Les produits issus de la mutagenèse aléatoire ne sont pas des OGM au sens de la directive n° 2001/18

Publié le 14/06/2023
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Dans son deuxième arrêt rendu à la suite d’une saisine du Conseil d’État dans le conflit opposant plusieurs associations anti-OGM au gouvernement français, la Cour de justice de l’Union européenne a conclu, le 7 février 2023, que les plantes issues de techniques de mutagenèse aléatoire ne constituaient pas des organismes génétiquement modifiés au sens de la directive n° 2001/18, peu importe que la mutagenèse soit pratiquée in vivo ou in vitro.

Les justifications retenues pour aboutir à cette conclusion sont à la fois d’ordre scientifique et d’ordre juridique. Scientifique, car la mutagenèse aléatoire in vitro ne constitue qu’une évolution de la mutagenèse aléatoire in vivo, les mutants qui résultent de l’une ou l’autre technique étant indifférenciables. Juridique, car l’objectif d’harmonisation poursuivi par la directive est incompatible avec des interprétations qui seraient propres à chaque État membre. De plus, l’objet même de la directive est d’assurer la sécurité des organismes génétiquement modifiés qui sont mis sur le marché européen et non de réglementer les techniques utilisées pour générer ces organismes.

Il faut souhaiter que le projet de réglementation qui doit être présenté courant 2023 par la Commission européenne règle définitivement la question de l’évaluation des organismes génétiquement modifiés en mettant l’accent sur le produit lui-même et non sur la technique ayant conduit à son obtention.

CJUE, 7 févr. 2023, no C‑688/21

Le 7 février 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt1 dans lequel elle conclut que les plantes obtenues par mutagenèse aléatoire in vitro ne constituent pas des organismes génétiquement modifiés (OGM) au sens de la directive n° 2001/182 et doivent donc être exclues de son champ d’application.

Cette décision devrait logiquement mettre un terme au conflit opposant plusieurs associations anti-OGM à l’État français sur le point de savoir si la mutagenèse relève ou non de la directive n° 2001/18. Ces associations avaient demandé au Premier ministre l’abrogation de l’article D. 531-2 du Code de l’environnement et la mise en place d’un moratoire sur les variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides et obtenues par mutagenèse, demande à laquelle il n’a pas été donné suite. Elles ont alors saisi le Conseil d’État par une requête du 12 mars 2015, lui demandant d’annuler la décision implicite de refus du Premier ministre.

En octobre 2016, le Conseil d’État français a adressé à la CJUE quatre questions préjudicielles concernant la question de savoir si les organismes obtenus par des techniques de mutagenèse dirigée constituaient ou non des OGM au sens de la directive n° 2001/18, dite directive OGM.

Dans son arrêt du 25 juillet 20183, la CJUE a jugé que seuls les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps sont exclues du champ d’application de la directive OGM. En revanche, ne doivent pas être exclues de l’application de cette directive les méthodes/techniques de mutagenèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de ce texte, et dont fait partie la mutagenèse ciblée4.

À la suite de cette décision, le Conseil d’État a, par un arrêt du 7 février 20205, annulé la décision implicite de refus du Premier ministre et enjoint à celui-ci de fixer, dans un délai de six mois après la notification de la décision, la liste limitative des techniques/méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Dans sa décision, le Conseil d’État a estimé que tant les techniques/méthodes dites « dirigées » ou « d’édition du génome » que les techniques de « mutagenèse aléatoire in vitro » sont apparues ou se sont principalement développées postérieurement à cette date et que, de ce fait, elles devaient être soumises aux obligations imposées par la directive.

En vue d’exécuter cette injonction, le gouvernement français a élaboré un projet de décret relatif à la modification de la liste des techniques d’obtention d’OGM ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement, au sens de l’article L. 531-2 du Code de l’environnement. Ce projet de décret prévoyait que la mutagenèse aléatoire, à l’exception de la mutagenèse aléatoire in vitro, devait être regardée comme relevant d’une telle utilisation. Le projet de décret prévoyait également la suppression des variétés obtenues par mutagenèse in vitro du catalogue officiel français des variétés végétales.

