Le plan local d’urbanisme bioclimatique changera-t-il vraiment Paris ?
Avec la mise en place d’un “Urbascore”, le futur plan local d’urbanisme bioclimatique de la Ville de Paris est censé permettre à la capitale de faire face à la tempête du changement climatique. Il devrait être mis en place dès 2024 et pourrait, peut-être, changer les choses.
En juin 2006, le conseil de Paris frémissait d’une angoisse des grands soirs. Bertrand Delanoë venait de perdre le soutien des élus Verts pour faire voter son plan local d’urbanisme (PLU) déjà fortement contesté par la droite… et qu’il parvenait à faire passer à une très courte majorité. Ce texte cadre détermine les règles d’occupation des sols sur le territoire d’une ville ou d’une intercommunalité. C’est le document que l’on consulte lorsqu’on veut construire ou démolir un bâtiment. Il constitue surtout pour les municipalités un « projet de ville » qui dessine le futur d’une agglomération dépassant le cadre des mandats, pour environ 10 à 15 ans.
À l’époque, le maire, en poste depuis 5 ans, croit que fort de cette victoire, il sera l’édile “le plus innovateur en matière d’architecture” avec un plan d’urbanisme qui accouchera en effet des Halles, du 104, du Velib’, d’Eau de Paris et de Paris Plage, tout en menant la guerre contre l’habitat insalubre, la pollution automobile (réduction de 24 % le nombre d’automobiles en circulations) ou le manque de places en crèche (plus de 7 400 ont été créées pendant son mandat). Des choses qui semblent banales aux habitants d’aujourd’hui mais qui ont été obtenues de haute lutte. Mais c’était sans compter sur l’administration qui l’a suivi et qui est confrontée à bien d’autres défis, qu’elle entend régler avec un nouveau texte.
Diagnostics et concertations au plus près des Parisiens
À l’aune des grands travaux pour Paris 2024 et des défis climatiques qui se font de plus en plus pressants, la mairie de Paris est bien obligée de retravailler à un nouveau PLU pour adapter la capitale à la crise climatique. Une fois rédigé, le document devra être (houleusement) débattu au conseil de Paris, puis contrôlé par le préfet, avant d’être définitivement adopté à la fin de 2023, ou, plus vraisemblablement, au début de 2024.
En 2020 (pourtant l’année du Covid), la mairie a posé la première pierre d’un grand diagnostic – en collaboration avec l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) – pour présenter un état des lieux du territoire, ses atouts, ses contraintes historiques et son évolution depuis la dernière révision du plan local d’urbanisme de 2006. Le résultat, alimenté par les informations de première main des experts et des habitants, est saisissant et est rendu accessible à tous via une carte interactive innovante. En la consultant, on apprend par exemple que l’indice de canopée de la ville est de 18,6 % (les études scientifiques préconisent des indices à 40 voire 60 % en zone urbanisée). Ce qui corrobore des données Treepedia du MIT et du Forum économique mondial datant de 2017, qui placent Paris en queue de peloton des villes arborées, loin derrière Singapour, Sydney, Los Angeles, Tel Aviv ou Turin. On apprend aussi que le VIe arrondissement a vu sa population décroître régulièrement depuis ces dernières années, quand le XIXe l’a vue exploser. Il pourrait même être considéré comme la douzième ville de France avec une densité de 273 habitants par hectare (contre 250 en moyenne) ! On peut connaître tous les grands travaux lancés depuis 2006 arrondissement par arrondissement. Une mine de connaissances bénéfique pour tous les habitants… qui peuvent mieux réfléchir à la ville qu’ils désirent pour l’avenir.
