Tribunal de Reims : Une enfant abusée obtient la condamnation du mari de sa grand-mère
L’adolescente qui avait accusé de viol le mari de sa grand-mère, un crime perpétré alors qu’elle était enfant, ne voulait pas « parler des faits avant qu’il soit mort ». À la barre, ce mardi 1er juillet, elle a regretté de « l’avoir trahi » et souhaité « qu’il n’aille pas en prison ». En dépit de l’absence de preuves soulignée par la défense, Didier a été condamné à cinq ans de prison ferme.

Me Pauline Manesse-Chemla a remarquablement plaidé en défense de son client, Didier, un ancien viticulteur champenois âgé de 60 ans, désormais établi dans le sud de la France. L’avocate a tant semé le doute que, durant le temps réservé aux délibérations, tout le monde, en salle des pas perdus, prédisait la relaxe. Didier comparaissait en correctionnelle au tribunal de Reims (Marne) après que l’incrimination de viol a été requalifiée. Il répond d’agression sexuelle sur mineure de moins de 15 ans, commise de 2015 à 2019. Emma* avait 6 ans quand l’époux de son aïeule, chez qui elle passait ses vacances, aurait commencé à « la toucher ». Elle en avait 10 lorsqu’il a cessé de lui imposer les horreurs décrites aux gendarmes.
À 13 ans, alors qu’elle était en classe de 4e, Emma a dénoncé Didier. Il a été interpellé en 2022, mis en examen pour viol mais laissé libre sous contrôle judiciaire. « Depuis deux ans et demi, je répète qu’elle ment, a-t-il déclaré au cours des débats. Je ne sais toujours pas ce que je fais là », soit face à la justice pour la première fois de sa vie.
« Si elle a inventé une affaire pareille, c’est qu’elle a un QI de 280 ! »
D’emblée, le ton et les propos du président Pierre Creton ont laissé penser que le dossier, à peine ouvert, se refermerait sur une condamnation. Peut-être la canicule – 30° ressentis dans le prétoire dépourvu de climatiseur –, a-t-elle contribué à électriser l’audience. M. Creton avait d’ailleurs autorisé les magistrats et avocats à tomber la robe – une démarche inédite visant à pallier les inconvénients de l’atmosphère suffocante. Cela n’a pas suffi : les escarmouches, visant principalement le prévenu et sa défense, ont parasité le procès.
Le crime initialement rapporté est d’abord exposé : pénétrations digitales, cunnilingus imposé à l’enfant, à qui Didier a aussi demandé des fellations, refusées. « Je ne mets pas mon sexe [dans ton vagin] car tu es trop petite », lui aurait-il expliqué. À sa mère et aux enquêteurs, l’adolescente a fourni nombre de détails sordides qui, selon le parquet et le président, prouvent qu’elle a dit la vérité : « Si elle a inventé une affaire pareille, elle a un QI de 280 », affirme M. Creton alors que Didier s’explique depuis dix minutes.
C’est oublier que, aujourd’hui, les actes sexuels sont profusément exposés, détaillés, sur les réseaux sociaux accessibles aux jeunes mineurs.
Scarifications, tentatives de suicide, « stress post-traumatique majeur »
Pourtant, l’opinion des magistrats semble arrêtée. Quand la défense essaie de compléter une déclaration du prévenu ou de ses proches sur un procès-verbal que lit partiellement le substitut du procureur Alexandre Djindian, elle essuie de vives remontrances. L’avocate est en droit de s’interroger car le PV de synthèse des gendarmes, qu’elle révèle à son tour, conclut que les « investigations entreprises n’ont pas permis de faire ressortir d’éléments de nature à orienter l’enquête ». S’il n’est pas question de « douter du mal-être et des souffrances » d’Emma, Pauline Manesse-Chemla croit que leur origine pourrait avoir d’autres causes.
Car Emma est sans conteste une jeune fille en détresse, comme l’a confirmé l’expert psychologue. Il fait état des scarifications, de tentatives de suicide, de « stress post-traumatique majeur ». Au banc des parties civiles, mère et fille entremêlent leurs doigts. Leur avocat, Me Camille Romdane, évoque les « allers-retours en hôpital de jour » qu’effectue encore la jeune fille, qui a eu 16 ans en mai. À la barre, elle lit sa déclaration : « Je n’ai pas de haine envers toi », assure-t-elle, puis confirme ses accusations. Néanmoins, elle ajoute : « Qu’il sache que je ne voulais pas dire ce secret. J’ai l’impression de l’avoir trahi. Je m’en veux. » Sentiment de culpabilité fréquent dans ces dossiers, qui déchirent une famille. « Je ne veux pas qu’il aille en prison », implore-t-elle.
