Tribunal de Meaux : « Quand elle m’a dit de me taire, j’ai ressenti de la haine »

Publié le 10/03/2025 à 9h00

Les violences intrafamiliales ne diminuent pas. Elles avaient fortement augmenté durant la pandémie de Covid et, depuis, elles ont effectué un bond de 10 %. Si deux fois plus de femmes qu’il y a dix ans osent porter plainte, les magistrats notent aussi qu’elles restent nombreuses à reculer au procès. Comme l’épouse de Cédric qui, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), dit finalement avoir  « manqué de respect » à son mari et qui, par conséquent, excuse les coups qu’il lui a portés.

Tribunal de Meaux : « Quand elle m’a dit de me taire, j’ai ressenti de la haine »
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 « Votre version diffère énormément de celle du 14 septembre 2024, relève la substitut du procureur Louise Sahali. Nous avons l’habitude de voir les victimes minimiser les violences à la barre, mais tout de même ! La police a indiqué que vous étiez effrayée. Et moi, je suis inquiète pour vos jeunes enfants. Qui les protègera, s’il recommence ? » La réponse de Lucia* fuse : « Il ne recommencera pas. C’est moi qui n’aurais pas dû réagir ainsi. Je lui ai manqué de respect. »

L’attitude à l’audience de cette Mexicaine, anéantie par la perte d’un bébé, épuisée par le travail, par l’éducation de ses enfants de 8 et 4 ans, et par les malfaçons dans sa maison en construction, n’est pas exceptionnelle. Et, à chaque fois qu’une femme battue se rétracte, Louise Sahali « déplore ce type de comportement, qui m’affole ». Les statistiques, peu rassurantes, établissent que 86 % des 271 000 victimes de violences au sein de leur foyer sont des femmes, que leur nombre a doublé depuis 2016, et qu’à l’ère post-Covid, la justice enregistre encore une augmentation de 10 % de ces délits.

L’aîné de 8 ans a « entendu des gros “boum” dans la salle de bain »

Lucia choisit donc de préserver son mariage, fut-il chaotique. Pire, elle est déterminée à endosser la responsabilité de l’explosion de rage de Cédric. Sous contrôle judiciaire depuis le 15 septembre, il n’en demande pas tant : « Je la remercie d’avoir appelé la police, car j’ai pu me soigner. » Le prévenu de violence sur son épouse, en présence de mineurs, reconnaît « avoir bu et déraillé ce soir-là ». Il admet aussi avoir injurié les policiers, « mais pas la rébellion », autre infraction reprochée.

L’homme de 44 ans, qui mesure environ 1,90 mètre, soit deux têtes de plus que Lucia, toute menue, convient qu’il était ivre en rentrant chez eux ce 13 septembre en soirée. « Je me suis mis à parler aux enfants. Quand elle m’a dit de me taire, j’ai ressenti de la haine pour elle », explique-t-il. Alors, il la gifle plusieurs fois, l’insulte, la tire à l’écart par les cheveux : « J’ai entendu des gros “boum” dans la salle de bain, a témoigné l’aîné de 8 ans. Papa lui a dit : “T’es qu’une connasse”. Maman n’avait jamais appelé la police. »

Quand elle parvient à leur domicile de Claye-Souilly, la mère et ses petits sont à l’extérieur, terrorisés, « en état de choc », selon le rapport évoquant « un individu qui titube, vocifère, refuse de se soumettre, crie à son épouse “je vais te niquer” ». S’ensuivent une bagarre avec les agents, un « florilège d’insultes ». Cédric est difficilement maîtrisé. Il en conserve une entaille à l’orbite gauche, « de la rancœur envers les policiers, de la colère contre sa femme », indique son contrôleur judiciaire.

« Pour vos enfants, c’est destructeur ! »

 Il n’a plus trop le souvenir « des claques » assénées à Lucia, dont la tempe et la joue gauches sont tuméfiées, « mais si elle le dit, ce doit être vrai. J’ai confiance en elle ». Les “boum” dans la salle de bain ? « Oui, j’ai frappé les murs. » Les enfants qui s’interposent ? « Oui, c’est grave. Ce n’est pas très constructif. » Riposte de la procureure : « Pour eux, c’est destructeur ! »

La victime prend à son tour la parole, insiste sur « le manque de respect » envers son mari « qui passe son temps à travailler comme un animal pour construire notre maison depuis huit ans » : « C’est facile, pour moi, de lui faire des reproches, de le critiquer. Je n’aurais jamais dû lui demander de se taire… Quand j’ai vu l’état dans lequel il était, j’ai eu peur. »

Oubliés, donc, les coups, les injures, la façon qu’il a de la « rabaisser ». Elle veut reprendre la vie commune, lui aussi. Lucia ne se constitue pas partie civile, pas même au nom de ses enfants, contrairement aux policiers.

Louise Sahali estime « caractérisées » les violences et la rébellion, elle tient toutefois compte de l’absence de mentions à son casier judiciaire vierge et de sa stabilité professionnelle et requiert six mois de prison avec un sursis probatoire de deux ans, la poursuite de ses soins, l’obligation d’effectuer un stage de responsabilisation, le tout avec exécution provisoire.

L’avocate de la défense, elle, suggère un sursis simple.

« Je m’excuse auprès de madame et des forces de l’ordre », conclut Cédric.

La présidente Caroline Fichet, juge unique, suit les réquisitions, n’accorde pas de dommages et intérêts aux fonctionnaires absents, non représentés. Le couple quitte le palais de justice bras dessus, bras dessous.

 

* prénom modifié

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