Tribunal de Meaux : « Vous êtes la poule aux œufs d’or des dealers de crack ! »

Publié le 31/08/2022

Magistrats, greffière, avocats, tous ont été touchés par la terrible histoire de David* qui comparaissait, le 29 août, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Entrepreneur prospère, victime d’un accident qui l’a gravement handicapé, il est dépendant au crack. Son addiction l’a rendu violent, y compris envers ses parents.

Tribunal de Meaux : « Vous êtes la poule aux œufs d’or des dealers de crack ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

Au deuxième rang de la 1ère chambre correctionnelle, la maman de David* fixe son « grand garçon » osseux dans le box. Il a le visage terreux, ravagé par les méfaits de la drogue, mais on devine qu’il fut bel homme. Chaque mois, il dépense jusqu’à 6 000 € pour se fournir en cocaïne et son dérivé le crack, dont l’usage provoque des hallucinations, crises de paranoïa, idées suicidaires. Diminué, David est exploité par un gang qui le sait riche et le traque où qu’il se réfugie, jusqu’à l’hôpital psychiatrique.

Arrêté vendredi 26 août dans son village de Seine-et-Marne, il a été écroué à l’issue de sa garde à vue, sans ses médicaments. Les huit boîtes déposées sur la tranche en marbre contiguë au banc de la défense, apportées par sa mère, renferment des pilules et produits injectables. Sans eux, David plane en orbite basse, à 1 000 kilomètres de la Terre. Soupçonné de menaces de délit et de mort, acquisition, détention et usage de stupéfiants, de conduite sous leur emprise et de destruction de la maison familiale, il convient que « ça ne tourne pas rond dans [sa] tête ».

Le négociateur des gendarmes s’égosille durant huit heures

 La série d’infractions qui l’amène à l’audience lundi 29 août a débuté le 12 mars. Ce samedi-là, il pénètre chez ses parents après avoir endommagé la canalisation de gaz : « Je vais vous cramer, vous passerez pas 70 ans ! ». Il monte sur le toit, entreprend de jeter des tuiles sur les gendarmes et les pompiers. Le quartier est évacué, GRDF coupe le gaz de la commune. Un négociateur essaie de ramener David à la raison : il s’égosille de 10h30 à 18h50. En fin de journée, le « forcené » de 35 ans comprend que sa requête – la venue d’une escort-girl – est rejetée et n’a plus de tuile à lancer. Le toit et la véranda sont détruits. Il est interné d’office en service psychiatrique, dont il s’échappera.

Placé sous curatelle renforcée, David obtient du juge des contentieux de la protection le versement de 1 300 euros chaque lundi pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils dont il a la garde partielle. Il dilapide l’argent en coke et crack. « Ses dealers le harcèlent, lui accordent des crédits quand il n’a plus rien », témoigne sa mère. Aussi, le 25 août, David somme-t-il sa curatrice de lâcher 10 000 €. « Si vous refusez, écrit-il, je donne votre carte de visite, mes revendeurs iront chez vous. » Elle dépose plainte. David est interpellé le 26 au volant, sous l’empire du crack. Ses doses et sa pipe sont saisies. Pas ses médicaments.

« Avant l’accident, ce n’était pas le même fils »

 Les voici donc à portée de main, de l’autre côté du Plexiglas encadrant le box. Impossible de s’injecter le traitement à l’audience. Il devra faire sans. Le président Guillaume Servant l’interroge. « Surtout, prévenez-nous si ça ne va pas », ajoute-t-il, inquiet. Les menaces envers la curatrice ? « Ce n’en n’était pas. L’argent est à moi. Je n’ai pas confiance. Elle est jalouse car j’ai plus de pognon et une plus grosse maison.

– Que vouliez-vous faire des 10 000 euros ?

– Jouer au casino et payer des escort-girls.

– Vous reconnaissez acheter de la drogue ?

– Ah ouais, ça c’est sûr.

– Et la destruction de la maison de vos parents ?