Le projet de décret ayant été notifié à la Commission européenne, celle-ci a rendu un avis circonstancié6 dans lequel elle émet de très fortes réserves quant à la justification de la distinction entre mutagenèse aléatoire in vitro et in vivo. L’émission d’un avis circonstancié entraîne, pour l’État membre qui a notifié le projet, l’obligation de reporter son adoption de six mois à compter de la date de sa communication. L’injonction n’ayant pas été respectée dans le délai de six mois, faute de validation du projet de décret au niveau européen, les associations ont demandé au Conseil d’État, par requête du 12 octobre 2020, d’assurer l’exécution de sa décision de février 2020.

Suite à cette seconde saisine, le Conseil d’État a estimé que, afin de déterminer quelles techniques de mutagenèse sont exclues de l’application de la directive n° 2001/18 deux approches sont possibles : selon une première approche, il convient de ne tenir compte que du processus par lequel le matériel génétique est modifié ; selon une seconde approche, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des incidences du procédé utilisé sur l’organisme, dès lors qu’elles sont susceptibles d’affecter la santé humaine ou l’environnement, y compris celles susceptibles de produire des variations somaclonales. Si cette seconde approche devait être retenue, le Conseil d’État considère qu’il conviendrait de préciser les éléments qui présentent une pertinence en vue d’évaluer si la sécurité d’une technique/méthode est avérée depuis longtemps. Il a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE deux questions préjudicielles le 17 novembre 20217, questions qui ont été reformulées par l’avocat général de façon à n’en faire qu’une seule : « L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18, lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de cette directive, à la lumière du considérant 17 de celle-ci, doit-il être interprété en ce sens que la mutagenèse aléatoire appliquée in vitro relève de l’annexe I B, point 1, de ladite directive ? »8.

Les justifications apportées par la CJUE pour exclure la mutagenèse aléatoire in vitro du champ d’application de la directive n° 2001/18 sont à la fois de nature scientifique (I) et de nature juridique (II).

I – Une exclusion de la directive fondée sur des arguments scientifiques

La mutagenèse est le processus d’apparition d’une mutation dans un organisme. Il peut être naturel (mutation spontanée dans la nature) ou artificiel, par exposition de l’ADN à un agent mutagène (radiations ou substances chimiques par exemple). Les mutations ainsi provoquées ont, comme dans la nature, un caractère fortuit, d’où son nom de mutagenèse aléatoire, également nommée mutagenèse traditionnelle. Les mutations observées peuvent être neutres, nuisibles ou bénéfiques, en procurant un avantage à l’organisme concerné. La mutagenèse n’aboutit pas à l’insertion d’ADN étranger dans l’organisme cible, contrairement à la transgenèse9, ce qui explique leur différence de traitement dans la directive.

La mutagenèse aléatoire a d’abord été pratiquée sur les plantes entières ou sur des parties de plantes (mutagenèse in vivo). Les progrès technologiques aidant, la mutagenèse aléatoire a été appliquée à des cultures in vitro d’organes, de tissus, d’amas de cellules indifférenciées, de cellules isolées et de protoplastes10. La culture in vitro permet de reconstituer une plante entière à partir du matériel végétal cultivé, mais il faut ensuite sélectionner les mutations les plus intéressantes.

La mutagenèse aléatoire se distingue de la mutagenèse dirigée, également désignée par l’expression « édition du génome », en ce que celle-ci permet de provoquer des mutations ciblées sur un gène spécifique avec pour objectif d’aboutir directement aux modifications souhaitées, sans recourir ensuite à la sélection. La mutation perd alors son caractère aléatoire.

