Procès des geôliers de Daech : Les ex-otages identifient formellement le bourreau Mehdi Nemmouche

Publié le 03/03/2025 à 8h03

Le reporter de guerre Didier François, ex-otage de Daech en Syrie, a été le premier, ce 28 février, à confirmer que Mehdi Nemmouche était bien leur tortionnaire. Une certitude notamment puisée dans « le soliloque » de l’accusé, la veille, à son procès. « Le même qu’il m’a imposé » de 2013 à 2014 en cellule. Il loue « le petit miracle de l’oralité des débats » qui a trahi le terroriste, également accablé par ses autres victimes.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision)

À l’issue de l’audience, jeudi, on pressentait que Mehdi Nemmouche avait trop parlé (notre article paru vendredi ici). Que dans sa volonté de justifier son djihad en Syrie – « la défense des opprimés », noble cause largement dévoyée par les combattants de l’organisation État islamique –, le guerrier assumé s’était montré trop bavard. Bien que niant avoir été le geôlier des journalistes français, d’un Syrien, d’un humanitaire italien, parties civiles, il leur a fourni des clés pour libérer plus avant leur mémoire. Ses propos et postures, son interminable logorrhée ont catapulté les ex-otages dans le sous-sol de l’hôpital d’Alep et les cinq autres lieux où ils ont été détenus 300 jours, s’agissant des Français.

Ce vendredi 28, Didier François dépose le premier lors de la confrontation. Le reporter de guerre aux 40 ans de carrière, kidnappé le 6 juin 2013 avec son « binôme » Edouard Elias, évoque d’entrée le « miracle » de la veille : « C’est le Mehdi Nemmouche que je connaissais. J’ai été ramené 11 ans en arrière » dans les mâchoires de la « machine à tuer » de Daech.

« On se retrouvera un jour, t’auras écrit un bouquin, on en parlera »

 Didier François développe ses certitudes « à 100 % ». En l’écoutant jeudi, il a revécu « le même soliloque permanent qu’il nous imposait, les mêmes obsessions, les mêmes gestes, les mêmes discussions, le même panthéon » de celui qui se pense inscrit dans l’histoire du djihadisme. « On a retrouvé les thèmes qu’il développait », ajoute le journaliste qui a entretenu, à son corps défendant, une relation singulière avec Mehdi Nemmouche dont la kounya (nom de guerre) était Abou Omar. Son phrasé lui rappelle l’époque où il est passé de « grosse merde durant la phase carcérale » à « “mon p’tit Didier” dans la phase stratégique » censée mener aux négociations vers la libération. Pour figurer leur proximité, il choisit l’anglicisme « bromance ».

Les références de Mehdi Nemmouche à la Bosnie sont identiques à celles qu’il lui a serinées en Syrie, et qui le tourmentaient déjà dans les années 2010 dans sa prison en France ; il couvrait sa cellule de mentions aux musulmans de l’ex-Yougoslavie. Le chroniqueur de LCI mentionne les quiz imposés, ses sujets favoris (djihad, affaires criminelles), décèle « sa volonté permanente de cacher, derrière une tentative d’héroïsation de son action en faveur de la liberté, la réalité des faits démontant son discours » et « la noirceur de sa personnalité complexe ».

Il ne s’appesantit pas sur les tortures subies, sur ses ongles tombés après qu’Abou Omar les a écrasés avec une pince, ses coups sur le crâne – « il ne faut pas être dans le pathos ». Le reporter réussit à sourire (on se demande comment il y parvient), partage des « anecdotes » : « Il m’avait dit : “On se retrouvera un jour, t’auras écrit un bouquin, on en parlera” » ou : « On ne te croira pas quand tu diras qu’un djihadiste chantait du Aznavour. »

« Dans la matrice du système concentrationnaire de Daech »

 Charles Aznavour, dont il fredonnait des airs célèbres, était déjà, après la tuerie au Musée juif de Bruxelles, son chanteur préféré – bien qu’il voulût « fumer l’Arménien » –, relève Guillaume Chambre, l’un des deux avocats généraux, se référant à un procès-verbal de son escorte policière en 2014. Une preuve, par la chanson, que Mehdi Nemmouche est le bourreau d’Alep qui rêvait aussi de « fumer une petite Israélite » comme Mohammed Merah, l’assassin de Toulouse et Montauban.

La déposition de Didier François est également instructive. Entré, avec ses compagnons d’infortune, « dans la matrice du système concentrationnaire et sécuritaire de Daech », il met en garde : « Nemmouche est dangereux. Il n’a aucun remords, aucune pensée pour ses victimes. » Il n’est pas dupe de « sa défense de rupture », sans doute pour se protéger « des horreurs commises » : « Combattant de la liberté ? Du délire ! », ajoute-t-il à propos de l’accusé. Exemple : « Alors qu’il massacrait un Syrien, il m’a invité, dans une démarche sadique, à participer au lynchage. »

Le reporter prévient : « Durant notre captivité, il disait : “On se retrouvera à mon procès.” Ma lecture est celle-là : il a pour objectif de recruter les plus faibles en prison, sur la base de son discours d’hier. Je pense que ce procès lui sert à ça. »

Le président Raviot donne la parole à l’accusé : « Je ne suis pas responsable, car je n’ai jamais été geôlier  », lâche-t-il avec désinvolture.