C’est fort de cette base diagnostique, que la mairie a présenté le chantier du futur PLU et lancé en novembre 2021 une concertation citoyenne de grande ampleur. Un gage pour faciliter une meilleure adhésion citoyenne à des changements radicaux. Parmi les préconisations des citoyens on trouv celles-ci : « mettre des emplacements vélos dans les parkings souterrains et à proximité de station RER métro », « couvrir le périphérique avec des espaces verts », « réhabiliter des immeubles de bureaux et construire des résidences étudiantes », « augmenter la surface agricole urbaine ». Pour 94 % des participants au vote, il faut « contraindre à l’utilisation de matériaux écoresponsable dans l’infrastructure urbaine » pour réduire « pollutions sonores, visuelles, environnemental et lumineux ». Ils plaident ainsi pour l’usage de « matériaux locaux qui s’adaptent au climat » lorsqu’il s’agit de constructions neuves. Les sondés n’hésitent pas à se positionner sur des dossiers plus clivants en demandant par exemple l’interdiction pure et simple des deux-roues à moteur thermique dans la capitale pour lutter contre la pollution sonore.
Des propositions qui s’inscrivent bien dans les orientations de la mairie qui entend proposer un « PLU de transformation, plus qu’un PLU de production » selon les termes du premier adjoint en charge de l’Urbanisme, Emmanuel Grégoire, qui a tenu à rassurer tout le monde : l’ambition n’est pas à être dans une révolution type Haussmann « En 2040, 90 % du Paris existant sera toujours là », a-t-il résumé. Car ce PLU sera avant toute chose bioclimatique. En effet, les trois grands axes portés par l’exécutif parisien (améliorer le cadre de vie de tous les Parisiens, réduire les inégalités pour un Paris solidaire, développer la coopération intercommunale et affirmer les fonctions de Paris métropole au cœur de son agglomération) placent la transition écologique « au cœur » du PLU, avec notamment « la nécessité d’adapter Paris au changement climatique » car l’agglomération est menacée par le réchauffement climatique.
En effet, d’ici à 2050, « Les températures moyennes pourraient grimper de +2 °C à +4 °C », a prévenu l’Agence parisienne du climat. Ce qui serait un été normal correspondrait alors à la canicule de 2003, qui a laissé des traces dans les mémoires car Paris avait contribué, à elle seule, pour près de 7,2 % à la mortalité en excès sur la période de la canicule alors que la population parisienne représente seulement 3,7 % de la population française. C’est dire l’urgence qu’il y a à protéger la ville contre les coups de chaleur.
Bioclimatique d’abord, social et patrimonial ensuite
Pour que Paris se fasse plus résiliente, le futur PLU proposera sur le volet bioclimatique d’intensifier une désertification des sols en ramenant plus d’espaces verts dans la ville et donc d’humidité salvatrice (les plantes rejettent 95 % de l’eau qu’elles consomment, ce qui rafraîchit l’atmosphère). Depuis 2006, 30 hectares ont été artificialisés contre 70 hectares d’espaces verts créés. Un ratio qui devrait augmenter encore, en faveur de la nature. La rénovation énergétique des logements et des bâtiments sera toujours prioritaire : depuis 2010, 5 000 logements sociaux et bâtiments publics sont rénovés chaque année pour un coût de 140 millions d’euros chaque année pour la ville. “Nous avons déjà financé près de 55 000 logements, en comptant ceux où le chantier est en cours », a estimé Jacques Baudrier, adjoint chargé de la construction publique auprès de nos confrères du Parisien.
L’exécutif entrevoit aussi la possibilité, avec ce futur PLU, de proposer une meilleure mixité sociale dans une ville qui n’est pas vraiment experte en la matière. Alors que la loi égalité et citoyenneté de 2017 proposait à Paris de « casser l’apartheid social en matière de logement », comme avait expliqué le Premier ministre d’alors, Manuel Valls, il n’en fut rien : sur les 23 332 logements attribués en trois ans hors des quartiers pauvres, seuls 2 234, soit moins de 10 %, avaient été confiés à des ménages disposant des revenus les plus modestes. Un résultat « nettement en deçà des exigences de la loi (qui visait les 25 %) », avaient constaté en 2020 les experts de l’Apur. Pour autant la mairie actuelle le promet, ce PLU pourrait être la bonne, avec « la possibilité d’offrir un logement de qualité à chacun » afin de « défendre le modèle de mixité sociale à Paris, unique au monde » comme l’a expliqué Emmanuel Grégoire. L’élu entend aussi faire la guerre, grâce à ce PLU aux meublés touristiques vidant la ville de ses habitants et de ses commerces.
