Au lycée innovant Germaine Tillion, une grève qui en dit long

Publié le 06/09/2024

Pas de rentrée cette année, au lycée innovant Germaine Tillion et au Microlycée 93 qui lui est accolé. Sans assistante sociale depuis trois ans, l’établissement a également perdu des heures précises de psychologue scolaire. Explications.

Quand il a été créé en 2009, le Microlycée du 93 – d’abord installé à la Courneuve – était synonyme d’espoir pour nombre de jeunes Dyonisiens. Avec sa structure innovante et expérimentale, basée sur l’encouragement et le positivisme, les 55 élèves raccrocheurs accueillis finissent en grande majorité par obtenir le baccalauréat (à plus de 80 %). Quand Le Bourget obtient enfin son lycée en 2014, le lycée innovant Germaine Tillion, la structure du microlycée s’y adosse et lui fait bénéficier de sa philosophie, cette fois pour éviter le décrochage scolaire. Dans ce secteur du département de Seine-Saint-Denis, le profil social des élèves suppose de grands besoins d’accompagnements spécifiques… que l’État peine à prendre en compte.

En cette rentrée 2024, la quasi-intégralité des personnels enseignants des deux structures a décidé de faire grève lors de la journée de pré-rentrée pour demander une audience au rectorat. Ils réclament le retour d’une assistante sociale, poste qui n’a pas été pourvu depuis trois ans, et la remise en place de la présence de la psychologue scolaire, deux postes capitaux pour les élèves comme les professeurs, très soucieux du devenir et du quotidien des enfants qui leur sont confiés. Actu-Juridique a échangé avec l’un de ces professeurs grévistes qui a accepté de répondre à nos questions. Entretien avec Julien X, porte-parole du collectif de grévistes.

Actu-Juridique : Quelle est la spécificité des deux établissements ?

Julien X : Les deux se situent au même endroit, 48 bis rue Anizan-Cavillon au Bourget (93). Le lycée de secteur Germaine Tillion est bâti sur un fonctionnement collectif et collégial avec l’ambition de suivre chacun des élèves dans leurs progressions. Il tire en fait son expérience du Microlycée, une structure expérimentale de raccrochage pour les élèves qui ont abandonné l’école et souhaitent passer ou repasser le baccalauréat. Le premier suit une centaine d’élèves, le second une cinquantaine.

Les résultats de ces modes d’apprentissages sont bien meilleurs que ce qui était attendu : le lycée général figure dans les trois établissements avec la meilleure valeur ajoutée de France (la valeur ajoutée mesure la différence entre les résultats obtenus et les résultats qui étaient attendus, compte tenu des caractéristiques scolaires et sociodémographiques des élèves, NDLR) ! Pourtant, nous fonctionnons avec les moyens des établissements traditionnels : nous avons 35 élèves par classe, par exemple. Toute l’équipe professorale est très attentive au bien-être des enfants. Même si nous sommes très mobilisés, nous faisons très rarement grève par exemple… Mais cette année, nous avons décidé qu’il fallait ! En effet, cette année nous n’avons pas fait la rentrée car nous souhaitons travailler dans de bonnes conditions et ce afin de permettre à nos élèves de réussir.

AJ : Comment s’est décidée cette grève peu ordinaire ?

Julien X: Cela s’est décidé le jour de la prérentrée. Cela fait deux ans que nous n’avons pas d’assistante sociale et avant c’était déjà très compliqué. Nous avons envoyé un courrier fin juin/début juillet quand nous avons appris que nous allions également perdre une demi-journée de psychologue scolaire. Or notre collègue était déjà surchargée de travail : elle cumule plus de 1300 élèves sur plusieurs établissements et se trouve à remplir certaines missions de l’assistante sociale. Nous avons envoyé un courrier au rectorat qui ne nous a jamais répondu. On nous a finalement positionnés le nom de quelqu’un, pour le poste d’assistante sociale, mais qui est en congé maladie, reconduit fin août.

AJ : Pourquoi les postes d’assistantes sociales sont cruciaux dans des établissements comme les vôtres ?

Julien X: Il existe des problématiques particulières liées au département de Seine-Saint-Denis, combinées aux élèves très fragiles qui fréquentent le Microlycée. Le collège de secteur qui nous amène la moitié des élèves n’a pas non plus d’assistante sociale depuis deux ans. Ces personnes, en tant qu’aides administratives, sont capitales pour nos élèves car elles sont souvent le seul point d’accès au droit pour les familles. Surtout pour nos élèves dont l’indice de position sociale diminue d’année en année… et dont le taux de boursier diminue aussi. Les demandes et démarches pour obtenir ces bourses sont difficiles et, sans assistantes sociales, pas d’accès à l’information et d’aide pour la constitution des dossiers sociaux étudiants pour les terminales, qui sont particulièrement compliqué pour les élèves qui ne sont pas nés en France, par exemple. De même, elles interviennent normalement pour les demandes d’hébergement d’urgence, les informations préoccupantes, l’accès à la CMU ou l’AME… sans compter l’écoute. Le fonds social lycéen est là pour pouvoir trouver une aide matérielle ponctuelle, mais nous sommes sur quelque chose de chronique. Notre seul recours dans des cas comme cela, c’est l’assistante sociale du rectorat mais c’est à distance, cela passe par nous, c’est strictement administratif.

AJ : Sur quels soutiens pouvez-vous compter ?

Julien X : Les parents d’élèves, par la voix d’une représentante de la FCPE nous soutiennent. Nous aimerions qu’ils soient également présents à l’audience que nous demandons au rectorat. Le député de Seine-Saint-Denis, Aly Diouara (LFI) est venu également sur le piquet de grève présenter son soutien. Depuis le jour de la rentrée, nous nous réunissons au lycée et travaillons d’arrache-pied pour sortir de cette situation. Cette grève, dans ces proportions, c’est du jamais vu pour nos établissements. Nous espérons que nous serons entendus…

*L’anonymat a été choisi par le collectif pour s’exprimer comme front uni.

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