Tribunal de Meaux : « Sur la vie de ma mère, si je te croise, t’es morte ! »

Publié le 13/08/2024

Sidi est un homme malheureux. Il souffre de « dépression sévère », dit l’expert psychiatre. À l’évocation de la mort de son père et de sa rupture avec la mère de sa fille, il pleure. Pour autant, Sidi ne peut pas menacer d’égorgement son ex-femme. Le tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) le lui a fait comprendre en le condamnant à de la prison.

Tribunal de Meaux : « Sur la vie de ma mère, si je te croise, t’es morte ! »
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 Petit homme chétif, simplement vêtu du tee-shirt blanc qu’il portait à midi, le jour de son arrestation, Sidi ne parvient pas à retenir ses larmes. Il a du mal à respirer, implore les magistrats et son avocat de ne plus évoquer le souvenir de son père tant aimé, décédé. Ce Marocain de 43 ans répond de menaces de mort réitérées par conjoint du 21 juin au 16 juillet, de rébellion en récidive et violence contre un policier. Le prévenu exprime des regrets, il est crédible ; néanmoins, les faits sont graves, ses propos terrifiants. Ils ont été enregistrés sur la messagerie vocale du téléphone de Valérie*, mère de leur fille. Impossible de les nier ou d’en minimiser la portée.

Extraits : « Sur la vie de ma mère, si je te croise, t’es morte ! » ; « je suis un blédard qui va t’égorger, toi et ta famille » ; « Je vais venir, je le jure sur la tombe de mon père » ; Et, à l’adresse du compagnon de Valérie : « Je vais le piquer et lui arracher son visage. »

« J’ai eu peur, le coup n’était pas volontaire »

 La jeune femme, qui a déménagé dans les Pyrénées-Atlantiques, a déposé deux plaintes. Puis, elle les a retirées. Le procureur de Pau a maintenu les poursuites en raison de violences préalablement commises qui lui valaient une convocation en chambre correctionnelle, le 17 juillet, dans le Béarn. Et comme il n’a pas respecté son contrôle judiciaire, le juge des libertés et de la détention a décerné un mandat d’arrêt. Le parquet de Meaux, la ville où Sidi réside avec sa mère, a hérité du dossier et ordonné à la police d’aller chercher le suspect.

Trois fonctionnaires ont frappé à sa porte, Sidi a ouvert, les choses se sont vite gâtées pour un brigadier. Il a reçu un coup de poing qui lui a fendu la lèvre inférieure. Puis, rattrapé dans sa tentative de fuite, il s’est débattu et a tenté de mordre un deuxième agent. Sa nièce est arrivée, a filmé la scène. Récupérée sur son portable, la séquence montre Sidi hurlant, crachant, se révoltant. « J’ai eu peur, explique le prévenu, le coup n’était pas volontaire. Je reçois des menaces, je croyais qu’on venait m’enfermer dans une cave. » La vidéo atteste du port de brassards « Police » par les trois intervenants. « Et vous étiez toujours très énervé en garde à vue, précise la présidente, Cécile Lemoine. Vous avez déclaré : “Je ne reconnais pas votre justice ! Je ne reconnais que celle d’Allah ! Je vais égorger la grosse pute”. Comment expliquez-vous ce comportement ?

– Je n’ai rien à ajouter », répond-il.

Son avocat, Me Bogos Boghossian, essaie de l’adoucir, l’aide à s’extraire de cette posture qui le dessert.

« Ce ne sont que des paroles, je ne lui ferai jamais de mal »

 Alors, peu à peu, il se dénoue. Difficilement. « Je reconnais avoir dit tout ça, je le regrette. Je regrette vraiment. Je m’excuse. C’est l’alcool. Quand je suis à jeun, ça va… Il y a trois mois, je suis allé voir ma fille et mon chien [dans le Béarn], ça s’est très bien passé. » Premières larmes. Si le psychiatre n’a pas décelé de troubles mentaux, il a relevé « une dépression sévère », « un sentiment d’abandon » et « un problème avec l’alcool » ; il préconise une injonction de soins par les juges.

De l’abandon, il va dès lors être question.

La rupture entre le couple date de novembre 2022. Ses droits de garde ont été suspendus. Sidi ne se remet pas de la séparation, du départ de sa fille, de son chien, en Nouvelle-Aquitaine. De la perte de son logement, de son travail « dans les espaces verts » depuis six mois : « J’ai tout perdu. » Et il y a le père mort. Sa disparition a laissé un trou béant dans son cœur. Son défenseur tente de l’amener à dire ce que cet homme représentait. « J’aime pas trop parler de ma vie. » Il pleure, baisse la tête, essuie son nez avec ses doigts.

La juge : « On comprend, votre vie est compliquée. Mais vous ne pouvez pas proférer de telles menaces !

– Ce ne sont que des paroles, je ne lui ferai jamais de mal. Je ne suis pas violent.

– Quand vous êtes allé à Pau, vous avez agressé des agents de la SNCF. Il s’agit d’une autre procédure mais quand même, c’est inquiétant !

– Je sais. »

« Pas d’infractions durant huit ans, jusqu’à la mort de son père »

Il est inenvisageable d’énumérer les mentions à son casier judiciaire ; trop nombreuses. Affaires de violences, rébellion, menaces, stupéfiants. « Vous fumez du cannabis ? ». Oui. « Vous buvez encore ? » Non. « Votre passé démontre que, contrairement à ce que vous dites, vous êtes violent. » Non. De ce que l’on comprend, ce seraient les circonstances qui l’amèneraient à jouer des poings. Soit. Étrange personnage : ses yeux doux, la tristesse qui émane de lui tranchent avec les reproches qui lui sont adressés, les peines qui lui ont été infligées.

Me Maria Cuco, qui assiste le policier blessé, sollicite un dédommagement pour les quatre jours d’incapacité de travail.

Un auditeur de justice représente le parquet. Il admet que « monsieur est particulièrement repentant », cependant « les faits sont graves ». Il relève un élément notable : « Je ne vois pas d’infractions durant huit ans, jusqu’à la mort de son père. » Point qui accentue l’impression ressentie depuis le début du procès : le chagrin et la dépression que la séparation a rendu plus intenses lui ont chamboulé le cerveau.

Sont requis : un an de prison dont six mois avec sursis probatoire de deux ans avec maintien en détention, l’obligation de soins, de travail, d’effectuer un stage contre les violences, l’interdiction d’approcher la victime pendant trois ans et de résider en Seine-et-Marne.

Me Boghossian plaide la relaxe du volet rébellion et violence ; il est certain que le coup a été porté accidentellement. Il ne peut écarter les menaces : « Mon client a compris. Il est rassurant et sa tristesse saute aux yeux. Il va mal. Il faut le sanctionner, mais aussi lui sortir la tête de l’eau. Pourquoi lui interdire de paraître en Seine-et-Marne où il vit avec sa mère ? Cela n’a aucun sens ! »

Effectivement. Le tribunal en convient, réquisition rejetée. Les autres sont intégralement suivies. Sidi est menotté. Direction le centre pénitentiaire de Meaux. Il pleure toujours.

 

* Prénom modifié

Tribunal de Meaux : « Sur la vie de ma mère, si je te croise, t’es morte ! »
Me Bogos Boghossian au tribunal judiciaire de Meaux le 16 février 2024 (Photo : ©I. HOrlans)

 

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