La prison ce n’est pas le Club Med, mais ça ne doit pas être le bagne non plus

Publié le 24/08/2022

La diffusion le 19 août de la vidéo  d’une course de karting à la prison de Fresnes réalisée le 26 juillet dans le cadre de KohLantess, un « Koh Lanta des cités » n’en finit plus d’alimenter la polémique. Le garde des sceaux Eric Dupond-Moretti a même publié un tweet dans lequel il s’en est ému et  annoncé l’ouverture d’une enquête. Les professionnels qui connaissent l’état des prisons françaises sont quand à eux révoltés que l’état général indigne de ces établissements n’intéresse personne. Me Julia Courvoisier explique à quoi sert la prison et pourquoi il est important d’y organiser des activités. 

La prison ce n’est pas le Club Med, mais ça ne doit pas être le bagne non plus
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

L’information « police/justice » semble devenir une succession de polémiques, et je ne vous cache pas que j’en suis un peu agacée car elles ne font qu’alimenter la violence, l’incompréhension et la défiance de beaucoup de français. Et le débat s’en trouve, évidemment, abaissé.

Lors du confinement de 2020, celui au cours duquel nous n’avions pas le droit de sortir de chez nous (exception faite d’une heure par jour dans un périmètre d’un kilomètre et pour faire nos courses), j’avais écrit sur les réseaux sociaux, en substance, que je n’avais pas d’avis sérieux et construit sur je ne sais quel traitement contre la covid car je n’étais pas médecin et que je n’y comprenais pas grand-chose (voire rien du tout) en virologie. Je ne compte pas les commentaires méprisants que j’ai reçus m’expliquant qu’en tant qu’avocate, je devrais comprendre le b.a-ba de la médecine et qu’il fallait que je sois bien bête pour ne pas avoir d’avis sur la question…

Je vous le dis, chers lecteurs, et je l’assume : je n’écris que sur ce que je connais. Et sur ce que j’ai vu. Au moins suis-je ainsi en mesure de soutenir une conversation et d’argumenter.

La privation de liberté est une sanction

Je vais donc vous parler de la prison parce que je m’y rends régulièrement pour visiter certains de mes clients.

Cette sanction a, selon l’article 130-1 du code pénal, deux objectifs :

« Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1° de sanctionner l’auteur de l’infraction ;

2° de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ».

La prison, parce qu’elle prive un condamné de la liberté de se déplacer, est donc une sanction évidente. Bouger, sortir quand bon nous semble, rentrer à l’heure que nous voulons, voir qui nous voulons, font finalement partie de ces petites choses qui nous sont vitales. Nous l’avons tous expérimenté lorsqu’en mars 2020, le gouvernement, pour des raisons sanitaires, a considérablement réduit notre liberté d’aller et venir.

La prison coupe ainsi le condamné de la vie, de sa vie et c’est donc une sanction en tant que telle. Du jour au lendemain, un suspect (lorsqu’il n’est pas encore jugé et donc présumé innocent) ou un condamné, se retrouve enfermé dans une cellule de quelques mètres carrés de laquelle il ne peut sortir qu’une à deux heures par jour, entouré de gardiens. Il perd souvent son travail, son logement, ses amis… Et j’en passe.

Cette violence sociale et humaine de la privation de liberté est donc une sanction. La plus lourde prévue par le code pénal. La justice estime qu’un individu doit être « écarté » de la société, privé de ce qu’il a de plus vital et précieux : vivre sa vie comme il l’entend. Il est d’ailleurs placé, à son arrivée, dans un lieu spécifique appelé « quartier des arrivants » afin de s’assurer qu’il va s’adapter et surmonter le choc carcéral…

Qui pourrait alors encore croire que « la prison, c’est le club med » ?

La prison ce n’est pas le Club Med, mais ça ne doit pas être le bagne non plus
Capture d’écran du 3e rapport de visite à Fresnes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

 

Comment puis-je encore entendre des commentateurs dire qu’il « faut que la prison soit d’abord une sanction » ? C’est évidemment et objectivement déjà le cas à partir du moment où un individu passe la porte d’un établissement pénitentiaire, menotté et sous la responsabilité de l’administration.

Mais une fois en prison, que faire de ces hommes et de ces femmes ?

Les laisser regarder un plafond 24 heures sur 24 en attendant de les remettre dehors à la fin de leur peine ? Ne pas leur parler ? Ne pas les faire lire ? Ne pas leur faire voir la lumière du jour ?

