Attentat de la basilique de Nice : le parquet requiert la perpétuité réelle contre Brahim Aouissaoui

Publié le 26/02/2025 à 21h07

Mercredi le parquet a requis la perpétuité assortie d’une peine de sureté incompressible contre Brahim Aouissaoui accusé de trois assassinats et sept tentatives d’assassinat terroristes le 29 octobre 2020 à la Basilique de Nice. La défense a tenté en vain d’épargner la perpétuité réelle à l’accusé.

Palais de justice de Paris
Photo : ©AdobeStock/ataly

Brahim Aouissaoui, 26 ans, fait partie de ces accusés dont le sort judiciaire laisse bien peu de place à l’incertitude.  Les témoins, les vidéos, tout démontre que c’est bien l’homme dans le box qui, le 29 octobre 2020, à l’intérieur de la basilique de Nice, a poignardé à mort Nadine, Simone et Vincent, et tenté d’assassiner sept autres personnes dont les cinq policiers municipaux qui ont essayé de le neutraliser. L’intéressé a d’ailleurs finit par revendiquer son acte lundi lors de son interrogatoire sur les faits (notre article ici).

« La France, pays de mécréants et de chiens »

Pour cela, il encourt la perpétuité. La culpabilité n’étant plus une question, reste le quantum de la peine. Et c’est sur ce sujet qu’accusation et défense ont croisé le fer lors du dernier jour d’audience, mercredi. Côté parquet, on s’est employé à démontrer que l’accusé s’était rendu en France dans l’unique objectif de commettre un attentat prémédité et particulièrement barbare. Les deux jeunes avocates générales du PNAT, dont c’était le premier procès terroriste, ont requis en ce sens durant plus de deux heures. La première a décrit un adolescent déscolarisé à 13 ans qui « s’alcoolise dans les cafés avec ses amis et consomme de la drogue », puis  bascule dans l’islam rigoriste où il a trouvé « une rédemption dans la dévotion, qui s’exprime par une idéologie djihadiste mortifère ».  La magistrate sait, en évoquant ce parcours, qu’elle  brosse le portrait classique du radicalisé qui, pour rompre avec  passé d’excès et de délinquance, se jette dans la religion. Les failles de la coopération avec les autorités tunisiennes n’ont pas permis de mesurer le rôle joué par son entourage dans sa radicalisation, mais on sait qu’à lépoque les mouvements djihadistes sont encore actifs dans la région et que l’accusé a fréquenté des individus surveillés par la police tunisienne.

C’est en raison de cette « radicalisation avancée » qu’il prend la décision de quitter la Tunisie pour rejoindre la France. L’accusé évoque son intention de trouver du travail, l’accusation répond qu’au contraire, tout concourt à démontrer la volonté terroriste : le fait qu’il paie ses dettes avant de partir comme le lui impose sa religion s’il veut aller au paradis après sa mort en « martyr », son choix de  dissimuler son voyage à sa famille, ou encore l’acte de jeter sa carte SIM pendant sa traversée de la méditerranée. Sur ce dernier point, la magistrate souligne :  « c’est la signature du projet criminel, car c’est incohérent avec tout projet migratoire ». Confiné dans le navire italien qui  l’a recueilli,  il sollicite un contact radicalisé pour qu’il lui crée un compte Facebook où il échangera des vidéos de prêches. Le 10 octobre, il crée un compte sur Google en utilisant le nom de « France », ce qui signe son intention d’y aller aux yeux de l’accusation.  Ensuite, Brahim Aouissaoui travaille deux semaines en Sicile pour gagner de l’argent et rejoindre la France, ce « pays de mécréants et de chiens », comme il dit, reprenant ainsi les expressions djihadistes, un pays  auquel il voue « une haine viscérale ».

Une cible hautement symbolique

La deuxième avocate générale prend la parole pour évoquer l’attaque et souligne que si la basilique est sans doute un choix opportuniste, il est néanmoins « hautement symbolique ». Il n’a pas choisi un parc, un commerce, la FNAC juste en face mais cette église, le jour de la naissance du prophète. Les vidéos démontrent que l’accusé a fait pas moins de quatre repérages, avant d’envoyer un message audio demandant de fermer son compte Facebook, sans doute pour protéger ses relations parce qu’il a pris la décision de commettre l’attentat. La magistrate évoque ensuite la chronologie « particulièrement effroyable » de l’attaque, précisant qu’il n’agit sous l’emprise ni des stupéfiants,  ni de l’alcool. « Seule la haine le guidera » dans la commission de crimes « d’une barbarie inouïe dans ce lieu sanctuarisé, contre des victimes vulnérables et prises par surprise qui n’avaient aucune chance ».

