Transition climatique : une stratégie de résilience pour Aubervilliers

En milieu urbain, la hausse globale des températures générée par le changement climatique est renforcée par l’effet d’îlot de chaleur urbain, avec à la clé des conséquences à la fois sur la santé et sur le bien-être des habitants, particulièrement en période estivale. Particulièrement vulnérables à ce phénomène, les villes de Seine-Saint-Denis travaillent à se réinventer pour faire face à ces nouveaux risques. En réintroduisant la forêt en ville, la ville d’Aubervilliers compte sur des îlots de fraîcheur pour adapter sa stratégie climatique.
Plus de 3 685 000 Franciliens, soit 31 % de la population régionale, résident dans des zones considérées comme fortement vulnérables à la chaleur, ou îlot de chaleur urbain (ICU), sorte de dôme d’air plus chaud couvrant la ville, d’après les chiffres de L’Institut Paris Région. Avec le dérèglement climatique, ce phénomène va s’amplifier. La dernière décennie (2010-2019) s’est révélée plus chaude de 1,1 °C que la fin du XIXe siècle (1850-1900). Les températures ont atteint des niveaux jamais vus depuis au moins 125 000 ans d’après le 6e rapport d’évaluation du GIEC.
Se préparer à la multiplication des vagues de chaleur et des épisodes de canicules
En France, une vague de chaleur peut se définir comme le nombre de jours dont la température maximale est supérieure de plus de 5 °C à la normale au moins 3 jours consécutifs, d’après la définition de Météo-France. Ces vagues de chaleur, comme les épisodes de canicule, sont appelées à se multiplier et à s’intensifier. Les canicules sont définies à l’échelle départementale. Lorsque les moyennes des températures maximales et minimales sur trois jours dépassent les seuils de température diurnes et nocturnes construits pour chaque département – par exemple 21 °C la nuit et 31 °C en journée pour la Seine-Saint-Denis contre 18 °C la nuit et 34 °C en journée pour les Yvelines – le département est considéré en canicule sur l’ensemble de la période de dépassement. Ses seuils ont été établis à partir d’études épidémiologiques et sont associés à un risque élevé de mortalité. Le changement climatique annoncé renforce la nécessité de mieux identifier localement dans les grandes agglomérations les zones les plus sujettes à l’effet d’îlot de chaleur urbain, facteur aggravant lors d’une vague de chaleur.
Une vulnérabilité marquée en Seine-Saint-Denis
Le département de Seine-Saint-Denis a une démographie singulière : elle se caractérise par sa forte densité, 1,6 million d’habitants sur 236 km2, répartis dans 409 communes. La population y est en forte croissance, portée par la natalité et les flux migratoires. Ce département de la petite couronne abrite une population jeune. Près d’un quart de la population du département devrait avoir moins de 18 ans en 2070 (contre 15 % à Paris). Cette population apparaît comme particulièrement vulnérable face au changement climatique. Lors de la canicule de 2003, lors de laquelle la France a enregistré une nette surmortalité (+ 60 % avec environ 15 000 décès enregistrés entre le 1er et le 20 août, selon l’INSERM), la Seine-Saint-Denis a été le deuxième département le plus touché. Les raisons de cette surmortalité peuvent être nombreuses : moindre qualité des logements, échec de la diffusion de l’information, sensibilité particulière des populations, notamment liée à la densité d’occupation humaine et à l’âge (moins de 5 ans et plus de 65 ans), vulnérabilités de santé, précarité, non-proximité à un service d’urgence hospitalière… Il n’en reste pas moins que le département reste marqué par une forte vulnérabilité face au changement climatique.
