Tribunal de Meaux : « Appelle la police, il y a urgence, ta mère va mourir ! »
Geoffrey, 38 ans, s’est déchaîné sur sa compagne le 6 juillet. Quatre jours plus tard, à la barre de la chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), elle se présente épuisée, visage triste, des hématomes sur ses bras nus. Deux mineures ont assisté à la scène très brutale.

« J’ai entendu les cris de douleur de ma belle-mère. C’était déjà arrivé, les gendarmes étaient venus deux fois à la maison. Si je m’étais interposée, il m’aurait frappée. Avec tout ce qu’il a fait, je ne comprends pas pourquoi il n’est pas en prison. » L’adolescente, dont la présidente lit le procès-verbal, est âgée de 13 ans. Léa* est la fille de Geoffrey, le prévenu. Emma*, 14 ans, est celle d’Alice*, la victime. Ce week-end-là, elle était chez son père. Enfin, de l’union du couple est née Louise*, 8 ans, témoin de la nouvelle querelle. Une de plus, au cours de laquelle « il a tout cassé ».
La famille recomposée s’entend bien, sauf quand monsieur boit trop. C’est fréquent. D’où les préventions : violences habituelles sur conjointe depuis deux ans ; violence en récidive par concubin en présence de mineurs, avec arrêt de travail de six jours délivré à l’unité médico-légale – « sous réserve de complications », a écrit le légiste.
Geoffrey a été condamné à six mois de sursis en 2022 pour le même délit.
La sanction ne l’a pas pacifié. Il n’a pas respecté l’interdiction de retourner chez eux durant 18 mois. « On s’est remis tout de suite ensemble pour des questions financières, convient-il. Elle ne peut pas payer seule le loyer. »
« Je vais te massacrer ! »
Ce samedi 6 juillet 2024, Alice rentre chez eux après avoir fait les courses. Comme souvent, Geoffrey est attablé devant sa console de jeux vidéo. Il a bu toute la nuit, « parce que j’ai du mal à dormir ». Quand les gendarmes l’arrêteront à 13 h 30, l’analyse révélera un taux de 0,63 mg d’alcool par litre d’air expiré. Elle lui reproche son comportement ; il explose. Alice file se réfugier dans leur chambre. Il « défonce la porte, balance l’ordinateur, tout ce qui vous passe par la main », rapporte la présidente des comparutions immédiates, Isabelle Florentin-Dombre. « Vous criez : “Dégage” et quand elle quitte la pièce, vous lui assénez un coup de poing sur la tête. Exact ?
– Oui, mais avant, elle m’avait mordu.
– Vous hurlez plusieurs fois “je vais te massacrer !” Votre fille de 8 ans dit : “Il a frappé maman partout, il a cassé son téléphone”. À ce moment, [Léa] envoie un message à [Emma], absente : “ Appelle la police, y a urgence, ta mère va mourir !” Vous confirmez ?
– Effectivement votre honneur (sic), mais faut pas croire tout ce que [Léa] raconte, elle a des problèmes psychologiques, elle invente des choses.
– Donc, c’est elle qui a des problèmes, pas vous ?
– Oui, elle est suivie. Moi ? Non, juste un peu quand je bois.
– Et les lèvres fendues de votre femme l’année dernière ?
– Je ne m’en souviens pas. Vu le nombre d’altercations qu’on a eues…
Première partie des débats, aucune remise en question. Le pire est à venir.
Il verse de l’essence dans son bain et met le feu à la porte
Alice s’approche de la barre. Geoffrey, bras croisés sur son tee-shirt blanc qui moule sa musculature, la toise. Elle a les traits tirés, une peau blanche d’où se détachent d’énormes bleus. L’un d’eux, au biceps droit, ressemble à une grosse pomme. Elle explique son indulgence, sa patience : « Quand il disait vouloir arrêter de boire, je le croyais. Entre deux [crises], il arrivait à se gérer, parfois il était gentil. »
Désormais, la mère fatiguée n’a « plus aucun projet. Plus possible. Je veux qu’on se sépare ». Le procureur adjoint Éric de Valroger se lève : « Est-il vrai qu’il a versé de l’essence dans votre bain et menacé d’y mettre le feu ?
– Oui. Parce que j’avais caché ses médicaments, de la codéine, il en prenait trop. »
La présidente, à l’adresse de Geoffrey : « Monsieur ?
