La nouvelle directive européenne sur la criminalité environnementale : un espoir pour la préservation de la nature en Europe ?

La directive européenne n° 2024/1203, adoptée le 20 mai 2024, marque une avancée significative dans la lutte contre la criminalité environnementale en renforçant le cadre juridique relatif aux atteintes à l’environnement. Bien que la directive n° 2008/99/CE ait posé les premiers jalons d’une pénalisation des infractions réalisées par ces éco-délinquants, elle n’avait pas permis d’assurer l’harmonisation des législations au sein des États membres sur cette question cruciale, actuelle et d’avenir. C’est dans ce contexte que naît l’idée de mettre en place une nouvelle directive, corrigeant les imperfections de celle de 2008 et bâtissant de solides fondations au droit pénal de l’environnement, à travers la création de nouvelles infractions et le renforcement des peines.
La criminalité environnementale, qui peut se définir par des atteintes graves et volontaires à l’environnement, est la quatrième activité criminelle la plus importante au monde1. Elle doit sa singularité et son impunité à la difficulté pour les différents États de mettre en place une politique pénale adaptée, face à des délinquants animés par l’espoir de générer d’importants profits, tout en sachant qu’ils n’encourent que de modiques sanctions2. D’après un rapport réalisé par Interpol en 2016, la criminalité environnementale rapporterait entre 91 et 258 milliards de dollars alors que les ressources financières allouées aux organisations destinées à lutter contre ces infractions comme Interpol, le PNUE3 ou encore l’OMD4 ne dépassent pas les 30 millions de dollars5.
L’Union européenne impose donc, par le biais de la directive n° 2024/1203, à ses États membres d’inclure la lutte contre les crimes environnementaux dans leur politique pénale, en leur demandant d’harmoniser les différentes législations en vigueur et d’ajouter quelques feuillets relatifs aux atteintes à l’environnement dans leurs codes.
I – L’évolution du cadre répressif de l’UE en matière de criminalité environnementale
Dès 2010, avec l’entrée en vigueur de la directive n° 2008/99/CE, débute timidement la construction d’un édifice répressif sanctionnant les atteintes à l’environnement.
En effet, cette première directive s’attacha à mettre en place et à définir neuf infractions et à obliger les États membres de l’UE à prévoir des sanctions adéquates à l’encontre des éco-délinquants. Parmi les différentes infractions prévues figuraient alors, notamment, l’interdiction du rejet de substances toxiques dans l’air, l’eau, dans les sols ou pouvant appauvrir la couche d’ozone.
Concernant les sanctions, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales, les articles 5 et 7 ne laissaient pour consigne aux États membres que de prévoir des sanctions pénales « effectives, proportionnées et dissuasives ». Le caractère finalement très vague de cette disposition n’a pas permis aux différents États membres de transposer dans leur législation des sanctions suffisamment efficaces et dissuasives.
La difficulté des investigations transfrontalières, des « consignes » peu claires concernant les sanctions et un panel d’infractions trop restreint ont convaincu l’UE de la nécessité de compléter cette première directive. C’est dans ce contexte que la proposition de la Commission européenne du 15 décembre 2021 impulsera à la directive n° 2024/1203, adoptée le 20 mai 2024.
II – Le renforcement des sanctions et la mise en place de nouvelles mesures pour la protection de l’environnement
Parmi les différents apports de cette directive ressort notamment l’actualisation de la liste des infractions. En effet, onze nouvelles infractions, dont le trafic de bois, l’épuisement des ressources en eau, le recyclage illicite de navires ou encore les infractions à la législation sur les produits chimiques, ont été ajoutés aux infractions existantes. En outre, des infractions dites « qualifiées », plus sévèrement sanctionnées parce qu’intentionnelles et entraînant des dommages durables sur l’environnement, s’ajoutent à l’arsenal législatif désormais en place.
De plus, de nouvelles dispositions relatives aux peines ont été prévues. En effet, pour les personnes physiques, l’article 5 de la directive prévoit que les infractions intentionnelles causant le décès d’une personne sont désormais passibles d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins dix ans et que les autres infractions peuvent donner lieu à la mise en place de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Ainsi, la directive donne un cadre plus strict aux États pour réprimer les atteintes à l’environnement.
Concernant les personnes morales, elles s’exposent, quant à elles, au paiement d’amendes allant de 3 % à 5 % du chiffre d’affaires mondial ou un montant fixe entre 24 et 40 millions d’euros. Elles seront également tenues de réparer les dommages causés s’ils sont irréversibles. En outre, des peines complémentaires comme l’obligation de restaurer l’environnement dans un délai donné ont également été mises en place.
Des circonstances aggravantes et atténuantes ont également été conçues. En effet, la directive prévoit une liste de huit circonstances aggravantes parmi lesquelles figure, par exemple, l’hypothèse où l’infraction a causé la destruction d’un écosystème ou a causé des dommages substantiels irréversibles ou durables à un écosystème. Remettre l’environnement dans son état antérieur sans y être contraint ou avant le début de l’enquête pénale ou encore fournir de l’aide aux autorités pour identifier les auteurs de l’infraction ou dans la recherche de preuve, sont les circonstances atténuantes envisagées par la directive en son article 9.
La directive n° 2024/1203 comporte également des dispositions relatives aux délais de prescription afin de permettre aux investigations de se dérouler pendant une période suffisamment longue après l’acte de commission. Cette disposition est primordiale puisqu’elle permet d’encourager la tenue d’enquêtes d’ampleur et de tendre vers une plus grande répression des atteintes à la biodiversité.
Par ailleurs, les articles 19 et 20 de la directive organisent la coordination et la coopération entre les autorités compétentes au sein d’un État membre et entre les États et les différents organes de l’UE. Les différentes autorités d’un même État doivent donc désormais imaginer des mécanismes facilitant l’échange d’informations stratégiques et assister les réseaux européens qui luttent contre les infractions pénales environnementales. Ces dispositions, en tentant d’organiser les échanges entre les différents acteurs, remédient à l’une des faiblesses majeures de la directive de 2008.
Enfin, la directive n° 2024/1203, en son article 14, instaure une véritable protection des lanceurs d’alerte dénonçant les atteintes à l’environnement en demandant aux États membres de soutenir et de protéger toute personne signalant les infractions pénales portant atteinte à l’environnement. La directive, en son préambule, énonce que ces lanceurs d’alerte « fournissent un service d’intérêt public et jouent un rôle essentiel dans la dénonciation et la prévention de ces violations »6.
Ainsi, la directive européenne n° 2024/1203 constitue un véritable tournant dans la lutte contre la criminalité environnementale en Europe. Bien que son succès dépende de sa mise en œuvre et de la volonté des États membres de l’appliquer rigoureusement, cette directive incarne un espoir réel pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre les éco-criminels en Europe. Elle pose ainsi les bases d’un droit pénal de l’environnement plus robuste et efficace, indispensable face aux défis écologiques actuels et futurs.
Notes de bas de pages
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1.
European Union Agency for Criminal Justice Cooperation, Report on Eurojust’s Casework on Environmental Crime, January 2021.
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2.
UNEP, Rapport, Our Planet : Solutions urbaines : Rendre les villes fortes, intelligentes, durables, 17 oct. 2016.
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3.
Programme des Nations unies pour l’environnement.
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4.
Objectif du millénaire pour le développement.
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5.
UNEP, Rapport, Our Planet : Solutions urbaines : Rendre les villes fortes, intelligentes, durables, 17 oct. 2016.
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6.
PE et Cons. UE, dir. n° 2024/1203, 11 avr. 2024, cons. 54.
Référence : AJU015n3