– J’étais énervé… Mais j’ai tout remboursé ! »

Effectivement, il a réglé les 80 000 euros de la réfection. A la barre, sa mère, remarquable par sa distinction, tant de son esprit que de son allure, confie son chagrin : « Avant l’accident, ce n’était pas le même fils. Il était gentil, il dirigeait une société. Depuis sept ans, je me bats pour qu’on le soigne. » Le soir de Noël 2015, David a été fauché par un conducteur ivre, dont la compagne est morte. Six semaines de coma, multiples fractures du crâne, retour miraculeux à la vie, avec des séquelles irréversibles au lobe frontal. Handicapé à 80 %, David a presque tout perdu. Les dommages et intérêts, conséquents, n’ont pas indemnisé la perte du bonheur.

« La drogue, c’est pour oublier ma vie de merde »

La rééducation a été longue. Et la dépression l’a englouti dans le vortex de la dépendance en début d’année 2022. « Avant, j’avais mon enfant et mon épouse, l’entreprise, la joie de vivre, tout ça », explique-t-il, balayant d’un geste circulaire l’horizon disparu. « La drogue, c’est pour oublier ma vie de merde. » Sa femme l’a quitté, il n’est plus ce décorateur que la clientèle s’arrachait. La mère atteste du calvaire de son « grand garçon » : « Il veut s’en sortir, il souffre. Les psychiatres ne parviennent pas à le guérir. Il est dans la toile d’araignée des dealers. Je ne sais plus quoi faire… »

Le juge cherche les mots qui rassurent : « – C’est difficile d’arrêter le crack. Mais juridiquement, il n’est plus à votre charge.

– Je reste sa maman ! Je veux qu’on le soigne ! »

Elle a haussé le ton. David relève la tête, la regarde sans la voir.

Comme tout le monde, la procureure Léa Dreyfus est émue. Elle s’avoue « très embêtée » par « cette procédure d’une tristesse absolue ». Que faire de David « qui se met en danger et les autres avec lui ? Il nous faut prendre en compte les risques de réitération et protéger la société. J’avais pensé au placement à l’extérieur (qui permet de travailler, Ndlr), mais il n’y a pas de place et il n’est pas en état. Je propose six mois de sursis probatoire renforcé et quatre mois ferme avec sevrage ».

Que requérir d’autre ? Et que plaider en défense ? Me Damien Sirot parle du « cercle vicieux » duquel est prisonnier « ce dépressif qui idéalise sa vie d’avant. Il cherche du plaisir où il peut : voitures de luxe, escort-girls et le crack qui le rend violent ». L’avocat évoque « un naïf » qui n’a « pas voulu menacer sa curatrice. Son message, je l’interprète autrement : débrouillez-vous avec ceux à qui je dois de l’argent ». Me Sirot ne croit pas au sevrage en cellule : « Je préfèrerais des soins dans un cadre strict, avec sa mère qui souhaite l’aider. Cela vaut le coup de tenter… »

A 23h15, le juge Servant annonce la peine : cinq mois ferme, sept de sursis renforcé, maintien en détention. Le condamné est hébété. « Laissé à vous-même, vous ne contrôlez rien. Vous êtes la poule aux œufs d’or de dealers, ils ne lâcheront pas ! Vous allez souffrir mais il n’y a pas d’autre solution », conclut à regret le président.

La procureure autorise David à emporter les vêtements qu’a préparés sa mère. L’escorte refuse de s’en encombrer. « Et mes médicaments ? », crie-t-il, grattant sa peau sous son tee-shirt noir. Les policiers consentent à s’en charger jusqu’à la prison.

Dans la nuit, la mère en larmes s’éloigne du palais de justice avec, à bout de bras, le gros sac kaki rempli des pullovers de son fils.

 

*Prénom modifié

Tribunal de Meaux : « Vous êtes la poule aux œufs d’or des dealers de crack ! »
Me Damien Sirot au tribunal judiciaire de Meaux, lundi 29 août 2022. (Photo : ©I. Horlans)
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