L’enquête en droit pénal de l’environnement : enjeux, avancées et défis

Publié le 20/01/2025
L’enquête en droit pénal de l’environnement : enjeux, avancées et défis
Sergii Pavlovskyi/AdobeStock

De la multiplication des atteintes à l’environnement est née la nécessité de renforcer l’efficacité de l’enquête et d’adapter le droit pénal. En 2023, le décret n° 2023-187 modifiant le statut d’agent de l’environnement en officier judiciaire de l’environnement et la circulaire du garde des Sceaux encourageant les juges à constater la circonstance aggravante de bande organisée et leur permettant ainsi de recourir aux techniques spéciales d’enquêtes ont constitué de premières avancées. Cependant, la disparité des pouvoirs entre les agents intervenant en milieu rural et les nombreuses conditions de régularité des procès-verbaux rendent le déroulement de l’enquête en droit pénal de l’environnement toujours périlleuse.

D’après le rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François Molins, le contentieux environnemental ne constitue qu’entre 0,5 et 1 % des affaires traitées par les juridictions pénales en France. Les atteintes à l’environnement peinent à être réparées puisqu’elles peinent à être constatées. En effet, le droit pénal environnemental se heurte à plusieurs obstacles, tant sur le plan des moyens alloués que des conditions de constatation des atteintes. Malgré la mobilisation de nombreux agents sur le terrain, la disparité des pouvoirs d’enquête, les défis liés à la recherche de preuves et les difficultés d’identification des auteurs limitent considérablement l’efficacité des enquêtes.

Malgré de récentes avancées législatives et réglementaires, le défi persiste : mener des enquêtes plus complètes pour renforcer la protection de notre patrimoine naturel et garantir des réparations écologiques proportionnées aux dommages subis.

I – La disparité des pouvoirs des agents

Les agents, listés à l’article L. 172-4 du Code de l’environnement, pouvant constater des atteintes à l’environnement sont nombreux. Cependant, tous ne sont pas pourvus des mêmes pouvoirs en matière d’enquête, ce qui limite considérablement la constatation des infractions et la collecte de preuves.

En effet, les gendarmes, intervenant dans près de 95 % des communes1, peuvent être dotés de la qualité d’officier de police judiciaire et donc réaliser tous les actes d’enquête prévus par le Code de procédure pénale en son livre premier. Ainsi, ils peuvent contribuer efficacement à la lutte contre les atteintes environnementales.

À l’inverse, d’après l’article 78-6 du Code de procédure pénale, les 27 0002 policiers municipaux ne peuvent que relever l’identité des contrevenants, réaliser des palpations de sécurité, qui ne sont que des mesures de prévention administratives et des inspections visuelles des bagages. Ainsi, la faible étendue des pouvoirs de ces agents pourtant nombreux ne permet pas aux infractions environnementales d’être constatée rapidement ni efficacement.

Toutefois, depuis le décret n° 2023-187 du 17 mars 2023, les officiers judiciaires de l’environnement (OJE) – anciennement inspecteurs de l’environnement – disposent de prérogatives similaires à celles des officiers de police judiciaire mais dans le strict périmètre de l’eau, de la nature, des déchets et installations classées3. Ces agents peuvent agir sur réquisition du procureur de la République ou commissionnement du juge d’instruction et, dans ce cadre, ils peuvent recevoir les plaintes4, placer des individus en garde à vue5 ou encore réaliser des perquisitions6.

De plus, la circulaire du garde des Sceaux du 9 octobre 2023 permet aux agents de terrain de contribuer à la réalisation des actes d’enquêtes menées par les agents habilités. En effet, elle encourage le recours à la co-saisine, prévu à l’article 28 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire l’action commune d’enquêteurs de police ou de gendarmerie avec des agents de terrains, qui pourront leur apporter une expertise environnementale. Inversement, ces agents peuvent également, depuis la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, assister les enquêteurs dans l’accomplissement de certains actes, notamment au cours des auditions ou des perquisitions.

Ainsi, de nombreux agents sont habilités à constater et à enquêter sur les atteintes à l’environnement, et ceux dont les prérogatives sont plus limitées peuvent apporter leur expertise environnementale aux agents compétents.

II – Les difficultés liées à l’identification des auteurs et au régime de la preuve

La recherche de la preuve est un défi majeur pour le droit pénal de l’environnement, en raison des spécificités de ces infractions.

