La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 et la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Publié le 12/06/2024
La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 et la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
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La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024, relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire, a été publiée au Journal officiel du 22 mai 2024. Elle prévoit la fusion de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire en une autorité unique : l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. Elle permet le rattachement du haut-commissaire à l’énergie atomique au Premier ministre. Elle simplifie également les règles de la commande publique applicables aux projets nucléaires.

L. n° 2024-450, 21 mai 2024, relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire

Le 3 avril 2024, les députés et les sénateurs, réunis en commission mixte paritaire, sont parvenus à un compromis sur ce texte législatif. Présenté au conseil des ministres du 20 décembre 2023, il a fait l’objet au Parlement de la procédure accélérée et a été définitivement adopté par ce dernier, le 9 avril 2024, par un vote ultime du Sénat. Dans sa décision n° 2024-868 DC du 17 mai 2024, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi par plus de soixante députés, a jugé que les dispositions de la loi qui lui ont été déférées étaient conformes à la Constitution.

Une nouvelle autorité administrative indépendante, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (l’ASNR), qui verra le jour le 1er janvier 2025, est créée par la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024. Elle résulte de la fusion de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est une autorité administrative indépendante chargée de contrôler les activités nucléaires civiles en France, et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), lequel est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), chargé de l’expertise dans le domaine de la sécurité nucléaire. L’ASN, qui est compétente pour prendre des décisions individuelles et réglementaires, a été créée par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006, relative à la transparence et à la sûreté nucléaire (dite loi TSN). L’IRSN a, quant à lui, été créé par la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001.

Le gouvernement a justifié la fusion de l’IRSN et de l’ASN, qui a été validée par la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2024, par la nécessité de répondre à la relance de la filière nucléaire française. Celle-ci a été actée avec l’annonce par le président de la République lors de son discours de Belfort, le 10 février 2022, de la construction de six réacteurs nucléaires de troisième génération (EPR2) et du lancement d’études pour la construction de huit EPR2 supplémentaires.

« Afin de maintenir l’excellence du contrôle en sûreté et en radioprotection dans le futur, et au regard des enjeux (…) qui vont mettre fortement sous tension les autorités publiques compétentes, le gouvernement entend mener une réorganisation de la gouvernance (…) afin de répondre efficacement, aussi bien en matière de niveau de sûreté que de rythme de charge, à la relance inédite du nucléaire », indique l’exposé des motifs du texte de loi. Ce dernier a été accompagné d’une loi organique1 qui précise les modalités de désignation du président de l’ASNR. Le législateur organique a modifié le tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010, relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution2, afin de l’adapter à la réforme de la sûreté nucléaire3.

La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024, qui fait suite à la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023, relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dite loi Nouveau nucléaire4, reprend les recommandations du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) du 11 juillet 2023 sur « les conséquences d’une éventuelle réorganisation de l’ASN et de l’IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection ».

La loi prévoit par ailleurs le rattachement du haut-commissaire à l’énergie atomique (HCEA) au Premier ministre afin de « renforcer le pilotage de la relance du nucléaire en France »5.

Dans le prolongement de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023, le texte législatif permet également aux maîtres d’ouvrage de projets nucléaires « de passer leurs marchés selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles »6. Il contient des dispositions leur permettant de déroger à certaines règles du Code de la commande publique.

Nous examinerons successivement les dispositions de la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 concernant l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (I), le haut-commissaire à l’énergie atomique (II) et la simplification des règles de la commande publique applicables aux projets nucléaires (III).

I – La création de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection

Le législateur a abrogé les dispositions législatives relatives à l’IRSN et a modifié les dispositions du Code de l’environnement applicables à l’ASN afin de fixer dans la loi « les règles relatives à la composition et aux attributions ainsi que les principes fondamentaux relatifs à l’organisation et au fonctionnement » de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (l’ASNR) et cela conformément à l’article premier de la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017, relative aux autorités administratives indépendantes (AAI) et autorités publiques indépendantes (API). Nous étudierons le statut (A), les missions (B) ainsi que le fonctionnement (C) de l’ASNR.

