Tribunal de Pontoise : Trois surveillants poursuivis pour avoir cassé la main d’un détenu

Publié le 23/02/2022

Deux surveillants pénitentiaires comparaissent devant le tribunal correctionnel de Pontoise, pour des violences contre un détenu, survenues le 22 novembre 2020 dans la prison d’Osny. Le troisième n’a pas daigné se présenter à l’audience.  Devant l’unique juge qui compose le tribunal, ils doivent également s’expliquer sur un faux établi pour échapper à leurs responsabilités.

Tribunal de Pontoise : Trois surveillants poursuivis pour avoir cassé la main d'un détenu
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

Au premier rang, deux sémillants baraqués chuchotent. L’avocate de l’un d’eux lui tapote l’épaule ; « ça va aller, tout va bien se passer », suggère son regard apaisant. Son client sourit, l’autre regarde ses pieds et la juge les appelle tous les deux :  « Messieurs, veuillez vous avancer ! »

Eric et Chris se redressent et plantent leur gabarit de surveillant pénitentiaire derrière la barre. Les chefs de prévention , fastidieux à entendre, se résument ainsi : violences volontaires aggravées par deux circonstances, la fonction et la réunion ; faux et usage de faux. Un troisième homme manque à l’appel — il n’est prévenu que des violences. Le 4e prévenu (outrage), est la victime des trois premiers. Il n’a pas répondu à sa convocation.

L’ancien joueur de rugby n’était pas préparé à la violence sournoise du milieu carcéral

Avant d’aborder les faits, Chris se permet une introduction sur lui-même. Ils sont surveillants de prison à Osny (95), et plus encore : en tant que membres des équipes locales d’appui et de contrôle (ELAC), ils sont chargés d’intervenir quand la situation au sein d’un établissement carcéral est dégradée. Chris précise qu’il est en arrêt de travail depuis  plusieurs mois, suite à une blessure survenue en intervention, postérieurement aux faits, et qu’il ne reprendra pas le travail. Trop dur pour lui. Cet  ancien joueur de rugby de haut niveau, n’était pas préparé à la violence sournoise du milieu carcéral.

Eric opine.  Lui a travaillé dans la protection rapprochée, ainsi que sur des navires qu’il était chargé de défendre contre l’assaut d’éventuels pirates dans les zones maritimes les plus dangereuses du globe. Mais la pression de la prison, à l’écouter, est plus difficile à supporter.

Le 22 novembre 2020, un détenu prénommé Omar veut aller en promenade. Pour attirer l’attention, il fait du raffut dans sa cellule. Les trois ELAC interviennent, essuient une attaque d’Omar, l’esquivent et le maîtrisent. En le plaquant au sol, les surveillants ont fracturé la main droite du détenu qui, en retour, les a copieusement insultés.

C’est pour cette raison qu’il est convoqué trois jours plus tard devant la commission de discipline de la prison. Entre-temps, Chris a porté plainte pour outrage, et les trois surveillants ont rédigé un compte-rendu d’incident qui incrimine le détenu. Il reconnaît ses torts, mais soutient qu’il n’a pas agressé les surveillants. Ce sont eux qui l’ont frappé, à l’instant même où ils sont entrés dans sa cellule, comme pour se défouler. Il n’a rien pu faire, et, depuis, il a vraiment très mal à la main.

L’arbitrage sans équivoque de la vidéosurveillance

Heureusement pour lui, la maison d’arrêt est pourvue d’un dense réseau de vidéosurveillance. Heureusement, les caméras étaient en état de fonctionnement et, encore heureusement, la commission de discipline a accepté de les visionner. Les images corroborent sans équivoque les déclarations d’Omar, qui demeure néanmoins mis en cause pour outrage.

Les deux surveillants ont eu plus d’un an pour remâcher les faits. Chris se souvient : « La veille, déjà, on a eu des soucis avec lui au sujet de la promenade. » Il prétexte « l’accumulation » de l’énervement, mais convient : « c’est vrai que je lui ai bondi dessus, quand je l’ai vu armer son poing. Mais j’ai réagi violemment, je ne vais pas nier les faits. » La juge commente : « On vous voit bondir dans la cellule, pied et main en avant. »

« Avec le recul, mon interprétation c’est qu’il tente de porter un coup et moi je riposte. Ensuite, dans l’escalier, j’étais encore excédé et le détenu nous insultait, alors je lui ai mis une claque. » Eric, qui a mis un coup de pied dans les côtes d’Omar et lui a fait une clef de bras, croit bon d’insister sur les outrages. « Déjà avant les faits, il nous menaçait de nous fumer. »

Est-ce ce qui les a motivés à rédiger un faux ? La présidente s’enquiert : « Vous reconnaissez toujours le faux ? — Ah, non ! », répond Eric. S’il l’a reconnu après 48 heures de garde à vue, c’est parce qu’il aurait « craqué ».

La mauvaise foi a des limites

Chris soutient que le compte-rendu d’incident n’est pas précis, la présidente lui explique qu’il est mensonger. « Monsieur, dit-elle, la mauvaise foi a des limites. » La vidéo montre que les surveillants ne prennent pas de coups, mais qu’ils en mettent. Le compte-rendu mentionne le contraire. « Vous portez des coups et vous oubliez de le mentionner. Ce n’est pas une question de précision quand on oublie un élément majeur ! »

La procureure a entendu Eric : elle aussi, préfère insister sur les outrages d’Omar, à la fois victime et prévenu, à l’encontre duquel elle réclame 3 mois de prison ferme. Les deux surveillants ont dû faire face à un détenu particulièrement virulent, estime-t-elle, et elle comprend parfaitement que les deux hommes aient pu croire qu’Omar allait les frapper. Mais hélas, ce qu’elle a vu sur la vidéo, ce n’était pas un geste de défense, mais bel et bien une agression. Tout comme le compte-rendu est bel et bien un faux. Elle requiert 8 mois avec sursis contre Chris, 10 mois avec sursis contre Eric, avec interdiction d’exercer pendant deux ans pour ce-dernier.

L’avocate d’Eric plaide la relaxe pour les faits de faux et usage de faux, et avance l’argument juridique suivant : l’article 441-1 du code pénal qui définit cette infraction exige que la déclaration doit établir la preuve d’un droit ou d’un fait. La jurisprudence, argue-t-elle, exige un fait positif. Or, conclut-elle, le faux se contente de passer sous silence certains faits ; il se borne à ne pas dire et ne proclame pas l’existence d’un fait imaginaire. Elle estime ensuite, de manière surprenante, que le faux ne porte aucun préjudice à Omar.

Eric n’a pas d’avocat. Il se contente d’un laconique : « Je n’ai pas d’argument, les faits sont ce qu’ils sont, ils ne sont pas excusables. Je n’ai pas ma place dans ce service. Humainement, c’est un métier très compliqué. »

Le tribunal l’a entendu : le 2 février, il a été condamné à 9 mois de prison avec sursis, et Chris à la peine d’un an avec sursis. Les deux ont écopé d’une interdiction d’exercer. Le troisième, absent à l’audience, a pris 5 mois de prison avec sursis. Quant à Omar, il s’en tire avec 3 mois de prison ferme.

Chris a fait appel.

 

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