Quand le loup s’invite dans les politiques locales

Publié le 17/12/2024
Quand le loup s’invite dans les politiques locales
JC DRAPIER/AdobeStock

Observé en Île-de-France, comme un peu partout en France, le loup fait encore parler de lui. Mais selon les associations de protection de l’espèce, son expansion ne fait pas l’objet d’une politique efficace. Ce qui se fait aux dépens des animaux, exposés aux « prélèvements », mais aussi à celui des éleveurs et des citoyens.

Au Sommet de l’élevage, le 4 octobre dernier, le Premier ministre de l’époque, Michel Barnier, envisageait d’augmenter les capacités de prélèvements du loup « dont la présence est jugée trop importante par les éleveurs dans certaines régions ». En décembre, les États membres de la Convention de Berne, qui assure la protection de la faune, ont approuvé un déclassement du statut du loup, d’espèce « strictement protégée » à « protégée ». Cette décision, qui ouvre la voie à davantage de mesures d’abattage sur le territoire, a été soutenue par la France, malgré de multiples préconisations scientifiques. En 2023, les associations environnementales avaient ainsi constaté une baisse de la population lupine de 9 % sur le territoire français. « Augmenter le quota de prélèvement de loups serait absolument contre-productif, dénonce l’association Ferus, dans un communiqué. Nous devons continuer à expérimenter les moyens de protection des troupeaux qui existent en accompagnant réellement les éleveurs au cas par cas ». Partout en France, le loup fait parler de lui et pas uniquement dans les histoires du soir. Même si le temps de la bête du Gévaudan est bien loin et qu’aucune attaque par des loups sauvages n’a été observée en France depuis la fin du XIXe siècle, les troupeaux d’ovins sont attaqués dans les Alpes comme dans le Maine-et-Loire ou le Morvan, ses hurlements se font entendre dans les calanques marseillaises. En Île-de-France également, des individus sont observés depuis plusieurs années. Le 11 janvier 2023, par exemple, un loup gris d’une espèce en provenance d’Europe de l’Est a été percuté par une voiture dans la forêt de Fontainebleau. La préfecture de Seine-et-Marne, pour la « gestion du loup » se limite à prendre chaque année un « arrêté de cercle 3 », qui ouvre droit à des aides pour se doter de clôtures et chiens de protection pour les éleveurs qui le demanderaient. En termes de chiffres : nous n’avons dénombré qu’un seul loup, confirmé génétiquement comme issu de la souche allemande, percuté en forêt de fontainebleau en janvier 2023. De faux signalements émergent parfois via les réseaux sociaux. Jean-Luc Valérie, spécialiste du loup et co-fondateur en 2013 de l’Observatoire du Loup, a une tout autre version. Selon ce passionné qui grâce à son armée de bénévoles peut se targuer d’être le spécialiste des loups en France (avec l’association Férus), cet individu décédé, ainsi que d’autres observations dans la région, montrent au contraire que le loup est en voie de dispersion dans le département, qu’il explore les champs de maïs franciliens, emprunte les voies de train, les axes routiers de lointaine banlieue en vue de s’y reproduire. Selon lui, si l’État ne met pas les moyens pour observer et recenser les animaux, il ne saura mettre en place des mesures de protection des troupeaux et des animaux correctement. « Par manque d’investissements des préfectures, certains territoires comme le Morvan, se trouvent déjà dépassés », nous explique-t-il.

AJ : Avec votre observatoire, vous travaillez depuis 2013 à documenter la présence du loup en France et à alerter les pouvoirs publics sur les politiques à mener pour protéger les animaux comme les exploitants agricoles. Qu’en est-il en Île-de-France ?

Jean-Luc Valérie : En 2017 déjà, nous avions communiqué pour expliquer que le loup était présent dans la région et que les surfaces ont tendance à se réduire car les loups s’adaptent géographiquement. Les premiers faits observés datent de 2013, dans le Val-de-Marne. Une dame m’avait contactée car deux chèvres avaient été consommées avec éventration et consommation des viscères rouges, ce qui est spécifique du loup (les chiens ne consomment que 300 ou 400 grammes et ne visent pas ces organes). Il y a des faits de dispersion un peu partout, les loups remontent la vallée de la Loire et vers la région parisienne en évitant Paris, donc contournent par la Seine-et-Marne, suivent la Seine jusqu’en Normandie. Ce sont des animaux qui suivent les routes, les voies ferrées et les fleuves, comme ce sont des paysages découverts. Il ne faut pas oublier que la région est agricole à 60 % avec de vastes plaines céréalières et 20 à 30 % de prairies.

AJ : Comment s’assurer de leur présence ?