A – Le statut de l’ASNR

Avec la fusion de l’ASN, souvent qualifiée de « gendarme » du nucléaire, et de l’IRSN, qui est un EPIC soumis à la tutelle de plusieurs ministères, l’article premier de la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 permet la mise en place d’une autorité indépendante de sûreté nucléaire civile et de radioprotection, « comparable à celle qui existe dans les grands pays nucléaires occidentaux (États-Unis, Canada, Grande-Bretagne) »7. Comme l’actuelle ASN, l’ASNR bénéficiera du statut d’autorité administrative indépendante, « le statut offrant, en droit français, le plus de garanties d’impartialité »8. La loi clarifie par ailleurs le fait que la sûreté nucléaire intègre la protection de la santé humaine et de l’environnement (art. 1).

Le législateur n’a pas voulu doter la nouvelle autorité du statut d’API. Il a rappelé qu’une API est dotée de la personnalité morale et donc d’une responsabilité juridique distincte de celle de l’État. « Au regard de l’ampleur des risques associés aux activités nucléaires, le statut d’AAI apparaît (…) plus protecteur (…) »9.

Le député Jean-Luc Fugit, rapporteur du projet de loi, a fait remarquer que le statut d’AAI avait d’ailleurs été retenu pour l’ASN en 2006, sur la recommandation d’un rapport parlementaire (…), « qui démontrait clairement que le statut d’AAI valait mieux que celui d’API, car il engage pleinement la responsabilité juridique de l’État »10.

Le gouvernement a fait valoir, dans l’exposé des motifs du projet de loi, que l’ASNR permettra « de fluidifier les processus d’instruction, d’assurer un meilleur alignement des priorités et de renforcer le partage des informations et des données au sein des différentes étapes des processus d’instruction et vis-à-vis des parties prenantes externes, exploitants nucléaires comme société civile ».

Il a également soutenu que cette nouvelle organisation permettra « de regrouper les compétences rares en une autorité, au lieu de les dupliquer comme aujourd’hui ». De l’avis de certains parlementaires, la coexistence de deux entités chargées du contrôle de la sûreté nucléaire est de nature à introduire une confusion entre les responsabilités respectives des deux instances.

« Nous proposons de rassembler deux entités qui travaillent déjà ensemble et qui représentent, à elles seules, plus de 2 000 collaborateurs, qui seront demain, comme ils le sont aujourd’hui, au service de la sûreté. La seule différence, c’est que, grâce à la fusion des deux entités, le fonctionnement sera plus efficace. Il y aura autant de transparence et plus d’expertise », a expliqué Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie11.

L’article L. 592-12 du Code de l’environnement, qui est modifié par la loi du 21 mai 2024, permettra à l’ASNR de recruter des agents sous différents statuts : des fonctionnaires, des contractuels de droit public et des salariés de droit privé (art. 10). Cette diversité de catégories de personnel a été présentée comme un facteur d’attractivité pour la nouvelle autorité administrative indépendante. Il en va de même en ce qui concerne la possibilité offerte aux agents contractuels de droit public et aux salariés de droit privé de la future autorité de passer un concours réservé, afin de pouvoir accéder à certains corps de fonctionnaires, déterminés par décret en Conseil d’État (art. 13). On notera par ailleurs que le personnel de l’ASNR de nationalité étrangère ou apatride ne pourra être recruté « pour pourvoir des emplois dont les attributions soit ne sont pas séparables de l’exercice de la souveraineté, soit comportent une participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique » (art. 10).

D’autre part, le nouvel article L. 592-12-1 du Code de l’environnement a prévu la mise en place d’un comité social d’administration qui sera compétent pour représenter l’ensemble du personnel de l’ASNR (art. 10). Ce comité comportera deux commissions spécialisées, pour les agents de droit public et les salariés de droit privé, ainsi qu’une formation spécialisée qui sera chargée des questions de santé, de sécurité et des conditions de travail.