« Aucune preuve physique, hors le traumatisme personnel »
La grand-mère d’Emma, chez qui les agressions auraient été perpétrées la nuit, quand elle dormait à l’étage de la maison, a pris le parti de son mari et vit toujours avec lui. Elle n’a plus aucune relation avec ses fille et petite-fille. Les autres petits-enfants n’ont pas corroboré la version d’Emma. Une tante a juste qualifié Didier de « pervers » après qu’elle l’a surpris en train de se masturber dans une salle de bain. « Que je sache, ce n’est pas encore interdit », proteste la défense. En vain : les arguments de Didier ne cessent d’être évacués. Il lui est même reproché son silence en garde à vue, sur les conseils de son avocate : « Il était dans un état épouvantable, incapable de s’exprimer en raison de son abus d’alcool. Il venait de perdre son fils et il était dévasté par l’accusation de viol. Je lui ai dit de ne pas parler, comme la loi nous y autorise. »
À ce stade du procès, que penser de l’affaire ? La partie civile s’efforce de lever les doutes qui pourraient s’être insinués, donne des pièces médicales et fustige les propos du prévenu : « “Je suis dévasté”, nous dit-il, qualifiant “d’odieux” les mots de ma cliente. C’est détestable ! » Signalant qu’elle est « effondrée », Me Romdane rend hommage à « son courage ».
Le parquetier aussi. Il regrette que « l’enquête ait pris trop de temps » et la remercie d’avoir patienté pour obtenir justice. Cependant, il admet qu’« il n’y a aucune preuve physique, hors le traumatisme personnel ». C’est, ici, parole contre parole mais, « en 2025, la dénonciation de faits aussi graves doivent priver de sa liberté » le prévenu. Il requiert trois ans de détention, un avec sursis probatoire de deux ans, un mandat de dépôt à délai différé, l’obligation de soins, son inscription au Fijais – le fichier des délinquants sexuels – et l’interdiction de contact avec Emma.
« Votre seule boussole ? Faire respecter la présomption d’innocence ! »
La mission de Me Manesse-Chemla apparaît impossible. Malgré cela, elle va décortiquer cette « singulière procédure », en souligner les défauts bien qu’elle ait duré deux ans et demi sans « faire ressortir d’éléments de nature à orienter l’enquête, selon la synthèse », répète-t-elle. L’avocate s’en prend au président qui a « reproché à monsieur d’affirmer qu’il n’a rien fait. Il en a le droit si c’est vrai, non ? Quelle est votre seule boussole ici [ès qualité de président] ? Faire respecter la présomption d’innocence ! »
« Vous n’avez que les déclarations de la plaignante et même réitérées, elles n’assoient pas forcément sa crédibilité », poursuit-elle, avant de sabrer des pièces du dossier, particulièrement « les questions tellement suggestives » dans « les 26 pages d’audition. L’enquêteur revient à plusieurs reprises sur les réponses pour obtenir ce qu’il veut entendre ». La lecture d’extraits est effectivement dérangeante.
Me Manesse-Chemla revient également sur le passé d’Emma, « dont je ne discute pas la souffrance, ne vous méprenez pas ». Abandonnée par son père à 18 mois, les années de prison de celui-ci qui ont réduit à néant tout rapprochement, un grave accident de voiture, sa mère « qui la laisse aller sur TikTok à l’âge de 8 ans, qui indique, je cite, “on parle bien de sexualité ensemble” ». Une mère « qui lui interdit d’inviter des amis, la séquestre et précise que sa fille est “manipulatrice” ».
L’avocate revient aussi sur « l’élément déclencheur » des accusations : « Sa meilleure amie, en 4e, répand sur les réseaux sociaux qu’[Emma] a “vécu sa première fois” [une expérience sexuelle] et, dès lors, elle est harcelée au collège. À un professeur, elle confie avoir été violée puis, face à la CPE, dit que ce n’est pas vrai. » Dans le doute, la conseillère émet un signalement ; la justice s’en saisit à juste titre. « Vous n’avez rien d’autre, pas même une preuve téléphonique, conclut-elle. Mille raisons expliquent son état. Pour autant, doit-on l’imputer à mon client ? »
À l’issue d’une heure de délibéré, le tribunal répond « oui », allant au-delà des réquisitions : Didier est condamné à cinq ans de prison ferme, le juge de l’application des peines le convoquera pour qu’il purge sa peine. En sus des autres mesures sollicitées par le parquet, toutes suivies, il sera soumis à un suivi socio-judiciaire durant sept ans. Didier doit indemniser la mère et la fille. Satisfaites, elles quittent le palais de justice à 20 heures, alors que le condamné vient de décider d’interjeter appel du jugement, non assorti d’exécution provisoire. La requête a été déposée hier.
Canicule oblige, l’étude du dernier dossier est renvoyée, au grand dam des prévenus et de leur avocate qui étouffaient depuis le début de l’après-midi dans la salle.
* Prénom modifié

Référence : AJU500289
