Yvelines : les forêts franciliennes en danger

Coupes rases, bulldozers, spéculation et grignotages, les forêts et bois franciliens sont exposés à bien des dangers. Selon les associations, elles ne sont pas assez protégées de la convoitise de certains.
Le 28 mai dernier, au tribunal de Versailles, une audience particulièrement attendue a rempli une salle d’amoureux des arbres. Il s’agissait du procès d’un bûcheron yvelinois accusé d’avoir, entre 2021 et 2022, procédé à la coupe illégale de plus de 200 chênes centenaires dans la commune de Septeuil (78). Une coupe qui, dans le cœur des habitants, sonnait comme une perte. Une coupe illégale, car la quantité concernée ne correspond pas à ce que l’on appelle une coupe d’« éclaircie », validée par le maire de la commune et les propriétaires des parcelles concernées. Illégale, parce que les souches résultant de cette coupe soi-disant sanitaire se sont retrouvées dans des conteneurs, en Chine (en l’espace de 21 ans, les importations chinoises de feuillus ont augmenté de 38 %, celles de résineux de 70 %).
À l’issue de l’audience, la procureure de la République – qui a appelé à une « prise de conscience autour de ce genre de contentieux » – a requis 6 mois de prison avec sursis ainsi qu’une amende de 15 000 €, équivalente aux frais demandés par les parties civiles. Les trois associations parties civiles dans ce dossier, Jade, Sauvons les Yvelines et Sauvons la Tournelle, se sont félicitées de cette décision et espèrent qu’elle fera date. Ce type d’affaires est malheureusement monnaie courante dans le département le plus boisé d’Île-de-France, avec 68 000 hectares de zones boisées (24 000 hectares de forêts domaniales gérées par l’Office national des forêts, 1 500 hectares de forêts régionales et 1 300 hectares de forêts départementales). Cela correspond à 30 % de la surface totale du département… Des forêts qui, malgré les tentatives et les dispositifs censés les protéger, sont en danger. Selon Olivier Legrand, vice-président de l’association Jade (Jonction des associations de défense de l’environnement), le problème ne vient pas vraiment du réchauffement climatique, mais bien de l’appétit vorace des humains. L’association travaille actuellement sur les zones de Septeuil, Arnouville, Bazoches-sur-Guyonne, Bazainville et Orgerus où des coupes illégales sont à déplorer. il nous en dit plus sur le travail de cette association. Entretien.
Actu-Juridique : Quelle est la situation des forêts en Île-de-France ?
Olivier Legrand : Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Tout est déséquilibré dans la gestion des forêts et il y a des chances qu’on s’en rende compte quand il sera trop tard. On ne recrée pas une forêt comme on refait pousser un champ de maïs. Dans les Yvelines, nous ne sommes pas exposés à des cas aussi dramatiques que dans d’autres régions, comme les Landes, le Limousin ou le Morvan où les coupes rases sont dramatiques, mais ça commence. Les forêts périurbaines sont un cas particulier, elles ont une utilité sociale en plus d’une utilité écologique. Les habitants tiennent à leurs arbres, comme on l’a vu avec les affaires de Septeuil ou de Grosrouvre, où des centaines de chênes centenaires ont été abattus en 2021. Nous militons avec les grandes associations nationales, comme Canopée, pour qu’elles obtiennent un statut de protection particulier.
AJ : La réquisition de la procureure de la République de Versailles, dans le cas de Septeuil justement, ne vous rassure-t-elle pas ?
Olivier Legrand : Nous attendons déjà d’obtenir le jugement définitif qui arrivera fin juin mais ces réquisitions nous donnent déjà une idée de ce vers quoi l’on se dirige. Mais je mets un petit bémol : l’audience arrive après deux ans d’enquête, nous avons beaucoup travaillé avec la gendarmerie et en sommes satisfaits. Mais nous avons le sentiment que l’on montre une personne du doigt et qu’il y a d’autres responsables dans cette affaire. Nous reprochons l’inaction du maire de la commune, par exemple, qui n’a pas manifesté une volonté farouche d’empêcher les coupes.
AJ : Le Réseau pour les alternatives forestières (RAF) rachète du foncier forestier pour le protéger de l’exploitation industrielle de la filière bois ou de la voracité spéculative… car replanter ce que l’on a coupé peut ouvrir droit à des crédits-carbone. Est-ce le principal péril que peuvent représenter les hommes sur les forêts yvelinoises ?
Olivier Legrand : Bien sûr les grandes coopératives nationales font du lobby auprès du gouvernement. Ce n’est pas très original : tous les secteurs d’activité sont concernés. Mais la forêt n’est clairement pas assez protégée. Nous sommes bien placés pour critiquer le gouvernement chinois qui a fait exploser le tarif de son bois, mais je considère que l’on peut au contraire saluer cette décision : ils protègent enfin leurs ressources, tout en étant comme nous concernés par des objectifs de décarbonation. En tant qu’association, nous pensons que l’État voit la forêt plus résiliente qu’elle ne l’est. Justifier les coupes sanitaires ou d’adaptation sous prétexte de décarbonation est une impasse. On utilise la mort de 15 arbres comme prétexte pour couper une zone entière. À force de couper, les forêts vont dépérir et avoir de plus en plus de difficultés à s’adapter au changement climatique.
AJ : C’est ce que l’on appelle le grignotage ?
Olivier Legrand : Oui, le grignotage c’est le risque principal : on s’émeut des coupes rases mais la profession forestière a compris que les coupes rases dans notre région n’étaient plus socialement acceptées. Les exploitants forestiers ne vont pas procéder à des coupes rases mais vont faire des mini coupes rases, présentées comme des coupes éparses ou des coupes d’éclaircies. Mais ce n’est qu’un mot : les coupes présentent à la fin un pourcentage plus important, qui entraîne une perte du couvert forestier continu. À partir du moment où l’on perd le couvert forestier continu, on perd la forêt car le rayonnement direct sur les jeunes pousses les affecte. En tant qu’associations, nous avons moins de poids auprès des politiques que les sylviculteurs, mais sur place nous constatons 70 % d’échec des plantations. Les jeunes brûlent et se dessèchent.
AJ : Ces risques se sont-ils accélérés ces dernières années, en particulier dans les forêts privées ?
Olivier Legrand : Juridiquement, il n’existe pas de loi globale pour interdire de couper 50 % d’une forêt. Le Plan simple de gestion (PSG), institué par la législation française en 1963, est un document technique de développement et d’encadrement de la forêt privée de plus de 25 hectares : la profession se bat pour la non-communicabilité des PSG mais nous militons pour les obtenir. Pour nous, cette procédure peut aboutir à de mauvaises pratiques : comme ces plans qui autorisent des coupes de 30 % ou 50 % courent sur 10, 15 ou 20 ans, vous pouvez aboutir à raser 100 % d’une forêt, tout en restant dans le cadre juridique du PSG. Mon explication à cette aberration c’est que l’on n’a pas pris en compte les avancées technologiques et la mécanisation de la sylviculture : désormais, il ne s’agit plus de quelques bûcherons qui procèdent aux coupes avec des tronçonneuses mais de machines d’abattages industrielles qui peuvent raser une forêt en une semaine. Ces machines sont déjà déployées sur notre territoire.
Référence : AJU013v3
