Dans les coulisses de la pénitentiaire : « Face aux menaces, nous demandons le soutien de l’armée »
En début de semaine, décontenancés par les attaques contre des agents pénitentiaires et des prisons, les syndicats hésitaient à commenter « des faits que nous ne comprenions pas ». Confrontés aux menaces qualifiées de « terroristes », ils sortent de leur réserve pour rappeler qu’au-delà des violences, leur mission « est très difficile : il manque 4 000 personnels », révèle Christy Nicolas, secrétaire national du SPS, alors qu’on comptait, au 1er mars, 82 152 personnes incarcérées pour 62 359 places. Le syndicat demande au garde des Sceaux « un appui militaire » et « le port d’arme hors service » pour les équipes de sécurité.

Tout a commencé dans la nuit des 13 au 14 avril. En cette fin de week-end, sur le parking de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) à Agen (Lot-et-Garonne), sept voitures sont incendiées, un millier d’élèves sont évacués. Si l’intention criminelle ne fait aucun doute, il peut toutefois s’agir d’un acte isolé. Le syndicat FO Justice publie sur X (ex-Twitter) trois photos édifiantes et s’alarme d’une « première dans l’histoire » de l’Enap.
🔴 Cette nuit, un acte d’une extrême gravité s’est produit sur le parking de l’ENAP. Un ou plusieurs individus sont arrivés en voiture, ont crié avant de mettre le feu à 7 véhicules, provoquant un incendie.
👉 C’est une première dans l’histoire de l’École nationale… pic.twitter.com/QFDoaBMIWG
— FO JUSTICE (@SyndFoJustice) April 14, 2025
Christy Nicolas, secrétaire général national du Syndicat Pénitentiaire des Surveillants (SPS), en poste depuis 33 ans, se montre d’abord circonspect : « C’était très grave, mais on attendait d’en savoir plus sur des faits que nous ne comprenions pas. On pouvait imaginer un règlement de comptes par des individus que des élèves auraient croisés dans des bars. »
Toutefois, lundi, le phénomène se reproduit sur l’aire de stationnement du personnel de la prison de Réaux (Seine-et-Marne) : deux véhicules brûlés. Dans la soirée, six automobiles subissent le même sort aux maisons d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) et Villepinte (Seine-Saint-Denis) et au centre pénitentiaire de Valence (Drôme).
🔥 URGENT – Incendie sur le parking du CP de Valence 🔥
Un individu à trottinette vient de mettre le feu à deux véhicules sur le parking du centre pénitentiaire de Valence.
🚒 Les pompiers et 🚓 la police viennent tout juste d’arriver sur place.Le syndicat FO Justice condamne… pic.twitter.com/LuhZTkNV4p
— FO JUSTICE (@SyndFoJustice) April 14, 2025
Le Parquet antiterroriste face à la mystérieuse mention « DDPF »
Mardi 15 avril, les événements s’intensifient, imposant des réponses à leur mesure. Quelques heures plus tôt, des incendies ont fait des dégâts devant les établissements pénitentiaires de Marseille et Luynes-Aix (Bouches-du-Rhône), de Nîmes (Gard) ; celui de Toulon (Var) est carrément attaqué à l’arme automatique ! Gérald Darmanin, le ministre de la Justice, s’y rend aussitôt. Si les assauts alertent l’exécutif, son attention se porte également sur le sigle « DDPF » apparu sur neuf voitures garées devant un immeuble du 13e arrondissement marseillais où vivent des gardiens, rapporte sur X Ici Provence (ex-France Bleu).
Une voiture incendiée et des voitures taguées dans le 13e à Marseille, dans une résidence où vivent des agents pénitentiaires. Des tags "DDPF" pour droit des prisonniers français, un mouvement qui revendique ces actions. pic.twitter.com/t7fqZWtCcc
— ici Provence (@ici_provence) April 15, 2025
« DDPF », pour « Défense des droits des prisonniers français ». Derrière le groupuscule créé le 12 avril sur la messagerie cryptée Telegram, canal qui comptait 1 259 abonnés mardi, désormais fermé, se dissimuleraient, croit-on alors, des anarchistes en lutte contre « l’oppression de l’État ». La piste de l’ultragauche semble avoir fait long feu au profit de petites mains liées aux narcotrafiquants. Le mode opératoire, dont l’usage de Kalachnikov et voitures volées pour attaquer la Pénitentiaire, incite la justice et la police à considérer « DDPF » comme un leurre.