Les associations requérantes soutenaient qu’il convenait de distinguer la mutagenèse in vivo et la mutagenèse in vitro au motif que, non seulement les agents mutagènes opèrent différemment lorsqu’ils sont appliqués à des cellules isolées ou à des plantes entières, mais également que la culture in vitro en elle-même et la régénération des cellules ainsi cultivées en plantes induisent des modifications génétiques additionnelles, nommées « variations somaclonales ». Selon les demandeurs, ces modifications doivent être prises en compte dans l’évaluation de l’impact de la méthode de la mutagenèse in vitro, car elles comportent des risques potentiels pour la santé humaine et pour l’environnement, sans vraiment préciser lesquels.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive exclut notamment de son champ d’application les produits obtenus par des techniques/méthodes énumérées à l’annexe I B, à savoir la mutagenèse et la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) dès lors qu’elles n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant. Cette exclusion s’explique par le fait que ces techniques étaient déjà utilisées lors de l’adoption de la directive et considérées comme suffisamment sûres. Le considérant 17 précise en effet que « la (…) directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Or, la mutagenèse aléatoire in vitro (A) tout comme les variations somaclonales (B) étaient déjà connues lors de l’adoption de la directive.

A – La mutagenèse aléatoire in vitro, une technique ancienne

Le Conseil d’État estimait, dans ses différentes décisions, qu’aucune technique de mutagenèse aléatoire in vitro n’avait été appliquée avant l’adoption de la directive n° 2001/18, affirmation réfutée par la Commission dans son avis circonstancié. Celle-ci démontre en effet que la mutagenèse in vitro représentait une technique bien connue de sélection des végétaux avant l’adoption de la directive et que des informations concernant la sécurité des plantes issues de la mutagenèse in vitro étaient déjà disponibles en 200111.

À la suite de la notification des projets de réglementation français, la Commission a sollicité l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)12 concernant la mutagenèse aléatoire in vitro. Dans son rapport final13, le groupe scientifique des OGM a estimé que toutes les techniques de mutagenèse aléatoire peuvent être appliquées aussi bien in vivo qu’in vitro, même si la dose de l’agent mutagène ou le temps d’exposition à celui-ci peuvent varier. Les mécanismes moléculaires qui participent de la mutagenèse aléatoire induite seraient les mêmes que dans le cas des mutations spontanées. Ces mécanismes intervenant au niveau de la cellule, il serait indifférent que l’agent mutagène agisse sur une cellule isolée, un tissu cultivé in vitro ou sur la partie d’une plante in vivo. Pour cette raison, les types de mutations résultant de la mutagenèse aléatoire in vitro et in vivo seraient également les mêmes14.

La mutagenèse in vitro ne constitue qu’une simple évolution de la mutagenèse in vivo15.

De plus, tant la décision du Conseil d’État du 7 février 2020 que le projet de décret qui a suivi font référence aux organismes obtenus à l’aide de la mutagenèse aléatoire in vitro « consistant à soumettre les cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes ». Cette définition de la mutagenèse in vitro est à la fois étroite et imprécise. La notion de cellules végétales en particulier est imprécise, car la mutagenèse in vitro peut être pratiquée sur des cellules isolées, mais également sur d’autres entités comme les protoplastes, le cal ou les tissus. Cette imprécision a d’ailleurs été relevée par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) dans son avis16 ainsi que par l’avocat général dans ses conclusions17. Or, les termes utilisés ont une importance dans la mesure où l’évaluation de la sécurité de la mutagenèse in vitro selon les critères établis par la CJUE dans son arrêt de 2018 peut donner des résultats différents selon l’entité soumise à la culture in vitro.

B – Les variations somaclonales dans la mutagenèse aléatoire in vitro

Concernant les variations somaclonales, l’EFSA considère qu’elles représentent un mécanisme propre à la culture in vitro elle-même, celui-ci peut notamment être mis à profit dans le processus de la mutagenèse en ce qu’il provoque des mutations additionnelles parmi lesquelles la mutation recherchée peut être ensuite sélectionnée18.

