TJ de Versailles : « Je n’ai jamais mis les pieds dans un commissariat ou dans un tribunal » !
Un homme de 75 ans comparaît devant le tribunal judiciaire de Versailles pour des attouchements et une agression sexuelle commis entre 2006 et 2011 sur ses petites-filles mineures. Des faits qui ont plus de 10 ans et qui sont remontés à la mémoire des victimes âgées aujourd’hui de 18 ans et 28 ans. Une affaire d’une gravité exceptionnelle pour laquelle les magistrats du siège et du parquet ont oscillé entre violences sexuelles et complot familial.
Vêtu d’une veste de costume et d’un pantalon en jean, André B.* a basculé vers l’inconnu en se présentant à la barre des accusés, accompagné par son avocat. Cet homme de 75 ans ne s’est jamais retrouvé face à la police et encore moins devant un juge. Pourtant, Monsieur B. a été contraint de répondre aux accusations d’attouchements et d’agression sexuelle sur ses deux petites-filles par alliance Léa G.* et Lola G.*.
Sur le dernier banc de la salle d’audience, Anne B.* était présente pour soutenir son mari. Du côté de la partie civile, les victimes présumées étaient absentes sans être représentées. Pour débuter, le président a souhaité recontextualiser la situation familiale avant de procéder à la description des faits reprochés.
Avant de se marier avec le prévenu, Madame B. a eu une fille Séverine G.* qui a donné naissance à quatre enfants dont Léa G. et Lola G., les petites-filles victimes présumées dans l’affaire. De son côté Monsieur B. a eu une fille lors d’une première liaison qui a vu naître trois petits-enfants. Depuis de nombreuses années maintenant, Anne et André B. sont mariés et vivent ensemble.
Deux plaintes
À l’origine de cette procédure judiciaire : deux plaintes déposées par les deux petites-filles en 2023. Âgée de 18 ans, Lola G. a déposé plainte le 7 juin pour des attouchements sexuels commis entre 2006 et 2009. Elle avait entre 4 et 6 ans au moment des faits. « Alors qu’elle venait dormir pour la première fois chez vous, vous lui auriez proposé de faire une surprise à sa grand-mère en lui faisant peur. L’idée était de se mettre sous la couette du lit conjugal avec votre petite-fille et de surgir d’un coup. Lola raconte que vous étiez nu et que vous lui auriez frotté votre sexe contre elle », a décrit le président de l’audience.
La seconde plainte a été déposée le 5 juillet 2023 par Léa G. sa grande sœur de 28 ans. « Elle vous accuse entre 2010 et 2011 alors qu’elle avait entre 10 et 13 ans d’attouchements et d’agression sexuelle. Habituée à venir chez vous, Léa G. indique que pour la réveiller et à différents moments de la journée vous lui faisiez des massages ou des caresses sur le dos. Puis un jour alors que sa grand-mère dormait et que votre petite-fille était sur l’ordinateur, vous avez commencé à lui masser les épaules puis vous êtes descendu sous le t-shirt sur sa poitrine puis ensuite dans sa culotte pour lui toucher son entrejambe, a détaillé le juge avant de poursuivre, vous lui auriez indiqué que c’était un secret. Pour éviter que la relation se détériore avec sa grand-mère, elle aurait gardé le secret et n’aurait pas changé de comportement vis-à-vis de vous ».
« Ce sont des mensonges »
À ce moment-là, André est abasourdi par la description des accusations. Néanmoins, le juge a aussi apporté des précisions quant au contexte dans lequel ces plaintes ont été déposées. D’abord, il a mentionné une dispute au téléphone avec Léa G. en 2020. « Votre petite-fille souhaitait que vous vous portiez garant pour une location d’appartement. Avec votre femme, vous avez refusé ». Le magistrat a donné ensuite des éléments sur les auditions des membres de la famille. D’un côté, la fille d’Anne, Séverine G. et ses deux autres enfants ont dépeint André comme un homme qui boit, qui se balade nu chez lui et qui parle de sexe. De l’autre côté, la famille biologique de l’accusé a réfuté ces faits et a même décrit leur père et leur grand-père comme quelqu’un de pudique.
Lors de son audition, André B. avait nié les accusations et les avait expliquées à travers la vengeance financière après le refus de se porter garant. Face au juge, il a confirmé cette version :
— « Comment expliquez-vous ces dénonciations ?
— Ce sont des mensonges.