Force est de constater que cette réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire, qui a été décidée lors du conseil de politique nucléaire (CPN) réuni par le président de la République, le 3 février 2023, a suscité de vives critiques. Elle a d’ailleurs été adoptée à une voix près en première lecture par l’Assemblée nationale, le 19 mars 2024, après un rejet en commission. On rappellera qu’elle avait été proposée par le gouvernement par voie d’amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi Nouveau nucléaire et qu’elle avait été rejetée par les députés en mars 2023. Selon ses détracteurs, cette réforme pourrait conduire à une désorganisation du système français de sûreté nucléaire, qui a fait la preuve de son efficacité.

Les parlementaires requérants ont reproché aux dispositions de l’article premier de la loi de confier à une même autorité administrative, pour le contrôle de la sûreté nucléaire, les fonctions d’expertise et de décision. Ils ont soutenu qu’elles privaient de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant de la charte de l’environnement et méconnaissaient les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé.

Mais dans sa décision n° 2024-868 DC du 17 mai 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article premier de la loi confiant à l’ASNR certaines missions auparavant exercées par l’ASN et par l’IRSN. Il a jugé qu’elles ne méconnaissent pas les articles 1er et 3 de la charte de l’environnement, ni aucune autre exigence constitutionnelle. Selon le juge constitutionnel, elles « n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier les obligations auxquelles sont soumises les activités nucléaires civiles dont [la future ASNR] est chargée de contrôler le respect »12.

B – Les missions de l’ASNR

L’ASNR se voit confier, en plus des missions de l’ASN, l’essentiel des missions d’expertise et de recherche de l’IRSN. L’article L. 592-1 du Code de l’environnement, qui est modifié par la loi, indique que l’ASNR sera investie d’une mission générale d’expertise, de recherche et de formation dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Elle participera « au maintien d’un haut niveau de compétences en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection et [contribuera] à l’amélioration constante des connaissances scientifiques et techniques dans ces domaines » (art. 1).

Elle assurera une veille permanente en matière de radioprotection sur le territoire national et contribuera « à la surveillance radiologique de l’environnement et des personnes exposées aux rayonnements ionisants (…) » (art. 1).

Elle contribuera aux travaux et à l’information du Parlement dans ses domaines de compétence et participera « à l’information du public et à la mise en œuvre de la transparence » (art. 1). Elle aura aussi pour mission de contribuer « au développement d’une culture de radioprotection chez les citoyens » (art. 1).

Deux activités de l’IRSN feront l’objet d’un traitement particulier. La direction de l’expertise nucléaire de défense (DEND) de l’IRSN sera rattachée au ministère de la défense, et les activités relatives à la fourniture et à l’exploitation de dosimètres à lecture différée relèveront du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou d’une de ses filiales (art. 11).

La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 renforce l’information du Parlement et de la société civile car l’ASNR présentera à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui est un organe d’information commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, ainsi qu’au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), les sujets sur lesquels une association du public est organisée (art. 5). Le rapport annuel d’activité établi par l’ASNR sera transmis à l’OPECST avant sa publication (art. 8).

Par ailleurs, l’ASNR, qui sera assimilée à un établissement public de recherche, bénéficiera des prérogatives attachées à ce statut dont est aujourd’hui doté l’IRSN. Elle contribuera « à la protection et à la valorisation des résultats de ses programmes de recherche » (art. 4).

La loi du 21 mai 2024 vient compléter l’article L. 114-3-1 du Code de la recherche, qui définit les missions du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), pour que les activités de recherche de l’ASNR puissent, à sa demande, être soumises à évaluation par le HCERES (art. 18).

C – Le fonctionnement de l’ASNR

En dehors des compétences expressément confiées au président de l’ASNR ou à la commission des sanctions, les attributions de l’ASNR seront exercées par son collège (art. 2). Comme c’est actuellement le cas au sein de l’ASN, ce collège sera composé de cinq membres (dont le président) nommés pour un mandat de six ans. La nomination à la présidence de l’ASNR sera soumise, en application de l’article 13 de la Constitution, à un avis de la commission permanente compétente au sein de chaque assemblée parlementaire, en l’occurrence la commission compétente en matière de prévention des risques naturels et technologiques (art. 19).