Depuis les années 1970, la variation somaclonale est connue comme un phénomène commun à de nombreuses techniques de sélection, y compris les méthodes de culture conventionnelles, pouvant d’ailleurs inclure des étapes in vitro. Elle n’est pas spécifique à la mutagenèse en général ou à certaines de ses variantes19. La variation somaclonale est également associée à certaines techniques de production d’organismes exclues du champ d’application de la directive n° 2001/18, à savoir la fusion cellulaire de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles20.

Les spécificités de la culture par mutagenèse aléatoire in vitro, y compris l’apparition des variations somaclonales, n’ont pas d’impact sur l’identité des résultats d’une mutagenèse aléatoire, qu’elle soit appliquée in vivo ou in vitro. L’EFSA précise d’ailleurs que les variétés issues de la mutagenèse aléatoire in vivo et in vitro présentent les mêmes mutations et que les mutants qui en résultent seront indiscernables21.

L’avis rendu en juin 2020 par le HCB rejoint les conclusions de l’EFSA22. Le comité scientifique du HCB « n’identifie pas de différences biochimiques entre les mutations, qu’elles soient obtenues par mutagenèse aléatoire in vitro, in vivo, ou spontanément, sur cellules isolées ou entités pluricellulaires. Il n’y a pas non plus de différences entre les phénotypes induits par ces techniques. Seules leur probabilité d’obtention et leur facilité de sélection varient ».

Tant le rapport de l’EFSA que l’avis du HCB indiquent que les variations somaclonales peuvent intervenir indépendamment de tout agent mutagène, mais que les modifications qu’elles provoquent sont de même nature que celles découlant de la mutagenèse induite ainsi que des mutations spontanées. Plus généralement, l’EFSA et le HCB concluent que la distinction entre les plantes obtenues par mutagenèse in vivo et in vitro n’est pas justifiée.

L’exclusion de la mutagenèse aléatoire, qu’elle soit in vivo ou in vitro, de la directive n° 2001/18 procède également d’arguments juridiques.

II – Une exclusion de la directive fondée sur des arguments de nature juridique

Dès lors que la distinction entre la mutagenèse aléatoire in vivo et la mutagenèse aléatoire in vitro n’est pas scientifiquement justifiée, cette distinction n’a pas non plus lieu d’être juridiquement. L’exclusion des produits issus de la mutagenèse aléatoire in vitro du champ de la directive OGM tient à la fois de l’objectif d’harmonisation de la directive (A) et d’une bonne application du principe de précaution (B).

A – Une approche harmonisée des OGM

L’objectif de la directive n° 2001/18 est clairement affirmé dans son article premier : il s’agit de protéger la santé humaine et l’environnement lorsque des OGM sont volontairement disséminés dans l’environnement ou mis sur le marché de l’Union européenne (UE) en tant que produits ou éléments de produits. À cet effet, elle établit une procédure harmonisée d’autorisation de la dissémination dans l’environnement d’organismes obtenus par modification génétique23. La directive n° 2001/18 visait principalement à encadrer les produits issus des techniques de transgenèse et ne pouvait envisager les nouvelles méthodes de modification du génome qui se sont développées dans les deux décennies ayant suivi son adoption. C’est pourquoi les techniques qui n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant sont exclues de son champ d’application, comme ne générant pas d’OGM.

Dans sa décision de 2018, la CJUE a soumis l’exclusion de la mutagenèse de la directive n° 2001/18 à deux conditions cumulatives : les méthodes de mutagenèse doivent être « traditionnellement utilisées pour diverses applications » et leur sécurité doit être « avérée depuis longtemps », excluant de ce fait les méthodes de mutagenèse « qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de ladite directive »24. Dans sa décision de 2020, le Conseil d’État a ajouté deux critères d’appréciation supplémentaires : le caractère des variations induites de l’organisme et les données scientifiques à retenir pour apprécier si une technique/méthode de modification génétique a été traditionnellement utilisée pour diverses applications et si sa sécurité est avérée depuis longtemps.

