Hauts-de-Seine (92)

Visite des bâtonniers dans les lieux de privation de liberté : une arme juridique supplémentaire pour les Ordres

Publié le 28/02/2023
Prison
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Depuis un peu plus d’un an, les bâtonniers et leurs délégués sont autorisés à se rendre dans les lieux de détention de liberté. Une nouvelle prérogative dont s’emparent une partie des barreaux, dont notamment le barreau des Hauts-de-Seine (92) et le barreau de Paris (75), qui devrait se développer dans les années à venir.

Depuis un peu plus d’un an, les bâtonniers des Ordres et leurs délégués sont autorisés à se rendre dans les lieux de privation de liberté. « Une innovation, une arme juridique calquée sur les visites des parlementaires qui existait déjà dans la loi et dont les Ordres doivent s’emparer », estime Me Fabien Arakélian, vice-bâtonnier des Hauts-de-Seine (92). « Le droit de visite est un outil supplémentaire pour dénoncer l’indignité des conditions de détention. C’est une prérogative importante sur un sujet qui nous tient à cœur et qui reste un énorme problème démocratique comme la nôtre », renchérit la bâtonnière de Paris, Julie Couturier. Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) ne peut que s’en réjouir : « C’est très utile car les avocats voient ainsi de quoi il s’agit. Savoir et voir, ce n’est pas du tout pareil, explique-t-elle. Pendant des années, j’ai couvert l’actualité des prisons, et quand je les ai découvertes pour de vrai, c’était bien pire que ce que je pensais » ! Elle y croit tellement que, nommée marraine de promotion de l’EFB, elle compte bien faire un discours portant sur les conditions de détention. « 3/4 de la promo veut faire du pénal des affaires, mais eux aussi doivent s’occuper des conditions de détention. Pour moi, c’est inhérent à la fonction d’avocat ! ».

Les avocats en première ligne pour dénoncer les conditions indignes

Créant un véritable consensus, cette nouvelle prérogative semble aussi une évidence, au vu du rôle des avocats dans la chaîne judiciaire. « Les avocats sont les traits d’union entre les institutions judiciaires et justiciables sont bien placés pour constater les conditions indignes des personnes privées de liberté », explique ainsi la bâtonnière de l’Ordre du barreau de Paris, Julie Couturier. « Qui de mieux placé que les auxiliaires que sont les avocats pour faire constater ces conditions de détention indignes ?», interroge également Me Fabien Arakélian. De surcroît, pour un pénaliste comme lui, qui a « une sensibilité particulière » pour ces questions. D’autres avocats peuvent n’avoir que peu de liens avec la prison. « On a souvent une vision éloignée de la réalité. Nous rentrons dans les prisons, nous allons directement au parloir, où les conditions sont décentes, les peintures satisfaisantes. Mais lorsque vous rentrez en détention, vous découvrez l’envers du décor. J’ai encore l’image de ces douches dans lesquelles jamais personne n’aurait envie de se laver quand j’ai visité la prison de Nanterre en 2011 ». L’été dernier , lors d’une nouvelle visite à la prison de Nanterre (92), il a pu constater avec sa consœur Pauline Rainaut, « des fenêtres endommagées, des fils électriques qui pendent, des cours de promenades recouvertes d’excréments de rats. Il faut le voir pour le croire », assure-t-il.

Ses autres constats ? Surpopulation carcérale, présence de déchets et absence de dispositifs pour les personnes à mobilité réduite, par exemple. Malheureusement, « notre rapport rédigé a été remis en cause dans ses conclusions, alors que ces constats sont réalisés depuis des années. Sur la surpopulation, la direction rappelle que ce n’est pas elle qui prononce les décisions mais que c’est de la faute des magistrats. Sur les déchets, elle va avoir tendance à rejeter la responsabilité sur les détenus ». Mais, glisse le vice-bâtonnier des Hauts-de-Seine, « en off, des gardiens de prison nous soutiennent. Car ce dont nous parlons, ce sont les conditions de détention des détenus, certes, mais aussi leurs conditions de travail au quotidien ! ». Julie Couturier abonde : « Ces visites sont également destinées à parler des conditions de travail des personnels, premières victimes de l’absence de moyens ».

À chaque lieu de privation de liberté, ses spécificités. Dans le centre de rétention administratif de Paris qu’a visité Julie Couturier en décembre dernier, « les problématiques sont un peu particulières car il existe une liberté de circuler dans l’enceinte du bâtiment. Nous n’avons pas été scandalisés par l’indignité des conditions de détention, nous n’avons pas vu de rats et de cafards, et les chambres étaient à peu près clean. Mais ce que nous avons constaté, c’est un problème d’accès au droit, avec des temps de recours extrêmement courts, entraînant des tensions entre les services de police et les associations. Par ailleurs, nous avons aussi noté un problème de désœuvrement : les personnes en rétention administrative n’ont accès à aucun livre car il y a eu un incendie, ils n’ont qu’une salle TV et des Playstation dont les télécommandes sont abîmées. Cela crée un sentiment d’errance, puisqu’ils peuvent y rester assez longtemps », déplore-t-elle.