La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 offre une souplesse organisationnelle à l’ASNR en laissant le soin à son règlement intérieur de préciser certaines règles de son fonctionnement. Mais, comme le réclamaient les sénateurs, les projets de décision d’adoption ou de modification dudit règlement intérieur seront transmis à l’OPECST qui voit son rôle renforcé (art. 5).

Il reviendra à ce règlement intérieur de prévoir les conditions dans lesquelles le collège peut donner délégation de pouvoirs à son président ou, en son absence, à un autre membre du collège ou à un membre des services de l’ASNR. Cependant, ni les avis sur les projets de décret ou d’arrêté ministériel ni les décisions à caractère réglementaire ne pourront faire l’objet d’une délégation (art. 2). La loi vient ici reprendre en les adaptant les dispositions relatives au contenu du règlement intérieur qui étaient applicables à l’ASN et qui figuraient à l’article L. 592-13 du Code de l’environnement qu’elle vient modifier.

Le nouvel article L. 592-13-1 du Code de l’environnement indique que le règlement intérieur de l’ASNR déterminera les règles nécessaires à la mise en œuvre des articles 12 à 14 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des AAI et des API (art. 2). Il s’agit des règles relatives au déport des membres de l’ASNR en cas de conflit d’intérêts, des règles déontologiques applicables à ses agents, collaborateurs ou experts et des règles d’organisation, de fonctionnement et de déontologie de l’autorité13. L’ASNR mettra en place une commission d’éthique et de déontologie chargée de prévenir les conflits d’intérêts (art. 2). Une instance similaire existe au sein de l’IRSN en application de l’article R. 592-56 du Code de l’environnement.

Le nouvel article L. 592-13-3 du Code de l’environnement dispose que l’ASNR s’appuiera en tant que de besoin sur des groupes permanents d’experts (GPE), nommés en raison de leurs compétences. Les modalités de nomination de ces experts et les règles propres à assurer la diversité de l’expertise seront précisées par le règlement intérieur de l’ASNR (art. 2).

La distinction entre expertise et expert au sein de la nouvelle instance a été l’un des points les plus discutés lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Le texte législatif vient consacrer, pour chaque dossier, une véritable distinction entre le personnel chargé de l’expertise et celui chargé de la décision. Le règlement intérieur devra définir « les règles de distinction et d’interaction, pour une instruction donnée, entre les personnels chargés des activités d’expertise et les personnels chargés de la décision ou de la proposition de décision soumise au collège » (art. 2).

Comme le souhaitait le Sénat, l’ASNR publiera les résultats des expertises réalisées dans le cadre de ses instructions ainsi que les avis des GPE (art. 2). Le règlement intérieur définira les modalités de publication de ces résultats et de ces avis. La consécration législative du principe de publication de l’expertise a vocation à garantir « un niveau de transparence équivalent à celui atteint par le système actuel »14. Elle va dans le sens d’une recommandation du rapport de l’OPECST de juillet 2023 en faveur du maintien d’un « même niveau élevé d’information et de transparence » et d’« une publication distincte des rapports d’expertise ».

Les résultats d’expertise seront publiés « de manière concomitante aux décisions auxquelles ils se rapportent, sauf pour les décisions pour lesquelles l’autorité en décide autrement, notamment au regard de la nature des dossiers concernés ou pour favoriser la participation du public (…) » (art. 2). Pour des « dossiers longs », la commission mixte paritaire a jugé souhaitable que « les résultats d’expertise soient publiés tout au long du processus, afin de favoriser et d’enrichir les possibilités de participation du public »15.

Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l’article 2 de la loi qui renvoient au règlement intérieur de l’ASNR la détermination des modalités de distinction et d’interaction entre les fonctions d’expertise et celles de décision ainsi que des modalités de publication des résultats des expertises et des avis des GPE. Il n’a pas suivi les députés requérants qui soutenaient que ces règles ne pouvaient être renvoyées au règlement intérieur de l’ASNR, sans que le législateur ne méconnaisse l’étendue de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution16.