Un système de notation novateur… qui condamne certains projets
Pour faire passer un changement radical, rien de tel qu’une politique de bons et mauvais points et la ville de Paris entend proposer un dispositif innovant appelé pour l’instant : « UrbaScore », en référence au Nutri-Score, pour valider les futurs projets immobiliers dans la capitale. Concrètement, le promoteur devra démontrer que son projet « contribue à rendre Paris plus viable et plus résiliente » à travers une grille d’évaluation remplie par la ville, préalable à la délivrance du permis de construire. Le but est de favoriser les initiatives particulièrement vertueuses sur les plans de la résilience climatique et de l’inclusion sociale. « Pour obtenir leur permis de construire, les porteurs de projet devront non seulement atteindre les seuils réglementaires du futur PLU sur l’ensemble des critères, mais aussi surperformer, c’est-à-dire dépasser le niveau de référence pour au moins trois indicateurs de deux thématiques différentes », a exposé Emmanuel Grégoire qui a d’ores et déjà annoncé des voies de sortie pour les promoteurs qui ne parviendraient à montrer patte blanche. Il pourra ainsi « s’engager en parallèle à cofinancer la rénovation thermique d’un bâtiment ».
Cette annonce, certaines personnes s’en sont d’ores et déjà saisies pour tenter de bloquer certains projets censés voir le jour après sa mise en place. Le maire du XVe arrondissement Philippe Goujon (LR), par exemple, utilise le PLU pour s’attaquer à Anne Hidalgo. Selon lui, le projet tant attendu de la Tour Triangle, un ensemble de bureaux et de logements pharaonique (15 000 tonnes de béton, de verre et d’acier) dont la construction a commencé en février, Porte de Versailles, et qui selon l’élu « ne répond plus aux besoins des entreprises que la crise du Covid-19 et le développement du télétravail amènent à repenser ». La question de la Tour Triangle agite la rentrée au conseil de Paris de l’ex-candidate à la présidentielle, qui soutient mordicus le projet. Le bailleur, le géant des centres commerciaux Unibail-Rodamco-Westfield (URW) qui sera propriétaire pendant 80 ans, a annoncé, quant à lui, que le chantier avec le soutien financier de l’assureur Axa, s’achèvera à l’horizon 2026 soit deux ans après la mise en place du nouveau PLU. Une aberration qui donne du grain à moudre à certains esprits circonspects face à la communication de la mairie sur le PLU bioclimatique.
Dans une tribune du Monde publiée en novembre, le géographe Guy Burgel craint que les annonces de ce PLU révolutionnaires ne restent que des vœux pieux et que la mairie ne cède finalement qu’aux sirènes de la rentabilité. “Qui serait contre une « ville inclusive et solidaire », « durable et vertueuse », « attractive et productive », offrant « un logement de qualité pour toutes et tous » (entendons couches moyennes et populaires), permettant au surplus le développement d’une « agriculture urbaine », le tout dans une densification maîtrisée, maintenant ou restaurant des « respirations » nécessaires dans le tissu des quartiers ? Quand on sait que la capitale a gagné environ 3 millions de mètres carrés construits de 2006 à 2020, tout en perdant quelques dizaines de milliers d’habitants, et que le renchérissement des prix immobiliers n’a pourtant cessé de s’affirmer, on ne comprend pas par quel coup de baguette magique, ces objectifs idéaux deviendraient soudain accessibles”, s’interrogeait-il. ON espère que la suite des événements lui donnera tort.
Référence : AJU005d1