Tribunal de Meaux : Par amour, la députée (LFI) Ersilia Soudais semble avoir vécu un enfer
Dans une atmosphère survoltée, le tribunal correctionnel de Meaux, en Seine-et-Marne, a entendu les deux versions d’une relation tourmentée. D’un côté, la députée (LFI) Ersilia Soudais qui accuse son ex-conjoint de harcèlement moral durant 31 mois ; de l’autre, Damien C., qui nie tout. Il a fallu disséquer jusqu’à leur sexualité pour déterminer l’intention de nuire. Le procureur a requis quatre à six mois de prison avec sursis.

À tous égards, ce fut une audience difficile. D’abord à cause de l’animosité entre l’avocat du prévenu et le procureur, Jean-Baptiste Bladier, agacé par les quelques minutes de retard de Me Yassine Bouzrou. Lequel n’avait pas plus apprécié qu’en décembre, à l’occasion de sa demande de renvoi du procès, le chef du parquet ait fustigé son absence, selon lui signifiée tardivement (notre article du 20 décembre ici). Il avait pourtant prévenu très en amont de son indisponibilité, plaidant en cour d’assises. Le ministère public avait accusé réception de son mail 36 jours plus tôt, a-t-on appris ce mercredi 21 mai.
Ensuite, l’avocat a mal interprété une réflexion de la présidente Verissimo, jamais prise en défaut d’incorrection : elle réclamait qu’il se taise ou sorte de la salle, dès lors que la parlementaire, très affligée, avait entrepris son récit à la barre d’une salle exiguë, l’obligeant à déposer à 50 centimètres des conseils et de son ancien partenaire. Deuxième escarmouche ; audience suspendue pour appeler la bâtonnière, avant d’y renoncer.
D’autres accrochages suivront, électrisant tant les débats qu’il faudra offrir de l’eau et une barre chocolatée à Mme Soudais, proche du malaise.
Mais la partie la plus pénible fut l’écoute des griefs, souvent sordides, faits à Damien C. par la plaignante, qui n’est pas remise de ce qu’elle a enduré.
« Je te baiserai quand tu te seras épilée la chatte »
L’homme de 36 ans a partagé l’existence de la députée pendant trois ans. Comme elle, il nourrit une passion pour la politique : La France insoumise les a réunis. À sa sortie de Sciences Po, il a été professeur d’histoire et, « à cause d’une meuf », il a perdu son emploi en 2021. Au chômage depuis, il a vécu aux crochets de la parlementaire jusqu’en mars 2024 : elle payait tout, lui donnait de l’argent.
Quand elle a été élue en 2022 (réélue en 2024), les choses ont commencé à se gâter : « Il s’immisçait dans mon travail, disait que “sinon on [LFI] ferait encore de la merde”. Il vivait par procuration, il voulait être à ma place », raconte la jeune femme de 37 ans. Il l’empêchait de dormir, poursuit-elle, contrôlait ses gestes, ses horaires, ses déplacements, sa contraception. « Il refusait même que j’aille suivre un stage contre l’antisémitisme. Et c’est lui qui choisissait mes vêtements, j’étais en déguisement permanent. »
Pire, selon ses dépositions (initialement, elle avait porté plainte pour viol, classée sans suite) : « Il contrôlait ma pilosité. Il disait :“je te baiserai quand tu te seras épilée la chatte. Tant que tu n’auras pas la chatte d’une fille de 12 ans, ça n’ira pas.” J’ai consenti à des actes dégradants… » Il l’emmène dans des clubs échangistes : « Les participants remarquaient que je n’allais pas bien. Mais après, j’avais quelques mois de tranquillité. »
« Il voulait bander mes yeux et faire venir un inconnu »
Son exposé des faits reprochés est si glauque que l’on admire son courage de s’exprimer devant une salle comble, elle que l’expert psychologue juge « fragile, sous emprise, en grande souffrance, et qui se mésestime ». Elle évoque « le jeu » qu’il lui proposait, intitulé « l’homme mystère » : « Il voulait bander mes yeux et faire venir un inconnu. » Elle a refusé, il a renoncé. Elle pleure.
La présidente Verissimo : « Pourquoi avoir accepté tout cela ?
– Je finissais par dire ok, car j’étais amoureuse. Et puis, j’avais peur. Il avait des vidéos de moi, menaçait de les diffuser. Comme il martelait que j’étais bonne à rien, que je ne savais rien faire, j’ai fini par le croire. Je ne voulais pas être en échec.
– Aujourd’hui, comment allez-vous ?