Par ailleurs, afin d’accompagner l’ASNR en matière de recherche, la nouvelle autorité administrative indépendante sera dotée d’un conseil scientifique sur le modèle de celui qui existe aujourd’hui au sein de l’IRSN (art. 4). Ce conseil, dont les membres seront nommés à raison de leurs compétences scientifiques et techniques, sera sollicité sur la stratégie scientifique de l’ASNR ainsi que sur toute autre question relative à la recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Il sera notamment chargé d’évaluer la pertinence des programmes de recherche que définit l’ASNR et pourra formuler toute recommandation sur l’orientation de ses activités de recherche. Le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de l’article 4 de la loi qui prévoient que le règlement intérieur de l’ASNR définira les conditions de mise en place de ce conseil scientifique ainsi que les modalités de nomination de ses membres.

II – Les dispositions concernant le haut-commissaire à l’énergie atomique

Nous examinerons le repositionnement administratif du haut-commissaire à l’énergie atomique (A) ainsi que son rôle (B).

A – Le rattachement du haut-commissaire à l’énergie atomique au Premier ministre

Afin de renforcer la gouvernance d’ensemble de la filière nucléaire, la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 vient placer le haut-commissaire à l’énergie atomique (HCEA) sous l’autorité du Premier ministre, alors qu’il était jusqu’ici placé auprès de l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Ce faisant, elle vient abroger l’article L. 332-4 du Code de la recherche qui dispose que le HCEA assume la « charge de conseiller scientifique et technique auprès de l’administrateur général [du CEA] ».

L’étude d’impact du projet de loi a montré que le positionnement du HCEA auprès de l’administrateur général du CEA « a conduit à restreindre au fur et à mesure du temps la capacité d’impulsion scientifique du HCEA »17. Or, la relance de la filière nucléaire a fait apparaître « un besoin de renforcer, d’une part, la fonction de conseil scientifique et technique du gouvernement au plus haut niveau sur les questions nucléaires, et d’autre part, la gouvernance mise en œuvre autour du Conseil de politique nucléaire (CPN) prévu par le décret n° 2008-378 du 21 avril 2008, sous la présidence du président de la République »18.

B – Le rôle du HCEA

Le nouvel article L. 141-13 du Code de l’énergie précise le rôle du HCEA dont les fonctions avaient été modifiées par le décret n° 2023-1383 du 30 décembre 2023 (art. 17). Le HCEA conseillera le gouvernement en matière scientifique et technique dans les domaines de l’énergie nucléaire et de la sécurité nationale. Il exercera « des missions d’expertise et de contrôle au profit du gouvernement dans le domaine de la défense ». Dans le domaine des activités nucléaires civiles, il conseillera le gouvernement « notamment sur les enjeux relatifs à la production d’électricité et au cycle du combustible ». Il pourra par ailleurs indiquer au Comité de l’énergie atomique du CEA et à toute autorité administrative compétente « l’orientation générale scientifique et technique qui lui paraît souhaitable ». Enfin, il évaluera chaque année « l’état des activités nucléaires civiles, notamment de production et de recherche, sur les plans technique et scientifique ».

Le HCEA sera saisi pour avis, pour les dispositions qui relèvent de sa compétence, sur la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Il pourra également être saisi par le gouvernement pour rendre un avis sur des projets de textes législatifs ou réglementaires, des projets d’actes de l’Union européenne et des questions relatives aux activités nucléaires civiles.

S’agissant de la désignation du HCEA, la commission mixte paritaire n’a pas souhaité qu’il relève de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution de 1958. Elle a suivi sur ce point l’Assemblée nationale qui, contrairement au Sénat, a considéré que le HCEA, étant placé sous l’autorité hiérarchique directe du gouvernement, ne pouvait voir sa nomination relever de cette procédure. En revanche, le président du conseil d’administration du groupe industriel Orano, spécialisé dans le cycle du combustible nucléaire, sera auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, par les commissions permanentes compétentes des deux assemblées, avant sa nomination par décret du président de la République (art. 17).