Les îlots de chaleur urbains
Le phénomène d’îlot de chaleur urbain se manifeste par des températures plus élevées en milieu urbain que dans les zones rurales environnantes. Il est particulièrement marqué la nuit et pendant les épisodes de canicule. Ce phénomène physique climatique est engendré par la ville, sa morphologie, ses matériaux, ses conditions naturelles, climatiques et météorologiques, ses activités, etc. Réciproquement, il influence le climat de la ville (températures, précipitations), les taux et la répartition des polluants, le confort des citadins, les éléments naturels des villes. En ville, la chaleur stockée est plus importante. Le modèle d’urbanisation, les revêtements des sols, la carence de végétalisation ou d’eau dans les espaces publics sont autant de facteurs qui empêchent l’espace urbain de se refroidir. Les hauts immeubles et la densité des murs freinent la circulation de l’air, et le bâti emmagasine la chaleur. Des matériaux de construction comme le béton, la brique ou la pierre captent aisément la chaleur le jour, par le rayonnement solaire, et la restituent progressivement dans l’atmosphère la nuit, empêchant l’air de se refroidir, soulignent les experts de Météo-France…
La réglementation en Île-de-France
Dans la région francilienne, le Plan régional d’adaptation au changement climatique, adopté en septembre 2022, par le conseil régional d’Île-de-France, comme le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie en cours de révision, pointent une grande vulnérabilité à la chaleur urbaine. Marquée par une augmentation de la température moyenne de +2 °C entre 1950 et aujourd’hui et par la répétition de vagues de chaleur ces dix dernières années, la région Île-de-France doit faire face à de nombreux enjeux associés à la chaleur, au premier rang desquels se place la surmortalité humaine (L’Institut Paris Région, Adapter l’Île-de-France à la chaleur urbaine – acte 2, juin 2024).
Trois villes en Seine-Saint-Denis particulièrement concernées par le phénomène
Près d’un Francilien sur trois (31 %) – plus de 3 685 000 habitants – vit dans un îlot présentant une vulnérabilité potentiellement forte la nuit (indice de niveau 7, 8 et 9), selon l’ensemble des critères socio-démo-urbains définis par la dernière étude de l’Institut Paris Région sur le sujet de la chaleur urbaine (notamment la densité de population, l’âge, la qualité de l’habitat et les difficultés à faire face, faibles ressources individuelles et territoriales). Dans les zones à effet d’ICU marqués il est observé une surreprésentation des critères de suroccupation potentielle des logements, de proportion de ménages pauvres ou de ménages composés d’un seul individu. En Seine-Saint-Denis, le département le plus affecté par le phénomène des îlots de chaleur urbain après Paris, trois villes concentrent le plus de difficultés : Aubervilliers, Saint-Denis et Le Bourget, d’après la carte interactive publiée en juillet 2023 par l’Institut Paris Région.
Aubervilliers : réimplanter la forêt en ville
Pour lutter contre ce phénomène, la ville d’Aubervilliers travaille sur des projets originaux de rafraîchissement urbain axés sur l’accès à l’ombre, la présence d’eau et de végétal. Le projet Lisière d’une Tierce Forêt a permis de transformer le parking de l’association Alteralia qui gère le foyer de jeunes travailleurs d’Aubervilliers en un espace qui réponde davantage aux besoins des usagers (espace de vie, activités extérieures, absence de voitures, piétons, etc.). À la clé, un espace de vie mixte alliant écosystème forestier et ville, grâce à la plantation d’arbres denses et l’installation d’un sol minéral, mais perméable. Le projet Lisière d’une Tierce Forêt, qui vise à concilier milieu urbain et nature en introduisant un véritable écosystème forestier en ville a également pour objectif de mesurer la capacité de la végétation à lutter contre les îlots de chaleur urbains. En partenariat avec le Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED) de l’université Paris Diderot, des données (microclimatiques, pédologiques, réglementaires, hydrométriques, etc.) ont été récoltées en amont de l’aménagement afin de pouvoir les comparer à celles collectées post-aménagement. Pour cela, deux stations météo sont installées sur le site par Météo-France depuis juin 2018. Les premiers scénarios montrent que la dépose du bitume et le verdissement de la zone permettent déjà de diminuer la température de 2 à 8 °C en période de canicule.
Référence : AJU015h4
