Une justice environnementale efficace est une justice spécialisée
Le droit de l’environnement est un domaine spécifique nécessitant le recours à des spécialistes. Dès lors, renforcer le pouvoir des juridictions de droit commun en matière de contentieux environnemental n’est pas une solution efficace pour faire vivre un droit de l’environnement véritablement protecteur. Ce pessimisme judiciaire entrouvre la question de la création d’une juridiction spécialisée en contentieux environnemental, qui serait dotée d’une arme efficace : un code du contentieux environnemental. Cette juridiction, composée d’experts et de magistrats professionnels, aurait alors une analyse plus éclairée sur l’appréciation in concreto du droit de l’environnement.
À l’heure des grandes émanations de juridictions spécialisées, qui peuvent se voir critiquer dans une certaine mesure, la question demeure de savoir s’il serait pertinent de créer une nouvelle forme de juridiction pour répondre aux enjeux futurs en matière de droit de l’environnement. Pertinente ou illusoire, cette juridiction pourrait être un renouveau pour le droit de l’environnement, qui est parsemé de problèmes de compétences rationae materiae.
I – Une juridiction spécialisée, une nécessité du fait d’une technicité
Le droit de l’environnement est un droit technique par nature, car son économie juridique est composée de divers domaines : pêche, chasse, biodiversité, écodiversité, gaz à effet de serre… Un vocabulaire riche mais qui rend encore plus complexe une protection effective de « l’environnement ». Les principes fondamentaux prévus par le Code de l’environnement et dégagés par le Conseil d’État reflètent la réalité de la difficulté. En effet, le principe du « pollueur-payeur » n’est purement qu’économique visant à conférer en réalité, de manière cachée, un droit pour les entreprises de polluer. Seul un seuil fixé de CO2 à ne pas dépasser permet une sanction effective.
Les tribunaux peuvent se voir démunis. À bien faire, ils se retrouvent confrontés aux réalités d’un monde judiciaire souffreteux, dont le manque de personnel et la masse de travail ne permettent pas de rendre une décision judiciaire efficace dans un temps tout au moins tolérable. Dès lors, la création d’une juridiction spécialisée retrouve tout son sens.
Pour que cette juridiction puisse fonctionner, il s’agit d’en rechercher sa composition. Julien Lagoutte considère, notamment en matière pénale, qu’une juridiction entièrement composée de magistrats1 devrait être créée. Cela se justifie dans ce domaine par la possibilité pour les magistrats de prendre des mesures coercitives sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, en qualité de garants des libertés individuelles.
Néanmoins, nonobstant le droit pénal de l’environnement, qui suggérerait une chambre spécialisée rattachée à un tribunal correctionnel ou une cour criminelle, avec un procureur de la République en charge des questions infractionnelles environnementales, il serait pertinent de créer une juridiction composée d’experts, à l’instar des tribunaux arbitraux, mais dont la compétence rationae materiae ne serait pas amiable mais contentieuse.
Cette juridiction pourrait être composée de membres experts en matière environnementale, c’est-à-dire des présidents d’associations nationalement reconnues et d’utilité publique, comme l’Office national des forêts, l’Office national de la biodiversité. Ces experts seraient sous la présidence d’un pair élu dont le turn-over serait nécessairement à prévoir. Ils auront à connaître des contentieux sur les domaines spécifiques du droit de l’environnement, tant administratif que civil. À titre d’exemple, il serait pertinent de considérer dans certaines zones françaises, issues de la ruralité ou qui commencent à s’urbaniser, que le désagrément environnemental pourrait être considéré comme un abus de droit de propriété dont le voisin aura à en réparer les conséquences par le prononcé, grâce à cette juridiction, d’une destruction et d’une remise en état des lieux. Également, ils auront à répondre aux contentieux des permis de construire, selon les zones, les contentieux relatifs au pouvoir de police utilisé par un élu local. De plus, ils auront à chiffrer et mesurer les destructions volontaires ou involontaires sur l’environnement, la faune et la flore, et les mesures de réparation qu’aura à effectuer la partie condamnée.
Mais pour que cette juridiction spécialisée fonctionne, encore faut-il un code qui suive, d’où la proposition de créer un véritable Code du contentieux environnemental.
II – La nécessité d’un Code du contentieux environnemental
En tout état de cause, il semble nécessaire de venir créer un Code du contentieux environnemental. L’appel ne porte évidemment pas à la prolifération d’ustensile légal et réglementaire ayant pour finalité d’essayer d’organiser l’éternelle inflation légale, mais bien de rendre efficace la mise en œuvre par les professionnels d’un droit fragmenté. Cela se justifie d’autant plus par l’apparition de nombreuses associations ou organisations juridiques pour former ces professionnels à la cause juridique environnementale. La meilleure formation passe par l’analyse d’un code qui porterait uniquement sur la procédure, reine du procès civil, pénal et administratif. Ce code aurait à charge de diviser les trois procédures tout explicitant la finalité téléologique recherchée par le législateur. Ainsi, les principes fondamentaux gouvernant le droit de l’environnement auront à être rappelés, permettant leur suppression du Code de l’environnement, pour enfin expliciter les délais d’actions, devant quel tribunal, en y intégrant les nouvelles réformes législatives, comme l’action de groupe.
Ce code aurait pour conséquence immédiate de focaliser le Code de l’environnement sur l’aspect préventif qu’il peut contenir dans certains domaines, comme la chasse2, et non plus sur les actions possibles. Le législateur a dès lors un rôle essentiel à jouer dans la préservation d’un droit en plein essor et trop peu réglé aujourd’hui.
Notes de bas de pages
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1.
J. Lagoutte, « Esquisse d’un droit pénal de l’environnement rêvé : pour une protection pénale des communs, entre droit commun et droit hors du commun ? », Revue juridique de l’Environnement, hors-série 2022, vol. 47, p. 353-362.
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2.
Avec le rappel des dispositions concernant l’obligation d’un port de permis de chasse et les sanctions prévues dans le titre II du livre IV du Code de l’environnement.
Référence : AJU010k0