Tribunal de Reims : À l’audience, il demande en mariage la femme qu’il a battue

Publié le 14/05/2025 à 9h00

Détruit par une surconsommation d’alcool et de drogue, Grégory a tenté de convaincre les juges de sa prochaine abstinence et de son souhait de ne plus frapper sa compagne, en présence d’enfants. Il a donc risqué un va-tout à son procès : « Veux-tu m’épouser ? », a-t-il lancé à la frêle jeune femme qui a pardonné. « Oui, si tu te soignes. » Les noces attendront : le tribunal de Reims a confirmé sa détention.

Tribunal de Reims : À l’audience, il demande en mariage la femme qu’il a battue
Palais de justice de Reims (Photo : ©I.Horlans)

 Grégory, 41 ans, déplace sa longue carcasse du box des détenus jusqu’à la barre. À la chambre correctionnelle de Reims, c’est ainsi que l’on procède : l’escorte pénitentiaire accompagne le prévenu hors de l’enceinte vitrée afin qu’il soit interrogé comme les comparants libres. Visage livide et émacié, corps décharné, l’intérimaire sans boulot a été incarcéré le 13 avril dernier après avoir enfreint les règles de son contrôle judiciaire. Interdit de contact depuis le 19 février avec Camille, sa compagne, il la voyait tous les jours. Grégory est incapable de s’en éloigner : il l’aime. Elle aussi. D’ailleurs, elle a déjà pardonné les violences qu’il lui a de nouveau infligées, les mêmes qu’en 2021. Au président Pierre Creton qui lui demande si elle se constitue partie civile, elle répond par un « non » tonitruant. Elle élèvera plusieurs fois la voix au fil des débats. Camille se bat pour son homme.

Lequel répond donc des coups assénés à l’issue d’une soirée trop arrosée. Avec une hachette ramassée dans leur jardin, il lui a entaillé le crâne. Mais aujourd’hui, la victime s’interroge : l’a-t-il frappée ou s’est-elle blessée en tombant lorsqu’il l’a « jetée à terre » ? L’épisode est opportunément chassé de leur mémoire respective. Le couple est uni en défense.

Il poursuit les policiers avec une planche à découper

La soirée du 17 février, passée chez des voisins, a mis Grégory à genoux à force d’alcool ingurgité et d’excès de cannabis, peut-être aussi de cocaïne. Camille rentre chez eux la première, avec ses enfants de 4 et 14 ans. Quand il la rejoint, il s’écroule au sol. Une dispute éclate. Camille, minuscule à la barre, claquettes aux pieds et sac fleuri, raconte la suite : « J’ai ma part de responsabilités, mes mots sont violents, je sais taper là où ça fait mal. Nous sommes deux personnes assez nerveuses. » Comme tant d’autres victimes de violences au foyer, elle minimise les faits maintenant que se profile une longue séparation.

Lorsque les policiers arrivent à leur domicile, « des objets cassés » jonchent le rez-de-chaussée, Camille est sonnée, et Grégory se rebelle, poursuit les agents avec une planche à découper ; il est maîtrisé. « Vous étiez à presque 4 grammes », note le président. « Faux, riposte-t-il. Quatre grammes, c’est le coma éthylique assuré ! » Toujours est-il que son état inquiète : à l’issue de sa garde à vue le 19, il est hospitalisé en psychiatrie. De force. Ce qu’il n’apprécie pas du tout.

« Il en est sorti au bout de 24 heures, regrette sa compagne. Moi, je sais que ses traumatismes d’enfance doivent être soignés. Il n’a jamais été soutenu. Ses addictions entraînent des comportements violents, agressifs, on ne lui a pas appris à réagir autrement. Et moi, je suis en première ligne. »

Sa sincérité ne rassure pas les magistrats. Pas plus que les antécédents du prévenu : « Il est en récidive de récidive », précise le procureur Matthieu Dehu.

« Qu’insinuez-vous ? Je ne suis pas une mère irresponsable ! »

 Pierre Creton : « Comment envisagez-vous l’avenir ?

– Je veux protéger mes enfants.

– Avec ou sans lui ?

– Dans l’idéal, avec lui. Je l’aime toujours.

– Pourquoi est-il en prison ?

– Parce qu’il est revenu à la maison et qu’il a encore pété les plombs.

– Ce n’est pas tolérable. Vos enfants…

– Si ! Il faut juste le soigner. »

La voix de Camille monte dans les aigus quand le juge lui fait remarquer, pourtant avec tact, que la protection de la petite de 4 ans et de l’adolescent est impossible si Grégory reprend la vie commune. « Qu’insinuez-vous ? crie-t-elle. Je ne suis pas une mère irresponsable ! Je ne vous laisserai pas dire tout et n’importe quoi ! Je suis une très bonne mère. »

Plus tard, accrochée à son téléphone en salle des pas perdus, elle pestera contre « la justice qui ne comprend rien à rien ».

D’autant moins, selon elle, qu’entre le procès et la suspension d’audience, une scène inattendue aurait dû convaincre le tribunal que son homme est prêt à tout pour elle. Les débats se sont poursuivis avec Grégory, le temps qu’elle se calme. Et le voici qui se tourne vers le banc où elle s’est rassise : « Veux-tu m’épouser ? » Parce qu’il avale deux mots sur trois à cause des ravages de la toxicomanie, il répète sa question, mains croisées sur le bas de ses fesses tant ses bras sont longs. « Oui, si tu te soignes », répond-elle. Ce n’est pas une preuve d’amour, ça ? semble dire son regard aux juges.

« Je t’aime et je t’aimerai toujours »

 Le représentant de la société, Matthieu Dehu, reste inquiet. « La légèreté » que manifeste le couple face à « des violences qui auraient pu se terminer de façon plus grave », les pertes de mémoire de Grégory qui n’assume pas ses actes, « qu’il occulte », ne l’incite pas à la confiance, mariage ou pas. Il « ne se souvient même pas de sa condamnation en 2021, madame doit lui rappeler, à cette barre, qu’il l’avait déjà frappée ». M. Dehu requiert « une peine cadrante et signifiante » : 15 mois d’emprisonnement, dont 6 ferme, le solde avec sursis probatoire de deux ans, l’obligation de se soigner, de travailler, l’interdiction de contacts avec Camille et les enfants, le maintien en détention.

En défense, Me Farida El Kasri estime que « la prison n’est pas adaptée » : les substances qu’il prend – elle énumère les produits toxiques – « sont un cocktail Molotov ». Ils lui ont à l’évidence tourneboulé le cerveau. « C’est un homme qui menace de “tout faire sauter”, de “s’égorger” : on n’aurait pas dû le laisser sortir de l’hôpital psychiatrique alors qu’il était en pleine crise de démence ! Les soins, le contrôle et le suivi sont indispensables ». Ce dont il ne bénéficiera pas en cellule, conclut-elle à raison.

Le grand échalas quitte à nouveau le box, prononce ses derniers mots : « Je t’aime et je t’aimerai toujours », dit-il à Camille. Pas d’excuse ni de remords exprimés, aucune prise de conscience. Le tribunal en prend note.

Une trentaine de minutes plus tard, alors que la victime est toujours vissée à son portable et vitupère contre « le système », Grégory est condamné à vingt mois de prison, dont moitié avec sursis probatoire de deux ans. Les obligations et interdictions requises sont suivies, il ne pourra plus voir sa famille avant 2027. Plus que son retour à la maison d’arrêt de Reims, cette mesure lui fait l’effet d’un uppercut. Dos courbé, il tend ses poignets à ses gardes, cherche du regard Camille qui n’est plus là, et suit l’escorte.

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