Un recours qui doit se développer

Les visites, si elles peuvent être surprises, sont réalisées en toute transparence. « Nous ne cachons rien. Nous informons en amont. La dernière fois, lors de la visite de la prison de Nanterre, nous avions prévenu la veille, mais non deux semaines auparavant pour ne pas que tout soit trop préparé, tout en informant le procureur, le président du tribunal judiciaire et aussi le premier président de la cour d’appel. Nous dépendons des ressorts, et nous avons donc les pieds et les poings liés car le texte prévoit une compétence territoriale », raconte Me Fabien Arakélian.

De son côté la bâtonnière de Paris Julie Couturier, qui a déjà visité quatre commissariats parisiens en mai dernier, opte pour la surprise. « Nous avons le droit à des visites inopinées. Mais de façon générale, ces institutions sont plutôt rodées à l’exercice ».

Une fois les lieux visités, « nous adressons ce rapport à l’administration pénitentiaire, à la prison et à la direction interrégionale des services pénitentiaires, explique Me Fabien Arakélian. Dans le souci d’une procédure contradictoire, nous avons laissé la possibilité d’amender nos constats, ce qui n’a pas été fait concernant Nanterre », précise-t-il.

À la suite de cette visite, l’avocat a lancé une procédure en référé liberté devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, partant du principe que le rapport dressé constitue un élément de preuve. Ce qui a abouti à une ordonnance, le 2 décembre du tribunal administratif de Cergy Pontoise, qui a enjoint l’État de procéder à un certain nombre de travaux. « Ce serait fort de café si le garde des Sceaux ne respectait lui-même pas une décision de justice ! », ironise Me Fabien Arakélian. « Quand on plaide une remise en liberté ou une non-prolongation de détention provisoire devant un juge des libertés, avoir un rapport et une décision de justice administrative, ce n’est pas rien », estime-t-il. Et même s’il trouve que la décision ne prend pas en compte tout ce qui avait été évoqué dans le recours, « elle prononce des injonctions qui sont loin d’être insignifiantes. C’est une décision importante ». D’autant plus que « la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme et par la justice administrative », rappelle le pénaliste.

Pourtant, même si la pratique se développe, tous les barreaux n’y ont pas encore recours, confirme Dominique Simonnot. Dommage, car « si tous les barreaux s’en emparent, ça peut être assez redoutable », estime Me Fabien Arakélian. Mais c’est sur la bonne voie. « Il est difficile d’avoir une visibilité, mais la Commission des droits de l’Homme et de la liberté du Conseil national des barreaux a rédigé un livret pour donner des guidelines aux bâtonniers. À Marseille, le bâtonnier a visité les Baumettes, et à Toulouse, Seysses, lieu devenu emblématique. La compétence territoriale à la fois nous limite territorialement, mais en même temps, cela va nous permettre de réaliser des contre-visites », explique Julie Couturier. Elle note d’ailleurs que la contre-visite réalisée dernièrement au commissariat de la Goutte d’Or a permis de faire quelques constatations d’améliorations, même légères : « J’ai noté un petit progrès dans la salle des fouilles, avec des traces de sang sur les murs qui n’étaient pas nettoyées et qui l’ont été ». Auparavant la CGLPL avait écrit dans son rapport que l’affichage de la notification des droits n’était pas effectif. Lors de la dernière visite, il était désormais sous plastique en différentes langues.

Des progrès sont donc en cours. « Je compte beaucoup sur ces visites pour que les avocats s’en emparent, que cela aide la jurisprudence sur les conditions indignes, décret dont la mesure phare est le transfert, alors que les détenus ne veulent pas être éloignés de leurs proches », explique Dominique Simonnot. Me Fabien Arakélian, lui, prévient : « Les lieux de détention de liberté, ce n’est pas que les prisons. Ce sont aussi les centres éducatifs fermés, les commissariats. Cette année, nous allons aller dans d’autres lieux. Et revenir à la prison de Nanterre afin de constater que les injonctions ont bien été respectées, même s’il n’existe pas d’astreinte ». D’après lui, « mettre en place un plan d’envergure de dératisation n’est pas insurmontable. Réparer des fenêtres défectueuses, non plus. Et j’ai envie de vous dire, ce n’est pas mon problème. Moi, j’ai une décision de justice. Il va falloir la respecter ! ».

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