Cour d’appel de Reims : Un dentiste en prison pour viol d’enfants par soumission chimique
Il y a d’abord eu le petit garçon de 11 ans venu se faire arracher des dents, victime d’une pénétration digitale et d’agression sexuelle après avoir été puissamment drogué. Mais la justice a laissé le chirurgien-dentiste libre d’exercer jusqu’à ce qu’une adolescente de 14 ans soit violée quatre mois plus tard. Nicolas Bruy, radié et emprisonné après le deuxième crime, a sollicité le 3 juillet une remise en liberté. Elle lui a été refusée.

À Fismes, une commune de quelque 6 000 habitants située au nord-ouest du département de la Marne, tout le monde savait pourquoi le cabinet du Dr Nicolas Bruy était placé sous scellés depuis la mi-février 2025. Bien que les médias locaux aient préservé son identité dès la révélation des faits par le journal L’Union, le bouche-à-oreille avait renseigné la population et les anciens patients du chirurgien-dentiste. Ces derniers avaient manifesté leur inquiétude : se pouvait-il que leur enfant ait subi des gestes déplacés, voire pire ? À ce jour, rien n’établit que le praticien de 47 ans, qui a ouvert son cabinet en 2006 à Fismes, ait commis d’autres actes répréhensibles.
Les crimes qui lui sont jusqu’à présent reprochés concernent deux mineurs de moins de 15 ans, aggravés par l’administration de médicaments visant à altérer le discernement ou le contrôle. Ils font l’objet d’une information judiciaire, par nature secrète, mais en sollicitant sa remise en liberté devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims, jeudi 3 juillet, M. Bruy a permis que la procédure soit publiquement détaillée.
« Aïe ! J’ai mal aux fesses… »
L’homme au crâne luisant, en tee-shirt gris, pénètre dans le box vitré entre ses surveillants de la prison de Châlons-en-Champagne. Il semble nerveux et immobilise ses mains contre son jean bleu. Ses épais cheveux bruns, son bouc, ont disparu. Il ajuste ses lunettes, fixe la présidente Catherine Galen. Laquelle cède la parole au conseiller-rapporteur Thomas Cassuto. Il s’agit de retracer les faits pour statuer sur l’élargissement demandé.
La première plainte le visant est déposée à l’automne 2024. Le 17 octobre, la mère d’Arthur*, 11 ans, amène son fils chez le Dr Bruy. C’est un jeudi : ce jour-là, d’ordinaire, il ne consulte pas. D’où l’absence de secrétaire et de patients. La maman ignore tout de son emploi du temps et n’est donc pas surprise outre mesure. Le dentiste prévient : l’intervention va être longue, qu’elle rentre à la maison, il la préviendra quand ce sera fini. À 18 heures, la mère reçoit enfin l’appel. « C’était plus compliqué que prévu, explique le chirurgien, il a fallu arracher trois dents. » Quand elle retrouve son fils, « il est affalé sur une chaise et sans chaussures », rapporte le conseiller. Le jeune garçon est dans un état inquiétant. « Il tombe à genoux en se levant. » Une réaction à l’anesthésie, tempère Nicolas Bruy.
Rentré chez lui, l’enfant prend une douche. Sa mère l’essuie, il crie : « Aïe ! J’ai mal aux fesses… » Arthur raconte : il a avalé « six, sept médicaments », pense avoir subi une pénétration digitale. Il a vu un appareil-photo, et se souvient d’avoir « eu mal », d’avoir été déposé sur un matelas.
Du lubrifiant, des préservatifs et des benzodiazépines
La mère d’Arthur a un excellent réflexe : elle conduit son fils aux urgences pédiatriques. Le diagnostic est sans équivoque : pénétration confirmée, et agression sexuelle. À l’unité médico-judiciaire (UMJ) où il est examiné le lendemain, tout doute est levé : l’enfant a été victime d’un prédateur. La prise de sang révèle la présence élevée de sédatifs, de tranquillisants, dans l’organisme du petit.
En dépit de ces constatations, de la découverte au cabinet de lubrifiant, de préservatifs, de benzodiazépines – psychotrope réservé à l’adulte qui a été administré à Arthur –, l’homme est libéré et conserve le droit d’exercer. En garde à vue face aux gendarmes – seulement six jours plus tard ! –, il a nié toute inconvenance. Son appareil-photo et ses clés USB ont cependant été saisis. Et une instruction criminelle a été ouverte à Reims.
Comme l’a indiqué son avocat à la cour jeudi, « pour Arthur, cela a été la double peine » : « Son papa ne l’a pas cru et il a fallu une deuxième plainte pour que le dentiste soit incarcéré », a regretté Me Camille Romdane. En effet, la plainte de Jade* oblige les magistrats à reconsidérer les faits dans leur globalité.