III – L’adaptation des règles de la commande publique aux projets nucléaires

La loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 permet la sécurisation des procédures relatives à la commande publique pour les projets nucléaires (A). Elle permet également de renforcer la protection des intérêts fondamentaux de la Nation en matière nucléaire (B). Dans un communiqué commun, les commissions de l’aménagement du territoire et des affaires économiques du Sénat se sont félicitées que « la totalité des apports sénatoriaux [aient] été conservés concernant les règles de la commande publique, dont l’introduction d’un critère de crédibilité des offres et d’une possibilité d’avenants (…) »19.

A – La sécurisation des procédures relatives à la commande publique pour les projets nucléaires

Le texte législatif vient compléter l’arsenal de mesures d’accélération qui ont été prévues par la loi Nouveau nucléaire du 22 juin 2023. Selon l’étude d’impact du projet de loi, « l’ampleur et la longue durée des chantiers, la complexité des projets nucléaires ou encore la nécessité, pour la construction des futurs EPR2, d’opérer selon une logique sérielle, justifie de telles mesures »20.

L’article 22 de la loi du 21 mai 2024 autorise les pouvoirs adjudicateurs – le CEA et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) – et les entités adjudicatrices (le groupe Électricité de France – EDF) à déroger à l’obligation d’allotissement des marchés publics pour différents projets (projets nucléaires concernés par la loi Nouveau nucléaire du 22 juin 2023, certains projets d’installations destinées à la recherche nucléaire ou à la gestion des déchets radioactifs ou des combustibles usés, projets de démantèlement de certaines installations).

D’autre part, le texte sécurise la possibilité de déroger à la durée maximale des accords-cadres prévue par le Code de la commande publique (art. 23). Pour les projets mentionnés à l’article 22 de la loi, les entités adjudicatrices et les pouvoirs adjudicateurs auront la possibilité de déroger à cette durée maximale, pour une durée pouvant égaler celle du projet nucléaire concerné. Cette durée devra être fixée en fonction des aléas inhérents à la réalisation de ce dernier. Ces dispositions, réclamées par les acteurs de la filière nucléaire, « vont dans le sens d’une accélération des projets dans le domaine nucléaire, de la maîtrise de leurs coûts et d’une meilleure visibilité sur les investissements à réaliser »21.

Par ailleurs, pour leur application aux marchés publics relatifs aux différents projets nucléaires visés à l’article 22 de la loi du 21 mai 2024, les critères d’attribution des marchés publics pourront comprendre « la crédibilité des offres des soumissionnaires ou en tenir compte » (art. 24). La crédibilité pourra « notamment s’apprécier de manière non discriminatoire, en fonction de la faisabilité et de la maturité des solutions techniques ou de l’adéquation des délais, des moyens ou des méthodes ».

La loi prévoit également la faculté de recourir à des avenants pour modifier un marché public sans remise en concurrence pour les projets liés à la relance du nucléaire (art. 25). La nécessité des travaux, fournitures ou services supplémentaires, mentionnée à l’article L. 2194-1 du Code de la commande publique, pourra notamment s’apprécier « en fonction de l’évolution de la conception du projet, sous réserve de l’absence de changement de la nature globale du marché (…) et à la condition que le changement de titulaire soit impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment à des exigences d’interchangeabilité ou d’interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants achetés dans le cadre du marché initial ».

