Tribunal de Meaux : « C’est Madame qui me tape depuis trois ans… »
Les magistrats du tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) ont longuement écouté Philippe* qui répondait de « violences habituelles » sur sa compagne, de 2021 à 2024. En l’absence de la plaignante, pas même représentée, il a tenté d’expliquer le contexte d’une « relation toxique » : l’alcoolisme de Lydie*, avéré, les insultes et les coups qu’il aurait subis.
Comme l’a justement rappelé le procureur Alexandre Boulin, « en droit, le mobile n’est pas pris en considération, même si on peut éventuellement en tenir compte pour fixer la peine. Seule compte la caractérisation des faits ». Et ceux-ci sont établis : au cours d’une dispute, durant laquelle ils se sont « poussés mutuellement », selon le prévenu, c’est Lydie* qui a été blessée et transportée à l’Unité médico-judiciaire après que son fils, âgé de 13 ans, a alerté les gendarmes. Le légiste a relevé des « ecchymoses aux bras », lui a accordé quatre jours d’incapacité de travail. Dans sa plainte, la victime a parlé d’antécédents depuis que le couple s’est formé il y a trois ans. D’où la prévention de « violences habituelles », bien que l’enquête se soit limitée aux algarades reconnues, datant d’avril dernier.
À la barre, ce lundi 30 septembre, Philippe admet deux épisodes houleux, « avec des baffes, oui ». « Ça peut arriver », précise-t-il benoîtement, sans concevoir que, non, ce n’est pas tolérable. À plusieurs reprises, le président Léger va l’inviter à « [se] remettre en cause » mais l’homme de 50 ans, qui n’a jamais eu affaire à la justice, ne dévie pas de sa ligne de défense : « C’est madame qui me tape depuis trois ans. »
« J’ai subi 45 minutes de “fils de pute” »
Cheveux grisonnants et doudoune bleue, le prévenu est mal à l’aise. Il se dandine inlassablement en exposant sa vie chaotique avec Lydie, dont les penchants pour la bouteille ont fait fuir un premier mari. « Elle était ivre », ce soir du 5 avril, quand les forces de l’ordre l’ont emmenée à l’UMJ ; c’est acquis au dossier. « Elle m’a traité de connard, m’a mis deux claques. Elle m’a demandé de partir. Comme souvent, j’ai failli dormir dans ma voiture. J’ai fini par rentrer, j’étais trop fatigué. J’aurais dû éviter ses crises… »
La bagarre reprend : « J’ai subi 45 minutes de “fils de pute” ! Elle n’arrêtait pas de m’insulter. Il fallait que ça cesse.
– Et les ecchymoses sur ses bras ?
– On s’est poussé mutuellement, elle est tombée. Elle se met dans de telles colères qu’elle devient ingérable. J’ai pu l’attraper un peu fort.
– Vous rejetez beaucoup la faute sur elle…
– Non. J’ai été obligé de la maîtriser et d’esquiver les coups.
– Pourquoi rester avec madame ?
– Je me suis accrochée à elle et à son fils. En 2023, on s’est séparés pendant quatre mois, j’ai vécu chez des amis et dans ma voiture. J’en ai perdu mon travail… Je suis revenu en pensant qu’elle allait changer. J’aurais dû porter plainte, tout le monde me le conseillait… »
« Elle l’a tiré par les testicules plusieurs fois »
Après une heure de débats, on en est au même point. Il soutient mordicus n’avoir « perdu [son] calme qu’à deux reprises en trois ans. C’est tout ». En avril, donc, pas avant. « Je l’ai peut-être traitée de conasse, attrapée par les bras, je lui ai lancé des coussins. Je lui ai craché dessus, aussi, parce qu’elle me crachait dessus. Mais plein de choses ne vont pas [dans la version de Lydie]. » Repoussant ses autres accusations, il invoque « les trous noirs et pertes de mémoire » dont elle serait coutumière – ce qui, en substance si on le suit, lui tourneboule le cerveau. « Je n’ai jamais frappé une femme ! Ni elle ni la mère de ma fille ! Si j’avais écouté mes proches, je ne serais pas au tribunal. »
Le procureur objecte avec logique que « la seule personne poursuivie, c’est monsieur » et que, contexte ou pas, « la violence n’est pas la réponse à une relation toxique. La solution était autre : quitter le domicile ». Si M. Boulin convient que « madame souffre effectivement d’alcoolisme », il déplore la « position victimaire » de Philippe qui n’a pas conscience de ses actes. « Un crachat, c’est déjà une violence », assène-t-il. Contre ce primo-délinquant, il requiert huit mois avec sursis simple et une interdiction de contact avec Lydie durant trois ans.
Me Christophe Gérard regrette que son client n’ait pas détaillé tout ce qu’il a enduré : « Il n’a pas pu dire, en audience publique, que madame l’a tiré par les testicules plusieurs fois. Qu’elle a l’alcool mauvais. Qu’elle lui écrit “sale pute” par texto ! Je vous remets plein, plein d’attestations et SMS. »
Les trois juges ont pris le temps de les lire mais les délits – ne serait-ce que deux – sont reconnus. Ce sont deux de trop. Ils suivent les réquisitions du parquet.
Blême, Philippe s’en va, le regard fixé sur ses souliers. On le devine accablé de honte.
* Les prénoms ont été modifiés
Référence : AJU470712