Jean-Luc Valérie : Ce que nous ne cessons de dire aux préfectures, c’est d’encourager les citoyens à témoigner et à transmettre des informations, ce qui se fait beaucoup dans le Benelux, et de se déplacer dès qu’il y a une carcasse d’animal dévoré, qu’il s’agisse d’un cerf, d’un ovin ou d’un bovin. Dans le Finistère, dont 10 communes ont été placées par la préfecture en 2024 au cercle 1 de protection, les loups attaquent les bovins, ce qui est le signe d’une installation, par exemple. Pour la Bretagne également, nous avions commencé à alerter en 2017 que cela pouvait dégénérer… Mais cela est resté sans effets. Globalement, quand il y a des attaques sur chevreuil ils les classent comme invérifiables ou non retenus. Les préfets ont bien compris qu’il fallait agir, mais ne prennent pas le temps de comprendre le loup. L’animal s’installe par phase : la phase de découverte lors de laquelle un ou plusieurs individus explorent 160 000 hectares, puis la phase de pré-installation qui se réduit à la moitié de la surface pour chercher des endroits où s’installer puis la phase d’installation et de reproduction qui peut aller de 17 000 à 300 00 hectares. Deux départements sont particulièrement concernés en Île-de-France : l’Essonne et la Seine-et-Marne. Dans le Val d’Oise, on peut dire qu’ils sont en phase de pré-installation. En Essonne et en Seine-et-Marne, ils sont installés ; les premiers faits sur la zone datent de 2014 avec l’observation de de loups à Bourron-Marlotte et Milly-la-Forêt, où on a pu affirmer qu’une zone s’était développée entre Étampes et Milly avant de basculer dans le Gatinais, dans une zone à cheval entre Milly, Fontainebleau et Mennecy. Aucun des deux préfets ne veut en parler et rejette la responsabilité sur son voisin.

AJ : Pensez-vous que cela s’explique par la peur du loup que l’on prête encore aux citoyens ?

Jean-Luc Valérie : Il faut que les citoyens soient informés mais ils ne savent même pas reconnaître les animaux. Il faut qu’ils sachent que dans certains départements ruraux, laisser sortir ses chiens la nuit sans laisse et tôt le matin, c’est courir un risque. On place des pièges photo pour évaluer le comportement de la faune sauvage et on voit des chiens passer le matin faire leur tour, et ils peuvent se faire attaquer ! Les propriétaires pensent que ce sont des pitbulls qui ont attaqué, mais non ce sont des loups ! De même, on ne laisse pas son chien dans sa niche dans une zone de loups, ni des chèvres enchaînées, sans abri, en plein champ ! À Saint-Brévin-les-Pins, en octobre 2021, nous avons trouvé un cadastre de loup chez l’équarrisseur… La personne ne l’a même pas reconnu avant de le jeter. Mais je ne pense pas que les citoyens aient officiellement peur du loup aujourd’hui, ils sont d’ailleurs plutôt opposés aux abattages (74 % des Français et 68 % des citoyens des 10 pays sondés de l’UE se déclarent en faveur du maintien d’une protection stricte du loup en Europe (sondage Savanta, novembre 2023, NDLR). L’installation du loup dans les régions est une bonne nouvelle car cela indique que la biodiversité dans son espace de prédilection est au beau fixe : d’ailleurs, nous posons des caméras pour observer le comportement de la faune dans leurs zones d’installation et il y a de vrais mouvements de sangliers, de cerfs, de chevreuils. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les chasseurs se réjouissent souvent de la présence du prédateur qui fait évoluer les zones de chasse.

AJ : Comment les pouvoirs publics doivent agir ?

Jean-Luc Valérie : Le problème c’est qu’il est possible de contrôler l’expansion du loup et de protéger les pâturages sans avoir à tuer des individus. Cela demande des moyens humains, du temps d’enquête. J’ai passé six mois à enquêter dans les Cévennes, dernièrement. On peut bloquer les attaques sur les troupeaux grâce aux chiens et des torches. En restant cinq nuits dans les Cévennes, nous avons pu protéger le troupeau d’un agriculteur qui avait pu observer des vautours rôder, dans l’attente d’une attaque. Il faudrait déjà que l’OFB et la préfecture multiplient les pôles techniques pour observer les individus en France, déceler plus efficacement les indices de sa présence sur le territoire. Le préfet ne se déplace que si cinquante bêtes sont tuées sur une exploitation, mais n’a pas les moyens d’embaucher des spécialistes pour observer et documenter l’expansion des loups, ne sait pas où les recruter. Avec le réseau loup en France, nous sommes les cancres de l’Europe. En Allemagne, ils collectent 23 000 données par an, nous 9 000 données par an et la moitié pas vérifiable, on est dans l’incapacité de comprendre et d’agir. Le problème c’est que cela s’appuie aussi sur un réseau citoyen : il faut communiquer localement pour avoir des retours des gens de la ruralité. Mais l’OFB et Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCSF) ont plutôt tendance à dire que les citoyens comme les associations et observatoire du loup voient du loup partout. On décide d’utiliser les louvetiers pour réduire le risque, mais c’est une très mauvaise solution. Ce qui va se passer c’est que dans quelques années par exemple, ils vont dire qu’ils vont anticiper et instaurer le cercle 3 pour tout le territoire. Mais l’on va se retrouver comme dans les Alpes, où depuis 2017, 700 loups ont été tués, mais où l’on est resté incapable de réduire le nombre d’attaques, qui augmentent toujours même si moins de victimes sont à déplorer grâce au doublement du nombre de chiens (près de 6 000). Les tirs poussent les loups vers les chèvres, les chevaux et les vaches sur les chèvres.

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