Tribunal de Meaux : L’adorateur d’une call-girl, qu’elle a ruiné, lui casse un pied
Les histoires d’amour finissent mal, en général. A fortiori si l’on s’éprend d’une prostituée colombienne en quête d’un riche pigeon. Sous le joug de sa passion, Luc* a déboursé 150 000 € en un an pour satisfaire Maria. Jusqu’à lui offrir un postérieur plus galbé et de nouveaux seins. Puis, le plumé a disjoncté et a violemment frappé sa dulcinée. En larmes devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), ce père jusqu’ici irréprochable a « tout regretté ». Sauf son coup de foudre.
Luc*, 51 ans, dont 33 d’activités professionnelles dans un domaine sensible où l’on s’arrache ses compétences, s’exprime parfaitement, choisit ses mots avec respect devant la chambre des comparutions immédiates. Mais alors qu’il résume les conséquences de son acte, il lâche un idiome lorrain : « J’ai beugné ma vie à cause de trois bouteilles. » En effet, c’est acquis, l’ivresse l’a conduit à jeter Maria au sol, à s’acharner sur elle en présence des enfants mineurs de sa compagne. Au point que le cadet de 10 ans a saisi une batte de base-ball pour secourir sa mère.
La scène a été filmée par la caméra fixée dans le luxueux salon de Luc. Pas de contestation possible. On le voit, le 7 juin dernier, à l’heure du dîner, se précipiter sur Maria, 35 ans. Tee-shirt blanc, une dizaine de kilos en plus que ce mercredi 4 septembre, jour de l’audience, il est affalé sur elle et lui bloque le haut du corps, le cou, d’un bras musclé ; cela ressemble à une clé d’étranglement. Maria s’en sort avec « juste » un pied cassé. Si les faits sont graves, le procureur Éric de Valroger admet toutefois qu’avant d’en arriver à de telles extrémités, il y a « beaucoup d’éléments de contexte ». L’histoire du couple est assurément aussi folle que la vénération de Luc pour Maria.
« On t’enverra tous les Colombiens de Paris pour cramer ta maison »
Le prévenu répond de violence suivie d’une incapacité totale de travail de 21 jours, en présence de mineurs – circonstance aggravante. Maria a fui en Colombie avec ses enfants, après avoir encore réclamé 2 700 € à Luc pour régler les billets d’avion (il a refusé, mais veut désormais la rembourser !). A sa famille, elle a montré la vidéo de son tabassage. D’où les menaces de mort qu’il reçoit : « Ils disent : “On t’enverra tous les Colombiens de Paris pour cramer ta maison. » Dans la salle des pas perdus, on lui déconseille de retourner à Bogota pour s’excuser (ce qu’il a dit envisager durant les débats). Il objecte n’être « pas idiot ». Il nous révèle les propos du père de Maria : « “J’ai tué plusieurs hommes dans mon pays, un de plus ne fera pas de différence.” J’ai compris que si j’y vais, je suis mort. » Il évoque « un curé colombien » qui peut l’héberger, faire l’intermédiaire ». Si l’amoureux transi disparaît, on saura où chercher sa dépouille. Ce volet de l’affaire est pris au sérieux par la présidente Cécile Lemoine : « Vous ne devez pas la contacter, y compris par téléphone. Dans son intérêt et dans le vôtre ! »
La comparution à délai différé a permis des examens par deux experts, un psychiatre et un psychologue. « Pas dangereux », concluent-ils, cependant en proie à « une vulnérabilité addictive », « une mise en danger à cause de sa passion », « une altération unique du discernement liée à la dépendance affective ».
« Je voulais la sortir de la prostitution »
La relation virtuelle entre Luc et Maria s’établit via “sexemodel.com ”, une application de rencontres libertines. Deux mois plus tard, en mai 2023, elle emménage dans la villa qu’il a achetée quatre ans plus tôt dans un bourg de Seine-et-Marne. Sans sa fille de 15 ans, née d’un père néerlandais, ni le petit de 10 ans conçu avec un Colombien peu soucieux de sa paternité. La jeune femme exige alors de Luc qu’il paie les frais de la procédure engagée à Bogota pour récupérer l’enfant. Il s’exécute « parce que j’aime le petit qui m’appelle papa ». Ils partent en Colombie – Luc financera six allers-retours en un an. « Je voulais la sortir de la prostitution », dit-il. « Je connaissais son passé, j’étais au courant et je l’ai accepté. Je lui aurais tout donné si je n’avais pas fini par me retrouver dans l’embarras financier. »
Les enfants arrivent en France en 2024. Il les inscrit au collège, au lycée : « Plus le temps passait, plus Maria avait des exigences. Des vêtements, une liposuccion des fesses car elle ne supportait plus que je la taquine à cause de sa cellulite. J’ai payé l’avion et l’opération en Colombie. Ensuite, elle a souhaité réduire sa grosse poitrine, toujours en Colombie, j’ai réglé. J’avais déjà dépensé 72 000 €. Elle a voulu un sac Hermès à 42 000 €. J’ai dit non. J’avais atteint 116 000 € de débit. C’était dur de refuser car je suis amoureux comme un gosse de 16 ans. »
La juge : « Vous l’êtes toujours ?…
– Oui. Si vous levez mon interdiction de la revoir, je pars en Colombie », répond-il en pleurs, suscitant la consternation des magistrats.