Raison pour laquelle le Parquet national antiterroriste (Pnat) se saisit, puis met à contribution la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et le renseignement pénitentiaire. L’affaire « mobilise du monde » parce que des agents sont aussi personnellement ciblés, jusqu’à leur domicile.
Face à la saisine du Pnat, qui confirme le danger qu’encourt le personnel, les délégués du SPS adressent deux courriers au garde des Sceaux : l’un pour solliciter l’armement des équipes de sécurité pénitentiaire entre leurs lieux de travail et de résidence ; le second pour déployer des militaires, de jour et de nuit, sur le modèle de l’opération Sentinelle.
La Chancellerie a accusé réception, assurant y réfléchir.
« J’ai recommandé à ma femme et à mes enfants d’être vigilants »
Tandis que, mercredi, des autos sont encore brûlées à Tarascon (Bouches-du-Rhône) sur un parking clos par un digicode, une surveillante seine-et-marnaise subit des intimidations : début d’incendie et inscription DDPF – elle a été relogée. D’autres voient leurs identité et adresse dévoilées sur le canal Telegram, entraînant des dégradations contre les biens d’une agente à Amiens (Somme). Une dernière vidéo agit tel un électrochoc : les images montrent un gardien en uniforme sortant de sa voiture, la caméra zoome sur sa boîte aux lettres, son nom, l’auteur révèle son affectation. « Il a été mis en disponibilité chez lui pour sa sécurité et celle de sa famille. Hélas, on est vite identifiés, regrette Christy Nicolas du SPS. Pour la première fois en 33 ans, j’ai recommandé à ma femme et mes enfants d’être vigilants. »
Il s’avoue « inquiet et en colère. Certains auraient envie d’en découdre par des mouvements de protestation, mais nous considérons qu’ils sont mieux protégés à l’intérieur des établissements que dans la rue ». A fortiori « si ce sont des gros narcos qui opèrent, des bandes organisées capables d’actions d’éclat ».
En plus des risques et des craintes qu’elles suscitent, ces attaques sont une plaie pour la Pénitentiaire : « On a déjà tellement de mal à recruter ! Il nous manque 4 000 agents sur l’ensemble des structures, ça ne va pas améliorer les choses ! Sans compter que les nouveaux centres promis peinent à sortir de terre à cause des recours de collectifs ou d’élus qui n’en veulent pas. » M. Nicolas, qui a accompagné Gérald Darmanin le 11 avril en Allemagne pour visiter des prisons modulaires en béton armé, destinées aux courtes peines, a été « agréablement surpris » par ce type d’infrastructures : « C’est une bonne solution pour créer des places rapidement sur du foncier qui nous appartient et, ainsi, résorber la surpopulation carcérale. Mais il nous faut du personnel ! »
« Des agents cumulent 300 à 400 heures supplémentaires en six mois »
Se disant « satisfait de notre ministre qui veut privilégier la sécurité » dans les prisons, M. Nicolas déplore néanmoins des conditions professionnelles difficiles : « Plus de 82 000 emprisonnés pour 62 000 places, ça signifie pour nous des conflits et agressions en permanence. Je n’avais jamais vu cela en 33 ans de métier. Les agents effectuent 40 à 60 heures supplémentaires par mois et, comme nous sommes limités à 104 heures sup’ trimestrielles, des surveillants cumulent 300 à 400 heures en six mois. Dans certains centres, il n’y a qu’un agent pour 140 détenus. » L’administration « n’a pas le choix. Donc, les roulements de nuit sont plus fréquents et on a très peu de week-end. Les jeunes n’ont pas envie de nous rejoindre ». Si les salaires ont été réévalués en 2024 grâce au passage au statut de fonctionnaire catégorie B, ils ne sont pas suffisamment attractifs (3 000 € net pour le plus haut gradé, hors primes).
Les attaques de la semaine ont aussi incité le SPS à remettre au jour « deux revendications que nous portons depuis des années », ajoute M. Nicolas. « Nous demandons la sécurisation des sites comme pour les casernes, avec des contrôles de passage en amont. » Autre requête, « créer une deuxième école en région parisienne : « L’Enap à Agen ne recrute que 1 400 agents par an quand, parallèlement, 600 à 800 surveillants partent à la retraite. Il y a 30 ans, il existait deux écoles, elles tournaient à plein régime. On a fait des économies, quand il aurait fallu anticiper. Maintenant, on a 20 ans de retard. »
Référence : AJU498377
