ils n’excluent pas complètement une perte de mémoire liée à l’anesthésie, elle ne porterait de toute façon que sur une courte période précédent l’intervention. Et elle n’aurait certainement pas effacé ses souvenirs d’enfance au point qu’il ne se souvienne plus devant le juge d’instruction si ses parents sont vivants, ni leurs prénoms. Il n’y a « aucune raison de penser que cette allégation d’amnésie ne soit pas factice » a conclu Daniez Zagury. C’est en vain que l’avocat de l’accusé, Me Martin Méchin a pointé une phrase de leur rapport indiquant l’existence d’une « amnésie irréversible » chez son client. Les experts se cabrent : ils n’ont fait que rapporter ce que leur disait l’intéressé, c’est un fait, pas leur diagnostic.
Quant au profil de Brahim Aouissaoui, Daniel Zagury explique qu’il s’est enfermé dans un « système totalitaire qui lui fournit une grille de lecture du monde assez simpliste où les réponses sont toujours les mêmes ». Est-il dangereux ? Oui, il présente un « danger majeur » estime le psychiatre en évoquant sa détermination, les « faits atroces » commis et son incapacité à restituer son parcours.
Un coup de couteau « normal »
Quand le président de la cour d’assises spécialement composée débute l’interrogatoire de personnalité en milieu de journée, les premiers échanges donnent le sentiment que l’accusé va continuer d’invoquer ses pertes de mémoire. « Qu’est-ce que vous pouvez dire de votre vie avant votre départ en Italie pour tenter de vous présenter devant la juridiction ? interroge le magistrat.
— Qu’est-ce que vous souhaitez que je vous dise ? Je n’ai rien à dire, répond l’intéressé.
— Alors je vais vous poser quelques questions ».
L’accusé se détend et commence à livrer des informations sur son enfance : lieu, profession de son père (paysan puis dans la construction), de sa mère (au foyer), nombre de frères (3) et sœurs (7). Jusqu’à quel âge a-t-il été à l’école ? Brahim Aouissaoui, qui n’a que 25 ans, réfléchit, hésite, puis déclare : 15 ans. Il aurait alors commencé à travailler. Son activité est assez floue, mais on comprend qu’il a tenu un petit poste d’essence de contrebande qui lui permettait de se nourrir et de s’acheter des vêtements, explique-t-il. À propos de sa consommation d’alcool et de cannabis, il assure que ce n’était « pas tous les jours et pas en grande quantité ». Il admet aussi, quand la cour insiste un peu, qu’il a fait quatre mois de prison en Tunisie. C’était à la suite d’un jeu d’argent, en 2017 ; son partenaire l’aurait volé. « J’ai frappé celui qui l’a fait.
— Avec une arme ?
— Oui. Un couteau
— La personne a été gravement blessée ?
— Non. Un coup normal
— Qu’est-ce qu’un coup normal ?
— Pas fatal ». Il désigne le bas de son ventre pour montrer où il a frappé et l’on songe alors à l’enquêtrice de la DGSI qui vient d’expliquer en début d’après-midi le contexte géopolitique et notamment le contenu des vidéos djihadistes où l’on explique comment fabriquer une bombe dans la cuisine de sa mère ou frapper mortellement avec un couteau. Le « coup normal » serait donc celui dont on sait qu’il ne tue pas…
« Toutes les cibles sont légitimes »
La pratique intensive de sa religion ? Elle lui est venue en regardant des vidéos sur YouTube. Le dossier quant à lui évoque un entourage de salafistes. Selon sa famille, il aurait commencé à se radicaliser en 2018. Quand le président lui signale que ses relations d’alors étaient surveillées par les services antiterroristes tunisiens, il assure qu’il n’était pas au courant et qu’ils ne lui ont jamais montré de vidéos en lien avec le terrorisme. Voyant qu’il n’obtiendra rien ainsi, le magistrat quitte le terrain des faits pour explorer celui des opinions de l’accusé. « Pensez-vous légitime de prendre les armes pour combattre ceux qui ne sont pas de votre religion ?
— Le musulman a le droit de tuer celui qui le tue.
— Et de tuer celui de la même nationalité et religion que celui qui l’a tué ? Le droit va jusque-là ?
— Il ne s’agit plus de choisir la cible, tout le monde est pareil en face, la personne qui a perdu sa famille ne va pas tuer une personne en particulier, toutes les cibles sont légitimes ».
Comme le président s’étonne de sa réponse, l’accusé se cabre : « vous tuez les musulmans, c’est normal, mais quand les musulmans répondent et tuent, ça c’est pas normal ?!
