Tribunal de Meaux : « Vous avez mimé une sodomie en état d’érection »
Aux magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), Éric* assure que jamais il n’aurait « pu faire ça ». Soit l’agression sexuelle dont il répond : la vendeuse d’une parfumerie l’accuse d’avoir « mimé une sodomie » sur son lieu de travail, alors qu’il se trouvait en état d’érection. « Ma religion m’interdit pareil acte », se défend le catholique pratiquant.
Éric*, un entrepreneur parisien qui fait du bénévolat dans une cathédrale, semble assommé par le seul intitulé du chef de prévention : une agression sexuelle commise le 9 août dernier à Meaux. À l’issue de sa garde à vue le 11, le juge des libertés et de la détention a ordonné son incarcération. Cela fait donc deux mois qu’il est en prison lorsqu’il arrive à l’audience ce lundi 16 septembre, escorté par les agents pénitentiaires. La jeune plaignante est absente, elle n’a pas désigné d’avocat pour la représenter, ne souhaite pas se constituer partie civile, ne demande donc rien pour le préjudice subi. Il faut en conséquence juger le délit sur la base de sa seule déposition. C’est le premier problème auquel les juges font face car Éric nie toute forme de déviance et d’inconduite.
Le second écueil est plus grave : les policiers ont bouclé le dossier avec une légèreté déconcertante. Ils n’ont pas interrogé le frère du prévenu, présent dans la boutique, ni la gérante et les autres employées, pas même le vigile constamment sur ses gardes, à l’affût du moindre incident. Il n’y a pas un témoignage qui corrobore les accusations de la vendeuse. Cela ne signifie pas qu’elle a menti mais ce manquement complique la charge du parquet.
« Je fais du bénévolat à la cathédrale, j’ai des principes »
Les faits sont rapidement résumés. Le 9 août en début d’après-midi, après une matinée et un déjeuner trop arrosés avec des bières et du rosé, Éric et son frère entrent dans le magasin et se parfument : une habitude, semble-t-il, qui agace la directrice, selon les déclarations de la victime. Il serait une fois « venu torse nu », raconte-t-elle au commissariat. Ce jour-là, il arrive totalement soûl, se poste derrière elle et se frotte contre ses fesses : « Vous avez mimé une sodomie alors que vous étiez en état d’érection, indique la présidente Cécile Lemoine. Quand les policiers vous ont conduit au poste, vous aviez plus de trois grammes d’alcool dans le sang, vous dormiez, il a fallu vous laisser cuver pendant douze heures ! »
Éric ne conteste pas « [ses] soucis avec l’alcool ». Toutefois, il jure n’avoir « jamais eu de geste sexuel déplacé, pas même avec [sa] femme ». La juge : « L’ivresse a pu vous désinhiber…
– Ma religion m’interdit pareil acte !
– Ne mêlons pas la religion à cela. Votre frère, extrêmement gêné par votre attitude, se serait excusé et vous aurait sorti de la parfumerie…
– Tout ce qu’elle dit est faux [la plaignante]. Je me suis juste approché, j’ai fait “coucou”, c’est tout.
– Peut-être ne vous souvenez-vous pas de votre geste ?
– Je ne peux pas répondre tellement je suis choqué. Je fais du bénévolat à la cathédrale, j’ai des principes. En mon âme et conscience, je ne peux pas l’imaginer. »
Le détenu à titre préventif semble sincère et, faute d’éléments contredisant sa version, il faut comprendre pourquoi le JLD l’a expédié cet été derrière les barreaux.
Une affaire à l’instruction pour association de malfaiteurs
Éric, « tout bon catholique qu’il est », selon l’expression de la procureure, a de fâcheux antécédents. À Reims (Marne), où il habite avec sa femme et ses deux enfants, il est mêlé à une association de malfaiteurs qui fait l’objet d’une information judiciaire ; le secret de l’instruction implique qu’on n’en saura pas plus. Son casier révèle aussi plusieurs condamnations pour des conduites sous l’empire de l’alcool, sans permis ni assurance. Les récidives ont contraint les juges rémois à révoquer ses sursis et à l’emprisonner. Il a quitté la prison le 15 janvier dernier. Éric est aussi suivi par une assistante sociale à Château-Thierry (Aisne). Enfin, il a déjà été la cible d’une enquête pour agression sexuelle, classée sans suite, et il n’a pas renouvelé son titre de séjour en France. L’Ivoirien est donc en situation irrégulière.
« Cela fait beaucoup, relève la présidente. Quel est votre rapport à la loi ?
– Je dirais que ça marche pas trop. Je me soigne avec un addictologue… »
Bien que démunie par « ce dossier très maigre où l’on n’a pas entendu son frère et les témoins de la scène », la représentante du ministère public fait remarquer que la vendeuse, « qui ne réclame rien », n’a « aucun intérêt à mentir ». Et qu’un tel acte « cause des dégâts psychologiques à long terme. Pour cette raison, il encourt dix ans de prison ». Elle requiert une année de détention, dont six mois avec sursis probatoire de deux ans, une obligation de soins, l’interdiction de contacter la jeune femme. En outre, elle sollicite qu’il soit inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le Fijais.
« Je préfère être à ma place qu’à la vôtre »
De permanence au barreau de Meaux, l’avocat Jean-Christophe Ramadier se dit « très étonné par ces réquisitions sur la base d’un dossier que Mme la procureure a qualifié de “maigre”, et que moi je trouve squelettique ! Si les faits sont avérés, alors ils sont détestables et doivent, à juste titre, être sévèrement réprimés ». À son tour, il pointe le travail des enquêteurs « qui n’ont pas passé ne serait-ce qu’un coup de fil au personnel », qui ne se sont pas penchés sur « les images de vidéosurveillance alors que, dans ce lieu, il y a des caméras partout ». Le vice-bâtonnier, qui regrette l’enfermement à des fins d’expertise psychiatrique qu’il attend toujours, s’interroge : « Si un tel incident s’était produit, le ton ne serait-il pas monté ? Le vigile serait intervenu, non ? Et la gérante évoque un précédent, monsieur serait entré “torse nu”, mais il n’y a pas eu de plainte… »
Me Ramadier convient que son client « a un casier judiciaire, et doit régler son problème avec l’alcool. Pour le reste, je préfère être à ma place qu’à la vôtre car rien n’étaye l’infraction ». Il s’insurge aussi contre une inscription au Fijais « alors qu’il n’a jamais été condamné pour agression sexuelle ». Il suggère un sursis probatoire simple, assorti d’une obligation de se soigner à nouveau auprès d’un addictologue.
La formation collégiale du tribunal rend son délibéré en soirée : relaxe au bénéfice du doute. « Je vous remercie », tonitrue Éric. L’escorte le ramène au centre pénitentiaire de Meaux pour qu’il soit procédé à sa levée d’écrou. Il va retourner diriger son entreprise, reprendre ses activités interrompues il y a deux mois. Et retrouver sa famille.
* Prénom modifié
Référence : AJU467764