Or, l’appréciation de la « sécurité avérée depuis longtemps » des techniques utilisées dépend de facteurs dont la détermination peut présenter un caractère subjectif. Par exemple, quelle durée faut-il retenir pour considérer que l’adverbe « longtemps » est respecté : 10 ans, 20 ans, davantage ? Quelles données scientifiques faut-il prendre en considération pour affirmer que la « sécurité est avérée » ?

L’objectif d’harmonisation poursuivi par la directive n° 2001/18 et l’uniformité de son interprétation seraient remis en cause si les autorités nationales avaient la possibilité de décider quelle technique/méthode de modification génétique a été traditionnellement utilisée pour diverses applications et si sa sécurité est avérée depuis longtemps en appliquant des critères propres à chaque État membre.

Cela est d’autant plus vrai que, si le projet de décret français avait été autorisé, il aurait conduit à remettre en cause rétroactivement la commercialisation de variétés végétales issues d’une mutagenèse aléatoire in vitro et déjà inscrites au catalogue national25. Or, la radiation du catalogue français aurait entraîné la suppression de l’inscription au catalogue commun de l’UE seulement si la France était le seul État membre à avoir notifié les variétés et si les motifs de suppression étaient justifiés. Si les variétés concernées étaient enregistrées dans le catalogue national d’un autre État membre, elles ne pourraient alors pas être radiées du catalogue commun. Cela aboutirait donc à permettre leur libre circulation sur le territoire de l’UE, hormis le territoire français, et conduirait à une application différente des règles d’enregistrement des variétés. La remise en cause rétroactive de l’enregistrement de variétés au catalogue national aurait également un impact sur la commercialisation des semences, l’examen des variétés ou l’utilisation de certaines plantes dans l’agriculture biologique26. De telles décisions nationales iraient clairement à l’encontre de la volonté d’harmonisation poursuivie par la directive.

La bonne application du principe de précaution devait également conduire à l’exclusion de la mutagenèse aléatoire in vitro de la directive OGM.

B – Du bon usage du principe de précaution

La directive n° 2001/18 porte sur les « organismes génétiquement modifiés » volontairement disséminés ou mis sur le marché de l’UE. L’article premier de ce texte rappelle quant à lui qu’il convient d’appliquer le principe de précaution « lorsque l’on procède à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement à toute autre fin que la mise sur le marché à l’intérieur de la Communauté [et] lorsque l’on place sur le marché à l’intérieur de la Communauté des organismes génétiquement modifiés en tant que produits ou éléments de produits ». L’objet de ce texte est bien l’organisme lui-même et non la technique par laquelle il est obtenu. Or, le contenu de la directive est parfois ambigu et fait référence à plusieurs reprises à la fois au procédé utilisé et au produit issu de ce procédé. Le considérant 17 en est une illustration lorsqu’il mentionne « les techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps », formule qui a été reprise par la CJUE dans son arrêt de 2018. L’article 3, paragraphe 1, de la directive fait également référence à la technique utilisée pour exclure les organismes obtenus par mutagenèse aléatoire du champ de la directive.

Cette confusion entre technique et produit de la technique participe des difficultés d’application de la directive en raison des interprétations qui peuvent en être faites. Ce sont les caractéristiques du produit final, qui sera disséminé ou commercialisé, qui doivent être évaluées et non la technique utilisée pour générer ce produit.

Le principe de précaution vise à garantir la sécurité du produit peu importe son mode de production. Une interprétation différente aurait pour conséquence que des réglementations autres pourraient être appliquées à des produits identiques. Ainsi, une plante issue de la mutagenèse aléatoire in vivo serait exclue de l’évaluation prévue par la directive n° 2001/18, alors qu’une plante issue de la mutagenèse aléatoire in vitro, dont les caractéristiques seraient les mêmes, serait qualifiée d’OGM et relèverait de la directive.

L’identité de ces organismes, qu’ils soient produits par mutagenèse aléatoire in vivo ou in vitro, ne peut donc justifier un traitement différent des méthodes utilisées pour leur obtention puisque celles-ci aboutissent au même résultat, et c’est bien à cette conclusion qu’est parvenue la CJUE27.