« Hier, c’était reparti, bla-bla-bla, heureusement, j’avais mangé »

 « Mon p’tit Didier », reprend Edouard Elias, imitant l’intonation de Mehdi Nemmouche, si proche de celle qu’il a adoptée la veille. « Comment oublier sa voix ? » Le photojournaliste avait 22 ans lorsqu’il en a « pris plein, plein la figure » par « ces gens qui prenaient plaisir à nous démolir ».

Lui aussi reconnaît « formellement » son bourreau, pointant le box de son index droit, évoquant « le sentiment de haine » qu’il lisait dans son regard. « Ce gars, il venait parler, parler, c’était long, ça partait dans tous les sens, quand nous étions en train de crever la dalle, de mourir de faim… » Il se revoit « accroupi, à genoux, tête baissée » ; la voix est ancrée en lui : « Hier, c’était reparti, bla-bla-bla, heureusement, j’avais mangé », dit-il en allusion aux privations dont il a tant souffert.

À l’instar de son binôme, il cite Aznavour, la Bosnie, Merah, « à ses yeux le plus grand homme qui ait jamais existé », ses boutades – « quand je serai sur le banc des accusés, vous viendrez témoigner » –, « son ironie » : « On avait l’impression qu’il avait envie d’éclater de rire » entre coups de bâton et décharges au Taser. « La première fois qu’il a parlé dans le box, j’ai fermé les yeux », dit le jeune homme qui n’a « jamais vu son visage ».

Il a la certitude que « c’est un fou furieux. Il peut être marrant, mais il est dangereux ». Interrogé par Me Francis Villemin, défenseur de l’accusé, sur d’éventuels « biais cognitifs », l’influence que peuvent avoir les photos et éléments d’enquête sur sa mémoire, Edouard Elias répond avec fermeté : « Je m’en fous [des biais], il dit ce qu’il veut. Je n’ai aucun doute, je peux le répéter cent fois. » Puis, tourné vers le box : « Je m’en fous ! »

Conclusion de Mehdi Nemmouche : « Son statut de victime est évident, il peut se tromper de bonne foi. Je vous renvoie à mon avocat. »

«  Narcissique, sadique, ludique »

Nicolas Hénin rejoint à son tour la barre. L’ancien journaliste, aujourd’hui consultant engagé contre le terrorisme et la radicalisation, a été enlevé le 22 juin 2013, quelques heures avant le photographe Pierre Torres. En trois mots, il décrit le souvenir d’Abou Omar, auquel il « impute la plupart de [ses] sévices » durant l’été : « Narcissique, sadique, ludique. » Il expose en quoi Mehdi Nemmouche « correspond à ces trois caractéristiques ».

« Contrairement aux autres geôliers, lui se mettait en avant, il ne pouvait s’empêcher de se faire voir, y compris physiquement », explique l’ex-otage qui l’a vu « une dizaine de fois ». Nicolas Hénin a, le premier, téléphoné à la DGSI en 2014, ayant reconnu « Abou Omar » en l’auteur de la tuerie de Bruxelles. « Il veut se faire passer pour un super héros du djihad », « un personnage central » qui se jouait de la sécurité jusqu’à « agacer les Beatles [surnom des geôliers britanniques]. D’ailleurs, Mehdi Nemmouche disparaissait quand ils arrivaient ».

Son sadisme s’exerçait « par les violences » que tous ont déjà décrites, qu’il rappelle pudiquement, dont « des actes de torture sans porter la main sur nous, les privations de nourriture, de sommeil, les menaces, les simulacres d’exécution ».

Ludique enfin, à travers les quiz, les chansons, son interprétation du dessin animé « Moi Renart » (1986) : « Renart sacripant, Renart chenapan », imite Nicolas Hénin. Il parodie ses « mon p’tit Didier » avec l’accent trainant, et rapporte cette phrase effarante : « Ah, t’es chez Al-Qaïda maintenant, c’est comme ça ! La vie d’artiste, elle est belle, elle est triste. » L’ancien reporter de guerre évoque des confidences d’Abou Omar : « Je suis tombé pour vol de nains de jardin », ce qui fut le cas lors de son adolescence à Roubaix, ou « je voudrais tellement avoir Éric Dupond-Moretti pour avocat. »

Me Vuillemin détend l’atmosphère en suggérant une confusion : « Eh bien vous voyez, ce n’est pas lui ! » Nicolas Hénin dispose de trop d’éléments pour être désarçonné : « Je suis formel. Je reconnais Mehdi Nemmouche. »

L’accusé, retourné à son « DAS », acronyme pour « droit au silence » qu’il a opposé aux juges durant les instructions en Belgique et en France, répète sa nouvelle réplique : « Comme pour les témoins précédents, je renvoie à mon avocat. »

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