Tribunal de Meaux : Sept ans d’affrontements conjugaux exposés à l’audience
Depuis l’année 2017, marquant leur rupture, Laure* et David* s’accusent d’horreurs et se disputent la garde de leurs trois jeunes enfants. Devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), face à des magistrats abasourdis, ils se sont à nouveau déchirés. Laure répondait de douze dénonciations calomnieuses pour avoir reproché à son ex-conjoint des violences et des agressions sexuelles sur mineurs. Elle prétendait aussi avoir été violée.
« Je ne comprends rien », objecte le président, Stéphane Léger, aux propos décousus de l’avocate qui représente la partie civile. « Franchement, je suis perdu », ajoute Guillaume Servant, juge assesseur. Il en sera ainsi pendant deux heures, durée des débats houleux qui se sont tenus, jeudi 25 avril, au sein de la 1re chambre correctionnelle du tribunal de Meaux. La juridiction pénale a été saisie par une citation directe. Cette procédure, plus complexe qu’il n’y paraît, permet à la victime de poursuivre, nommément, le suspect d’infraction qui lui a causé un préjudice. À la différence de la comparution après une enquête initiée par le parquet, aucune investigation n’est menée. Le plaignant doit fournir les preuves des accusations – procédures classées ou pendantes, certificats médicaux, photos, témoignages, etc.
En l’espèce, David* a convoqué Laure* : il l’accuse de douze dénonciations calomnieuses entre le 14 septembre 2018 et le 23 février 2022. Il s’est décidé à ester en justice après son placement en garde à vue en juillet 2023, lequel a eu pour conséquence la suspension de son droit de visite médiatisée avec leurs trois enfants, dont il avait initialement la garde : « Je ne les vois plus depuis octobre 2023, et je leur parle rarement au téléphone », se plaindra-t-il à l’audience.
« J’ai des procédures sur la tête sans arrêt »
Laure, femme longiligne et élégante, est livide à la barre. Sa convocation à Meaux s’inscrit dans une longue série : audience correctionnelle prochaine à Lisieux (Calvados), instruction judiciaire en cours à Caen et rendez-vous réguliers chez le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, derniers des nombreux magistrats chargés de leur dossier depuis la séparation. Ce jeudi, la coupe est pleine : « J’ai des procédures sur la tête sans arrêt », dit-elle en pleurant. Me Shahena Syan, avocate de David, la renvoie vivement à ses responsabilités : « C’est parce que, à chaque fois, de nouvelles choses sortent sur mon client. »
Lesdites « choses » sont exposées pêle-mêle au tribunal qui va commencer à perdre le fil : multiples non-représentations d’enfants, violences sur leur fils de 9 ans et leur fille de 8 ans, agressions sexuelles sur ces deux aînés et viol de Laure par David, dont serait née la petite dernière, âgée de 6 ans… Toutes les plaintes ont été classées sans suite « pour absence d’infraction », précisera plus tard David, appuyé sur une béquille.
Mais pour l’instant, son conseil poursuit sa démonstration, sautant d’une incrimination à l’autre, regrettant que « la garde des aînés, octroyée à [son] client jusqu’en 2020, confirmée cette année-là par un juge de Meaux, puis retirée à cause des plaintes de Madame, soit considéré comme abominable et soit surveillé ».
À cet instant, faute de preuves corroborant ses dires, que l’avocate cherche pourtant dans le dossier et jusque sur son téléphone, MM. Léger et Servant s’avouent perdus : « Vous êtes à l’origine de la poursuite mais n’apportez pas les pièces justificatives ! Comprenez-vous notre difficulté ? Le tribunal en tirera les conséquences », indique le président, agacé.
« Une volonté de nuire à Monsieur, et un désir de vengeance »
Sans compter que Me Syan ne cesse « de répondre aux conclusions de [sa] consœur en défense [qu’elle a lues] alors qu’elle n’a pas encore plaidé ! », s’énerve le juge d’ordinaire bienveillant. Il s’interroge : « Vous nous dites qu’une information judiciaire est ouverte à Caen, dans laquelle [David] est partie civile. Pourquoi n’avoir pas regroupé toutes les plaintes devant cette instance ?
– Parce que les faits sont distincts.
– Quels sont-ils ?