En aparté, il nous avoue « un débit total de 150 000 €. Mais que représente l’argent quand on aime ? »
Une banalité domestique à l’origine de l’altercation
Luc, qui est resté 18 ans avec la mère de ses propres enfants, ne s’est jamais montré agressif avec quiconque. « Je n’ai jamais frappé personne. » De mai 2023 à juin 2024, il dit avoir « tout enduré ». Insultes, coups, sa poursuite d’activités sur le site “sexemodel.com” car elle ne pouvait « travailler en France sans titre de séjour ». Il accepte, mais bout. Jusqu’au 7 juin. « J’avais picolé. Ce soir-là, elle a débarrassé les assiettes sans que le petit ait fini de manger. J’ai pété un câble. Je suis parti de la maison, sans papiers ni carte bancaire. Je me suis réveillé à 1h30 à sept kilomètres de chez moi, c’était le trou noir depuis 20h30… Je suis rentré, les gendarmes sont arrivés. »
Les officiers sont équipés car un voisin a prévenu qu’il possède des armes : dans un coffre-fort, révolver, pistolet et munitions, machette, laser, poing américain. Hébété, il ne comprend pas ce qu’on lui reproche ; ivre mort, il cuve en cellule de dégrisement. Maria dépose plainte auprès de la police à Paris. Elle exige de rester chez Luc et, contre toute attente, le JLD accepte. Il ordonne au propriétaire de quitter sa maison alors que s’y trouve le siège de sa société, le matériel pour son travail. Le JLD confirme la mesure le 5 août, alors que Maria a quitté le territoire. « C’est injuste, selon le suspect. Je ne pouvais plus bosser ni relever mon courrier. »
« Il disait que j’allais mourir avant mes 50 ans »
La version de Maria est aux antipodes des explications de Luc. Elle assure qu’il la « rabaissait », la traitait « de pute », l’a battue plusieurs fois, « disait que j’allais mourir avant mes 50 ans. » Il reconnaît avoir eu peur car « elle prenait de la cocaïne et piquait des crises en état de manque. J’ai toutes les preuves ». Problème de taille : les gendarmes n’ont pas interrogé Maria, ni les enfants, amis, voisins, familles, les preuves de Luc n’ont même pas été étudiées ! Cécile Lemoine : « On est frustrés, on aurait aimé en savoir plus, mais la procédure s’arrête là. Il faut se contenter de récits discordants ».
Néanmoins, le film démontre « la gravité des faits du 7 juin », estime à raison Éric de Valroger. « Je ne prendrai pas pour argent comptant ce qu’a dit Madame mais vous avez vu les images. Et en présence d’enfants ! » Luc opine, essuie des joues, renifle bruyamment. « Il se décrit amoureux et con, poursuit le procureur ; je suis d’accord. » Aussi requiert-il, tenant compte du casier vierge, un an avec sursis probatoire de deux ans, une obligation de soins, de travail, l’interdiction de contact avec Maria et ses enfants, ainsi que la possession d’armes.
En défense, Me Jean-Louis Granata regrette une procédure bâclée « où on n’a pas confronté les déclarations », souligne « la sincérité » de son client, insiste sur « l’immaturité affective : à 51 ans, il agit comme un ado » et le pense « sous emprise. Il a déjà été sanctionné : il a perdu sa compagne, son argent, sa dignité ». Il ne plaide évidemment pas la relaxe mais un sursis simple. « Il a besoin de se soigner et de travailler. »
Luc a la parole en dernier : « Je voudrais réparer un petit peu, même si je sais que c’est irréparable. »
Le tribunal suit dans leur entièreté les réquisitions de M. de Valroger. Et il dispense Luc d’une inscription au bulletin n°2 du casier qui l’empêcherait de conserver son emploi.
Le condamné remercie les juges. En s’éloignant, il sèche encore des larmes et jure d’oublier la Colombie.
* Prénom modifié
Référence : AJU464637