— Pourquoi elle mentirait ?
— Je ne sais pas pourquoi (il fait une pause) … Je suis complètement déstabilisé avec ces histoires. Suite à l’appel téléphonique, on n’a pas voulu se porter garant. C’est là que tout a commencé.
— Quel serait leur intérêt ?
— Je ne sais pas. C’est histoire de faire du mal à ma famille, à moi et à leur grand-mère.
— Il n’y a pas de problème avec Séverine G. la fille de votre femme ?
— Oui il y a un conflit familial ou un complot de la famille G. Je suis complètement déstabilisé. Je n’ai jamais mis les pieds dans un commissariat ou dans un tribunal ! Pourquoi faire du mal comme cela aux gens ? ».
Les traits tirés par la force de l’âge, demandant parfois de répéter les questions, André B. est apparu épuisé par ce premier échange. Après quelques secondes de répit, le juge a continué ses questions notamment par rapport à la gravité des faits reprochés. Il est revenu sur l’agression sexuelle présumée sur Léa G. devant l’ordinateur. « Il y a des éléments précis dans sa déclaration avec les mains qui vont glisser sur sa poitrine et dans sa culotte », a indiqué le magistrat. « Mensonge ! Non ! Mensonge, mensonge, mensonge ! », a insisté en s’agaçant Monsieur B. avec une marque de dégoût alors que le président de l’audience a continué d’insister : « C’est précis. Elle décrit des faits sans en rajouter ».
Les déclarations des victimes comme « seules preuves possibles »
Les réponses négatives, l’incompréhension, la sidération du prévenu se sont fait ressentir face au magistrat du parquet qui s’est justifié à plusieurs reprises : « Il faut que je vous pose la question Monsieur B. ». Après ces échanges et les détails sur le profil d’André B., le juge a rappelé l’absence des victimes et a lu leurs demandes écrites : la reconnaissance de la culpabilité de leur grand-père. Suite à cette lecture, le président de l’audience s’est tourné sur sa droite : « C’est à vous madame le procureur ! ».
La magistrate du parquet a débuté ses réquisitions en s’appuyant sur les déclarations des victimes comme « seules preuves possibles ». Elle a démontré la culpabilité d’André B. notamment par rapport à la « précision des accusations », « l’absence d’exagération des victimes » et l’expertise psychologique des deux petites-filles qui relèvent un psycho-traumatisme. Le procureur n’a trouvé « aucun sens » dans le discours de la défense, même dans l’hypothèse du complot familial à travers la vengeance pour la caution. Assis sur le banc des accusés, Monsieur B. la fixait les mains enlacées posées sur ses cuisses et tremblantes. Son avocat semblait stupéfait par le discours de la magistrate. La réquisition est tombée : deux ans d’emprisonnement avec sursis en rapport au casier vide du prévenu et au faible risque de réitération.
« Aucune image pédopornographique ou pornographique n’a été retrouvée »
« Scandalisé et horrifié » par ce qu’il venait d’entendre, l’avocat de Monsieur B. a pris le temps de démontré l’innocence de Monsieur B. point par point, non sans lâcher sa colère contre le parquet. Il a débuté sa plaidoirie d’une cinquantaine de minutes en revenant sur la tardiveté des accusations, le manque de constance dans les déclarations de Lola et Léa G et l’absence de spontanéité dans le dépôt de plainte.
En se basant sur les expertises psychiatrique et informatique, l’avocat a démontré l’absence de déviance sexuelle de son client. « Dans les milliers de fichiers informatiques et les recherches internet de Monsieur B., aucune image pédopornographique ou pornographique n’a été retrouvée. Il n’y a aucune consultation de site internet et cet homme est décrit comme un obsédé sexuel par la fille et les petites-filles de Madame B. ? », s’exclame la défense qui a balayé tous les éléments pour démontrer l’innocence du prévenu. Avant de conclure, l’avocat est revenu sur l’attitude « brutale et intimidante des enquêteurs » lors de l’audition de Monsieur B. qui a été traité comme « un coupable », caractérisant cet interrogatoire avec des « méthodes de flic des années 80 ».
Alors le juge et ses deux assesseurs ont-ils été convaincus par cette défense appuyée ?
Après une vingtaine de minutes de délibération, le président a ordonné la relaxe au grand soulagement d’André B. et de sa femme.
*Les prénoms ont été modifiés
Référence : AJU015g6