L’exclusion des plantes obtenues par mutagenèse aléatoire du champ d’application de la directive n° 2001/18 connaît cependant des limites fixées par la CJUE.

L’exemption d’évaluation des risques pour les plantes obtenues par mutagenèse aléatoire suppose l’application du double critère de l’utilisation traditionnelle pour diverses applications et de la sécurité avérée. L’application de ce double critère permet de s’assurer que les organismes obtenus par cette technique/méthode peuvent être disséminés dans l’environnement ou mis sur le marché à l’intérieur de l’UE sans que cela ne présente de risques particuliers pour la santé humaine ou l’environnement28. Toutefois, la CJUE considère que l’exemption d’application de la directive n° 2001/18 ne doit pas être systématiquement étendue à l’ensemble des produits obtenus par mutagenèse aléatoire mais doit tenir compte des effets éventuels de l’évolution de la technique. La Cour observe que, si la mutagenèse aléatoire in vitro et in vivo sont fondées sur les mêmes modalités de modification, par l’agent mutagène du matériel génétique de l’organisme concerné, les organismes obtenus par application de la mutagenèse aléatoire in vitro pourraient présenter des modifications génétiques qui diffèrent de celles produites par la mutagenèse aléatoire in vivo en raison des caractéristiques diverses des deux techniques. La CJUE mentionne notamment le fait que des modifications génétiques de l’organisme obtenu par mutagenèse aléatoire in vitro puissent se distinguer par leur nature ou par le rythme auquel elles se produisent, par rapport à celles obtenues par mutagenèse aléatoire in vivo29.

Une évaluation des effets de la mutagenèse aléatoire in vitro devra donc être faite au cas par cas si de telles modifications sont constatées.

Dès lors, les plantes obtenues par mutagenèse aléatoire in vitro demeurent en dehors du champ d’application de la directive n° 2001/18 et ne doivent pas être considérées comme des OGM lorsqu’il est établi que les caractéristiques de cette technique de mutagenèse ne sont pas susceptibles d’entraîner des modifications du matériel génétique de l’organisme concerné différentes de celles de la mutagenèse aléatoire in vivo par leur nature ou par le rythme auquel elles se produisent30. Il n’est pas certain que cette interprétation éclaire les professionnels du secteur et participe à la sécurité juridique nécessaire à toute activité économique.

À la suite de l’arrêt de la CJUE du 25 juillet 2018, une réflexion sur le statut des techniques d’édition du génome et leur articulation avec ladite directive a été entamée au niveau européen. En 2021, avec la publication d’un rapport sur le statut des nouvelles techniques génomiques, la Commission européenne a entamé une procédure pour faire évoluer la réglementation. Une consultation publique ayant eu lieu entre avril et juillet 2022 montre que 80 % des participants se prononcent en faveur de la révision de la réglementation européenne alors que 17 % se disent favorables au maintien de la réglementation actuelle31. La Commission devrait proposer au Parlement européen un projet de modification de la directive dans le courant du deuxième trimestre 2023.

On ne peut qu’espérer que le nouveau texte fera prévaloir une évaluation des organismes obtenus fondée sur le produit final et non sur la technique utilisée, comme le réclame la communauté scientifique depuis plusieurs années32. Le principe de précaution qui sous-tend la directive OGM suppose que ce soit le produit final lui-même qui présente des conditions de sécurité suffisantes, peu importe la technique utilisée pour générer ce produit. Cela est d’autant plus vrai qu’avec l’utilisation de certaines techniques d’édition génomique, il sera impossible de distinguer les mutations spontanées des mutations provoquées, rendant les obligations en matière de traçabilité imposées par la directive très difficiles à mettre en œuvre.

