Tribunal de Meaux : Il bat sa femme, lui perfore un tympan et écrase son larynx

Publié le 29/04/2024

Gilbert* « regrette [ses] actes », en l’occurrence les violents coups portés à sa conjointe, qui l’ont gravement blessée. Cependant, même devant le tribunal judiciaire de Meaux (Seine-et-Marne), il continue de rejeter « la faute » sur elle qui, en gros, lui reprocherait son addiction à l’alcool. Les juges l’ont condamné, sans toutefois l’envoyer en prison.

Tribunal de Meaux : Il bat sa femme, lui perfore un tympan et écrase son larynx
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

Une main tendue, mais pour la dernière fois. Gilbert*, 50 ans, est conscient que le prochain délit lui vaudra une incarcération, a minima la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Louise Sahali, substitut du procureur, avait d’ailleurs souhaité qu’il porte un bracelet à la cheville durant huit mois sur les quatorze requis, peine incluant la révocation d’un sursis accordé en 2021. Car Gilbert, qui répondait jeudi 25 avril du chef de violence sur son épouse, prévention aggravée par deux circonstances – le lien familial et la récidive – a, comme on dit, « l’alcool mauvais ». Il lui est « très difficile » de se contenir, y compris face aux policiers qui, voici trois ans, avaient porté plainte à son encontre pour rébellion et outrage.

Valérie*, elle, n’a pas déposé plainte, soucieuse de « ne pas accabler » celui dont elle partageait la vie jusqu’au soir des faits, le 28 octobre dernier, dans leur logement de Choisy-en-Brie. Un homme que la victime semble encore aimer, en dépit des blessures infligées : perforation du tympan droit ayant entraîné une perte partielle d’audition ; larynx écrasé par la poigne de fer qui l’a étranglée. Le légiste de l’unité médico-judiciaire a estimé à plus de huit jours son incapacité temporaire totale, étant entendu que les séquelles devront faire l’objet d’une expertise ultérieure.

« Le groupe de parole lui a permis de se remettre en cause »

Face aux magistrats de la 1re chambre correctionnelle ce jeudi, Gilbert n’en mène pas large. Son attitude contraste singulièrement avec son physique : grand, puissant, son dos forme pourtant une voussure sous le poids, sans doute, de la vingtaine de paires d’yeux éberlués qui l’étudient ; une classe de collégiens s’est délocalisée au palais de justice. On suppose que, devant eux, il a honte. L’homme penche la tête, avec un air terriblement triste, fixe obstinément les dalles au sol, aussi grises que ses cheveux. Il se cramponne à la barre ; on imagine ses deux mains épaisses comprimer un cou, comme ce soir du 28 octobre 2023.

Le prévenu ne sait guère expliquer ses gestes envers Valérie, si ce n’est que la dispute a dégénéré. À cause de son ivresse, à nouveau. En substance, la faute en revient à celle qui ne le supporte plus. Mais là, promet-il, c’est fini. À l’issue de sa garde à vue, le procureur avait considéré que, l’affaire étant simple, il serait jugé dans un délai de six mois par convocation sur procès-verbal. Le juge des libertés et de la détention lui a laissé une chance de se rattraper avant les débats : il l’a astreint à un contrôle judiciaire strict, des soins, un stage et plus aucun contact avec sa femme.

Gilbert a respecté les injonctions. « Le groupe de parole lui a permis de se remettre en cause », indique son avocate, Me Florence Pain. « Aujourd’hui, par exemple, il est capable de comprendre que la violence se traduit aussi par des mots, pas uniquement des coups. »

« Il faut aider ce couple à ne plus être ensemble »

 Il a également réussi à « résister » à Valérie, bien que leurs liens demeurent profonds : « Il reçoit beaucoup de SMS de sa part mais n’y répond pas. Il respecte scrupuleusement ses obligations, même si c’est dur. Entre eux, ce n’est pas clair… Il faut aider ce couple à ne plus être ensemble », suggère joliment Me Pain. Gilbert l’écoute parler à sa place, lui qui n’a pas l’aisance pour exprimer son ressenti, et qui toujours contemple le sol.

Valérie a fini par se constituer partie civile. Par la voix de son conseil, elle fait juste valoir son préjudice. Pas d’acrimonie, aucun désir de vengeance. Un renvoi sur intérêts civils est demandé ; la récupération de son audition n’est pas acquise à ce stade.

Louise Sahali, qui représente l’accusation, convient des efforts du prévenu mais « la situation de réitération » la laisse perplexe, quelque peu inquiète. Gilbert, qui était déjà sous le coup d’un sursis probatoire depuis 2021, « n’a pas honoré le contrat ». Elle requiert un an de prison, la moitié sous DDSE, la révocation des deux mois de sursis précédemment infligés. Elle sollicite qu’il soit surveillé par un juge de l’application des peines durant deux ans, qu’il poursuive son parcours de soins avec un addictologue, qu’il voie un psychologue, qu’il reste éloigné de Valérie jusqu’en 2026 et la dédommage.

Victime d’un AVC, « il se met lui-même en danger »

 L’avocate de Gilbert affirme qu’il a déjà « décroché » de son addiction, en atteste « l’absence de signes biologiques d’intoxication par l’alcool ». Tous les mois, il se soumet à une analyse, dont Me Pain produit les résultats. À son avis, « il a réalisé qu’il met les autres en danger, et lui-même puisqu’il a été victime d’un AVC [accident vasculaire cérébral]. Il travaille dans une entreprise depuis 27 ans, il est stable sur ce plan, et personne, surtout pas lui, n’oublie que [Valérie] est la victime ». Aussi plaide-t-elle en faveur du sursis probatoire « sans partie ferme » car « la vraie sanction, qu’il accepte, est l’obligation d’indemniser sa compagne ».

Gilbert n’ajoute rien pour sa défense, il a déjà balbutié ses regrets.

Le tribunal le condamne à 15 mois de prison entièrement assortis du sursis probatoire, fixé à deux ans. Les autres réquisitions sont suivies. Quant au préjudice, il sera établi après expertise médicale. D’ici à l’audience civile, il versera 1 500 € de provision à Valérie. « J’insiste sur l’importance de vous soigner », répète le président Stéphane Léger. Gilbert opine, quitte la salle à demi désertée : le départ des collégiens, une heure plus tôt, lui épargne l’humiliation.

 

* Les prénoms ont été modifiés

Tribunal de Meaux : Il bat sa femme, lui perfore un tympan et écrase son larynx
Me Florence Pain, du barreau de Meaux, au tribunal correctionnel mardi 30 mai 2023 (Photo : ©I. Horlans)
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