Il faut alors à ce stade faire tomber un mythe bien ancré dans l’esprit de beaucoup : il y a, dans nos prisons, une majorité d’individus qui n’ont tué personne. Il y a des voleurs, des petits vendeurs de shit, des mauvais conducteurs… On ne peut pas les enfermer à vie en prison. Ils vont donc, un jour, en ressortir.

Et puis il y a aussi des innocents qui attendent la tenue de leur procès, ne l’oublions pas.

Enfermer pour enfermer n’a aucun effet bénéfique

Alors que faire d’eux ?

Nos grands-parents se sont évidemment posé cette question il y a maintenant bien longtemps. Et ils ont choisi la meilleure des réponses : la prison doit sanctionner, mais elle doit aussi réadapter à la vie, rééduquer en quelque sorte. Ils étaient sûrement plus sages et réfléchis que nous car ils n’ont pas été les seuls en Europe (et ailleurs) à choisir cette option-là.

On parle aujourd’hui de réinsertion sociale. C’est la seconde mission de la prison.

Pourquoi ? Car celui qui a un emploi, une maison et une famille aura moins de risques de recommencer à violer la loi pénale contrairement à celui qui n’a rien. D’ailleurs « n’avoir rien », c’est bien souvent la cause principale du passage à l’acte et de la violation de la loi. Tous les pays démocratiques ont ainsi fait le même constat et toutes les études sur le sujet concluent à cette même réponse.

Les peines aménagées entrainent moins de récidive que l’emprisonnement. C’est un fait incontestable et il faut l’accepter. Même si ce n’est pas vendeur politiquement et que cela ne rapporte pas d’électeurs.

Avec mes clients, nous parlons plus souvent d’éducation. Psychologiquement, dans nos rapports, ils comprennent mieux qu’il leur manque un apprentissage : il faut apprendre à bien lire par exemple. A compter correctement sans calculatrice. A écrire sans faire de fautes. A connaître son histoire ou encore la géographie.

La réinsertion visée par le code pénal passe évidemment par ces bases éducatives-là et, malheureusement, en prison, c’est compliqué. Compliqué parce qu’il n’y a que peu d’offres pour trop de détenus. Si l’école est proposée dans nos prisons, elle reste réservée à une dizaine de détenus sur des centaines de candidats. C’est insuffisant.

Si ceux qui veulent de l’éducatif et de l’apprentissage scolaire prônent la construction de plus de prisons, il faudra alors encore plus de moyens, de personnels, de professeurs, et d’offres. Si c’est pour faire la même chose qu’actuellement, force est de constater que c’est un échec cuisant. Enfermer pour enfermer n’a aucun effet bénéfique à long terme pour notre société.

Mais comme toute éducation, comme tout apprentissage, d’autres choses doivent être faites : du sport, des activités culturelles, des contacts avec les autres… Avec ces autres-là qui vont, comme dit ma mère, « nous traîner vers le haut plutôt que nous tirer vers le bas ».

Alors les prisons organisent des événements, des sorties, des pièces de théâtre, des défis sportifs et j’en passe. Ces activités permettent aux détenus de voir un autre monde, celui dans lequel ils devront un jour, proche ou lointain,  retrouver leur place pour ne pas récidiver. Mais elles permettent aussi de côtoyer des personnes qui vont les aider, engager le dialogue avec eux, les accompagner.

Leur apprendre aussi à donner de leur temps aux autres. Beaucoup de détenus arrivent ainsi à s’engager dans des démarches bénévoles et associatives pour aider d’autres démunis. C’est aussi fondamental que savoir lire et compter.

Et si réussir à s’amuser dans le respect des règles était aussi un acte de réinsertion sociale ?

L’éducation, l’insertion, la réinsertion, passent par tout ce qui peut, humainement, intellectuellement et socialement enrichir un détenu pour qu’il sorte du monde de la délinquance.

Nous le faisons avec nos enfants pour qu’ils aient une bonne vie, pourquoi ne pas le faire avec nos détenus pour qu’ils ne récidivent pas ?

 

NDLR : L’état de la prison de Fresnes est régulièrement dénoncé par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. On découvre en lisant ses rapports que les détenus s’y entassent à trois dans 9m2, que les cellules sont souvent insalubres et que rats et puces de lit y pullulent. Les documents sont accessibles ici

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