Paris (75)

Lancement de l’Académie des futurs leaders : une école du militantisme unique en son genre

Publié le 06/12/2021

Elle est l’une des entrepreneuses sociales les plus influentes en France depuis qu’elle a co-fondé Singa, vaste réseau associatif spécialisé dans l’intégration des personnes réfugiées et migrantes. Alice Barbe, 34 ans, a les idées qui fusent. Mais elle sait aussi parfaitement passer à l’action et donner vie à ses utopies. Alors que nous entrons dans le tunnel des élections présidentielles, elle a ressenti le besoin de fonder une école d’un genre nouveau. Dès janvier, l’Académie des futurs leaders, située dans le campus de l’université américaine Columbia à Paris, verra le jour et accompagnera pendant six mois quinze activistes déjà mobilisés qui veulent encore muscler leurs compétences et donc leur impact social et écologique.

Actu-juridique : Dans cette académie d’un genre nouveau, qui sont les futurs leaders que vous aimeriez voir accompagnés ?

Alice Barbe : Que l’on nous appelle militants, activistes, entrepreneurs sociaux ou encore société civile, cela revient au même : il s’agit juste de redonner une fougue à l’engagement citoyen. Mais cette notion n’est pas nouvelle. D’ailleurs, pour moi, la première activiste est Antigone ! Je vois autour de moi des jeunes filles de 15-16 ans, bien déterminées à faire bouger les lignes et qui créent des mouvements dans la société civile. Car l’urgence est multiple : la crise a encore renforcé les inégalités sociales qui n’ont jamais été aussi profondes qu’aujourd’hui, l’urgence climatique est bien là, et on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas ! Avec l’accès démocratisé à l’information, on ne peut en effet pas dire que l’on ne sait pas qu’il se produit un génocide des Ouïghours en Chine. Total ne peut pas dire qu’il ignorait avoir un impact sur le réchauffement climatique. Et on ne peut pas échapper aux pyromanes de l’information qui ne se cachent même plus de propos violant les droits humains.

AJ : L’Académie des futurs leaders propose d’accompagner des leaders qui ont déjà fait leurs preuves. Y a-t-il une limite d’âge étant donné que les activistes d’aujourd’hui sont de plus en plus jeunes ?

A.B. : Non, il n’y a pas de limite d’âge, juste la condition d’avoir déjà une forte expérience en mobilisation. Pour le moment, nous avons déjà plusieurs dizaines de candidatures, et les profils correspondent à peu près à ce que nous attendions. Les candidatures viennent de toute la France, mais pas encore d’outre-mer, et nous les attendons vivement. Nous comptons d’ailleurs sur nos partenaires comme Ashoka ou le mouvement Impact France, pour nous aider à avoir le meilleur sourcing possible afin d’identifier des profils venant d’autres territoires. Enfin, la parité et la diversité, le fait d’avoir parmi les candidats des personnes issues des territoires ultra-marins comme de la ruralité, divers aussi en termes d’origines, de religions et de croyances, c’est précisément ce que nous recherchons.

AJ : Cette académie tourne autour de trois valeurs : l’éthique, l’intégrité et l’empathie. Pourquoi ces trois piliers ?

A.B. : À ces trois valeurs vont correspondre trois types de contenus au cours de cette formation. Les participants vont pouvoir rencontrer un certain nombre de personnalités politiques de haut rang. Dans d’autres milieux, on appelle cela le « réseau ». En tout état de cause, il est question de favoriser ces rencontres peer to peer, afin de se projeter dans l’exercice du pouvoir. Les participants seront également accompagnés pour les aider à déterminer leur boussole éthique : face aux défis du futur, comme les migrations ou l’intelligence artificielle, comment garder son cap ? Quels savoirs peuvent les y aider ? L’empathie, quant à elle, permet de protéger sa santé mentale, de trouver des moyens de lutter contre les agressions contre les personnes, d’autant plus fréquentes envers des femmes et non blanches. Il s’agit de se prévenir contre toute forme d’attaque (à l’instar du cyberharcèlement), d’où la présence d’un avocat parmi les professionnels qui délivrent leurs savoirs aux participants.

Mais nous accordons aussi une grande importance au sport et à la santé. Car si je suis dans l’exercice du pouvoir, comment ne pas péter les plombs ? Comment tenir le coup ? Résister à la pression, à la fatigue ? Comment encaisser les coups – quel que soit son bord politique d’ailleurs ? Souvent, on me dit qu’il faut être mégalo pour faire de la politique. Mais si au contraire, il s’agissait surtout de penser aux autres et au bien commun ?