– Un peu mieux. J’arrive à vivre seule. Avec lui, j’avais pris quinze kilos et, là, j’en ai déjà perdu trois.
– Le psychologue évoque “un état psychique dégradé, un stress aigu, des doutes constants”…
– Je suis une psychothérapie. J’ai toujours peur de lui, car je sais qu’il garde les vidéos et il fait du forcing pour s’imposer dans la vie militante. »
Il ne l’a jamais frappée. Une fois, elle a craint un coup car elle avait « oublié d’acheter ses cigarettes ».
« On craignait les Israéliens à cause de notre engagement propalestinien »
Damien C. lui succède à la barre. Il nie en bloc, sauf le libertinage – « c’est pas un crime ! » – et l’usage régulier de cannabis. « Tout n’est que propos mensongers pour jeter l’opprobre sur moi. » Doudoune sans manches sur chemise beige, mains à plat sur le pupitre, il vitupère contre celle « qui ne faisait pas la cuisine, le ménage ». À propos des vidéos, détruites selon lui, il explique pourquoi il les conservait sur un portable non relié à Internet : « On craignait que les Israéliens se procurent nos données à cause de notre engagement propalestinien. »
Quant au harcèlement certifié par neuf témoins, dont des collaborateurs, « ils mentent : ils dépendent d’elle, qui est leur avenir ». Ses incursions au palais Bourbon, au point que la sécurité est intervenue et a désactivé son badge de conjoint ? « C’est n’importe quoi. » L’intervention des ressources humaines car « elle était pressurisée » par « son agressivité » ? « Le rôle des collabs, des RH, n’est pas de s’immiscer dans la vie d’un député ! »
Damien C. a réponse à tout. La présidente lit les dépositions des témoins : « Il s’imposait, prenait sa place » ; « intrusif » ; « toxique, la critiquant sans arrêt, la rabaissant tout le temps. Il la contredisait, la discréditait » ; « il lui hurlait dessus, elle se ratatinait » ; « c’est un prédateur qui cible les femmes en détresse psychologique. Il a toujours raison, il est impulsif et sexiste. » Une ex : « J’étais sa chose, sa poupée. » Sa sœur : « Un machiste aux idées arriérées envers les femmes. »
« Être accusé de viol à LFI, c’est le baiser de la mort »
Damien C. s’inscrit en faux, systématiquement ; peut-être dit-il vrai, peut-être les témoins et Ersilia Soudais mentent-ils. Le procureur Bladier pose une question fondamentale : « Comment expliquez-vous qu’elle ait pris le risque de voir tous ces faits révélés publiquement ? » Nouvel incident, Me Bouzrou vole au secours de son client, Ersilia hoquète. « Vous avez fait du zèle, riposte Damien C. Vous m’avez poursuivi pour viol ! Être accusé de viol, à LFI, c’est le baiser de la mort. Elle s’est trouvée enfermée dans son mensonge. Et elle avait peur que je balance les sextapes. »
Il l’accable encore un peu, lui prête un amant, raison de leur séparation, la décrit « instable », se laissant « toujours emporter par ses émotions ». Et si à son retour de Jordanie, date de la rupture, il l’attendait à l’aéroport, bien qu’elle ait refusé de le revoir, « c’était pour la protéger, elle est menacée de mort. C’est pas parce qu’elle boude que je dois la laisser prendre un coup de couteau ! »
Me Camille Guillard, qui substitue sa consœur Jade Dousselin, estime que leur cliente « a vécu sous cloche trois ans » : « C’est une femme brisée qui est désormais libérée, pas encore apaisée. Elle a déclaré avoir été en mode plante verte. » Elle demande une mesure d’éloignement.
Le procureur Bladier la requiert pour une durée de trois ans, « quatre à six mois de prison avec sursis », douze s’il enfreint l’interdiction d’approcher Ersilia Soudais. Avec exécution provisoire. « Les dénégations de monsieur C. me laisse éminemment songeur… »
Néanmoins, en défense, Me Anna Branellec rappelle que « le tribunal doit statuer juridiquement », « déterminer la volonté » de nuire, de dégrader la santé, « prouver les éléments matériels et moral ». Me Bouzrou plaide « une carrière politique foutue. Tout le monde lui a tourné le dos. » Il cite un témoin qui l’a traité « de beauf qui pue la “weed”, c’est allé jusque-là ! »
Le prévenu a la parole en dernier : il déplore sa « mort sociale », son regret d’avoir raté ses deux tentatives de suicide. Il espère une relaxe.
Le tribunal rendra son jugement le 11 juin.
Référence : AJU499135