— Vous êtes donc d’accord avec les terroristes !
— Il ne s’agit pas des terroristes, c’est la vérité ».
Et Brahim Aouissaoui d’insister « Celui qui prend la décision de tuer au nom des musulmans ne sélectionne pas sa cible, mais part avec l’idée en tête de le faire.
— Vous avez eu cette idée ? rebondit le président.
— Non, je n’y ai jamais pensé ».
« Je condamne les caricatures »
Lors de la suite de l’interrogatoire, Brahim Aouissaoui explique à la cour qui s’étonne de sa mémoire retrouvée « je réponds aux questions quand les souvenirs reviennent ». Puis il finit par avouer à demi-mots que s’il s’est tu lors de l’instruction, c’est qu’il était blessé et dans une situation inédite pour lui. Mais lorsque le président aborde son séjour en Italie, Brahim Aouissaoui se bloque à nouveau. De même qu’il se ferme quand on l’interroge pour savoir s’il respecte les autres religions, se réfugiant derrière le fait qu’il ne les connait pas. Me Samia Maktouf, avocate de parties civiles, voudrait connaître sa position sur les attentats commis en France. C’est généralement le moment où les accusés déclarent, avec plus ou moins de sincérité, qu’ils les condamnent. Brahim Aouissaoui, lui, botte en touche.
« — Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Sur les caricatures (NDLR : du prophète), je les condamne.
— Non, sur les attentats.
— Je condamne les caricatures.
— Ma question est : est-ce que ça justifie des attentats ?
— Je ne souhaite pas répondre ».
L’interrogatoire de personnalité ne portait que sur le parcours des accusés. Brahim Aouissaoui sera interrogé sur les faits qui lui sont reprochés le 24 février prochain. Ses souvenirs reviendront-ils alors, au moins sur le périple clandestin qui l’a conduit de Lampedusa jusqu’à Nice et les raisons de ce voyage ? La justice pense qu’il a obéi à l’injonction d’Al Qaida de frapper la France à cause de la republication des caricatures et que, faute d’avoir les moyens de remonter jusqu’à Paris, il a commis ce triple assassinat dans la basilique deux jours après son arrivée dans la ville.
Les chrétiens, cible majeure du djihadisme
Une enquêtrice de la DGSI est venue présenter mardi après-midi le contexte géopolitique des attentats commis en France en 2020, dont celui de la Basilique de Nice. La communauté chrétienne et ses symboles sont des cibles récurrentes, a-t-elle expliqué, les attentats contre les églises et les chrétiens sont fréquents depuis longtemps ». Elle a ainsi rappelé les campagnes contre les chrétiens au Pakistan, le fait que le groupe djihadiste Boko Haram cible régulièrement des églises en Afrique, ou encore l’assassinat en Algérie de 19 religieux dont les 7 moines de Tibhirine en 1996. La première menace globale a été proférée par Ben Laden dans un « Appel au djihad pour la libération des Lieux saints musulmans » du Front islamique mondial pour le djihad contre les juifs et les croisés, c’était l’acte fondateur d’Al Qaida, en février 1998. Elle a projeté dans la salle un exemplaire du magazine Dabiq sur la couverture duquel on peut voir un drapeau de l’État islamique flttant sur le Vatican. L’attentat contre la basilique de Nice était le 6e projet depuis 2014 visant une cible chrétienne en France. Au total, ces attentats ont fait six morts et deux blessés. Avant Nice, il y avait eu l’attentat de Villejuif qui a couté la vie à Aurélie Chatelain en avril 2015 et celui de Saint-Étienne-du-Rouvray en juillet 2016.
Pourquoi s’en prendre aux chrétiens alors que ce sont les fidèles d’une religion abrahamique, comme l’islam ? Parce que, explique l’enquêtrice, l’État islamique assimile les chrétiens à l’Occident, à qui il reproche les croisades, la colonisation, l’action des missionnaires et, à l’heure actuelle, les interventions internationales dans les pays en guerre. La deuxième raison, c’est que les chrétiens sont des « kouffars » qui croient en la sainte Trinité contre le dogme de l’unicité de Dieu. La troisième raison, « moins religieuse et plus politique » explique-t-elle, réside dans la volonté de détruire le dialogue interreligieux ; les attentats sont un moyen de semer la division pour empêcher les chrétiens de faire le pont entre les musulmans et les juifs. En suscitant de l’islamophobie, la stratégie vise à ce que les musulmans européens rejoignent les djihadistes.
Référence : AJU496647