Le 13 février 2025, encore un jeudi, le Dr Bruy propose à sa stagiaire de 14 ans d’aller manger un hamburger à Soissons (Aisne) – « sans doute est-ce bon pour l’hygiène dentaire », ironise le conseiller. Mais pourquoi rouler une demi-heure alors qu’un kilomètre sépare le McDonald’s du lieu où il travaille ? Les attouchements que Jade a subis durant le trajet répondent à la question.
Dans une lettre à sa femme, il reconnaît les agressions sexuelles
De retour au cabinet, il lui donne « une pilule bleue pour la détendre » et ôte son soutien-gorge : « Il masse son dos, ses fesses, insère ses doigts dans son vagin », lit le magistrat. Jade, que son père récupère dans « un étrange état », se confie. Là encore, le papa réagit instantanément. Il l’accompagne à la gendarmerie, les effets vestimentaires de la jeune fille sont placés sous scellés ; à l’UMJ, ses lésions sont déclarées « compatibles avec un viol » et la soumission chimique est actée : la pilule bleue était du clotiazépam, une molécule notamment sédative, hypnotique et amnésiante pour adultes. Le certificat médical de Jade mentionne une ITT d’un mois.
Dans le contexte du procès Pelicot qui vient de s’achever, et du dossier Le Scouarnec dont l’étude par la cour criminelle du Morbihan va débuter, il ne faut plus tergiverser. Le lendemain de la déposition de Jade, le Dr Bruy est interpellé, écroué dans la foulée de son audition. Il nie toujours.
Cependant, quelques jours plus tard, il craque. Dans une lettre à sa femme, il reconnaît les agressions sexuelles. Pas les viols. Il demande à voir le juge d’instruction, confirme les délits à l’encontre d’Arthur et de Jade, rejette la contrainte médicamenteuse. Il minimise ses actes commis sous l’empire de l’alcool, selon lui. Dans un moment d’égarement, somme toute.
Ainsi, ce 3 juillet, il réclame que la liberté lui soit rendue ; il a partiellement avoué, n’est-ce pas assez ? Son avocate, Cyndie Bricout, estime que ses 129 jours de prison « ont des effets délétères sur sa santé fragile. Il a un diabète de type 1, il a perdu 18 kilos ». Son « statut de pointeur, avec des menaces quotidiennes, fait que sa détention est éprouvante et compte double ».
« Aujourd’hui, ma situation diminue mes chances de vie »
En réponse au rapporteur qui a parlé de « reconnaissance a minima”, elle assure que, « au contraire, il a fait preuve de beaucoup de courage ». Puis, s’agissant du trouble à l’ordre public lié à son éventuel élargissement, elle s’emporte contre les parties civiles qui « cherchent à privatiser la justice » : « Il a été radié par l’Ordre des dentistes, il n’a plus de cabinet ! » Il ne serait plus une menace, donc.
Me Pauline Manesse-Chemla, avocate de Jade, déplore que « la justice n’ait pas pris la mesure du danger » dès octobre 2024 : « Elle aurait échappé au viol ! » Se référant à l’affaire Le Scouarnec (l’ex-chirurgien condamné à 20 ans de réclusion pour violences sexuelles sur 299 patients), elle souhaite que « que l’on attende le retour des expertises informatiques », et que soit permis, le cas échéant, « à d’autres victimes de se signaler ». Elle estime l’ex-praticien « dangereux ».
Me Camille Romdane, intervenant pour Arthur, ne dit pas autre chose. Il considère que « la reconnaissance a minima est pour nous, de ce côté de la barre, une contestation du viol à dessein ». Comme sa consœur, il voudrait connaître le résultat des expertises de son matériel, rappelant qu’il « a pris des photos ». Patienter, aussi, jusqu’aux rapports des experts psychologue et psychiatre, qui n’ont toujours pas vu le mis en cause.
L’avocat général Ludovic André requiert le maintien en prison.
Nicolas Bruy a la parole en dernier. Il assure avoir entrepris un travail avec un psychiatre et se plaint durant une dizaine de minutes : « Je prends des antidépresseurs, j’ai reconnu ma culpabilité, je vais être jugé, je l’accepte ! Mais ma détention est difficile, je suis isolé, je subis des insultes et menaces de mort. Aujourd’hui, ma situation diminue mes chances de vie. » Il faut, insiste-t-il, « assurer ma sécurité. Dans ce cas, je garantis ma présentation aux assises ». Dans le courrier à son épouse, il a déjà laissé entendre qu’il risque de ne pas vivre jusqu’au procès. Chantage au suicide ou inquiétude réelle ? Se souvenant enfin des deux mineurs, il exprime « des regrets, des remords ».
Quelques heures plus tard, la chambre de l’instruction suit les réquisitions du parquet général : Nicolas Bruy reste en prison.
* Les prénoms des mineurs ont été modifiés

Référence : AJU500365