Pour le parquet, « L’action meurtrière s’inscrit dans un continuum qui débute par la radicalisation en Tunisie et devait s’achever par une mort en martyr ». La préméditation est démontrée par les repérages, les trois couteaux qu’il a sur lui et l’attente de la confrontation avec les forces de l’ordre. Ce n’est pas un coup de sang, pas une folie meurtrière, mais  bien du terrorisme, le trouble à l’ordre public est évident : le son des tirs, les explosions de déminage, la crainte d’autres assaillants en fuite, d’un piégeage. Et puis il y a la méthode de la décapitation qui vise à déshumaniser et terroriser, comme l’a lui-même expliqué Brahim Aouissaoui devant la cour. Depuis le début, l’accusé écoute, impassible, le dos vouté, les jambes agitées en permanence d’un mouvement nerveux. Soudain, il interrompt le réquisitoire en s’écriant « ce n’est pas du terrorisme, c’est la vérité ! ». Le président le somme de se taire.

 « Il reste enfermé dans son fanatisme destructeur et barbare »

La première avocate générale reprend la parole. Elle pointe la détermination de l’accusé, « aveuglé par un totalitarisme mortifère venu illégalement et spécifiquement en France pour frapper ». Même sa détention pèse contre lui car elle se passe mal : refus de participer aux activités, tapage nocturne, injures et menaces à l’encontre des surveillants, rapprochement avec des radicalisés. On a par ailleurs retrouvé des armes artisanales dans sa cellule : couteaux, lames de rasoir, paille coupée en pointe. Sa dangerosité a été confirmée à l’audience par l’expert psychiatre Daniel Zagury qui s’étonnait même qu’on lui pose la question. « Il reste enfermé dans son fanatisme destructeur et barbare » assène la magistrate, rappelant les propos de l’accusé qui estime qu’un musulman a le droit de tuer celui qui le tue et que toutes les cibles sont légitimes. « C’est ce qu’il pensait en entrant dans la basilique, ce qu’il pense aujourd’hui et ce qu’il pensera toujours » explique-t-elle. Tout ceci justifie, « pour protéger la société française qu’il déteste tant » le prononcé d’une période de sureté incompressible, soit la perpétuité réelle. Et la magistrate de citer, pour terminer son propos, le contre-exemple de cet autre émigré arrivé à Nice au début du 20e siècle à l’âge de 14 ans  et converti à la France dès ses premiers pas, Romain Gary. La France, conclut-elle, c’est « la foi en la joie, la beauté, la lumière, l’amour et la solidarité ».

 « Se maintenir droit face à l’évidence de la culpabilité »

Comment défendre celui qui a avoué des faits atroces, par ailleurs parfaitement documentés ? « La défense la plus difficile n’est pas celle de l’innocent injustement accusé, mais celle qui consiste à se maintenir droit face à l’évidence de la culpabilité », répond Me Marie-Alexandrine Bardinet après la suspension du déjeuner. Le parquet a décrit un continuum depuis le départ de Tunisie jusqu’à l’attentat, l’avocate explique que rien ne le démontre. « Le projet criminel s’est dessiné progressivement, en France, dans ce déracinement inhérent au parcours migratoire. Les éléments du dossier suggèrent davantage une décision précipitée ».

À sa suite, Me Martin Méchin va continuer d’infléchir la vision du dossier dans le sens d’un acte spontané. Sans dissimuler son absence d’illusions. « Il est courant que je le pense, mais rare que je le plaide : votre décision est déjà prise, la culpabilité est établie, les faits sont établis, reconnus, depuis lundi presque revendiqués et ce sont les plus graves que l’on puisse imaginer ». L’accusé est-il venu en France pour gagner de l’argent ou pour commettre un attentat ? Et si c’était les deux faces de sa personnalité : « le jeune tunisien qui rêve d’avenir de réussite, et puis la face sombre du jeune musulman que l’on dit radicalisé mais guidé par la volonté de rétablir la balance d’une justice qu’il croit irrémédiablement compromise » plaide Me  Méchin. Et l’avocat poursuit : « Qui peut savoir ce qu’il y a dans sa tête quand il se retrouve seul dans le hall d’immeuble où il a trouvé refuge ? Il n’a pas d’ami, pas de famille, dans une ville qu’il ne connait pas (…) Est-ce qu’il pense déjà au sang qu’il va verser ? Nous n’en savons rien. Est-ce qu’il pense aux injustices qui rongent son esprit, aux moyens de combattre ces injustices, aux moyens barbares qui ne feront que rajouter de l’injustice à l’injustice ? ».  Qu’est-ce que ça change ? Pas grand-chose aux yeux de son avocat. L’important est qu’il se soit exprimé à l’audience. Cela n’a pas été jugé satisfaisant, mais ça ne l’est jamais, rappelle la défense. Son amnésie a beaucoup agacé. Me Mechin maintient qu’elle est réelle, au moins pour le jour des faits. Les experts l’ont écrit, avant de soutenir le contraire à l’audience. « Ce qui est important en revanche, c’est le pourquoi et c’est ce qu’il est venu vous dire lundi (…)  Il n’attend pas une quelconque validation, il vous donne sa vérité, inaudible peut-être, insupportable surement, mais c’est sa vérité et c’est son droit de vous la donner ».