En effet, les agents de police rencontrent des difficultés à relever les atteintes à l’environnement, car celles-ci ne sont pas toujours immédiatement perceptibles, étant le plus souvent commises dans des zones rurales isolées, difficiles d’accès et peu surveillées. De plus, il peut s’écouler de nombreux mois avant que ces infractions ne soient perceptibles, notamment lorsque les produits toxiques ont été déversés et ont anéanti les cultures d’une parcelle.

En outre, la circulaire du 9 octobre 2023, en incitant les juges à retenir le plus souvent la circonstance aggravante de « bande organisée », permet de rendre la recherche de preuves plus efficace. En effet, les enquêteurs peuvent, dès lors, utiliser les techniques spéciales d’enquête prévues aux articles 706-73 et suivants du Code de procédure pénale. Ainsi, les policiers peuvent mener des opérations d’infiltration, de surveillance ou encore intercepter les correspondances des différents acteurs d’un trafic de déchets organisé7 et international par exemple.

Concernant l’identification des auteurs, ces infractions étant le plus souvent « dissimulées »8, les auteurs sont difficiles à identifier, la responsabilité de chacun est rarement engagée et donc l’environnement peine à être « réparé ». En effet, en principe, au visa de l’article 121-1 du Code pénal, le principe de responsabilité pénale personnelle exige de pouvoir relier le fait constitutif de l’infraction et son auteur, afin que ce dernier puisse être sanctionné.

Cependant, le législateur a trouvé une solution pour pallier cette difficulté en adoptant une conception large du principe de responsabilité personnelle et en attitrant certains délits à des personnes en raison de leur fonction9. Ainsi, l’article L. 541-48 du Code de l’environnement prévoit que certaines infractions comme l’abandon et l’exportation de déchets10, soient imputables à toutes les personnes « chargées à un titre quelconque de la direction, de la gestion ou de l’administration de toute entreprise ou établissement, ont sciemment laissé méconnaître par toute personne relevant de leur autorité ou de leur contrôle les dispositions énoncées11 ».

Concernant le régime des preuves, la liberté demeure comme principe mais avec la particularité d’exiger la régularité des procès-verbaux (PV), à peine de nullité12. Comme l’explique Jean-Christophe Saint-Pau13, les agents verbalisateurs, outre la nécessaire compétence territoriale des agents, doivent appartenir à l’une des neuf catégories d’agents désignés par le Code de l’environnement. Si tel n’est pas le cas, le PV perdra sa valeur et ne vaudra que simple renseignement14. Enfin, sur le contenu des PV, les agents doivent y mentionner leurs noms, leurs qualités, le port de l’uniforme et une signature, à peine de nullité.

Le droit pénal de l’environnement fait donc face à des obstacles majeurs pour prouver et imputer les infractions, souvent difficiles à constater et à relier aux auteurs. Malgré des avancées récentes, comme le renforcement des pouvoirs des OJE, l’incitation à l’utilisation des techniques spéciales d’enquête et à la co-saisine, de trop nombreuses atteintes à l’environnement peinent à être identifiées. Le renforcement des pouvoirs de certains agents permettrait de mieux protéger l’environnement et d’assurer la réparation des dommages écologiques.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, inGendarmerie nationale, « La gendarmerie nationale en 10 chiffres clés », 2024, p. 6 : https://lext.so/CvOZDi.
  • 2.
    Ministère de l’Intérieur, « Police municipale : effectifs par commune », 2024 : https://lext.so/K03hSj.
  • 3.
    C. envir., art. L. 172-1.
  • 4.
    CPP, art. 17.
  • 5.
    CPP, art. 62-2.
  • 6.
    CPP, art. 18.
  • 7.
    C. envir., art. L. 415-3.
  • 8.
    CPP, art. 9-1, al. 4.
  • 9.
    J. -C. Saint-Pau, « Le régime des preuves en droit pénal de l’environnement », Énergie – Env. – Infrastr. 2017, dossier 34.
  • 10.
    C. envir., art. L. 541-46.
  • 11.
    C. envir., art. L. 541-48.
  • 12.
    CPP, art. 429.
  • 13.
    J. -C. Saint-Pau, « Le régime des preuves en droit pénal de l’environnement », Énergie – Env. – Infrastr. 2017, dossier 34.
  • 14.
    CPP, art. 40.
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