Il est plus que temps que l’UE se saisisse de la question du statut de l’édition génomique si elle ne veut pas être « laissée-pour-compte » dans ce domaine33, et qu’elle tente de garder sur son territoire une partie de la recherche qui utilise ces nouvelles techniques, plutôt que de voir les industriels du secteur végétal délocaliser leur activité hors des frontières de l’UE. Il y va de l’avenir de l’agriculture et de l’image même de l’Europe.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, Confédération paysanne et a. c/ Premier ministre : https://lext.so/KztV6c.
  • 2.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2001/18, 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive n° 90/220/CEE du Conseil : JOCE L 106, 17 avr. 2001.
  • 3.
    CJUE, 25 juill. 2018, n° C-528/16, Confédération paysanne et a. c/ Premier ministre : https://lext.so/y52QMU.
  • 4.
    CJUE, 25 juill. 2018, n° C-528/16, pt 51 : R-M. Borges, « Le statut des nouvelles techniques de sélection des plantes : entre incohérences juridiques et démission politique », RD rur. 2019, étude n° 8, n° 471.
  • 5.
    CE, 3e-8e ch. réunies, 7 févr. 2020, n° 451264 : https://lext.so/MfFYpt.
  • 6.
    Comm. UE, avis circonstancié TRIS/(2020) 02950 (PE et Cons. UE, dir. n° 2015/1535, 9 sept. 2015, art. 6, § 2, 2e tiret), p. 3 : https://lext.so/s0K7wU.
  • 7.
    Les questions posées à la CJUE étaient les suivantes : « 1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/18], lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de cette directive et à la lumière du considérant 17 de celle-ci, doit-il être interprété en ce sens que, pour distinguer parmi les techniques/méthodes de mutagenèse les techniques/méthodes qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, au sens de l’arrêt [du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a.(C-528/16, EU:C:2018:583)], il y a lieu de ne considérer que les modalités selon lesquelles l’agent mutagène modifie le matériel génétique de l’organisme ou (…) de prendre en compte l’ensemble des variations de l’organisme induites par le procédé employé, y compris les variations somaclonales, susceptibles d’affecter la santé humaine et l’environnement ? 2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/18], lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de cette directive et à la lumière du considérant 17 de celle-ci, doit-il être interprété en ce sens que, pour déterminer si une technique/méthode de mutagenèse a été traditionnellement utilisée pour diverses applications et si sa sécurité est avérée depuis longtemps, au sens de l’arrêt [du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. (C-528/16, EU:C:2018:583)], il y a lieu de ne prendre en compte que les cultures en plein champ des organismes obtenus au moyen de cette méthode/technique ou s’il est possible de prendre également en compte les travaux et [les] publications de recherches ne se rapportant pas à ces cultures et si, s’agissant de ces travaux et [de ces] publications, seuls sont à considérer ceux qui portent sur les risques pour la santé humaine ou l’environnement ? »
  • 8.
    Conclusions de l’avocat général M. Szpunar, CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, Confédération paysanne et a. c/ Premier ministre : https://lext.so/8OlaDu.
  • 9.
    La transgenèse est une technique consistant à insérer dans le génome d’une espèce un ou plusieurs gènes issus d’une autre espèce.
  • 10.
    Les protoplastes sont des cellules dépourvues de paroi.
  • 11.
    Comm. UE, avis circonstancié TRIS/(2020) 02950 (PE et Cons. UE, dir. n° 2015/1535, 9 sept. 2015, art. 6, § 2, 2e tiret), p. 3-4 : https://lext.so/s0K7wU.
  • 12.
    European Food Safety Authority.
  • 13.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms, « In vivo and in vitro random mutagenesis techniques in plants », EFSA Journal, 2021 ; 19(11) : 6611, https://lext.so/W08_Ra.
  • 14.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms, « In vivo and in vitro random mutagenesis techniques in plants », EFSA Journal, 2021 ; 19(11) : 6611, p. 21, https://lext.so/W08_Ra.