Et il faut accepter de l’entendre. « Le terrorisme se nourrit de ce sentiment d’injustice, on peut affirmer qu’il ne repose sur  aucune réalité géopolitique, mais il existe et vous ne pourrez par le rayer,  des millions de personnes le ressentent », croit savoir Maître Méchin. Si l’accusé s’en tient à une justification d’ordre générale et parle de lui à la troisième personne, c’est qu’ « il s’enferme dans une boucle idéologique et religieuse dont il se persuade qu’elle le transcende et le dépasse, car lui-même ne comprend pas comment il a pu tuer de façon aussi affreuse ». Et si elle était là, la raison de son absence de souvenirs ? Si c’était sa façon d’éviter l’effondrement psychique ? « Il se mure dans cette boucle qui seule lui permet de se supporter lui-même » analyse l’avocat.

« La perpétuité incompressible, c’est la peine de mort des hypocrites »

« Je ne sais pas s’il pourra sortir de cette boucle, ce qui est sûr c’est qu’il n’en sortira pas aujourd’hui. Quelle que soit votre décision, il faudra bien comprendre que Brahim Aouissaoui n’est que le reflet de notre société qui se construit sur l’opposition entre les peuples, les religions, les idéologies. Accepterez-vous, accepterons-nous de nous laisser guider par la peur ou bien un jour par l’espoir ? Accepterons-nous de nous résigner ou bien déciderons-nous de garder foi en l’humanité ? On vous a requis ce matin la peur et la résignation. La sureté incompressible, c’est la peur pour toujours, la résignation à jamais, c’est perdre foi en l’humanité, c’est la peine de mort qui ne dit pas son nom, c’est la peine de mort euphémisée, c’est la peine de mort des hypocrites. Ne soyez pas hypocrites, soyez courageux, soyez humains, c’est la seule voie qui nous est offerte pour lutter contre le terrorisme en restant fidèle à nos principes ».

Comme il est d’usage, le président a ensuite demandé à l’accusé s’il avait une ultime déclaration à faire. Celui-ci s’est levé et a déclaré : « J’ai juste deux mots à dire :  si vous êtes vraiment là pour la justice, jugez au nom de ces femmes et de ces enfants (NDLR : musulmans) qui sont morts, c’est tout ce que j’ai à vous dire ». Et l’on songeait, en l’entendant n’avoir rien d’autre à dire pour sa défense, à la « boucle idéologique et religieuse » décrite quelques instants auparavant par son avocat…

L’audience est levée à 15h30, la cour se retire pour délibérer.

 

Brahim Aouissaoui est condamné à la perpétuité incompressible

Moins de quatre heures après la fin des débats, la Cour prononce son verdict : perpétuité incompressible. La culpabilité ne faisant pas débat, le président a donné en revanche les grandes lignes de la motivation concernant la peine.

La cour a pris en considération :

*les circonstances : trois victimes ayant subi un nombre extrémement important de coups de couteau, dont deux ont été égorgées,  sept autres personnes attaquées, le retentissement particulièrement fort de ces faits commis contre les fidèles et le sacristain dans une église, à Nice, ville déjà victime de terrorisme et contre les forces de l’ordre.

*la personnalité de l’accusé : les experts n’ont constaté aucune altération ou abolition du discernement ; ils ont également noté sa très grande dangerosité et le risque élevé de récidive lié au maintien de sa posture idéologique rigide. Ces mêmes experts ont considéré que son amnésie était volontaire.

*la capacité de réinsertion : la cour a relevé l’intensité de son engagement, la violence absolue de l’attaque, le fait qu’il avait confié à son frère être satisfait de ce que le Seigneur avait écrit pour lui. Elle a également noté l’absence de volonté de réinsertion et ses problèmes de comportement en prison.

Elle constate encore qu’il rejette la qualification terroriste de ses actes, qu’il assure qu’il est légitime et juste de tuer des innocents et en déduit que sa dangerosité est intacte.

Tous ces éléments rendent impossibile toute forme d’aménagement de peine.

L’accusé a dix jours pour faire appel.

 

 

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