Je ne crois pas à la figure de l’homme providentiel, qui dort trois heures par nuit. C’est dingue de se faire autant de mal ! Il faut se respecter, soi, sa famille, ses proches. Mais aussi les gens qui ne nous aiment pas !Par exemple, l’avocat David Simas, ancien chief executive officer de Barack Obama, viendra apprendre à ressentir de l’empathie même envers ceux qui nous détestent. Nous travaillons aussi avec James Doty, professeur de neurochirurgie à Stanford, qui a une chaire sur le leadership et la compassion. Nous essayons d’être le plus rigoureux possible sur les enseignements délivrés et le côté académique des cours proposés. Mais si nous pouvons avoir le Dalaï Lama ou le Pape, je serais aussi ravie…

AJ : Quelles réactions a déclenché le lancement de votre académie ? Certaines mauvaises langues estiment-elles qu’en termes de réchauffement climatique, tout est déjà joué d’avance et que les combats sont vains ?

A.B. : Ce qu’on monte suscite en effet des débats. Je crois qu’il y a quelque chose de générationnel. Dans le monde institutionnel, surtout, ils n’y croient pas. Ce que nous proposons ne correspond pas à leur univers. Quand on parle de « mouvements », ils ne comprennent pas. Mais ce que nous voulons, finalement, c’est écrire une nouvelle histoire de l’engagement politique. Dans le monde institutionnel, ils parlent d’une dichotomie « eux » versus « nous ». Mais ce n’est pas ce que l’on veut ! Ce n’est pas le combat du peuple contre les élites. Ce que nous souhaitons, c’est que l’on se reconnaissance dans la politique aujourd’hui. Et nous en sommes très loin. Ceux qui sortent de l’ENA ou de Sciences Po ont peut-être appris les ficelles de l’administration ou des sciences politiques, c’est vrai, mais ils n’ont pas appris la question de l’influence politique. Et ont-ils vraiment appris à « servir » ?

Mais cela rassure généralement de classer les initiatives dans les cases, c’est assez classique. Ils se demandent : votre académie est-elle une école ? Comme Sciences Po ? Comme celle de Marion Maréchal-Le Pen, mais de gauche ? Ce que je peux dire, c’est que nous sommes une réponse à cette école, mais pas seulement.

En somme, les partis politiques ont un logiciel dont on brouille toutes les cartes, parce que la politique en tant que telle n’intéresse plus personne. D’ailleurs, la nouvelle génération ne va plus vers les partis.

AJ : Quels sont les objectifs que vous vous fixez ?

A.B. : Si vous prenez chaque personne que nous accompagnons, qui est suivie par une communauté de 50 000 personnes, et que vous multipliez ça par le nombre, cela fait déjà beaucoup ! Les jeunes savent s’engager, on l’a vu avec Makesense, Me Too, Singa, bien sûr. J’ai une copine de 15 ans hyper active dans Me Too et Nous Toutes, je suis impressionnée. C’est un premier pied dans l’engagement. Ensuite, à nous de réenchanter l’engagement politique.

Il est dommage de constater que les politiques sont déconnectés par rapport à ce qu’on appelle les mouvements, ils ne comprennent pas Black Lives Matter, ils n’osent pas prononcer certains mots, ils n’ont pas le bon champ sémantique, comme c’est aussi le cas pour parler du réchauffement climatique.

AJ : Quel impact attendez-vous idéalement ?

A.B. : Nous nous positionnons dans une posture de conquête et d’exercice du pouvoir. Il y a deux types d’impact : l’impact direct serait d’avoir des candidats, pourquoi pas aux élections présidentielles de 2027, mais avant cela, d’autres scrutins auront lieu : les municipales, les régionales, les législatives ; les européennes, etc. Donc idéalement nous aimerions avoir des élus, dans des mandats fermes, et que cela puisse aider positivement des formes politiques déjà existantes. Indirectement, si, au cours d’une session, nous pouvons marquer, ne serait-ce qu’un seul de nos candidats, ce sera déjà réussi. Barack Obama l’a dit : il a été maître du monde pendant huit ans, et un autre lui succède – Donald Trump – , et détruit tout ce qui a été construit. Mais Obama a aussi dit que si un seul jeune est encouragé à s’engager, c’est déjà avoir un impact sur le futur.

AJ : Vous accordez aussi une grande place au collectif… Pourquoi ?

A.B. : Je crois en la force du groupe ! J’ai coutume de dire que nous sommes un hub ou un campus, une famille. Je suis persuadée que ces activistes vont ensuite faire plein de choses ensemble. Peut-être au sein de partis pour faire des alliances, qui sait ? Une chose est sûre : c’est dans notre communauté, au sein de notre ADN.