  • 15.
    Sur l’évolution de la technique, v. Comm. UE, avis circonstancié TRIS/(2020) 02950 (PE et Cons. UE, dir. n° 2015/1535, 9 sept. 2015, art. 6, § 2, 2e tiret), p. 2 et s. : https://lext.so/s0K7wU.
  • 16.
    HCB, avis du comité scientifique en réponse à la saisine du 2 juillet 2020 relative au projet de décret modifiant l’article D. 531-2 du Code de l’environnement, 29 juin 2020, p. 12 : https://lext.so/wBH5s2.
  • 17.
    Conclusions de l’avocat général M. Szpunar, CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, Confédération paysanne et a. c/ Premier ministre, pts 39 et 58 : https://lext.so/8OlaDu.
  • 18.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms, « In vivo and in vitro random mutagenesis techniques in plants », EFSA Journal, 2021 ; 19(11) : 6611, p. 11, https://lext.so/W08_Ra.
  • 19.
    Comm. UE, avis circonstancié TRIS/(2020) 02950 (PE et Cons. UE, dir. n° 2015/1535, 9 sept. 2015, art 6, § 2, 2e tiret), p. 3 : https://lext.so/s0K7wU.
  • 20.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2001/18, 12 mars 2001, annexe I B.
  • 21.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms, « In vivo and in vitro random mutagenesis techniques in plants », EFSA Journal, 2021 ; 19(11) : 6611, p. 21, https://lext.so/W08_Ra.
  • 22.
    HCB, avis du comité scientifique en réponse à la saisine du 2 juillet 2020 relative au projet de décret modifiant l’article D. 531-2 du Code de l’environnement, 29 juin 2020 : https://lext.so/wBH5s2.
  • 23.
    Le considérant 7 de la directive dispose : « Il est, dès lors, nécessaire de rapprocher les dispositions législatives des États membres concernant la dissémination volontaire dans l’environnement d’OGM et d’assurer le développement sûr des produits industriels utilisant les OGM ».
  • 24.
    CJUE, 25 juill. 2018, n° C-528/16, pt 54.
  • 25.
    Le catalogue officiel des espèces et variétés cultivées, créé en 1932, permet de distinguer les variétés végétales au sein d’une même espèce et de réglementer leur mise en marché. L’inscription au catalogue officiel suppose que la variété soit distincte, homogène et stable (tests DHS) et, pour les plantes agricoles, qu’elle réussisse les tests démontrant sa valeur agronomique, technologique et environnementale (tests VATE). Toute inscription sur un catalogue national est portée au catalogue commun de l’UE permettant la commercialisation de la plante sur tout le territoire européen.
  • 26.
    Comm. UE, avis circonstancié TRIS/(2020) 02950 (PE et Cons. UE, dir. n° 2015/1535, 9 sept. 2015, art 6, § 2, 2e tiret), p. 5-6 : https://lext.so/s0K7wU.
  • 27.
    « Les effets inhérents aux cultures in vitro ne justifient pas, en tant que tels, que soient exclus de cette exemption les organismes obtenus par l’application in vitro d’une technique/méthode de mutagenèse qui a été traditionnellement utilisée pour diverses applications in vivo et dont la sécurité est avérée depuis longtemps au regard de ces applications » : CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, pt 64.
  • 28.
    CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, pt 48.
  • 29.
    CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, pts 51-52.
  • 30.
    CJUE, 7 févr. 2023, n° C-688/21, pts 56.
  • 31.
    Study on the status of new genomic techniques under Union law and in light of the Court of Justice ruling in Case C-528/16, 29 avril 2021, SWD(2021) 92 final : https://lext.so/dTyOWR.
  • 32.
    C’est le cas notamment du conseil consultatif des académies des sciences européennes (EASAC) : https://lext.so/bKS763. Une perspective scientifique sur le statut réglementaire des produits dérivés de l’édition génomique et ses implications pour la directive OGM, Déclaration du groupe des conseillers scientifiques principaux, 13 nov. 2018, p. 7 : https://lext.so/rQWheY.
  • 33.
    Déclaration du groupe des conseillers scientifiques principaux, 13 nov. 2018, p. 7 : https://lext.so/rQWheY.
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