B – Les mesures destinées à renforcer la protection des intérêts fondamentaux de la Nation en matière nucléaire

L’article 26 de la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 permet de déroger aux règles de publicité et de mise en concurrence pour la passation de certains marchés publics dans le domaine nucléaire dès lors que la protection des intérêts essentiels de l’État est en jeu. Les marchés publics relatifs aux installations ayant vocation à abriter des matières nucléaires et dont la détention est soumise à autorisation en application du Code de la défense, seront dispensés de l’application des règles du Code de la commande publique (CCP) « lorsqu’ils concernent la conception, la construction, le fonctionnement ou le démantèlement des bâtiments » destinés à recevoir de telles matières. Ces marchés publics pourront également déroger à ces règles lorsqu’ils concerneront « la conception, la qualification, la fabrication, la modification, la maintenance ou le retrait des structures, des équipements, des systèmes, des matériels, des composants ou des logiciels contribuant (…) à la protection contre les actes de malveillance (…) ou à la sûreté nucléaire ».

Les acheteurs publics qui mettront en œuvre la dérogation au CCP prévue par l’article 26 de la loi devront en informer l’État. Le gouvernement rendra compte au Parlement du recours à ces dispositions, dans un rapport remis le 1er janvier 2026 puis tous les quatre ans, « sous réserve des secrets protégés par la loi » (art. 26).

Le législateur a souhaité tirer les conséquences d’évolutions récentes de la jurisprudence qui sont venues confirmer la possibilité de déroger au droit de la commande publique pour certains marchés publics intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles. Ainsi, dans son arrêt rendu le 7 septembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a admis le recours à l’exception tirée de la protection des intérêts essentiels de la Nation pour l’attribution directe des marchés publics portant sur l’impression de documents particulièrement sensibles22. Dans sa décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020 (loi d’accélération et de simplification de l’action publique), le Conseil constitutionnel a également admis la possibilité de déroger aux obligations de publicité et de mise en concurrence en matière de commande publique dès lors qu’un motif d’intérêt général vient le justifier.

En conclusion, il apparaît que la création de l’ASNR, le rattachement du HCEA au Premier ministre et la simplification des règles de la commande publique applicables aux projets nucléaires sont trois réformes importantes qui devraient faciliter la mise en œuvre du programme de relance de la filière nucléaire française.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Loi organique n° 2024-448 du 21 mai 2024, modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010, relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution : JO, 22 mai 2024.
  • 2.
    L’article 13 de la Constitution prévoit que le pouvoir de nomination du président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente de chaque assemblée, pour des emplois et fonctions déterminés par la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010.
  • 3.
    La mention de l’ASN est remplacée par une référence à l’ASNR et la mention de l’IRSN est supprimée du tableau.
  • 4.
    J.-C Zarka, « La loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 et la relance de la filière nucléaire », LPA sept. 2023, n° LPA202m7.
  • 5.
    V. la réponse du Premier ministre à la question écrite n° 7459 du député Patrick Hetzel (AN, n° 31, Q : JO, 1er août 2023).
  • 6.
    Exposé des motifs du projet de loi.
  • 7.
    Compte rendu du conseil des ministres du 20 décembre 2023.
  • 8.
    Exposé des motifs du projet de loi.
  • 9.
    AN, rapp. n° 2305, 7 mars 2024, p. 27.
  • 10.
    J.-L. Fugit, AN, séance publique, 11 mars 2024.
  • 11.
    R. Lescure, AN, séance publique, 11 mars 2024.
  • 12.
    Cons. const., 17 mai 2024, n° 2024-868, cons. 9.
  • 13.
    AN, rapp. n° 2305, 7 mars 2024, p. 35.
  • 14.
    Sénat, rapp. n° 300, 31 janv. 2024, p. 36.
  • 15.
    CMP, rapp. nos 2437 et 504, 3 avr. 2024, p. 9.
  • 16.
    Cons. const., 17 mai 2024, n° 2024-868, cons. 22.
  • 17.
    Étude d’impact du projet de loi, 19 déc. 2023, p. 156.
  • 18.
    Étude d’impact du projet de loi, 19 déc. 2023, p. 156.
  • 19.
    Communiqué de presse, 4 avr. 2024.
  • 20.
    AN, rapp. n° 2305, 7 mars 2024, p. 110.
  • 21.
    AN, rapp. n° 2305, 7 mars 2024, p. 117.
  • 22.
    CJUE, 7 sept. 2023, n° C-601/21, Commission c/ Pologne.
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