Tribunal de Pontoise : « Vous n’êtes pas le justicier de la cité »

Publié le 16/05/2022

Le 25 avril, les comparutions immédiates de Pontoise jugent Trinité, 19 ans. Avec des amis, il a jeté des objets sur des policiers qui procédaient à un contrôle d’identité dans un hall d’immeuble. Entre rixe entre bandes et paternité récente, le profil du prévenu interroge.

Tribunal de Pontoise : « Vous n’êtes pas le justicier de la cité »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Une demi-douzaine d’immeubles de taille moyenne composent une cité de taille modeste, dans la petite ville de Deuil-la-barre, dans le Val d’Oise. Certains halls d’immeuble sont des lieux de rencontre pour les jeunes du quartier, qui y traînent parfois toute la soirée. Le soir du 26 février, ils ne sont que six dans un hall où ils ont leurs habitudes, mais d’après le voisinage qui prévient la police, leur tapage est incessant : « le sol est jonché de détritus, il y a des dégradations, on en a vraiment marre », lance un voisin aux policiers.

Une patrouille intervient et contrôle la petite troupe. Tous les jeunes obtempèrent et s’apprêtent à quitter les lieux non sans avoir ramassé au passage leurs déchets, sauf  un qui refuse le contrôle. Ils l’isolent et le mettent contre le mur, près de la cage d’escalier où ils vont le palper, quand soudain, « nous avons été pris à partie par une dizaine d’individus extérieurs au contrôle », témoigne un policier.

« Une pluie de projectiles dont des chaises de camping »

Anthony a fait le déplacement au tribunal correctionnel avec deux collègues. Il est le seul à avoir été blessé, touché au coin de l’oeil par un carton. « Nous avons fait l’objet d’une pluie de projectiles, dont des chaises de camping » et un pot de fleur, témoigne-t-il. Anthony s’est fait poser sept points de suture et doit subir une intervention à l’oeil, car il un voit un point noir en permanence. Mais heureusement, précise-t-il, sa vision n’est pas altérée. Sa blessure n’étant pas consolidée, l’avocate des policiers demande, pour Anthony, un renvoi sur intérêts civils.

Interpellés deux semaines plus tard à Deuil-la-barre, quatre de ces jeunes ont été jugés le 17 mars en comparution immédiate et condamnés respectivement à 16 mois avec mandat de dépôt, 8 mois avec mandat de dépôt et 12 mois avec sursis. Le dernier prévenu a été relaxé.

Un cinquième, Trinité, demeurait introuvable – il résidait en fait chez sa tante, en Seine-et-Marne. Il se savait recherché, mais sa fille est née entre temps et il a débuté une formation. Il n’avait pas la tête à se livrer aux autorités, bien qu’il se rendre régulièrement à Deuil-la-Barre.

« On a vu un coup de gaz lacrymogène, y’a eu des coups de matraque et c’est parti »

Ce 25 avril, le voici finalement dans le box, 19 ans et des amis plein la salle, prêt à répondre à l’interrogatoire du président.

« —Monsieur, on vous reproche des faits de violences en réunion contre des personnes dépositaires de l’autorité publique. Vous auriez jeté des cartons, des pots de fleurs. On va essayer d’y voir plus clair. Donc ce soir-là, qu’est-ce qu’il se passe ?

— Bah y’a du grabuge, perso je m’en souviens pas trop.

— Mais vous n’étiez pas là au départ. Qu’est-ce que vous êtes venus faire là ? Pourquoi les policiers étaient là ?

— Je ne connais pas l’origine de la situation. Quand on est arrivé, on a vu un coup de gaz lacrymogène, y’a eu des coups de matraque et c’est parti. En tant que jeunes des quartiers, on n’accepte pas que les policiers mettent des coups de matraque.

— Vous connaissez cet endroit, c’est un endroit où il y a pas mal de troubles.

— Concrètement nous l’endroit quand on y va il est propre, on range et les habitants ils nous parlent, la relation est bonne.

— Quelle était votre position lors des faits ?

— J’étais en retrait et j’ai reçu un coup de matraque.

— Ça, vous ne l’avez pas dit en audition.

— Mais l’audition elle a été faite à l’arrache !

— Vous admettez avoir lancé le pot de fleur, mais pas le carton. On a l’impression que vous choisissez un peu. Monsieur, où avez-vous vu qu’on peut jeter des cartons et des pots sur les policiers ?

— Nulle part.

— Vous n’êtes pas le justicier de la cité, vous n’avez pas le droit de faire usage de la force, ça il va falloir que vous le compreniez, Monsieur. Est-ce que vous y avez réfléchi ?

— Oui, je regrette monsieur le juge».

Le procureur, à son tour, interroge le prévenu.

« — Monsieur, pourquoi vous avez réagi comme ça. Ça se passait bien au départ, le contrôle a été fait normalement, il n’y a pas eu de plainte ?

— Nos plaintes ne sont pas valables nous quand on dépose.

— Vous savez si vous portez plainte nous on poursuit, y’a pas de débat. Il arrive que des policiers soient poursuivis. Pourquoi vous menacez les policiers ? Est-ce une question de territoire ? Ils font leur boulot les policiers, ils interviennent à la demande des locataires qui en ont marre.

— Vous avez raison », concède Trinité.

Le procureur ne comprend pas pourquoi le prévenu vit chez sa tante en Seine-et-Marne, alors que la mère de sa fille et son père vivent à Deuil-la-barre. Certes, il ne s’entend pas avec ce-dernier et il ne peut vivre chez sa copine, encore mineure. Mais sa mère habite la commune limitrophe de Montmagny, et elle est prête à l’héberger. Le jeune homme se borne à répéter : je ne peux pas vivre à Montmagny.

Au fil de l’audience, Trinité s’ouvre un peu. Il explique les démarches effectuées pour trouver du travail et se former. Mais, dit-il, « les coups de couteau ça m’a ralenti ». Le procureur sursaute : « Quels coups de couteau ?

— Ceux reçus en 2021, dans une rixe à Enghien.

— Vous êtes allé au tribunal ?

— Non, je n’ai pas déposé plainte.

— C’est votre choix, mais pourquoi ?

— Je sais pas. J’ai pas trop envie.

— C’est grave un coup de couteau, c’est pas acceptable comme acte. Et c’était contre qui, cette rixe ?

— Contre ceux de Montmagny.

— Donc vous avez pris de l’air, c’est pour ça que vous vivez en Seine-et-Marne ?

— Oui, voilà. »

« Sois fort, appelle nous »

Trinité est en récidive, c’est pourquoi le procureur requiert 8 mois de prison avec mandat de dépôt. « Il est normal que les gens puissent avoir une vie paisible et qu’on puisse faire partir les fauteurs de trouble. Les policiers viennent rendre service aux riverains et ils se font caillasser »,  c’est inadmissible, professe-t-il.

L’avocat en défense déplore la justice « vindicative » selon lui déployée par le procureur, et demande qu’on ne décerne pas mandat de dépôt à Trinité, qui vient de devenir papa et tente de s’insérer. Le prévenu réitère ses excuses en s’adressant aux policiers, qui semblent apprécier.

La décision sera rendue après la suspension d’audience : 8 mois avec mandat de dépôt. Un autre prévenu présent dans le box lui met une tape d’encouragement sur l’épaule. La tête appuyée contre la vitre du box, une jeune fille s’adresse à lui : « sois fort, appelle nous », et le jeune homme disparaît dans les geôles.

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