– Ce n’était pas vraiment de l’essence, j’avais fait un mélange. C’était juste une blague de mauvais goût…
– Une blague ?!
– Oui, mais pas une blague pour être drôle.
– Que s’est-il passé ensuite, Madame ?
– Il a commencé à mettre le feu à la porte de la salle de bains…
– Oh, juste sur une petite partie de la porte !
– Vous vous rendez compte ? s’indigne la juge. Pour de la codéine ?…
– C’était pour lui faire peur, rien de plus, votre honneur.
– Notre fille dormait dans la chambre d’à-côté », précise Alice d’un filet de voix.
« Je ne veux plus de disputes pour qu’on puisse s’épanouir »
La présidente n’en peut plus des « votre honneur » à chaque fin de phrase. Et moins encore de sa posture, mi-goguenard, mi-persécuté. À l’entendre, les misères qu’il fait subir à sa famille sont tantôt à cause de l’alcool, tantôt la conséquence de reproches, ou consécutives à un accident du travail qui l’immobilise depuis un mois, ou liées à son instabilité professionnelle. S’il change régulièrement d’employeur, c’est la faute d’Alice « jalouse. Elle ne supporte pas que je parle aux collègues femmes ». Il est « agent de sécurité hautement qualifié dans la maîtrise des risques » ; un comble.
« Je suis sincèrement désolé, finit-il par concéder. Le séjour en prison m’a fait réfléchir. » Il a été écroué le 8 à l’issue de sa garde à vue jusqu’à son audience du mercredi 10 juillet. « Je veux absolument être un modèle pour mes filles, vivre heureux avec elles. Je ne veux plus de disputes pour qu’on puisse s’épanouir. »
L’administratrice ad hoc des mineures parle « des conséquences et d’une situation très inquiétantes ». Me Bogos Boghossian, qui représente les trois parties civiles, la mère et les deux enfants témoins de la scène, s’interroge : « Que reconnaît-il et que regrette-t-il alors qu’il se pose en victime ? Était-ce de la légitime défense ? Pas du tout ! C’est pourtant ce qu’il veut nous faire croire. » L’épisode du départ de feu préoccupe l’avocat : « L’essence, diluée ou pas, est dangereuse lorsqu’on sait la vitesse avec laquelle le feu peut se propager ! Je suis extrêmement inquiet. Cette femme est en danger. Il n’y a qu’à voir les traces sur son corps. »
Il sollicite 5 000 euros de dommages et intérêts et « l’interdiction formelle de contacts avec madame et les enfants ».
« Les nombreuses photos démontrent l’intensité des coups »
Le procureur adjoint Éric de Valroger rappelle les deux préventions, dont une aggravée par la récidive et la présence de mineures, et « les deux types de preuves : les témoignages qui décrivent précisément les violences et de nombreuses photos qui démontrent l’intensité des coups, leur importance, leur nombre ». Elles ont été prises ces deux dernières années. Il insiste sur « sa dépendance à l’alcool » et « la gravité des faits ». Sont requis un an de prison dont six mois avec sursis probatoire de deux ans et le maintien en détention pour la partie ferme, la révocation du sursis de six mois accordé en 2022, avec incarcération immédiate. Plus l’interdiction de contacts avec sa famille, de paraître chez elle, l’obligation de soins, le retrait de l’autorité parentale.
En défense, Me Anne-Sophie Lance réfute « les violences habituelles. On dispose de cinq dates précises de disputes en deux ans, grâce aux données que madame a fournies. Je souhaite donc la relaxe pour cette prévention ». Les délits du 6 juillet ne sont pas contestés, « mais l’emprisonnement n’est pas utile. Peut-on envisager la détention sous bracelet électronique ou un régime de semi-liberté ? Quant au retrait de l’autorité parentale, il n’est pas juste car ses filles sont toute sa vie ».
Le tribunal suit l’intégralité des réquisitions, avec exécution provisoire – qu’il fasse appel ou non. Geoffrey part en détention pour un an. Il baisse la tête, caresse son collier de barbe, ajuste ses lunettes, pose ses yeux noirs sur Alice. On le devine furieux, d’autant qu’il devra leur verser 4 000 €. La juge Florentin-Dombre lui précise que, dans un an, il pourra demander la levée du retrait de l’autorité parentale. L’escorte lui passe les menottes.
* Les prénoms des victimes ont été modifiés

Référence : AJU453044