– Violences et négligences par Madame envers les enfants. Elle a la volonté de nuire à Monsieur, et un désir de vengeance. Il en souffre terriblement. À chaque fois qu’il obtient un classement, elle redépose plainte. Elle a déjà été condamnée pour violence.
– Votre client aussi, non ?
– Oui, on l’admet.
– Et vous dites que le troisième enfant est né d’un viol ? À quelle date s’est-il produit ?
– Je crois qu’il a été dénoncé au cours d’une expertise, je n’ai pas la date… »
Et pour cause : Laure assure n’avoir jamais porté plainte pour ce crime.
« Elle avait déjà accusé son premier mari de viol », riposte Me Syan – sans verser ne serait-ce qu’une copie de l’éventuelle déposition.
« Aucune visite aux urgences, aucune trace de violences »
Au fil des débats, on apprend toutefois que les prétendus coups portés par le père n’ont fait l’objet « d’aucune visite aux urgences du CHU de Caen », et que les deux attestations médicales présentées au juge des enfants n’ont révélé « aucune trace de violences ». Laure se défend bec et ongles : « J’en ai parlé aux services éducatifs mais c’est difficile à prouver. Moi, je sais ce qu’ils m’ont dit : “Papa fait des choses bizarres.” J’ai voulu que leur parole soit entendue ! Et j’ai été témoin des coups sur l’aîné. » Las, l’entourage du couple a été auditionné, en vain, et les plaintes classées. Comme celles qui se rapportaient à la non-représentation des petits.
« On s’interroge sur vos plaintes répétées dans le cadre d’une séparation conflictuelle, commente le président.
– Je n’ai pas agi pour cette raison.
– Il n’empêche qu’il ne bénéficie plus de visite médiatisée…
– Oui, mais il a fait appel ! »
David s’approche en boitant. Il fustige « les mensonges » de Laure, admet « avoir très peur de perdre définitivement la garde » de la fratrie « quand trois ordonnances de trois juges différents me l’avaient accordée ».
Le procès s’éternise, les étincelles se multiplient. Me Syan sollicite 5 000 € de dommages et intérêts, ainsi que le paiement de ses honoraires.
« Cette situation ubuesque me rend folle ! »
Louise Sahali, substitut du procureur, courtoise et modérée, sort pour une fois de ses gonds. Furieuse, elle s’adresse au couple : « C’est irresponsable ! Vous détruisez vos enfants et vous encombrez la justice. » Elle ne requiert aucune peine, « [s]’en rapporte » à la sagesse du tribunal.
Me Alexandra Maillard, avocate au barreau de Caen, bouillait au banc de la défense depuis quelque 90 minutes. Alors elle se lâche : « Cette situation ubuesque me rend folle ! » Sa cliente est en larmes. « Combien de fois lui a-t-il promis les enfants quand il en avait la garde ? Elle faisait sept heures de route aller-retour tous les 15 jours et, à son arrivée, il refusait de les lui confier ! Ça a duré des mois… » Puis elle s’en prend à Louise Sahali « qui dit qu’on surcharge la justice. C’est scandaleux ! » Fait rare, le président la coupe : « Maître, je vous prie de ne pas mettre en cause la procureure, libre de ses paroles à l’audience. » Me Maillard reprend sa plaidoirie, évoque la « personnalité persécutrice » de David, qu’elle accable de mots durs et lui reproche d’avoir « engagé un détective privé à 3 000 € par jour alors qu’il déclare des bas revenus ». M. Léger l’interrompt de nouveau : « On ne juge pas Monsieur ! »
La défenseure s’en reprend à la procureure « qui a oublié » ceci, cela, « j’en passe ». On frôle l’incident. Elle conclut en demandant la relaxe et présente l’addition : « 3 000 euros d’indemnisation du préjudice de ma cliente, 411 € d’indemnités kilométriques plus, j’insiste, 4 189 € TTC d’honoraires car j’ai travaillé deux jours sur ce dossier. »
« En raison de l’absence d’éléments probants » apportés par la partie civile, le tribunal prononce la relaxe de Laure, et lui accorde 130 € d’indemnités. Point final. Le président Léger regarde le couple : « Je tiens à vous dire que ce sont vos enfants qui font les frais de toutes ces procédures. Vos enfants sont les premières victimes. » Le magistrat résume la pensée de tous ceux qui, atterrés, ont suivi le procès.
* Les prénoms ont été modifiés.
Référence : AJU436081